Capitolo 1- À l'ombre du passé
Yang
1925, 18 novembre
Les heures, les minutes, les jours, les nuits, le soleil ou la pluie, tout cela était du pareil au même. Tout n'était qu'une mascarade, un décor des plus théâtral inventé pour encadrer quelque chose d'encore plus ridicule : des vies.
J'avais toujours su, que j'étais différent, pour une raison qui ne m'était pour autant jamais parue évidente. Une partie de moi avait pensé que c'était, sûrement, car mon existence n'avait pas débuté dans les meilleures conditions qui soient. Survivre ou mourir, aucune autre option ne m'avait été offerte. En y repensant, vingt-neuf ans après ce début pour le moins chaotique, le choix le plus simple aurait été le second. Mourir était le choix de la facilité, l'abandon. Alors même à cette époque, sans être l'homme que j'étais aujourd'hui, j'avais ressenti ce désir inexplicable, celui de repousser les limites de ce qui était envisageable surtout pour un enfant. Peut-être était-ce à ce moment-là que j'avais choisi de tourner le dos à la lumière pour la première fois. J'avais choisi de plonger dans les ténèbres, d'emprunter le chemin que d'autres auraient refusé de voir. Et je n'avais aucun regret. Car après tout, si certains, plus sages que moi, pensaient que ce choix était une erreur, j'étais persuadé du contraire. Que pouvait-il bien y avoir de plus judicieux que de suivre les lois de la nature ?
La loi du plus fort. Plus l'on se place haut dans la chaîne alimentaire, plus l'on a de facilité à survivre. J'avais commencé au bas de l'échelle, à un barreau instable, dans un bois si pourri que quiconque serait tombé avant même de tenter de gravir les autres barreaux de l'échelle. Mais je m'étais accroché, avec tout ce que j'avais, parce que pour survivre, il faut être prêt à tout. Au début, cela semble horrible, mais peu à peu, quand on est fait pour survivre, on s'adapte, on comprend l'ordre des choses, et on trouve sa place. Je n'avais jamais eu le moindre doute, je ne m'étais jamais laissé le droit d'avoir des remords, et c'est ce qui m'avait permis d'arriver aussi haut, jusqu'à devenir un prédateur.
La lumière commençait à éclairer la petite pièce miteuse dans laquelle j'avais dormi. Je m'étais réveillé de mauvaise humeur, une fois de plus, et j'avais oublié que je n'étais pas seul jusqu'à cet instant. Je voyais une silhouette remuer sous les draps dans mon champ de vision et un soupir agacé s'échappa instantanément de mes lèvres. Un visage encore endormi fit surface, des cheveux roux en bataille enveloppant son visage, des yeux ronds d'un bleu aussi clair que le ciel que j'avais aperçu à travers la fenêtre. Un sourire se dessina sur ses fines lèvres avant que je ne pose une main sur celles-ci sans la moindre délicatesse.
- Ferme-là, je ne suis pas d'humeur.
Je laissais quelques secondes passer, attendant qu'elle arrête de marmonner contre ma paume avant de relâcher sa bouche. Le silence était revenu et je tournais les yeux vers le plafond.
Que pouvait-il bien y avoir de plus judicieux que de suivre les lois de la nature ? Une rencontre m'avait fait comprendre qu'il existait sûrement une autre réponse à cette question que celle que j'avais l'habitude de donner. Malgré ses airs de biche, elle m'avait fait chuter de ma position et m'avait montré que ce n'étaient peut-être pas mes décisions qui avaient fait de moi quelqu'un de différent. Peut-être étais-je fondamentalement mauvais, quelque chose dans ce sang impur aurait pu être à l'origine du monstre que je suis. C'est sûrement ce qu'elle aurait dit. Mais qu'est-ce que ça pouvait bien changer, après tout ? J'avais choisi d'être ainsi, de vivre dans l'ombre et de laisser cette rage prendre pour victime n'importe qui serait sur son passage. Oui, c'était ma décision d'être violent, d'avoir les mains baignées dans le sang des vies que je croisais, qu'elles soient innocentes ou non.
J'avais toujours les yeux rivés sur le plafond quand un visage vint s'interposer pour enlaidir un peu plus le paysage. Son visage était tout ce qu'il y a de plus charmant, sa peau était pâle comme de la porcelaine et dénuée du moindre défaut, ses longs cheveux étaient aussi soyeux que sa peau sur la mienne, mais je savais reconnaître la laideur d'une âme désespérée. Ses lèvres s'approchaient dangereusement des miennes tandis que je plongeais mon regard dans le sien.
- Je ne te paierai pas une deuxième fois. Dégage.
Elle se mit à ricaner un instant et une de ses mèches rousse vint caresser mon cou sans qu'elle ne me quitte des yeux. Une seconde, puis deux, et elle se pencha vers le lobe de mon oreille pour murmurer d'une voix aguicheuse.
- Je suis persuadée du contraire.
Voilà bien un défaut des femmes que je détestais voir à l'œuvre. Certaines atteignaient une maîtrise de l'entêtement incommensurable, et je me sentais souvent obligé de les faire revenir à la réalité. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'avais tendance à aimer que l'on essaie de me tenir tête. Les rares fois où d'autres avaient défié mon autorité comptaient comme les jours les plus palpitants de ma vie autrement bien trop ennuyeuse. Mais aujourd'hui, je n'étais pas d'humeur à être défié. Et je n'appréciais que trop peu sa compagnie pour poser des limites à ma conduite. D'un geste brusque, je la fis basculer sous moi ce qui la fit rire dans un premier temps jusqu'à ce que j'enserre sa gorge d'une main. Bloquée comme elle l'était, sa seule solution était de me frapper pour se débattre de toutes ses forces, bien trop faible à mon goût. Plus je serrais sa gorge, plus je sentais ses veines cogner contre ma paume et je voyais son regard montrer au grand jour ce désespoir qui régnait dans son cœur. C'était ce regard que je ne me lassais jamais de voir. Cette lueur dans les yeux qui reflétait la détresse d'une pauvre âme, bien trop faible pour un monde aussi cruel que le nôtre. Mais ce que j'aimais par-dessus tout, c'était voir cette petite flamme s'éteindre, à petit feu comme maintenant, n'ayant que l'espace d'un instant, ou oserais-je dire, d'un dernier souffle, pour réaliser qu'il était déjà trop tard. Son corps voluptueux était désormais inerte et ne montrait plus aucune résistance, enfin, je retrouvais le silence. Dans un soupir, je m'étais relevé pour enfiler mes vêtements et reprendre mes affaires, son argent, et de sortir de cette auberge du fin fond de la campagne italienne.
Après avoir réglé discrètement ma nuit, j'étais sorti pour reprendre ma route. Ces derniers mois avaient été sans fin. Depuis le désastre que j'avais, plus ou moins, provoqué à Burlone, les Lao-Shu avaient été démantelés. Dire que je n'étais plus en odeur de sainteté dans mon propre pays était un doux euphémisme. Comme toujours, je savais pertinemment que je ne pourrais plus compter que sur moi-même. Au fond, j'éprouvais une part de nostalgie à avoir vu s'effondrer les efforts de plusieurs années là-bas. J'avais perdu mes plus fidèles alliés qui, même si je ne les avais jamais vus que comme des animaux de compagnie, s'étaient toujours avérés très utiles. Jusqu'au dernier instant, ils avaient été prêts à donner leur vie pour sauver la mienne, et cela m'avait été bien utile. Mais il fallait bien constater que tous mes efforts, quels qu'ils soient, fournis depuis une dizaine d'années, étaient partis en fumée ce jour-là il y a quelques mois déjà.
Avec eux, j'avais vu s'envoler toute solution de facilité, j'étais retombé tout en bas de l'échelle. Je devais utiliser mes talents pour gagner de l'argent, comme tout le monde, tout en dissimulant mon existence comme je l'avais fait toute ma vie. Mais avec tout un tas d'hommes à vos trousses, c'était incroyablement plus difficile. Pas que cela me dérange, j'avais toujours apprécié les défis, quand je me savais de taille à les relever. Cette fois, les choses étaient différentes, je savais que je n'avais aucune chance, pas aujourd'hui. Je n'avais rien pour gagner ce combat, et j'avais perdu quelque chose tout en étant incapable de savoir quoi. Je ne pouvais pas retrouver d'alliés, pas pour l'instant du moins. Et mon seul espoir de retrouver ma place dans la hiérarchie se trouvait en Angleterre, plus précisément à Londres. Cela faisait des mois que j'accumulais de l'argent pour me payer ce voyage, mais j'avais appris à mes dépens il y a quelques jours que ces hommes avaient mis ma tête à prix aux quatre coins de l'Italie. J'étais dans une impasse, coincé dans ce pays jusqu'à ce qu'un autre plan me vienne en tête. Autrefois, cela n'aurait fait que m'exciter un peu plus, l'idée de devoir déjouer les plans de ces imbéciles d'italiens. Quelque chose avait fait que maintenant, je trouvais cela terriblement lassant. J'étais lassé de tout ce qui m'entourait, et ce qui me donnait le sentiment d'être vivant avait disparu en même temps qu'elle. Je ne me reconnaissais plus, je voyais un reflet déformé de ce que j'avais toujours été, et cela m'agaçait au plus haut point. Je cherchais désespérément des réponses à des questions que je ne comprenais pas moi-même. Elle hantait sans cesse mes pensées comme pour me faire regretter. Tout avait changé depuis le jour où j'avais tué cette femme, Liliana Adornato.
Voilà pour ce premier chapitre qui n'est pas du tout arrivé juste après le prologue T-T Honte à moi T-T Mais j'adore beaucoup trop cette idée de fiction donc à bientôt pour la suite j'espère <3
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