Changbin ouvrit doucement les yeux. Il resta allongé sur le côté, le regard posé sur le mur face à lui. Il n'était pas chez lui, il avait passé la nuit avec Felix, ce dernier n'ayant pas daigné le laisser partir. Ils s'étaient embrassés, longuement, passionnément. Ils s'étaient encore caressés avec amour et tendresse, cherchant à satisfaire l'autre. Puis ils s'étaient endormis enlacés, comme s'ils craignaient d'être séparés.

Un soupir lui échappa. Ils allaient être séparés, et pas plus tard que demain. Il ne lui restait plus qu'un jour de vacances et bientôt, ils retourneraient tous à leurs occupations personnelles.

— Hm, Changbin…

L'étreinte autour de son ventre se resserra. Cela le fit se crisper mais, quand il sentit le visage de Felix se poser contre son dos, il se relâcha aussitôt. Il avait un très grand pouvoir sur lui. Il l'apaisait et, ce matin, il avait la sensation que rien ne pouvait l'atteindre car il était près de lui. Il avait envie de rester là pendant des heures, des jours, pour toujours. Il déglutit à cette pensée, mais la chassa très vite. Il ne voulait pas que ce moment soit gâché. Ils avaient passé une si belle nuit tous les deux qu'il ne tolérerait pas que ses peurs viennent l'empêcher de profiter de cet instant. Il posa une main sur celle de Felix et la lui caressa de son pouce.

— T'es réveillé ? osa-t-il demander.

Felix hocha la tête tout en murmurant un « oui » très rauque, et il remonta de façon à ce que son visage arrive par dessus l'épaule de Changbin. Il y déposa un baiser, puis un deuxième. Il glissa sur son trapèze pour lui administrer le même traitement, et il traça une ligne jusque dans son cou. Changbin ferma les yeux. Le souffle du serveur était chaud contre sa peau, ses lèvres humides et douces. Il appréciait chaque attention et il entrelaça ses doigts avec ceux de Felix.

— Tu sens bon… murmura-t-il en arrivant à son oreille.

Changbin frémit. Il lâcha un faible soupir de bien-être et décida de se retourner. Il se retrouva face à Felix, la luminosité forte du matin passait faiblement entre les lattes des volets, mais il pouvait facilement deviner son visage. Il l'avait ancré dans sa mémoire pour ne jamais l'oublier. Son nez rond, ses lèvres généreuses et roses, sa peau hâlée et ses tâches de rousseur, ses longs cils bruns. Il lui caressa la joue d'une main et de l'autre, il le rapprocha davantage de lui. Ils étaient peau contre peau et pour une fois, Changbin n'avait pas peur de ce qu'on allait penser de son corps. Il avait mis ses complexes en sourdine. Peu importe si Felix sentait son petit ventre, il était bien. Il lui avait assez prouvé qu'il se fichait de son apparence et qu'il l'appréciait comme il était.

Avec Felix, il n'avait pas besoin d'être mince et musclé. Avec Felix, il pouvait juste être Changbin, le jeune homme incertain et inquiet qui avait perdu confiance en lui. Parce qu'avec Felix, il retrouvait le sourire et il se retrouvait lui. Oui, il avait commencé à accepter le fait qu'il n'était plus tout à fait comme avant physiquement, mais qu'au fond, il restait le même. Il savait que le chemin serait encore long et difficile, qu'il aurait encore des moments de doute et de crainte, mais il avait compris que son apparence ne définissait pas s'il était mieux ou moins bien que les autres. Il avait compris qu'aux yeux des personnes qui l'aimaient, il comptait, qu'il soit mince, qu'il soit plus rond, qu'il soit musclé, qu'il soit fin… Qu'importe. Les gens qui voulaient de lui l'aimaient pour sa personnalité.

— Changbin, j'ai besoin de te parler.

Son cœur bondit dans sa poitrine. La voix de Felix était vacillante et étrangement timide.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Hm, tu sais, demain… Enfin, je sais pas comment ça va se passer… Tu vas partir…

Il ravala de nouveau sa salive. Oui, il allait partir. Et il ne savait pas non plus comment gérer ça. Il s'était juré de ne pas s'attacher. Il avait souvent cru que du côté de Felix, ce n'était qu'un moyen de passer le temps l'été et qu'il n'y aurait jamais rien de concret. Il n'avait pas prévu tous ces échanges intimes. Il ne s'en voulait pas, il ne lui en voulait pas non plus. Ils étaient assez grands pour savoir ce qu'ils faisaient et dire non si vraiment cela ne leur convenait pas.

— J'ai pas vraiment envie de parler de ça, dit-il presque trop sèchement.

Un lourd silence s'installa. Changbin n'avait pas voulu être si brusque. S'il ne voulait pas en parler, c'était seulement car il avait mal de se dire que tout allait s'arrêter. Après tout, comment cela pouvait-il se passer autrement ? Il n'avait pas envie d'une relation à distance. Il était peut-être peu sûr de lui et de ses choix, mais là, il savait que ce n'était pas ce qu'il désirait. Et puis, il connaissait juste le Felix du club de vacances, le serveur avenant et souriant. Il n'avait pas envie de se tromper et d'être trompé encore une fois. Peut-être que sa vision des choses allait être incomprise par ses amis, et par Felix lui-même, mais pour une fois, il avait le droit de savoir ce qu'il ne désirait pas pour son avenir. Et entretenir une relation comme celle-ci était ce qu'il ne désirait pas.

— Hm, je comprends, finit par murmurer Felix.

— Enfin si, on doit en parler.

Il n'avait pas le cœur à quitter le serveur ainsi. Il devait s'expliquer, lui dire ce qu'il ressentait, parce qu'il n'allait pas le juger. Felix se positionna confortablement sur le côté et, comme pour donner le feu vert à Changbin, il déposa un bref baiser sur ses lèvres.

— Toi, qu'est-ce que tu aimerais ? demanda Changbin.

Felix laissa un petit rire filer.

— Ce que toi tu décideras. Je veux pas t'imposer quoi que ce soit et que tu te sentes mal à l'aise. Je sais et je comprends ce que tu as traversé récemment. Et j'ai pas envie que tu sois malheureux.

— Je le suis pas. Enfin, en ce moment je le suis pas du tout. Parce que t'es en face de moi.

Malgré la pénombre, il put voir les lèvres du serveur s'étirer en un large sourire. C'était très étrange que de lui confier cela alors que durant tout le séjour, il avait eu peur de ses sentiments. Il avait eu peur d'aimer, d'être aimé, de souffrir, de faire souffrir. Et en fait, tout était en train d'arriver. Il avait aimé, et s'était senti aimé. Il allait souffrir, et il allait faire souffrir.

— Et après, est-ce que tu le seras ?

— Je pense. J'en sais rien en fait.

— Changbin, on est pas obligé de tout arrêter demain, dit Felix en posant la main sur celle de Changbin.

Ils n'étaient pas obligés mais, en pesant rapidement le pour et le contre, il savait qu'il devait mettre un terme à ça. Il ne s'imaginait pas du tout vivre loin de Felix tout en se considérant comme un couple. Il n'avait jamais eu de relation à distance, mais puisque la précédente avait été un échec cuisant et qu'il en avait énormément souffert, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer que là, ce serait pire. En couple, il avait besoin de la présence de l'autre, de le voir, de le toucher, de le sentir.

— Je ne pourrai pas supporter qu'on soit loin, avoua-t-il. Je risquerais d'être mal dans ma peau, à douter encore et encore de moi, à me demander qui tu vois, avec qui tu sors. Et je suis mentalement pas prêt pour ça.

— Ok, je comprends.

— C'est vrai ?

— Oui ! Et j'ai pas envie que tu te sentes mal. Alors je respecterai ton choix.

Changbin fut soulagé d'un poids. Il aimait beaucoup Felix et il ne voulait pas lui faire de peine, mais il devait aussi penser à lui. Il était heureux qu'il comprenne pourquoi il ne voulait pas voir plus loin que ce qu'ils avaient pu partager. Finalement, il l'avait bien aidé et il ne regrettait pas d'avoir cédé aux caprices de ses amis. Sans eux pour le pousser à venir, il serait resté chez lui à pleurer après une ex petite amie qui ne reviendrait jamais et à s'empiffrer de cochonneries à longueur de journée. Là, il avait eu la force de passer à autre chose. Il avait accepté ce que la vie lui avait imposé et il comprenait qu'il devait désormais avancer. Et il devait le faire tout seul, sans que personne ne lui prenne la main. Il devait se suffire à lui-même, ne pas dépendre des autres.

— Est-ce que tu veux quand même me voir ce soir après mon service ?

— Evidemment ! Je veux pas partir sans qu'on se dise au revoir.

Felix lui sourit et se blottit dans ses bras. Il allait lui manquer et il voulait que cette dernière soirée tous les deux reste un bon souvenir.

***

Changbin venait de terminer sa valise. Il était tard, près de minuit, et tous ses amis avaient décidés d'aller se coucher. Le voyage en bus allait encore être épuisant et mieux valait faire une bonne nuit de sommeil. Changbin s'en fichait un peu. Il avait plus important à faire que de dormir. Il enfila ses tongs et quitta le bungalow afin de rejoindre l'entrée de la résidence. Felix l'attendait, comme toujours. Ils s'échangèrent un sourire, un baiser, et sans même avoir besoin de se mettre d'accord au préalable, ils se dirigèrent vers la plage.

Leur plage.

Ils savaient que cela marquait la fin. Pour Changbin, la fin des vacances. Pour Felix, la fin d'une relation, qu'importe le nom qu'elle puisse porter. Ils étaient un peu nostalgiques. La mer, le sable, la lune, l'embrun sur leur peau… Ces balades nocturnes allaient leur manquer.

— Tu te souviens de ce qu'on a fait le premier soir où on est venus ici ?

Changbin se tourna vers Felix et fronça les sourcils tout en réfléchissant.

— Tu m'as embrassé ?

Un rire échappa à Felix.

— Avant !

— Ah ! Oui ! Tu as insisté pour te baigner et j'ai dû te rejoindre. Et tu m'as foutu en rogne.

— T'as bien changé en quelques jours, sourit-il malicieusement.

Felix accéléra un peu pour se mettre face  à lui et l'arrêter. Il planta son regard dans le sien et lui prit les mains. Il en leva une, le bracelet qu'ils avaient acheté ensemble au marché était toujours autour du poignet de Changbin.

— J'espère que tu penseras à moi quand tu le verras. Et qu'il finira pas au fin fond d'un tiroir parce que tu regretteras ce qui s'est passé entre nous.

— Pourquoi je regretterais ?

Felix baissa sa main et détourna le regard.

— Je sais pas…

Il sembla soudain morose, les yeux perdus dans le vide. Il ne pouvait pas se dire que c'était terminé, qu'après cette soirée, il allait dire au revoir à Changbin et qu'ils ne se reverraient plus. Mais peut-être que c'était ainsi que les choses devaient se dérouler. Il avait tendance à y croire, à penser que rien ne se produisait par hasard. Parfois, le destin était cruel, mais même les moments difficiles pouvaient apporter d'autres moments de bonheur.

— Tu veux qu'on y retourne ? proposa Changbin pour le faire réagir.

— Où ça ?

— Dans l'eau.

— Tu accepterais ?

Changbin acquiesça et ce fut suffisant pour que Felix se débarrasse de ses habits à vitesse grand V. Il l'imita et cette fois, il alla même jusqu'à ôter son précieux t-shirt. C'était un pas énorme qu'il faisait. Mais puisqu'il était avec Felix, il n'avait pas peur.

Ils chahutèrent dans l'eau, s'éclaboussant sans retenue et riant aux éclats. Felix n'hésitait pas, il s'y donnait à cœur joie et Changbin répliquait sans merci. Quelques minutes plus tard, tous deux essoufflés par la bataille et les rires, ils s'arrêtèrent d'un commun accord. Un regard et ils comprirent. Il se rejoignirent et se prirent l'un contre l'autre. Ils s'étreignirent de toutes leurs forces, leurs doigts se crispaient dans leur dos. Ils n'avaient pas besoin de parler, juste de s'enlacer et de s'embrasser encore et encore. C'était comme ça que tout avait commencé, et c'était comme ça que tout allait se terminer.

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Heyo !
Il ne reste plus qu'un chapitre et ça signera la fin de Pina Colada 🤧
À très vite 💜