La réception de la Black Star Line

Le jour suivant, les invitations arrivent dans leur boîte aux lettres, une pour Jimin et une pour lui. Elles ne disent rien de plus que Seokjin, mais demandent une réponse avant le premier septembre pour que la compagnie puisse envoyer les billets d'avion et réserver les chambres d'hôtel.

Taehyung ne sait pas quoi faire. Jimin a déjà dit qu'il voulait y aller, et l'accompagner serait sans doute plus agréable que de rester seul à la maison – la solitude le tue. Mais il ne sait pas si c'est une bonne idée pour sa santé mentale, d'aller là-bas et de se mêler à des gens qui partagent le même traumatisme que lui. Au final, est-ce que ce ne sera pas juste une nouvelle occasion pour eux de retourner le couteau dans leurs plaies toujours béantes ?

Mais ça peut aussi être l'inverse : une expérience cathartique qui l'aidera à avancer et à reprendre le cours de sa vie. Du moins, pour autant que ce soit possible.

Il hésite jusqu'au dernier jour d'août, incapable d'oublier que ce sera l'anniversaire de Jungkook le lendemain ; puis il décide brusquement qu'un changement d'air lui fera du bien. Il a passé le mois entier allongé sur le canapé, à regarder la télé d'un air morne, et il a besoin d'une distraction – même si la distraction en question n'est rien d'autre qu'une sinistre réunion entre survivants.

Il renvoie sa réponse par la poste, et reçoit en échange une lettre qui contient un billet d'avion, ainsi que des explications sur la chambre d'hôtel réservée pour lui. C'est le même vol que Jimin et Yoongi, même s'il n'est pas installé près d'eux.

Voilà comment il se retrouve, quinze jours plus tard (et toujours sans nouvelles de Jungkook) dans un avion qui va d'Incheon à LAX ; un vol bien plus long que le précédent, de Séoul à Tokyo, mais son excitation a complètement disparu. C'est comme s'il n'avait même plus la capacité émotionnelle de ressentir quoi que ce soit. Ses jours sont un camaïeu de bleu et de gris, sans aucune nouvelle couleur pour égayer son horizon ; toujours la même morosité, une monotonie constante.

Ils survolent l'océan Pacifique. Taehyung essaie de ne pas se demander, à chaque fois que ses yeux se posent sur l'immensité bleue, si c'est là que le paquebot a sombré – même s'il sait que ce n'est pas le cas. Est-ce qu'il y a encore des gens dans l'eau ? Combien ont été piégés dans leurs cabines, comme les parents de Jungkook ? Combien sont morts dans l'eau en attendant qu'un bateau vienne les sauver ? Est-ce que Jungkook était l'un d'entre eux ?

C'est un soulagement, lorsqu'ils atterrissent à Los Angeles, de retrouver la terre ferme. Heureusement, Seokjin, Namjoon et Hoseok sont déjà là, ayant atterri quelques heures plus tôt, et les attendent à l'aéroport. Taehyung apprécie la sollicitude de Namjoon ; grâce à son anglais parfait, il les aide à héler des taxis et à trouver leur hôtel.

La réception aura lieu dans ce même hôtel, mais le lendemain. Pour l'instant, Jimin et Yoongi veulent profiter de la ville, et visitent tout ce qu'ils peuvent avant de devoir retourner en Corée. Taehyung les accompagne, mais il trouve ça plus déprimant que distrayant : chaque fois qu'il voit quelque chose qui l'intéresse, sa première réaction est de vouloir en parler à Jungkook et lui demander ce qu'il en pense. Il se rend compte qu'il ne sait pratiquement rien de Jungkook, à part le peu qu'ils se sont raconté l'un sur l'autre dans le planétarium, ce matin-là. Ils n'ont pas eu le temps de faire davantage connaissance. Taehyung pensait qu'il aurait le reste de sa vie pour ça.

C'était avant qu'un missile ne fasse exploser le navire et ses rêves en même temps.

Au final, Taehyung voit tout ce qu'il y a à voir à Los Angeles, tiré par le poignet par Jimin et Yoongi, et pourtant, rien ne s'imprime dans son cerveau. Il est en mode pilote automatique. Il sait que ses amis s'inquiètent pour lui, mais il n'a pas le courage de s'en soucier ; c'est trop épuisant.

Le sommeil ne lui vient pas plus facilement dans une chambre d'hôtel de l'autre côté de l'océan que dans le silence de son appartement – mais il ne s'attendait pas à autre chose, de toute façon.

Il parle énormément de Jungkook à Namjoon et à Hoseok, et ses amis lui racontent chaque petite interaction qu'ils ont eue avec lui, pour qu'il ait de nouvelles pièces de puzzle à rajouter à l'image incomplète de celui qu'il aime.

Finalement, le soir, la réception commence. Taehyung a déjà hâte qu'elle se termine, hâte de rentrer en Corée. Il n'aime pas être à l'étranger, réalise-t-il. C'est comme s'il était à nouveau sur le paquebot. Il veut rentrer à la maison, et vite.

Accompagné de ses amis, il se dirige vers la salle de réception. Il remarque des visages, qu'il avait aperçus sur l'Orion, et qu'il n'a pas réussi à oublier : un petit garçon qui jouait avec une toupie, une femme aux cheveux d'un roux flamboyant, des jumeaux d'âge mûr vêtus de la même façon, toujours ensemble.

Mais c'est sur Jungkook que son esprit se concentre, c'est Jungkook que ses yeux cherchent dans la salle, qu'il essaie de découvrir derrière chaque silhouette. Il sait que c'est pratiquement impossible ; si Jungkook était subitement revenu des morts, Taehyung en aurait entendu parler d'une façon ou d'une autre, que ce soit par Seokjin ou par Junghyun, ou par les informations ; il sait que ce n'est pas rationnel d'espérer qu'il soit à cette fête, à un demi-monde de distance de son pays natal – mais il ne peut pas s'empêcher d'espérer.

La soirée est à la fois agréable et terrible. Agréable, car l'endroit est somptueux, les tables débordent de nourriture appétissante et de boissons colorées. Terrible, car la moitié des invités est déjà en train de pleurer en arrivant dans la salle et en découvrant des gens avec qui ils ont partagé des souvenirs.

Puis, un homme tapote un micro et se lance dans un discours, dont Taehyung ne comprend que quelques mots ; mais lorsqu'il se termine, l'autre moitié des invités (du moins, de ceux qui parlent anglais) est en larmes aussi. Ça fait beaucoup de maquillage qui coule et de nez rouges qui soufflent dans des mouchoirs, mais il y a également un étrange sentiment d'unité qui traverse la pièce, l'impression de faire partie d'un tout, que Taehyung ressent même s'il ne parle pas anglais. Autour de lui, les gens s'étreignent, se sourient, se serrent les bras, comme s'ils s'étaient connus toute leur vie.

Jimin retrouve sa petite vieille dame et fond en larmes – et la vieille dame aussi. Elle est italienne, et ni l'un ni l'autre ne comprennent un traître mot de ce qu'ils se disent, mais leurs gestes parlent plus fort que leurs paroles.

— Junghyun n'est pas là, murmure Yoongi à Taehyung tandis que Jimin s'efforce de communiquer avec la vieille dame. C'est bizarre, il m'avait dit qu'il viendrait. Jisoo ne sait pas où il est non plus.

— Jisoo est là ? demande Taehyung, surpris. Je ne l'ai pas vue.

— Elle est arrivée ce matin avec ses parents, je les ai croisés dans un couloir. Elle devait retrouver Junghyun à Incheon pour qu'ils partent ensemble, et Junghyun n'est pas venu. J'espère qu'il va bien.

— Peut-être qu'il a eu un problème avec la compagnie ? dit Taehyung en haussant les épaules.

Il a eu l'occasion, depuis son retour, de discuter quelques fois avec Junghyun, et il l'aime plutôt bien – mais ce n'est pas Jungkook. C'est simplement une autre source qui lui permet d'obtenir de nouvelles pièces pour son puzzle.

— Oh mon dieu, souffle alors Yoongi à côté de lui.

Taehyung se tourne vers lui, surpris.

— Quoi ? Un problème ? C'est Junghyun ?

Mais Yoongi ne le regarde pas et ne réagit pas à ce qu'il vient de dire. Au lieu de ça, il fixe un point droit devant lui, les yeux écarquillés, tout comme Jimin lorsqu'il a aperçu sa vieille dame, et Taehyung comprend ce qui se passe – il a dû voir quelqu'un dans la foule, quelqu'un qui était sur le bateau et qu'il pensait décédé.

Quelle chance.

Puis il entend une voix crier son prénom.

— Taehyung !!

Son cœur sait ce qui se passe avant même que son cerveau n'ait connecté les informations entre elles, car il se met subitement à tambouriner dans sa poitrine en entendant la voix – une voix unique au monde.

Le temps ralentit sa course, et soudainement, il a conscience de tout ce qui se passe autour de lui, les bruits, les discussions, les gens qui se serrent dans les bras, qui sourient, qui sanglotent.

Et lorsqu'il tourne la tête, au milieu de tous ces inconnus, de tous ces anonymes, juste devant lui, se trouve un visage qu'il connaît par cœur ; les joues empourprées, les yeux noirs écarquillés, les lèvres rouges qui forment un « O » de stupéfaction.

Il n'a plus vu ce visage depuis un mois et demi, mais rien n'aurait pu le lui faire oublier.

Le sang lui monte au cerveau avec une telle férocité qu'il a l'impression qu'il va tomber dans les pommes.

— Jungkook, murmure-t-il.

Il est incapable de réfléchir plus longtemps ; tout à coup, bien qu'il ne sache pas qui des deux a fait le premier pas, ils s'étreignent avec tant de force que c'est un miracle que leurs corps ne fusionnent pas l'un avec l'autre. Taehyung se met lui aussi à pleurer, enfin, comme tous les autres invités au cours de la soirée ; non, en fait, ça ne s'appelle même plus pleurer. Son corps est traversé de sanglots si violents qu'il tremble de la tête aux pieds.

Jungkook est là.

— Taehyung... Taehyung...

Il répète son nom comme un mantra, et Taehyung sent ses larmes, à lui aussi, des traces chaudes qui dévalent le long de son cou et meurent dans le col de sa chemise.

Puis, toujours sans savoir qui a fait le premier pas, ils s'embrassent enfin, désespérément, avidement, leurs mains dans le cou de l'autre, dans leurs cheveux, s'agrippant mutuellement,  comme si l'autre risquait de disparaître à tout instant. La peau de Jungkook a toujours la même odeur, le même goût. Ils pleurent tellement que la morve se mêle à leur salive, mais ni l'un ni l'autre ne s'en soucie.

Jungkook est vivant. Jungkook est vivant, chante l'esprit de Taehyung.

Il leur faut un moment pour être capable de décoller leurs bouches l'une de l'autre. Taehyung a l'impression qu'il va mourir dès que Jungkook se recule, et celui-ci ressent la même chose, sans doute. Mais lorsqu'ils entendent Yoongi s'éclaircir la gorge à côté d'eux, finalement, avec une immense difficulté, ils parviennent à mettre de l'espace entre leurs lèvres (même si leurs mains restent fermement entrelacées) et se tournent vers Yoongi, tous deux avec un sourire stupide sur leur visage, les joues tachetées de rouge, les cils humides.

— J'espère que tu ne vas pas me dire bonjour de cette façon-là, ricane Yoongi, sarcastique comme à son habitude – mais ses yeux brillent, et il arbore un sourire si large que Taehyung voit ses gencives.

— Certainement pas, répond Jungkook avec un rire rauque. C'est juste pour Taehyung.

Bon dieu, sa voix. Elle a tellement manqué à Taehyung. Il a envie de se remettre à pleurer juste en l'entendant, comme s'il n'avait pas déjà suffisamment pleuré au cours du mois et demi qui a précédé – mais pour une fois, ce sont des larmes de joie.

— Tu es là, murmure-t-il en tremblant, les mains de Jungkook toujours fermement serrées dans les siennes. Tu es vraiment là.

— Je suis là, répondit Jungkook en souriant si fort que ses yeux ne sont plus que des fentes. Tu m'as tellement manqué, Tae...

Taehyung est sur le point de répondre, mais il est interrompu par Seokjin, qui lâche un cri perçant, à quelques mètres d'eux, lorsqu'il découvre son meilleur ami : il se précipite vers Jungkook et le tire vers lui pour le serrer dans ses bras – et, ce faisant, le vole à Taehyung.

— Kookie ! Tu es de retour !!

Cette fois, Yoongi se joint à eux ; et lorsqu'ils le lâchent, Namjoon, Hoseok et Jimin veulent tous un câlin aussi. Namjoon et Jimin ont tous les deux les yeux humides, et Hoseok est carrément en train de pleurer.

— Mais qu'est-ce qui t'est arrivé, Kookie ? demande Seokjin lorsque Jungkook se recule (saisissant la main de Taehyung dès qu'il est libre de ses mouvements). Pourquoi tu ne nous as pas donné de nouvelles ? Tu sais à quel point on était inquiets pour toi ??

— Je sais, répond Jungkook à voix basse. C'était un gros bordel, tu n'imagines même pas.

— Où est-ce que tu étais, pendant tout ce temps ? demande Yoongi. Raconte-nous ce qui s'est passé.

Taehyung, de son côté, ne dit rien et se contente de le fixer ; il a toujours du mal à croire que Jungkook soit là, en chair et en os devant lui. Le fait qu'il lui tienne la main l'aide un peu à l'accepter, mais ça fait beaucoup d'un seul coup.

Autour d'eux, plusieurs invités les observent, leur attention attirée par les retrouvailles bruyantes entre Jungkook et ses amis. La plupart sourient, même ceux qui ont vu Taehyung embrasser Jungkook – il faut que croire que survivre à la mort en plein milieu de l'océan Pacifique remet beaucoup de choses en perspective, et soudainement, deux hommes qui s'embrassent, ça n'a plus tant d'importance que ça, au final.

(Taehyung n'a jamais trouvé que ça avait beaucoup d'importance, mais il est content de voir que son avis est partagé.)

— Eh bien, commence Jungkook, je ne me souviens pas vraiment de ce qui s'est passé juste après qu'on m'ait sorti de l'eau.

Taehyung lui serre la main, la gorge nouée.

— Je suis désolé, Jungkook... J'ai voulu t'attendre sur le bateau, je te jure, mais ils m'ont obligé à monter dans un canot...

Jungkook lui attrape l'autre main et le regarde droit dans les yeux, une expression grave sur le visage.

— Et je suis tellement soulagé qu'ils t'aient obligé, Taehyung. Je suis allé vérifier parce que je voulais être sûr, mais j'espérais de tout mon cœur que tu étais avec les autres, en sécurité.

— Si j'avais été avec toi...

— Tu aurais pu mourir, le coupe Jungkook. Moi, j'ai survécu, mais beaucoup de personnes se sont noyées.

— Alors tu étais vraiment dans l'eau ? demande Seokjin. On ne savait pas si tu avais réussi à monter dans un canot ou pas.

— Non, quand je suis arrivé à l'arrière du navire, c'était déjà trop tard. J'ai réussi à faire en sorte qu'il ne m'attire pas vers le fond quand il a sombré, mais il faisait tellement noir que je ne savais pas vers où nager pour rejoindre les canots, alors j'ai attendu. Quand on m'a sorti de l'eau, il faisait jour. Je ne me rappelle pas bien ce qui s'est passé. Quand je me suis réveillé, j'étais dans un hôpital, et quelqu'un m'a dit que j'avais failli mourir d'hypothermie.

— Oh mon dieu, pâlit Taehyung.

Jungkook lui serre les mains, tout en secouant la tête d'un air triste.

— Ce n'est même pas le pire. Ils m'ont demandé mon nom... J'étais complètement à l'ouest, et je ne voulais pas leur donner mon nom de famille, parce que je ne voulais pas qu'on sache que je faisais partie de la famille Jeon. Je me suis dit que c'était l'occasion de faire comme si Jeon Jungkook était mort, pour que je puisse enfin être libre.

Tout en soupirant, il continue :

— C'était une grosse erreur. Ils ont vérifié la liste des passagers, et ils ont vu qu'il n'y avait pas de Kim Kookie dessus. Et comme le bateau a coulé à cause d'un missile, ils ont cru que j'étais un terroriste nord-Coréen.

Tout le monde lâche une exclamation de stupéfaction. Taehyung, horrifié, met la main devant sa bouche, les yeux écarquillés.

— Quand mon état s'est amélioré, reprend Jungkook, j'ai été transféré depuis l'hôpital jusqu'à une sorte de prison au Japon. Je ne comprenais pas ce qui se passait, et personne ne me disait rien. Après quelques jours, on m'a transféré dans une autre prison, en Corée, cette fois. Je leur ai dit que mon vrai nom était Jeon Jungkook, mais ils ne m'écoutaient pas, ils pensaient que je leur racontais des conneries. Je crois qu'ils ne savaient pas trop quoi faire de moi, en fait, alors au bout d'un moment, ils m'ont demandé de leur prouver que j'étais vraiment Jeon Jungkook, mais je ne pouvais pas : je n'avais pas de papiers, rien. J'avais juste des souvenirs, mais ça n'avait pas valeur de preuve pour eux.

— Bordel, murmure Taehyung. Mais pourquoi ils ont fait ça ?

— Je crois qu'ils voulaient prendre leurs précautions. Si c'est vraiment la Corée du Nord qui a coulé le bateau, ça pourrait signifier l'entrée en guerre des deux pays. Et comme je leur ai donné un faux nom, j'ai tout de suite attiré leurs soupçons.

— Mais c'est complètement dingue ! s'exclame Jimin, bouche bée. Ils auraient dû vérifier !

— Ils l'ont fait, après un long moment. Je leur ai dit de contacter mon frère, en espérant qu'il soit vivant, pour qu'il puisse leur confirmer mon identité, mais ça a pris plusieurs semaines. Peut-être qu'ils ne savaient pas comment le contacter, ou peut-être qu'ils s'en fichaient. Peut-être qu'ils avaient honte d'admettre publiquement avoir emprisonné un homme innocent, que tout le monde croyait mort dans le naufrage, et quelqu'un d'une famille connue, en plus. En tout cas, ils ne me disaient rien.

— Je vais les tuer, grogne Yoongi. D'ailleurs, de qui on parle, là ??

— Du gouvernement, j'imagine, répond Jungkook avec un demi-sourire. Probablement le service de contre-espionnage. Bonne chance pour les tuer.

— Je m'en fous, répond Yoongi en haussant les épaules. Ils vont le regretter.

— Arrête de te plaindre et laisse-le parler ! l'interrompt Seokjin en lui tapant le bras. Je veux savoir ce qui s'est passé ensuite.

— C'est presque tout, en fait, dit Jungkook. Au final, ils ont appelé mon frère et lui ont demandé de venir à la prison et de confirmer que j'étais bien qui je prétendais être. C'était il y a cinq jours. Ce n'est qu'à ce moment-là que j'ai appris qu'il était vivant : quand il est venu me voir.

Il se tourne vers Taehyung et lui adresse un sourire triste.

— C'est là que j'ai su que vous aviez tous survécu. C'était bien plus facile de supporter l'emprisonnement maintenant que je savais que vous étiez en sécurité.

Taehyung lâche un reniflement. Il n'est pas le seul dans leur groupe.

— Junghyun a essayé de me libérer le jour-même, continue Jungkook, mais ils ont voulu me faire signer un accord de confidentialité à propos de ce qui s'était passé. Mon frère et moi, on a pété un plomb. J'ai refusé de signer le papier, et ils n'ont pas voulu me laisser sortir. Junghyun a appelé notre avocate habituelle. Elle était absolument furax. Elle est venue à la prison et leur a dit qu'ils feraient mieux de me libérer vite fait ou elle allait tous les traîner en justice. Au final, je crois qu'ils ont eu peur d'elle : ils m'ont libéré sur-le-champ. C'était il y a deux jours.

— Mais alors, dit Namjoon lentement, tu veux dire que pendant qu'on était tous ensemble à se soutenir mutuellement, pendant qu'on avait des psychologues pour parler de notre traumatisme, toi, tu as atterri dans une chambre d'hôpital après avoir failli mourir d'hypothermie, tout seul, et ensuite tu as été parachuté en prison, où tu es resté pendant un mois et demi ? Tout seul ?

— Ouaip, répond Jungkook avec un faible sourire, serrant la main de Taehyung. Je crois que je vais avoir besoin d'une sacrée thérapie.

— Oh, Jungkook, soupire Hoseok. Je suis tellement désolé que tu aies dû vivre tout ça. Déjà que j'ai du mal à accepter le naufrage, mais toi, en plus, tu as dû supporter la prison ?

Taehyung ne dit rien, mais son cœur saigne dans sa poitrine, comme si quelqu'un l'avait poignardé avec un couteau. Jungkook, son amour de Jungkook, seul dans une chambre d'hôpital, seul dans une cellule de prison, sans savoir si ceux qu'il aimait étaient en sécurité, sans jamais obtenir de réponse. En comparaison, Taehyung a eu la belle vie ; il était à la maison, entouré de ses amis.

Il ne remarque que ses joues sont trempées de larmes que lorsque Jungkook les essuie avec ses pouces.

— Tout va bien, Taehyung, chuchote-t-il. On est vivants. On a survécu.

— Je vais tellement les traîner en justice, grogne Yoongi. Je vais demander à Junghyun de me donner le numéro de votre avocate. Où est-il, au fait ?

— Il savait que la première chose que je voudrais faire serait de vous voir, mais vous étiez partis à Los Angeles pour la soirée, alors il m'a donné son invitation. J'ai réussi de justesse à avoir un avion.

— Pourquoi il ne nous a pas dit que tu étais vivant dès qu'il l'a su ? se plaint Seokjin. Mais quel idiot, je te jure ! Il aurait pu éviter cinq jours de désespoir à Taehyung !

— Je suis désolé, dit Jungkook. Je pensais qu'il vous l'aurait dit. Mais ça ne me surprend pas vraiment. J'imagine qu'il voulait que vous ayez la surprise.

— La seule chose qui importe, c'est que tu sois là, dit Taehyung d'une voix douce. Tu es vivant, tu es libre, et je te jure que je vais faire tout ce que je peux pour te faire oublier ces terribles souvenirs.

Jungkook le regarde avec un sourire si tendre que les poumons de Taehyung se remplissent d'amour.

— J'ai déjà tout oublié rien qu'en voyant ton visage, répond Jungkook en posant une main sur sa joue avant de se pencher pour lui voler un baiser. C'est toi, ma thérapie.

— Tu es ma thérapie aussi, murmure Taehyung avant de l'embrasser à nouveau.

Il en a rêvé pendant tellement longtemps – il a l'impression d'être au paradis. Il sait que ce n'est pas très poli de faire ça en public (même s'il remarque, du coin de l'œil, que leurs amis s'éloignent pour leur donner un peu d'intimité), mais il s'en fiche. La politesse n'a plus vraiment d'importance une fois qu'on a vu la mort de près.

C'est pour ça qu'il ne compte pas arrêter, même lorsqu'il entend quelqu'un lâcher un cri non loin d'eux, probablement une bigote qui pense qu'ils devraient aller brûler en Enfer – dieu sait qu'il a eu affaire à plusieurs personnes de ce genre au cours de sa vie.

Mais lorsqu'ils tournent la tête pour regarder, Taehyung sent son cœur faire un bond dans sa poitrine lorsqu'il réalise qu'il s'agit de Jisoo, la fiancée de Jungkook. Ou plutôt, son ex-fiancée ? Taehyung ne sait pas s'il a officiellement mis fin à leur relation avant d'être porté disparu.

En tout cas, s'il ne l'a pas fait, c'est officiel, maintenant, à en croire la façon dont elle les dévisage.

Mais lorsqu'elle prend enfin la parole, elle ne dit pas ce à quoi Taehyung s'attendait.

— Jungkook-ssi ! Tu es vivant !

Ah, oui – en effet, c'est ça, la priorité. Pendant quelques instants, Jungkook semble ne pas trop savoir comment réagir, puis il lui adresse un sourire hésitant.

— Oui, je suis vivant. Content de voir que tu as survécu, Jisoo.

Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle jette un coup d'œil à Taehyung, avant de reporter son attention sur son ex-fiancé.

— Tu voulais vraiment annuler le mariage, alors, dit-elle d'un ton étonnamment détendu. Junghyun me l'avait dit, mais je ne savais pas quoi croire.

— Je suis désolé, répond Jungkook en lâchant Taehyung pour s'incliner profondément. Junghyun disait la vérité. Je voulais vraiment annuler le mariage. Je sais que c'est beaucoup d'argent gâché, mais après ce qui s'est passé, c'est encore plus clair dans mon esprit.

Il glisse de nouveau sa main dans celle de Taehyung et ajoute :

— C'est Taehyung que j'aime, et c'est avec lui que je veux passer ma vie. Désolé.

Jisoo, l'air éberluée, observe alternativement son ex-fiancé et son nouveau rival, puis, après quelques instants, elle hoche la tête.

— Je... Je comprends, dit-elle à voix basse. Je ne savais pas que tu étais gay. Je ne t'aurais pas forcé à m'épouser si j'avais su.

— Tu ne m'as pas forcé, répond précipitamment Jungkook. C'est mon père qui voulait ce mariage, et je n'étais pas assez fort pour refuser mais... je le suis, maintenant. Pardonne-moi.

— Ça ne fait rien, dit-elle avec un faible sourire. Tu es vivant, et c'est tout ce qui compte. Je suis vraiment heureux que tu sois là, Jungkook-ssi.

Elle tend la main, et Jungkook n'hésite qu'un instant avant de la serrer.

— Merci. Sans rancune ?

— Sans rancune, dit-elle avec un clin d'œil. J'espère que vous serez très heureux ensemble.

Taehyung hoche la tête, débordant de reconnaissance. Lorsqu'elle s'éloigne, il se tourne vers Jungkook et sourit.

— Je t'aime aussi.

— Quoi ?

— Tu lui as dit que tu m'aimais... Je t'aime aussi, Jungkook. J'avais tellement peur de ne plus jamais pouvoir te le dire, murmure Taehyung en glissant ses bras autour de lui.

Jungkook réagit aussitôt et passe ses bras autour de son cou pour l'étreindre avec force – Taehyung lâche un soupir de bonheur.

— Je croyais que je ne pourrais plus jamais te prendre dans mes bras, continue-t-il. Et tu sais ce que je me disais le plus ?

— Non ?

Serrés ainsi l'un tout contre l'autre, Taehyung peut sentir les vibrations de la voix de Jungkook dans son propre corps lorsqu'il parle, et c'est une sensation incroyable.

— Je n'arrêtais pas de me dire que je ne te connaissais même pas. Je veux dire, j'en sais assez sur toi pour t'aimer, mais je ne savais pas quelle était ta nourriture préférée, ta couleur préférée. Tout le monde connaît ce genre de détails sur ceux qu'ils aiment, mais moi pas.

Jungkook pouffe, amusé. Taehyung a envie de poser ses lèvres contre les siennes pour boire son rire.

— Je te dirai tout, murmure-t-il en lui embrassant l'oreille. Tu sauras tout. Et je saurai tout sur toi aussi. On saura tout ce qu'il y a à savoir l'un de l'autre. Je te le promets.

— C'est vrai ?

— Oui. Je ne veux plus jamais être séparé de toi, Taehyung. Je ferai tout pour que ça n'arrive plus jamais.

— Ok, sourit Taehyung avant d'enfouir son visage dans son cou. Tant mieux. Je ne veux plus de ça non plus. Tu m'as tellement manqué, tu ne peux pas imaginer.

— Je t'assure que je peux imaginer, marmonne Jungkook. Et ça n'arrivera plus.

— Parfait. Alors, c'est quoi, ta couleur préférée ?

— Le bleu. Et toi ?

— Moi aussi !

C'est un début, pense Taehyung en souriant. La première pièce d'une très longue série, pour compléter le puzzle.

C'est un nouveau départ.

☆ ☆ ☆

Et voilà ! Il ne reste plus que l'épilogue, puis je vous posterai un petit bonus directement à la suite, mais on touche à la fin de cette histoire. 

On se revoit bientôt pour l'épilogue ! ♥

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