Plan pour père insistant (partie 2)

Les yeux résolument fixés sur son écran d'ordinateur, il se retint de l'exploser. Il n'avait certainement pas les moyens de se payer un nouvel ordinateur. Il n'arrivait pas à partager ses sentiments entre la colère, la frustration, la honte, le dégoût, le dépit. Ça faisait beaucoup trop pour son cerveau de gorille (les mots de Draluc, pas les siens). Les coudes sur le bureau, les mains jointes, le menton sur les poings, il regarda la page blanche comme si les mots allaient apparaître seuls, sans son intervention.



Écoulant trente minutes de temps ainsi, son esprit partant dans tous les sens et ressassant inlassablement la situation, il prit enfin son courage à deux mains et posa ses doigts sur le clavier. Il essayait de focaliser son regard uniquement sur le clavier pour ne pas avoir à voir l'ensemble des mots qu'il formait sur la page qui se remplissait malheureusement de longues phrases qui lui tordait l'estomac d'une manière qu'il n'arrivait pas à décrire.



Que ce soit le vampire ou l'humain, aucun d'eux ne voulaient relire le texte fini afin d'ajouter des corrections et traquer les fautes. Ce fut donc John qui se chargea de la relecture alors que c'était habituellement le travail de Draluc de lui apporter son avis, notamment sur les tournures de phrases, ce dont il était un vrai expert. Mais les deux « adultes » étaient bien trop aux prises avec leur émotions pour agir en tant que tel. Le tatou relut donc le texte, soulignant à son propriétaire humain ce qui n'allait pas à quel endroit et la façon dont il fallait le changer. Oui, avec deux écrivains à la maison, John avait acquis quelques connaissances.



Lorsque le texte fut finalement validé une dernière fois par John, ils purent attaquer la suite du plan. Ronald devait donc envoyer son texte à Draus, lui laissant croire dans le message qu'il s'était trompé d'adresse, faisant croire que le texte était originellement pour Fukuma, afin de valider un chapitre bonus du prochain tome de ses chroniques. Chroniques que Draus et tout le monde savait être autobiographiques. Texte où Ronald dévoilait soit-disant son amour pour Draluc, la réciprocité de ses sentiments ainsi que le début de leur relation.



Ronald en pleurait presque alors qu'il finissait de rédiger le texte soit-disant pour son éditeur. Il n'avait déjà plus une once d'honneur. Un peu plus ou un peu moins n'était finalement plus un problème. Il n'en avait jamais eu énormément de toute façon. Mais s'il fallait en passer par là pour son travail, alors autant le faire. Ce n'était pas la première fois qu'ils se ridiculisait pour le travail, après tout.



Finalement, il pleura complètement alors qu'il appuyait sur le bouton envoyer. Il eut plusieurs fois envie de tout supprimer avant que Draus ne puisse lire le mail et le texte à cause du décalage horaire. Mais pour le bien du plan, il ne pouvait pas le faire. John lui avait bien fait comprendre que ce texte était nécessaire. D'autant plus qu'il était magnifiquement écrit, c'était une bonne occasion de faire découvrir à quelqu'un d'autre ses talents d'auteur de romance. Ironique puisqu'il n'avait absolument aucune expérience en romance.



Quelques heures plus tard passées dans le stress le plus total, avec ni Draluc, ni Ronald qui n'osaient faire la moindre activité, ne serait-ce que pour essayer d'oublier quelques instants, un bruit de notification retentit. Draus avait lu le mail. Il avait téléchargé le texte puisque que Ronald avait reçu un accusé de réception. Ronald et Draluc pleuraient de concert, désespérés qu'il faille en arrive là pour avoir la paix.



Ronald retourna à son ordinateur, la mort à l'âme, réécrire un nouveau mail demandant urgemment à Draus de ne pas lire le document qu'il venait de télécharger, que ce n'était qu'une erreur de destinataire. Ils n'étaient en fait pas sûrs que Draus lirait le document, puisqu'il semblait détester tout ce qui provenait du chasseur mais avec ce mail supplémentaire et la curiosité naturelle du paternel, ils étaient maintenant assurés qu'il le lirait.



Le problème après cette partie du plan était qu'aucun d'eux ne savait ce que ferait Draus à partir de là. Il fallait autant s'attendre à une visite du paternel qu'à un kidnapping en bonne et due forme de la part du clan du Dragon pour mettre la pression sur Ronald et tester s'il était digne et s'il aimait réellement le plus faible et le plus protégé vampire du clan.



Ronald tremblait d'appréhension, se demandant à chaque instant s'il vivait ses derniers moments. Après tout, il était bien connu que Draus ne l'appréciait pas particulièrement. Il pouvait parfaitement le tuer sans sommation. Ce serait même logique. Et Draluc n'aidait en rien, rajoutant même de l'huile sur le feu en lui expliquant toutes les manières qu'auraient ses parents de le tuer en le faisant souffrir le plus possible. John pleura quant à lui lorsque Ronald tua son maître en continu pour essayer de faire diminuer son stress.



L'attente et l'anxiété prirent fin alors que quelques jours plus tard, un coup à la porte se fit entendre. Ravalant leur salive, ils espéraient que ce serait juste une autre demande complètement stupide de l'un des habitants de la ville. Ronald était même prêt à accueillir Handa à bras ouverts si cela lui empêchait le désespoir de devoir simuler une relation amoureuse avec Draluc devant le père de celui-ci.



Mais malheureusement pour lui et heureusement pour John qui ne supportait plus l'ambiance plus morose qu'une boîte de nuit en plein jour, il s'agissait bel et bien de Draus. Même plus que cela. Mira était présente avec lui. Alors que le tatou ouvrit la porte, le couple marié se tenait devant eux, cadeaux à la main. Il n'y en avait pas autant que lors d'autres visites du père mais suffisamment pour rappeler à Ronald qu'ils étaient riches.



Les deux « adultes » sur pilote automatique accueillirent le couple comme ils l'auraient fait avec n'importe qui. Mais ce n'était pas n'importe qui, c'était Draus et Mira qui venaient sans doute vérifier que leur fils ne simulait pas une relation pour être débarrassés d'eux et de leurs plans d'entremettage. Ce qui était, en fait, le cas. Draluc voulait se débarrasser de ses parents.



Ronald se sentait déplacé dans son propre appartement. Dans son survêtement rouge et blanc, bandeau sur les cheveux, il avait l'impression de n'être qu'un plouc en présence de la royauté. Ce qui était, en fait, un petit peu le cas. Et savoir que c'était vrai ne fit que lui faire verser plus de larmes de sang qu'il n'en avait déjà versé la semaine dernière face à toute cette situation rocambolesque.



Trop perdu dans ses pensées, le chasseur de vampires ne se rendait même pas compte qu'il accueillait ses invités et qu'avec Draluc, il leur servait le thé ainsi qu'un assortiment de gâteaux que Draluc avait fait pour réduire son propre stress. Ronald avait l'impression d'entendre ses genoux claquer entre eux sous le coup du stress et de la panique. Il se força à serrer ses mains sur ses genoux pour ne pas faire voir les tremblements de ses mains.



Que ce soit son sourire ou celui de ses colocataires, seul celui de John était authentique alors que Mira lui offrait ses cadeaux et qu'il bavardait tranquillement. Il y eut ensuite un long silence jusqu'à ce que soit étonnamment Mira qui le brise. Ronald aurait plutôt pensé que Draus se serait jeté immédiatement sur lui après l'ouverture de la porte.



« Nous sommes contents. »



Ces simples mots anéantirent toute la tension que Draluc et Ronald avaient pu ressentir, se demandant si leur plan farfelu allait réellement marcher. Mais il semblait que le couple l'avait acheté. Bien que Draus n'ait pas encore dit un seul mot, sa femme se tourna vers lui, lui donnant de légers coups de coude, lui faisant signe de prendre la parole.



Le faux couple put alors entendre le plus grand soupir de désespoir qu'il n'avaient jamais entendu, eux-mêmes étonnés qu'il puisse soupirer plus qu'eux ne l'avaient fait. Draus semblait incertain de ce qu'il voulait dire, cherchant ses mots.



« Tout d'abord, il semblerait que je doive m'excuser. J'ai ... lu le texte pour ton éditeur que tu m'avais demandé de ne pas lire. » Aucun des deux ne savait si Draus le regrettait ou pas. Ronald devait donc jouer la comédie.


« Oh mon dieu. Vous l'avez vraiment lu. C'est pour ça que vous êtes là ? » Bien, faire croire à la honte et à l'angoisse. Ce qui n'était en fait pas une comédie.


« Oui. Et ... au début, j'étais dans le déni complet. Je ne voulais pas admettre que ce que je lisais était vrai. Mais on sait tous que ton roman est autobiographique. Et puis, tu ne peux pas mentir sur ce genre de choses. Mais surtout ... » Draus ne finit pas sa phrase, comme s'il était trop douloureux pour lui de le dire.


« C'était logique. Draus m'a fait lire le texte. Désolé. Il était perdu et n'arrivait pas à y croire. Mais au final, toutes les raisons d'y croire sont dedans. Et puis, même s'il ne veut pas l'avouer, cela se voyait. » Mira prit le relais de son mari.


« Comment ça, ça se voyait ?! » Draluc et Ronad parlèrent en même temps, complètement affolés.


« Eh bien, sacrée jeunesse. Vous croyiez peut-être que vos sentiments n'étaient pas visibles mais tout le monde ne voyait que ça. C'est pour ça que c'était simplement la suite logique. » Mira continua, aggravant la pâleur sur les visages du faux couple.


« Entre les regards et tous les petits gestes, Y-Dan a même osé dire qu'il pensait que vous étiez déjà mariés. » Draus parla dans un nouveau soupir.


« Parce que cet enfoiré de cinglé d'Y-Dan est au courant?!?! » C'était de pire en pire pour le chasseur et son vampire.


« Je n'ai pas pu m'empêcher d'en parler à la dernière réunion des Sangs Anciens. Et Y-Dan a dit qu'il avait déjà vu ça plusieurs fois. Le fait que tu évoques des poitrines quand tu es hypnotisé parce que tu ne veux pas t'avouer à toi-même que tu aimes ... mon fils ... et que la moitié de la ville croit en fait que vous êtes ensemble depuis plus longtemps que ça ou même, comme Y-Dan, que vous êtes déjà mariés parce que ce serait bénéfique pour les impôts. » Draus continua.


« Les gens ... de la ville ... croient qu'on sort ensemble ? » Draluc parla d'une petite voix, espérant qu'il avait mal compris.


« Hmm ? Oui, bien sûr. Apparemment, il y a un pool de paris depuis plus d'un an sur le moment où vous allez l'annoncer officiellement parce que vous n'êtes pas encore prêts. Je me demande qui va gagner. » Le père avait maintenant l'air détendu.


« Il y a ... un ... pool de paris ... sur nous ... » Ronald sentait son âme quitter son corps.


« Apparemment, la plupart trouvent que vous n'êtes pas doués pour le cacher et même si je ne vous ai vu interagir ensemble qu'une ou deux fois, je pense comme eux. Ronald tue Draluc moins souvent en public. Vous êtes toujours fourrés ensemble, même lorsque Draluc n'est pas utile pour le travail. Draluc cuisine pour Ronald constamment et on sait que le chemin le plus simple pour atteindre le cœur d'un homme est son estomac. Vous n'avez aucune notion de l'espace personnel et d'après les dires, vous vous touchez constamment. Et les regards. De l'amour pur. » Mira avait repris la parole.


« De l'amour pur ? » Cette fois-ci, Ronald et Draluc avaient carrément l'air affolé.


« Oh, même ça vous ne l'avez pas remarqués ? Quand vous voyez que l'autre ne regarde pas, vous vous regardez avec des yeux qui respirent l'amour. Vous transmettez tout votre amour dans votre regard. Cela m'a marqué parce que lorsque Ronald et cette jeune fille rousse sont venus chercher Draluc, en repartant, lorsque Ronald avait le dos tourné, Draluc l'a regardé comme Draus me regardait lorsque nous avons commencé de nous fréquenter. Cette impression de tranquillité, mais surtout de savoir que notre place est ici et que l'on ne veut être nul part ailleurs. » Mira expliquait les choses aussi calmement que d'habitude.



Suite à cela, ce ne fut qu'une suite chaotique pour l'humain et le faible vampire à qui l'on déballa toute une liste de « preuves ». Les deux ne disaient plus rien, se contentant d'écouter, même s'ils auraient préféré de pas pouvoir le faire, pendant que John hochait vivement la tête, semblant apparemment d'accord avec tout ce qui était en train de se dire.



Aucun des deux ne bougèrent réellement alors qu'ils disaient au revoir aux parents de Draluc, semblant à peine enregistrer le fait que John partait avec eux pour leur faire faire un peu de tourisme et laisser seuls en tête à tête les deux idiots qui lui servait de propriétaires. Les trois bavardaient joyeusement alors que le deux autres semblaient avoir perdu toute leur âme.



Ce ne fut que le bruit de la porte d'entrée de l'immeuble (les murs sont fins) qui réveilla le chasseur et son acolyte. Ils se tournèrent lentement l'un vers l'autre pour se regarder et exprimer leur grimace de dégoût. Ce fut ensuite qu'un mélange absurde de roulades sur le sol, de pleurs désespérés, de petits cris aigus, de poings tapés par terre, et autres exclamations de contestation. Ils ne s'arrêtèrent que quinze longes minutes plus tard.



« Il semblerait ... qu'on ait été convaincants ... » Draluc ne pouvait rien dire de plus.


« Ils le pensent tous ... Ils pensent tous qu'on est ensemble. » Ronald, désormais en position fœtale se balançait sur lui-même, frissonnant de peur.


« Stop ! On en parle plus ! Il n'y a rien à dire là-dessus ! » Draluc s'était exclamé.


« Parler ? De quoi ? De quelle affaire ? » Ronald n'avait pas bougé de sa position.



Les jours suivants furent horribles pour John qui devait supporter deux crétins trop conscients d'eux-mêmes qui refusaient désormais de s'approcher à plus de quelques mètres, exagérant leurs grimaces de dégoût dès qu'ils se frôlaient. John soupira. Il pensait que le plan leur permettrait de prendre conscience de certaines choses. Mais ce n'était pas ce à quoi il pensait. Désormais, ils avaient pris conscience de ne pas s'approcher.



Pour les deux adultes qui agissaient en fait comme de purs enfants, la seule bonne chose dans cette histoire était que Draus leur fichait allégrement la paix, croyant dur comme fer à leur histoire. Ils avaient eu un doute sur le fait que le père répéterait la « nouvelle » à tout le monde mais il leur avait assuré que ce n'était pas à lui de le faire, leur laissant le bon soin de l'annoncer. C'était une épine de moins dans leurs pieds.



Leur comportement pire que d'habitude avait même alerté les autres habitants de la ville qui se demandaient ce qui se passait entre ces deux abrutis. Mais puisqu'ils étaient persuadés qu'ils sortaient déjà ensemble, que ce soit les vampires, les chasseurs ou les membres du VCD, tout le monde croyait à une simple dispute de couple qui avait pris plus d'ampleur que d'habitude.



Mais l'animation règne toujours sur Shin-Yokohama, et avec les frasques habituelles de leur ville, les deux colocataires finirent par passer à autre chose, ne se souciant plus de s'éviter. Se retrouver confrontés à un vampire en forme de de climatiseur qui ne diffuse que du chaud et veut brûler toute la végétation de la ville, entrant en guerre ouverte avec Nudénium fait généralement ce genre d'effet.



Aucun des deux ne se rendaient alors compte que leurs précédents comportements revenaient à la charge. Ils s'en rendaient lentement compte alors que les petites choses du quotidien ne pouvaient plus leur échapper. Ces attentions qui sont faites sans réfléchir. Ces attentions qui nous dépassent. Ces attentions qui te font regarder en arrière pendant quelques secondes, te demandant si tu as réellement fait ce que tu viens de faire. Un peu plus, juste un peu plus et ils étaient certains qu'ils se retrouveraient dans l'un de ces sketchs ridicules où les deux protagonistes s'embrassent en partant de la maison en s'en rendant compte uniquement que plus tard dans la journée.



Ronald n'était pas si idiot que ça, il voyait généralement ce qui se passait sous son nez. Généralement. Mais il n'avait aussi pas tant que cela de temps pour analyser son propre comportement envers son colocataire vampire insupportable. Il savait qu'il s'était habitué à la présence de l'autre et de son familier. Il savait qu'il n'arrivait même plus à se figurer la façon dont il vivait avant que l'autre n'arrive et ne bouleverse tout son quotidien. Il savait aussi qu'il n'arrivait plus à s'imaginer ses journées sans des taquineries et des mesquineries à longueur de journées.



Mais pris dans son quotidien, le chasseur atténuait certains de ses comportements, se disant que ce n'était rien, que cela ne voulait rien dire, que les autres le faisait aussi. Mais ce n'était que certaines personnes qui le faisait aussi, ce n'était qu'une catégorie. C'était le genre de comportement que Ronald avait déjà vu Draus reproduire avec Mira. Et cela lui serrait le cœur de ne pas réussir à mettre un nom sur tout ce qu'il faisait inconsciemment.



La crise sentimentale de Ronald provenait en vérité de pas grand-chose. Pas grand-chose pour la plupart des gens. Mais il n'était pas la plupart des gens, il était de ceux qui ne comprennent même pas leurs propres sentiments et ne savent pas comment réagir face à eux. Il avait placé sa main sur un coin de table. Il avait placé sa main sur un coin de comptoir. Il avait placé sa main sur de multiples rebords. Il avait placé sa main en dessous d'une table.



Il avait placé sa main sur des rebords qui auraient pu tuer Draluc. Il avait empêché une mort de plus au vampire.



Draluc s'était penché parce qu'il avait fait tomber une serviette, Ronald avait placé sa main en dessous de la table pour éviter qu'il se cogne en se relevant. Draluc marchait sans regarder où il allait, son nez rivé sur sa QSQ, Ronald avait légèrement tiré la table basse pour qu'elle ne rentre pas dans le tibia de l'autre. Draluc avait en équilibre sur ses deux bras des assiettes de pancakes et une tarte, concentré à ne pas les laisser tomber, Ronald avait mis sa main sur le coin du comptoir que Draluc allait se prendre.



L'écrivain réalisa ce qu'il avait fait pendant l'une de ses sessions écriture. Fukuma lui avait demandé plus de scène de la vie quotidiennes parce que les lectrices voulaient également savoir de manière pratique comment se passait une cohabitation entre un humain (chasseur) et un vampire. Ronald cherchait des idées, se remémorant tout ce qu'il s'était passé les derniers jours et même plus loin. Leurs séances de jeux vidéos ensemble, la cuisine dont Ronald avait été banni, les repas tous les trois, le planning pour la salle de bain, ses mains qui protégeaient apparemment inconsciemment son colocataire de la mort.



Ses mains survolaient le clavier, complètement figé. L'homme aux cheveux blancs essaya soudainement de se rappeler plus loin, de ce qu'il avait déjà fait, son attitude et sa conduite avec le faible vampire. Et son cerveau l'assaillit d'image. Une main sur la hanche, changeant de côté de trottoir pour qu'il ne se prenne pas les projections de cailloux de la route. Un doigt plongé dans un verre qui vérifiait que le lait n'était pas trop chaud et pourrait le tuer accidentellement. Tenir John quand Draluc n'avait plus l'énergie de rien, à peine de supporter son propre poids.



Et soudain, il comprenait les paroles des parents de Draluc. Et soudain, il comprenait pourquoi toute cette putain de ville croyait qu'il sortait avec le vampire pâle, pourquoi il était amoureux de lui. Était-il amoureux de lui ? Son cerveau bouillonnait et Ronald ne put s'empêcher de jeter sa tête dans ses mains, complètement perdu et dépassé par ses réalisations. Il agissait de cette manière avec son colocataire dont il criait sur tous les toits qu'il ne pouvait pas le voir. Il était évident que les gens allaient se poser des questions et faire leurs propres théories.



Mais les gens ne se posaient pas des questions uniquement sur Ronald. Après tout, pour être un couple, il fallait bien être deux au minimum. Et Ronald n'était pas non plus le seul à se rendre peu à peu compte de son comportement.



Draluc aimait la cuisine. De son propre aveu, c'était un talent que les vampires avaient unanimement travaillé afin de séduire de belles personnes et boire leur sang. Cela faisait partie de l'esthétique. Mais Draluc adorait cuisiner plus que tout, parce que si quelqu'un mangeait sa nourriture, cela signifiait qu'il était utile à quelque chose. Si John mangeait la nourriture qu'il préparait, il lui était utile. Et le nouveau château dont il était copropriétaire avait un habitant qui raffolait de bonnes choses et de plats faits maisons qu'il n'avait jamais connu.



Alors Draluc prenait n'importe quelle occasion pour faire à manger aux deux autres avec qui il partageait l'espace. Il en préparait des montagnes et le frigo était constamment rempli, ne serait-ce que par les restes. Le vampire s'arrangeait même pour ne pas utiliser des aliments que le chasseur n'aimait pas particulièrement, en plus de l'immonde céleri. Lorsque l'homme en rouge avait fini une mission particulièrement difficile ou qu'il venait de remettre enfin son manuscrit à Fukuma après une journée entière dans la vierge de fer, Draluc lui faisait ses plats préférés. Ceux pour lesquels Ronald reniflait lourdement en les mangeant, les larmes aux coins des yeux, trop heureux ou fatigué des dernières heures.



La révélation de Draluc lui était venu de la même manière diablement banale que Ronald. Il faisait la vaisselle après avoir mis une tarte aux cerises au four. Les mains plongées dans l'eau, sa première pensée fut qu'il en couperait une large part lorsque la tarte sortirait du four pour la donner à l'écrivain épuisé de l'autre côté du mur, qui essayait désespéramment de satisfaire son éditeur. Il se demanda un instant pourquoi c'était sa première pensée ? Il se demanda aussi à quels autres moments le chasseur avait été sa première pensée.



Les moments où il avait rangé sa QS5 pour permettre à Ronald, surmené de travail, de se détendre devant un bon film. Les moments où il avait astiqué l'entièreté de la maison, pour le plaisir de voir le petit sourire plein de reconnaissance. Les moments où il avait éteint de force l'ordinateur de Ronald pour qu'il aille se coucher. Les moments où il demandait, à la guilde, ce qu'il voulait manger ce soir-là, pour être certain d'avoir tous les ingrédients à la maison et lui faire plaisir après leur chasse compliquée.



Machinalement, les mains du vampire continuaient de faire la vaisselle, moussant et frottant les assiettes, les rinçant et les laissant sécher sur le côté. Mais le cerveau de Draluc était dans un état tout aussi cataclysmique que celui de Ronald. Désormais, il comprenait mieux les dires de ses parents, d'Y-Dan, et il ne pouvait absolument pas les remettre en question. Tous les plats qu'il avait initialement imaginé qu'il ferait pour une jeune, vierge et jolie femme dans son immense château, lui permettant de boire du sang étaient en fait maintenant pour un gorille musclé, certes vierge également, dans un appartement miteux (qu'il aimait quand même) tout ça pour strictement rien ou du lait d'Hokkaido. Même si le lait d'Hokkaido restait le meilleur.



Et chacun de leur côté, que ce soit l'humain ou le vampire, chacun se demandait si l'autre le remarquerait s'il arrêtait toutes les attentions qu'il avait pris l'habitude d'avoir. Ils se le demandaient mais ne voulaient pas le découvrir. Ils ne voulaient pas le faire. La réalisation qu'ils ne voulaient pas arrêter leur manière de fonctionner fit battre leurs cœurs ensemble sans même qu'ils ne le réalisent. Chacun de leur côté du mur, leurs émotions rythmaient ensemble la musique qui tambourinait dans leurs oreilles.



Que devaient-ils faire maintenant ? Avouer leurs sentiments et essayer de voir où cela allait les mènerait ? Ne rien dire et rester sur cet étrange statut quo qu'ils avaient ? Alimenter encore plus le pool de paris en se rapprochant d'autant plus sans jamais rien faire pour cela ? Durant les jours où Draluc réfléchissait à ce qu'il devait faire, que ce soit de lui-même ou de sa situation, une seule solution lui vint à l'esprit. C'était idiot. C'était leur manière habituelle de se sortir des choses ou de se confronter.



Alors que Ronald allait lancer son film et se caler contre le canapé pour se vider l'esprit, son colocataire, lui, avait d'autres plans. Il prit la télécommande et sous les cris assourdissant du chasseur, il éteignit la télévision. Le fait que Draluc ne réponde pas à ses provocations ou ne fasse aucunes de ses mimiques spécialement travaillées pour l'énerver intrigua Ronald. Il se tut pendant que Draluc lança une musique, à l'aide de la platine de John.



Se retournant vers lui, il lui tendit la main dans un geste explicite. Un concours de danse. Ils allaient danser et Draluc déciderait au fur et à mesure de ce qu'il allait faire. S'il prévoyait quelque chose, il allait se mettre à surinterpréter tout ce que l'autre allait dire ou faire. Mais s'ils dansaient, il ne se concentrerait que sur le fait de gagner. Parce que c'était toujours comme ça que les choses fonctionnaient entre eux.



Il ne leur fallut pas longtemps avant de se lancer dans une danse endiablée qui ne suivait aucune autre logique que celle de l'arbitrage de John. Ronald réfléchissait lui aussi et même s'il était plus habitué à ce genre de singeries entre eux, il se demandait tout de même ce qui avait pris le faible vampire. D'habitude, il le narguait, lui lançait des insultes, quelque chose, n'importe quoi qui lançait réellement le concours et donnait une raison, qu'elle soit valide ou non, pour sauter sur le parquet en rythme.



La chanson entraînante continuait en même temps que les deux danseurs. Le monde et leurs têtes tournaient si vite. Le monde ralentit uniquement lorsque leurs regards se croisèrent finalement. A ce moment, même la musique ne sembla plus leur parvenir et rien d'autre n'était présent dans leurs esprits que le fait qu'ils voulaient rester ensemble. Chacun dans leurs têtes pensaient la même chose. Quitte à ruiner ce qu'ils avaient, il fallait qu'ils le disent. Même s'ils aimaient leur vie actuelle et la façon dont ils la menait, ils ne pouvaient pas rester avec ce poids sur le cœur, alors même que la seule chose qu'ils demandaient était de vivre la même mais avec la certitude de la réciprocité.



Le refrain s'entonna en même temps que leurs deux voix se firent entendre au même moment.



« Je t'aime. »



Ils n'avaient rien dit de plus alors qu'ils enregistraient chacun ce que l'autre avait dit. Puis ils se remirent à danser. Et tout en dansant, ils continuèrent de laisser les mots filer comme leurs sentiments.



« Mes parents. Cet enfoiré d'Y-Dan. Les chasseurs. Tout le monde. Ils ont raison. Ils s'en sont rendus compte avant nous. » Les mains tournoyant au-dessus de sa tête.


« Je veux pas que ce soit du chiqué pour qu'on nous foute la paix. Je veux que ce soit vrai. » Les jambes bougeant en shuffle.


« Je veux rester avec toi, à tes côtés, que ce soit dans cet appart ou ailleurs. » Le bassin de gauche à droite.


« Et je veux pas que tu t'en ailles de toute façon. » Un semblant de macarena.



Ils tournèrent une fois de plus et lorsqu'ils se retrouvèrent l'un en face de l'autre, tendirent chacun la main. Ronald tira d'un petit coup Draluc afin que le vampire repose entre ses bras et qu'il puisse le faire tourner lui-même. Ils firent quelques tours avant de se retrouver nez à nez, incapable de regarder ailleurs que dans les yeux de l'autre. La musique était à nouveau devenue faible à leurs oreilles.



Draluc ne pouvait s'empêcher de fixer les lèvres de Ronald, comme s'il rêvait de se précipiter sur elles et de mourir d'une absence d'oxygène provoquée par un baiser trop long. Ronald quant à lui, avait la gorge suffisamment sèche pour croire qu'il ne pourrait pas exprimer plus avec des mots. Ils n'avaient pas remarqué qu'ils étaient désormais seuls dans la pièce, John l'ayant quitté depuis un moment. Ils étaient seuls avec leurs sentiments et ne savaient pas quoi faire avec.



« On ... on fait comme on a dit devant Draus et Mira ? » La voix rauque.


« On envoie ton chapitre bonus à Fukuma ? » Le regard fixe.



A ces demandes, les dernières barrières s'envolèrent soudainement et ils ne purent résister à l'attraction qui s'était installée entre eux depuis longtemps sans qu'ils ne le sachent. Dans un très mauvais exemple de bon baiser, ils se jetèrent pratiquement dessus, leurs bouches se heurtant dans un choc de dents et de nez, manquant presque de tuer Draluc. Ce qui le tua définitivement, ce fut la bascule sur le sol, en cognant la table basse.



Alors que le vampire se reformait, ils éclatèrent tous les deux de rire, appuyant leurs fronts l'un contre l'autre. Ils finirent par se calmer, et, impatients de transmettre à l'autre ce qu'ils n'arrivaient pas à mettre en mots, ce qu'ils avaient toujours exprimé par leurs petites actions du quotidien, ils s'embrassèrent une fois de plus. Seulement la deuxième, mais pas seulement la dernière.







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Et le deuxième et dernier chapitre !!! (que je pensais poster aujourd'hui mais au final non mais au final si, bref maintenant c'est posté)


Comme j'ai dit dans la note de fin du chapitre d'avant, j'ai eu beaucoup de mal sur l'écriture de ce two-shot parce que je n'avais que de petits morceaux et je trouvais que rien n'allait ensemble et que ce n'était pas du tout fluide. Au final, en relisant pour traquer les fautes, je trouve que ça passe quand même, ça peut aller, ça s'enchaîne quoi.


Comme d'habitude quand j'écris, je ne suis pas satisfaite de ce que j'ai fais, notamment en ce qui concerne les sentiments des personnages. Je trouve que je ne suis pas allée assez en profondeur et que je n'ai pas su retranscrire toute la domesticité de ce couple. Mais bon, vous me direz si c'est bien comme ça ou si effectivement c'est trop léger en sentiments (pas que je le rectifierais sur cette histoire mais pour savoir).


Funfact : la fleur en couverture est un chrysanthème (ma fleur préférée) mais je l'ai surtout prise pour sa symbolique : en Europe, c'est une fleur de deuil à mettre dans les cimetières (enfin, ça c'est le cas surtout parce que c'est la seule à pousser en automne pour l'assomption ou je sais pas quoi mdr) mais elle signifie le plaisir et le bonheur. Et pour un couple humain-vampire, entre la "mort" et le bonheur, je trouve que c'était parfait.


Sinon, comme d'habitude, en espérant que vous avez aimé ^^


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