Jungkook est devant sa machine et la poussière épouse de nouveau l'écran bombé. Il se surprend à apprécier détrôner la saleté de sa place, alors que d'un revers de manche, il peut de nouveau voir son reflet dans la machine.

Il glisse les quelques pièces encore chaudes dans la fente métallique et s'amuse de les entendre dégringoler dans l'appareil démodé. Puis, la lumière bleue inonde soudainement son visage et la musique métallique rejoint les autres dans une harmonie assourdissante.

De nombreux autres adolescents aux blousons aviateurs, aux vestes en jean, aux pantalons de nylon, aux cheveux crêpés et laqués déambulent dans les couloirs et s'amusent dans un brouhaha joyeux.

Jungkook n'aimait pas vraiment se mélanger, un peu marginal sur les bords peut-être, un peu trop dans sa bulle. Il préférait se réfugier dans ce cocon à la moquette grise et aux monstres métalliques, il aimait s'asseoir devant cet arcade que tout le monde avait oublié, car après tout, les choses s'oublient quand meilleur qu'eux s'imposent. Et ce jeu que les gens ne regardent même plus, Jungkook l'adore. Probablement parce qu'il lui ressemble. Un peu poussiéreux, un peu trop sage pour l'époque.

Comme si ses gestes étaient encrés dans les moeurs, Jungkook saisit les manettes et enclenche le jeu. Expert, ses yeux fusent rapidement aux spots stratégiques de la partie et le score grimpe. Plongé dans une transe, ses gestes demeurent secs et nets, rapides et précis ; il a conscience que son obsession fait peur à avoir mais qu'importe, il s'évade.

Absorbé dans son monde dimensionnel, rien ne pouvait l'arracher à son hypnose. Enfin, c'est ce dont il était persuadé, c'est ce dont tout le monde était persuadé avant que deux petites billes noisettes ne transpercent son large dos.

Il stoppe ses mouvements, la machine hurlant son abandon soudain. Jungkook peut sentir les deux orbes chaleureux redessiner son dos courbé. Il doit se retenir de ne pas virevolter et les croiser avec les siens, tandis que lentement, il pivote sur le siège sans dossier.

Ses yeux survolent d'abord des tennis un peu sales et abîmées où le cuir qu'il imagine autrefois immaculé, n'est plus qu'un gris barbouillé. Un jean délavé sied les jambes sûrement un peu trop fines du jeune homme, ces jambes aux cuisses camouflées d'un éternel pull trop large. Il ébauche du regard les clavicules découvertes de l'ange et finit par s'échouer sur son visage aux traits si plaisants qu'il semble sombrer dans les limbes d'un désir candide.

Deux cercles de métal habillent ses perles ambres et ces dernières s'ancrent avec douceur et violence dans les yeux de Jungkook. Le jeune aux lunettes semble surpris car il n'amorce plus aucun mouvement et ses lèvres rosées s'entrouvrent légèrement.

Ils s'observent, leurs âmes foudroyées valsant sur le rythme métallique de l'arcade.

Puis, tout s'effondre lorsque celui aux pulls dénudants, recule. Son pied gauche glissant vers l'arrière arrache Jungkook à sa transe, qui s'exclame :

« - Attends ! »

Il a pour réflexe de tendre le bras devant lui, comme s'il pouvait atteindre la fragile silhouette du châtain, mais lorsqu'il effleure le doux coton du pull, il rabat brusquement son bras contre son torse.

L'autre s'arrête et ses joues s'enflamment, emportant dans ses braises le coeur de Jungkook. Son regard dégringole sur la moquette grise qu'il semble trouver plus intéressante qu'un noiraud qui cherche ses mots.

« - J-je suis désolé., souffle finalement le châtain. »

Jungkook écarquille les yeux. Est-ce qu'il vient de dire quelque chose ? Il jure avoir entendu quelqu'un.

« - Tu as parlé ? »

L'autre relève soudainement la tête, et ses yeux s'attristent. Il finit par secouer vivement sa chevelure, niant le fait que la voix si douce et enrouée était la sienne. Puis ses petites manies reviennent, celles que Jungkook s'était amusé à remarquer. Il triture les manches de son pull, puis remonte ses lunettes. Plusieurs fois. Sous le regard attendri et désireux du brun.

« - Tu as parlé., affirme Jungkook. »

Comprenant la trahison de ses tocs, le jeune au pull hoche la tête timidement.

« -Tu veux bien répéter ?, murmure Jungkook qui semble parler à un animal effrayé.

- Je suis désolé...

- Pourquoi ?

- Je t'observais, je dois être effrayant.

- Tu n'es pas effrayant.

- ...

- Ça fait longtemps que tu es là ? »

Et de nouveau, ses cheveux virevoltent brusquement de droite à gauche. Il ne se trahit pas, gardant ses longues mains accrochées entre elles, ayant la désagréable impression que ses lunettes glissent sur l'arrête de son nez.

Jungkook devine sans difficultés que « ça fait longtemps qu'il est là » et il empêche un sourire amusé d'étirer ses lèvres.

Il est tellement transparent.

Il ne relève pas et serpente ses doigts jusqu'au poignet de l'autre.

« - Tu veux jouer ? »

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