Le pacte avec le Diable
Entourée par de la mousse rose, je laisse Annabelle me frotter le dos et ajouter de l'eau chaude dans mon bain. La baignoire sur pieds est cachée derrière un paravent en bois sombre. Un parfum de géranium embaume la pièce et l'humidité de l'air boucle mes mèches roses. La chaleur détend mes muscles et me fait oublier les dernières heures. Je tâte la moiteur de ma nuque, la tête posée contre la cuve. Comment ai-je atterri dans un roman ? Que s'est-il passé à Paris ?
— Je dois vous appeler comment alors ? Rose ou Sybille ?
La jeune servante me sort de mes pensées.
— Comme tu veux Annabelle. Mais commence par me tutoyer s'il te plaît.
— Votre Majesté, je ne peux pas. Je serais punie par le roi ou la reine.
J'ai vite compris que la famille royale n'est pas composée d'enfants de chœur. Esclandres, violences, punitions... En lisant le roman, je pensais que le problème venait de Rose. Mais le roi et la reine ne sont pas en reste. Le royaume ne profite pas de souverains bienveillants. En quelques heures, j'ai pu me rendre compte que les complots politiques ne sont jamais très loin. Tuer Asmodeo, n'est pas une idée de Rose, mais de ses parents. En fouillant dans sa coiffeuse, j'ai découvert son journal intime. Ce carnet est une pépite. Il raconte son quotidien, mais aussi les plans prévus pour conquérir Sky. Le premier objectif, je le connais : conquérir Thunder. Mais la suite n'apparait pas dans le roman original. Tout comme Annabelle qui est juste une figurante sans nom et sans visage. L'univers de Pink Demon est bien plus riche que je le pensais.
— Dans ce cas, entre nous appelle-moi Sybille et tutoie-moi. Mais à l'extérieur, fais comme d'habitude. Tu en penses quoi ?
— D'accord... Sybille.
Elle me répond ça, les yeux écarquillés et une main sur la bouche. Elle paraît si innocente que j'ai envie de la protéger de mes pseudos parents psychopathes. Surtout, je pense qu'elle peut-être une alliée de taille pour ma survie. Qui de mieux placé qu'une servante écoutant aux portes et dont on ne se méfie pas ?
— Annabelle, je peux te demander quelque chose ?
— Oui, bien sûr !
Je la regarde de longues minutes avant de me lancer.
— J'aimerais que tu sois mes yeux et mes oreilles. Que tu sois attentive à tout ce qui se passe au château Storm. Et que tu viennes me faire un rapport chaque jour. J'ai besoin de savoir ce que Cruise et Aléa disent, font et où ils vont. Je dois connaître leurs plans pour le royaume. Et pour moi.
Le journal intime de Rose parle du projet "Galaxie", sans donner de détails particuliers. Le nom reste énigmatique et je connais à peine les tenants et les aboutissants. Mais je sais que le couple royal est derrière tout ça.
— D'accord, compte sur moi !
Son regard remplit de détermination, elle lève le poing en l'air, prête à en découdre.
— Mais ne te mets jamais en danger Anna. Fais attention à toi, d'accord ?
Mon petit doigt me dit qu'ils seraient capables de la tuer pour avoir foutu son nez dans leurs histoires. Elle doit être prudente.
Elle hoche la tête et finit de me laver les cheveux. Les pétales de fleurs présents dans l'eau me collent à la peau. Je joue du bout des doigts avec l'un d'entre eux. Distraite, je n'ai pas fait attention à ma position dans la baignoire. Mes seins ne sont plus cachés par la mousse. Annabelle hoquète et rougit d'embarras. Les mains sur les yeux, elle se retourne :
— Votre Majesté, souhaitez-vous une serviette ?
— Annabelle, c'est juste une paire de nichons. Tu vas t'en remettre, rigolé-je.
— Rose ne se montrait jamais dénudée devant moi.
— Je ne suis pas Rose.
— Je le sais. Mais c'est encore difficile pour moi de le comprendre, soupire-t-elle.
Je me lève, nue, alors que l'eau ruissèle sur mon corps. On entend uniquement les remous alors que j'interpelle la servante.
— Anna, retourne-toi.
Elle secoue la tête vivement.
— Non, je ne peux pas.
Sa voix chevrotante me questionne.
— Allez Anna, retourne-toi. Tu dois me donner ma serviette de toute façon.
Elle tremble et soupire. Puis, elle finit par se retourner.
Face à mon corps, ses yeux l'explorent. Ils passent sur mes jambes, longent mon intimité aux légers poils roses, s'arrêtent sur mon ventre laiteux et finissent sur ma poitrine. Son regard croise le mien et elle baisse la tête, rouge pivoine.
— Je n'ai jamais vu de corps nu.
— Et le tien ?
— Plaît-il ?
— Tu te regardes ? Anna, t'est-il déjà arrivé de t'explorer ?
Ses yeux brillants ne comprennent pas où je veux en venir. Je précise donc :
— Est-ce qu'il t'arrive de te toucher ? D'effleurer ton corps avec tes mains ?
Elle bégaye et le rouge atteint le haut de son décolleté.
— No... Non ! C'est indécent !
— Le plaisir est indécent ? Pas du tout, il fait partie de la vie. Mais surtout, tu apprendras à te connaître. À savoir ce que tu aimes et ce que tu n'aimes pas. Réfléchis-y.
Je descends de la baignoire sous le regard effaré de ma servante. La serviette entourant mon corps, je prends le temps d'enfiler une robe fluide et un peignoir en soie. Je ne pense pas sortir aujourd'hui. Et je ne sais même pas quelle heure il est ! Dans ce monde, pas de téléphone, je vais donc apprendre à vivre sans...
Annabelle quitte la chambre sans un mot de plus. J'espère ne pas l'avoir froissée. Je voulais juste lui faire comprendre que le sexe passe par la découverte des corps, de son corps. Et que ça ne devrait pas être considéré comme sale ou déplacé. Un coup contre ma porte m'empêche de réfléchir plus à la chose. Je resserre mon déshabillé et lance :
— Entrez !
Un homme aux cheveux sombres et aux yeux noirs pénètre dans mon nouveau sanctuaire. Droit, fier, altier, son allure m'inspire de la méfiance. Mais qui est-il ? Tout de noir vêtu, il me regarde comme si j'avais tapé son chiot. Rose, qu'as-tu fait pour te mettre cet homme à dos ? Je le dévisage, cherchant à savoir qui il est. Puis, je me gratte le sourcil afin de cacher mon ignorance. Sa mâchoire crispée, ses poings resserrés, il paraît mécontent. Mais merde à la fin ! Va-t-il parler ou se contenter de me regarder avec froideur et dégoût ?
Dansant d'un pied sur l'autre, j'engage la conversation en premier. Il est temps de briser la glace :
— Vous souhaitez une tasse de thé ? Il est au géranium. Elles poussent dans le jardin familial.
Je le sais car je l'ai lu dans le roman. C'est la boisson favorite de Rose. Je me sers une tasse dans le service en porcelaine stormaise et souffle dessus.
— Rose. On doit parler.
Ah bah enfin ! Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il reprend :
— Je sais que tu viens seulement de te réveiller. Mais j'attends ce moment depuis une semaine. Depuis que tu as quitté mon château, et mon lit, comme une voleuse.
Je crache mon thé et expulse la boisson florale sur cet homme certes sexy, mais probablement perché. C'est impossible, le roman d'origine n'en fait pas mention.
Il grimace et sort un mouchoir de sa cape noire. Il se tamponne délicatement pendant que je tousse et peine à reprendre le contrôle. Sa voix, un brin éraillé, provoque des roulis dans mon bas ventre. Rien à voir avec lui, c'est sûrement la conversation avec Annabelle qui perturbe mes sens. Je m'éclaircis la gorge et reprends contenance :
— C'est que ça ne devait pas être le feu. Il faut y aller pour me faire fuir. Nous ne sommes pas compatibles, ce n'est pas si grave.
Touché. Il stoppe le nettoyage de son vêtement pour m'observer. Le rouge colore son cou, puis atteint rapidement son visage. Le ton est acerbe quand il me lance :
— Ce n'est pas ce que vous disiez quand vous me tiriez les cheveux pendant que je vous prenais.
Coulé. Je me retiens de cracher une nouvelle fois ma tisane sur son beau vêtement. Pour une princesse, j'ai vraiment de mauvaises manières. Je hausse les épaules et prends un air nonchalant.
— Cela devait être un moment d'égarement. Je suis presque sûre d'avoir imaginé quelqu'un d'autre à votre place.
Que nenni ! Ce mec est un Apollon. J'ai dû crier tout mon soûl pendant des heures sous ses coups de reins et ses baisers. Du moins, je l'espère... J'imagine sa bouche contre ma peau, ses dents qui mordillent ma chair et son souffle contre mon oreille. Il me sort de mon fantasme érotique.
— Et là, c'est quoi ? Vous pensez à moi, j'en suis sûr. Là aussi, vous vous égarez ? Ce rose qui colore vos joues, votre poitrine qui monte et descend, vos yeux voilés... Vous êtes excitée.
Je baille faussement et exagère :
— Excitée à l'idée de dormir probablement. Vous m'ennuyez.
Non mais il se prend pour qui celui-là ? Il se croit sûrement irrésistible. Aucune nana n'a jamais dû l'envoyer sur les roses ! Je ricane toute seule face à mon jeu de mot pourri. Il est grand temps de mettre fin à cette conversation grotesque.
— Bon, qui que vous soyez, ce n'était qu'un nuit. Un moment d'égarement, une erreur, prenez-le comme vous le voulez. Moi, j'ai déjà oublié.
Il grogne, s'approche de moi avec ferveur et colère. À quelques centimètres de moi, je sens son souffle chaud contre mes lèvres. Mais je ne suis pas dupe. Il n'y a là aucun geste sensuel. Sa voix gronde et tombe comme le tonnerre :
— Ne me manque pas de respect Rose. J'en ai déjà bien trop encaissé. Quand tu manques de respect au prince, tu manques de respect à la couronne et au royaume de Thunder. En t'enfuyant comme une gamine capricieuse, tu as déjà remis en cause la réputation des Storm. Tu souhaites vraiment continuer sur cette voie ? Parce que je vais vous dire quelque chose, votre Majesté, on ne se moque pas de moi. Pas sans en subir les conséquences.
Il crache ça avec dédain, les yeux plus sombres que des trous noirs. Moi ? Je suis une flaque échouée sur le tapis de ma chambre. Je viens de fondre sous la réplique cinglante d'Asmodeo. Et pas de désir, hein ! J'essaye de me souvenir de la chronologie du roman. Rose devait mettre son plan à exécution, mais pas maintenant, il est trop tôt... À quoi ça sert d'avoir lu ce roman des milliards de fois s'il a cent coups de retard ? Frustrée, la colère prend le dessus. Je devrais fermer ma gueule et acquiescer mais je n'ai jamais été douée pour ça.
— Puisqu'on en est là, votre Majesté, réponds-je en effectuant une révérence ironique, sachez que quand on désire une audience avec un membre royal, on en fait la demande. On ne débarque pas la bouche en cœur pour l'insulter. Alors, que me vaut l'honneur de votre divine présence prince Asmodeo ?
Si je pouvais, j'aurais ajouté un "connard" à la fin de ma phrase.
— Je viens faire mon devoir. Je vous ai pris votre innocence, je prends donc mes responsabilités. Princesse Rose, héritière du royaume de Storm, épousez-moi.
J'avale ma salive de travers et tousse une fois de plus. Il est conscient de ce qu'il dit ? Ce n'est pas un mariage qu'il me propose, mais une simple formalité. On se marie et, hop, il aura accomplie son "devoir". Et mon cul, c'est du poulet. Mais il rêve !
— Asmodeo...
Il émet un bruit de gorge élégant et lève la main.
— Tu me feras l'obligeance de m'appeler par mon titre.
Il se fout de moi là ? Je tape du pied, énervée. Il l'aura cherché.
— Prince trouduc de Thunder, il est hors de question que je devienne votre épouse !
La colère sort par tous les pores de ma peau. Essoufflée, la rage dégouline de ma bouche et entretient celle du prince.
— Rose, réfléchis pour une fois. La réputation de ta famille sera ruinée.
— La tienne aussi.
Il se tend et me toise.
— Depuis quand es-tu si vindicative ?
— Depuis que tu me prends pour une vulgaire tâche à accomplir.
Il se gratte le menton. Chacun de ses mouvements, chacun de ses gestes sont empreints d'une grâce inégalable.
— Dans ce cas, je te propose un marché. Deviens mon épouse, pour un an. Une année et après, tu seras libre.
— Ce n'est pas suffisant. J'y gagne quoi, moi ?
— Thunder. Je t'offre mon royaume dans un an. Mais prend ton rôle à cœur, soit une souveraine et une épouse exemplaire pendant cette période cruciale. Et je te donnerai, sans contester, Thunder.
C'est quoi le dicton déjà ? Soit proche de tes amis mais encore plus de tes ennemis. Les mots sortent de ma bouche sans mon consentement :
— C'est d'accord Asmodeo. Marions-nous.
Fichue. Je suis fichue.
Sommes-nous destinés à reproduire les mêmes erreurs ?
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