Changbin se réveilla avec un affreux mal de tête, et le bruit ambiant n'arrangeait rien. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il les plissa aussitôt, assailli par une forte lumière. Il faisait déjà jour et le soleil semblait encore plus rayonnant que la veille. Doucement, tout en se tenant le front d'une main, il se redressa et analysa les alentours. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il se trouvait dans le salon du bungalow. Il n'avait donc pas rejoint la chambre qu'il partageait avec ses deux amis en couple.

— Enfin réveillé !

Il sursauta à la voix enjouée qui venait de retentir dans la grande pièce. Il se tourna pour jeter un coup d'œil par-dessus son épaule et remarqua que Hyunjin était là, un sac en toile à la main. Il le détailla brièvement et constata qu'il avait enfilé son short de bain à fleurs, ainsi que ses tongs.

— On va aller se poser sur la plage et se baigner, tu devrais venir ça te ferait du bien.

Changbin grommela, les dents serrées, puis il se laissa tomber en arrière contre le dossier du canapé. Il peinait à garder les paupières séparées à cause de la douleur qui se diffusait dans son crâne. Il sentit l'assise s'affaisser, une main se poser sur sa cuisse.

— Prends un peu l'air.

— Je suis crevé… Et je suis pas en forme.

Il entendit son ami soupirer, puis ce dernier lui tapota la jambe.

— Si tu restes enfermé, ça s'arrangera pas. Tu vas pas passer une si belle journée à squatter le canapé quand même ?

— Jinnie a raison !

Il reconnut la voix douce et maternelle de Minah. Il appréciait énormément la jeune femme, même s’il pouvait la trouver un peu trop protectrice parfois — surtout avec son petit ami —, il s'y était attaché car elle était toujours très avenante à son égard. Depuis qu'il avait rompu avec sa copine, elle se souciait beaucoup de son sort. Il voyait en elle une sorte de grande sœur, elle lui rappelait d'ailleurs la sienne qu'il n'avait pas pu voir depuis plusieurs mois puisque cette dernière avait quitté la Corée pour continuer ses études aux Etats-Unis.

— Prends un peu l'air Changbin.

Ne voulant pas décevoir Minah, il s'y résigna. Il se redressa et acquiesça. Après s'être concentré, il quitta le canapé pour rejoindre sa chambre et passer de nouveaux vêtements : un bermuda noir et un large t-shirt à manches longues. Hors de question de partir avec un maillot de bain au risque d'être forcé d'entrer dans l'eau. Il n'avait aucune envie de se baigner. Il n'avait surtout aucune envie de montrer aux autres ce corps qui le complexait tant. Ses camarades avaient tous de belles silhouettes de rêve, dignes de mannequins, et ils en prenaient soin. Lui, il se laissait aller. Il mangeait et buvait plus que ce qu'il avait réellement besoin et de surcroît, il avait complètement abandonné toute activité physique. Il n'avait plus le goût de faire quoi que ce soit, et cela se voyait aux nouvelles formes qu'avait pris son corps. Il les haïssait, mais il n'arrivait pas à faire autrement. Il continuait sur sa lancée, quitte à s'en rendre malade et à se détester encore plus.

Une fois prêt, il rejoignit tout le monde sur la petite terrasse et ils purent se mettre en route pour la plage. Chan délaissa un peu Minho pour venir parler à Changbin qui traînait les pieds derrière le groupe. Il tenta de lui remonter le moral sans porter un jugement sur ce qu'il avait fait la veille. Il comprenait bien ce qui lui était passé par la tête, et voir son ami ainsi lui avait fait mal au cœur. Il avait bu pour oublier sa tristesse.

Chan ne voulait pas qu'il se sente seul, il voulait montrer qu'ils étaient là pour le soutenir et ce, même s'ils étaient tous venus avec leur moitié. C'était cependant plus facile à dire qu'à faire. Changbin ne leur en voulait pas, il n'y avait pas de quoi, mais il ne se sentait pas à sa place. Il se sentait de trop et chaque petit geste d'amour qu'il captait le rendait un peu plus malheureux.

Ils installèrent leurs affaires à quelques mètres de l'eau et très vite, ils se retrouvèrent tous en maillot de bain, prêts à courir pour se jeter dans la mer. Minah s'était quant à elle assise sur une des serviettes, et avait positionné son large chapeau de paille sur sa tête. Changbin prit place à côté d'elle, bien que ses camarades aient lourdement insisté pour qu'il fasse comme eux. Il lâcha une grande expiration d'agacement.

— Pourquoi tu ne veux pas aller te baigner ? demanda la jeune femme.

Il serra les poings et baissa la tête.

— J'aime pas trop la mer.

Elle haussa les sourcils.

— Toi ? C'est étonnant.

— Pourquoi ça ?

— Parce que t'es allé des dizaines de fois en vacances à la mer avec Chan. Et de ce que j'ai compris, c'était quelque chose que tu aimais beaucoup.

— J'aimais.

Minah referma le livre qu'elle avait entre les mains pour le poser sur le côté, et elle se tourna légèrement pour faire face à Changbin. Celui-ci semblait tout faire pour éviter son regard. Mais il savait qu'elle ne lâcherait pas l'affaire. Comme sa grande sœur, elle n'était pas du genre à laisser tomber et chercherait à avoir le fin mot de l'histoire. Elle n'était pas dupe, elle savait que quelque chose n'allait pas et elle ne voulait pas laisser un ami se morfondre.

— Je sais que ce n'est pas facile depuis ta séparation…

— Qu'est-ce que tu en sais ? l'interrompit-il d'un ton dur.

La jeune femme sourit tristement.

— J'ai aussi vécu des séparations difficiles. Je n'ai pas loin de trente-trois ans, j'ai un peu d'expérience en relation, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

Changbin s'excusa à demi-mot. Minah était tout de même plus âgée que lui, et Hyunjin n'était pas du tout son premier amour. Avant de le rencontrer, elle avait eu plusieurs histoires. Elle avait même été fiancée et sur le point de se marier, mais tout s'était effondré lorsqu'elle avait appris que l'homme avec qui elle était prête à partager sa vie l'avait maintes et maintes fois trompée. Elle avait été anéantie plus d'une fois, alors elle pouvait le comprendre.

— Comment tu as fait pour te relever après tout ça ? demanda-t-il finalement.

— À chaque fois, j'ai cru que je ne pourrais plus aimer ou être aimée. Le plus dur a été de refaire confiance et de me dire que quelqu'un d'autre pouvait m'aimer. Quand tout s'arrête et que toi, tu es encore amoureux, tu te demandes sans cesse ce qui n'allait pas chez toi. Tu te remets en question chaque seconde de ta vie.

Changbin pouffa de rire. Toutes les paroles de la jeune femme étaient d'une véracité affolante. Elle avait mis le doigt sur tout ce qui le tracassait depuis des semaines. Comment allait-il pouvoir de nouveau s'ouvrir à quelqu'un ? Était-il assez bien pour retrouver l'amour d'une autre personne ? Il n'en savait rien et il n'y croyait plus. Tout était encore trop douloureux, trop frais, trop récent.

— Je sais pas si je serai capable de passer à autre chose… avoua Changbin.

Minah posa une main compatissante sur son épaule.

— Tu le seras. Si tu veux avancer, tu dois accepter le fait que ce soit terminé.

Il hocha la tête et perdit son regard dans l'immensité bleue où ses amis s'amusaient, insouciants et heureux. Minah avait encore une fois raison. Il ne pouvait pas voir plus loin que l'instant présent s'il n'acceptait pas le fait que son histoire d'amour, en laquelle il avait tant cru, était bel et bien finie. Il ne devait pas l'oublier, mais la voir comme une étape de sa vie, comme quelque chose qui avait eu lieu, qui lui avait apporté joie et peine. Il devait passer à autre chose, recommencer, peut-être retrouver le sourire pour à nouveau être déçu. Et c'était effrayant.

***

La journée avait été relativement tranquille. Changbin avait pu récupérer un peu de sommeil, et son mal de tête avait enfin fini par s'envoler. Il n'était peut-être pas prêt à boire autant que la veille, mais il avait tout de même accepté d'accompagner ses amis au bar du club. Ce ne fut pas sans appréhension qu'il s'y rendit. Il ne se souvenait pas de tout ce qui avait eu lieu à cet endroit, mais il savait qu'il s'était laissé emporter et qu'il avait déballé son sac. Ou tout du moins, il avait évoqué sa rupture à un parfait inconnu. Il prit place sur l'un des fauteuils en jonc beige et observa les alentours avec attention. Il déglutit lorsqu'il remarqua le jeune homme à la chevelure blonde derrière le comptoir, occupé à préparer des cocktails en compagnie d'un collègue. Pas de doute, il aurait pu le reconnaître entre mille. Intérieurement, il pria pour que ce dernier ne vienne pas prendre leur commande, mais le ciel semblait contre lui.

D'un pas assuré, les yeux pétillants et les lèvres étirées en un adorable sourire, le serveur s'approcha de leur table. Il sortit un petit carnet ainsi qu'un stylo de la poche de son tablier noir.

— Qu'est-ce que je vous sers ?

La voix rauque du jeune barman résonna dans les oreilles de Changbin comme un mauvais souvenir, lui faisant instantanément baisser la tête. Il avait terriblement honte de se retrouver près de lui.

— Et vous Monsieur ?

En même temps qu'il l'interpellait, Chan lui asséna un coup de coude pour le faire réagir. Changbin avala bruyamment sa salive et saisit la carte, dissimulant son visage derrière.

— Je vais prendre une limonade.

— Oh… Pas une Piña Colada ?

La référence aux nombreux cocktails qu'il avait ingurgités la veille le fit presque s'étouffer. Il était clairement inutile de fuir, sa tentative pour se cacher s'était avérée vaine. Lentement, il se dévoila, les joues rougies, et il posa la carte des boissons sur la table. Les regards incrédules de ses camarades portés sur lui, Changbin fut incapable de prononcer un seul mot. Il secoua la tête de gauche à droite. Le sourire constant du serveur n'aidait pas. Il était à la fois embarrassant et saisissant. Il avait quelque chose de captivant qui le laissait sans voix.

— Une limonade alors.

Il griffonna sur son carnet et le referma d'un geste brusque avant de tourner les talons. Changbin se contenta de l'observer s'éloigner.

— Tu le connais ? demanda Jisung, surpris.

Changbin soupira et se laissa tomber contre le dossier du siège, les jambes molles et les bras ballants dans le vide. Il avait l'impression d'être vidé de toute énergie.

— C'est lui qui m'a servi hier…

— Ah ! Tout s'explique !

— Le fameux beau gosse du bar…  lança discrètement Chan.

— Quoi ?

Des rires retentirent.

— Ce sont tes propres mots.

Changbin fronça les sourcils. Quand avait-il osé dire une chose pareille ? Vraiment, il avait fait n'importe quoi et il n'était pas prêt de se remettre une telle cuite. Énervé par son propre comportement, il se leva et se dirigea vers le bar. Toutes ses certitudes s'envolèrent dès que le jeune homme se tourna dans sa direction. Son regard était intense, aussi perturbant que son sourire.

— Je peux t'aider ?

Il passa la langue sur ses lèvres tandis que ses doigts s'entremêlaient. Il se trouvait là comme un idiot, il devait dire quelque chose.

— Je…  Je voulais m'excuser pour hier soir.

Le barman sourit davantage.

— C'est bon, c'est pas grave. J'espère que tu te sens mieux.

— Oui. 

Tout en secouant le shaker qu'il avait entre les mains, le jeune homme l'interrogea silencieusement. Il ne devait pas le croire et c'était compréhensible, lui-même n'y croyait pas. Oui, il n'était plus ivre, mais il n'allait pas mieux pour autant. Le serveur versa le liquide  dans un grand verre évasé et continua sa tâche sans se détourner de Changbin. C'était  comme s'il attendait plus, comme s'il voulait qu'il lui parle. Et ce dernier semblait attendre quelque chose lui aussi. Quoi, il n'en savait rien, mais il avait la sensation de ne pas pouvoir repartir si vite.

— Si t'as besoin de discuter sans pour autant te mettre la misère avec de l'alcool, tu sais où me trouver.

Changbin acquiesça.

— Je suis là quasiment tous les soirs, sauf le lundi et mardi, mes jours de repos. Tu restes combien de temps ici ?

— Deux semaines.

— Tu es venu avec tes potes ?

D'un petit geste de la tête, il indiqua la table où se trouvaient les amis de Changbin.

— Ouais… 

— Ok, je comprends mieux. C'est dur d'être célibataire et entouré de tous ces couples.

Un soupir se faufila de la bouche de Changbin. Ce n'était que le deuxième jour et il en avait déjà plus qu'assez. Ce n'était pas dur, c'était insupportable. Il ne voyait pas comment il allait faire pour tenir tout ce temps avec eux. Ce n'était que deux semaines, mais deux semaines de trop.

— Si tu veux te détendre, j'ai un ami qui donne des cours à la piscine demain matin et il y a pas trop de monde qui y va. Peut-être que ça te changerait les idées.

— Ah, euh…  Oui, j'irai demain alors.

Il n'en était pas trop certain, mais il ne voulait pas contrarier le jeune homme.

— C'est à dix heures.

— Ça m'évitera de devoir aller à la plage avec eux.

Ils s'échangèrent un regard entendu et le serveur déposa les différents verres sur un grand plateau rond.

— Au fait, je m'appelle Felix.

— Changbin.

•••

Heyo (◕ᴗ◕✿)
Ça me fait trop plaisir de vous repartager cette histoire, je crois que j'en suis retombée amoureuse, j'avais oublié à quel point j'avais aimé la construire et l'écrire. J'espère que ça se ressentira à la lecture 😊
Je vous dis à très vite pour la suite 💜