Chapitre 1 : The Wayfaring Stranger
Loin dans l'horizon grisâtre du début d'après-midi, on pouvait voir la Custom House Tower qui s'élevait au-dessus de tous les autres bâtiments. Elle perçait les nuages de sa pointe acérée. « Boston sous la pluie ». Etait-ce une de ces images de cartes postales, un lieu commun dans ce pays ?
Arlette avait la tête penchée en avant, presque collée à la vitre embuée du petit café où elle avait trouvé refuge. La pluie s'était transformée en déluge.
La jeune femme avait imaginé un instant que cette averse serait la seule de la journée, comme un unique nuage porté par les vents marins, qui se désagrégeait malheureusement au-dessus de sa tête. Mais elle réalisait maintenant, alors que le ciel se faisait de plus en plus noir, que ce n'était que l'éclaireur d'un long cortège de cumulus partants à l'assaut du continent. Heureusement, elle n'avait pas à aller plus loin, c'était dans ce café qu'elle avait rendez-vous.
C'était une grande salle où l'on servait des repas chauds et du café à volonté, dans un décor de brasserie de luxe, avec de grands miroirs accrochés aux murs, des meubles en bois sombre et des lampes en cuivre aux abat-jour de velours. On pouvait facilement imaginer le faste et la luxure qui avaient animé les lieux une dizaine d'années auparavant. Des femmes avec des coupes de cheveux de garçonnes qui sirotaient leur champagne, des hommes affalés dans les larges fauteuils en cuir au fond de la salle.
A présent, il n'y avait plus entre ces murs qu'une atmosphère lourde, accentuée par l'amertume du café et les mines grisâtres du matin.
Arlette fixa la Custom House Tower et son énorme cadran qui lui donnait des airs de Big Ben néoclassique. La tour avait l'air bien plus lugubre sous la pluie. « 496 pieds de haut » lui avait dit le gardien à l'entrée. Il avait dû penser que la tour l'impressionnerait, elle la petite étrangère avec ses petites malles de voyage. En réalité, elle n'arrivait simplement pas à convertir ces « pieds » en système métrique. Les Anglo-Saxons semblaient toujours vouloir faire apparaître les choses plus grandes et conséquentes en utilisant des chiffres monstrueux, avec leurs pieds de longueur et leurs degrés Fahrenheit.
Finalement la tour de la Common House n'était pas aussi haute que les gratte-ciels qu'elle avait vus à New York, et bien moins encore que la Tour Eiffel. Et elle n'était pas particulièrement élégante.
La jeune femme était passée devant les autres bâtiments « anciens » de la ville, si on pouvait considérer les trois-cent ans comme d'existence de la ville comme de l'ancienneté. De la Trinity Church en passant par Bunker Hill, rien de tout cela n'évoquait la vénérable antiquité de la pierre. Tout ici lui semblait d'une modernité déroutante.
Au moins, elle avait déjà pris les couleurs du pays, pensa-t-elle en voyant les ombres spectrales de son visage dans la vitre. Son teint d'ordinaire rosé était devenu pâle comme le paysage, et ses grands yeux bruns s'étaient voilés derrière la fatigue.
La traversée de l'Atlantique avait été exténuante. Ses longs cheveux roux, asséchés par l'air marin, avaient à présent la dureté de la paille d'un balai. Les vêtements qu'elle s'était empressée d'acheter à son arrivée avaient déjà l'air défraîchis.
Elle se sentait ridicule et démodée avec sa jupe noire et son gilet de laine beige. Elle se trouvait des airs de vieille veuve austère au milieu des Américaines aux tenues colorées et aux jupes courtes.
Elle regarda à nouveau sa tenue dans son reflet et une idée la fit sourire. N'avait-elle pas l'air d'une de ces pionnières fraîchement débarquées, prêtes à partir à la conquête de l'Ouest, cherchant un mari et un lopin de terre, prêtes à franchir toutes les rivières pour faire fortune dans les villes de chercheurs d'or de Californie ?
Elle n'était peut-être pas vêtue comme les flappers qui dansaient le jazz à Harlem, mais ses vêtements seraient certainement plus appropriés lorsqu'elle devrait s'enfoncer dans les terres, tentait-elle de se rassurer.
Une pionnière... Cette pensée l'avait absorbée pendant des semaines avant son départ. Elle avait entendu tellement d'histoires d'Européens partis en Amérique pour devenir trappeur ou fermier. Toute sa traversée de l'Atlantique à bord du bateau avait été animée par ces récits.
Qu'allait-elle commencer ? Où allait-elle vivre ? Comment allait-elle gagner sa vie ? Dans sa petite cabine de bateau, elle avait pu prendre le temps de rêver, bien loin des dortoirs un étage plus bas qui pullulaient de migrants fuyant la misère et l'oppression politique.
Ce n'est qu'en débarquant à New York qu'elle avait réalisé le privilège qu'elle avait de pouvoir émigrer, entrer dans les quotas grâce à ses relations, alors que parmi tous ces gens qui avaient passé des jours enfermés sous ses pieds, la moitié d'entre eux allait être rejetée à la mer. Cette idée terrifiait la jeune femme. Que faisaient alors ces gens ? Repartaient-ils pour l'Europe, abandonnant tous leurs rêves et certains membres de leurs familles ?
Elle fixait l'eau qui tombait des gouttières comme un épais rideau assombrissant la rue. Dehors, les phares des autos ressemblaient à des feux-follet qui passaient aléatoirement dans les immenses rues géométriques. Elle n'avait jamais vu autant de voitures. Des Ford, des Chevrolet, des Austin, pour celles qu'elle reconnaissait. Et ce n'était encore qu'un bref aperçu de toute la démesure des Etats-Unis.
Elle en avait pris conscience lorsqu'elle s'était retrouvée devant une carte à la gare.
Elle s'était arrêtée devant le guichet et avait contemplé l'étendue du pays, imprimée sur le papier jauni. En entendant tous ces voyageurs parler anglais avec des accents différents, elle avait soudainement eu l'impression d'entrer entre les lignes tracées à l'encre grise du chemin de fer, de pénétrer dans ce monde qu'elle avait imaginé pendant des années. New York, Chicago. Elle lisait les noms sur la carte et entendait les chefs de gare annoncer les derniers trains partant pour des destinations lointaines.
Elle avait l'impression de pouvoir monter dans n'importe lequel. Qu'avait-elle envie de visiter en premier ? Le Grand Canyon ? Les chutes du Niagara ? Les Grandes Plaines ? Est-ce qu'elle verrait des bisons et des Indiens là où elle allait ?
Alors qu'elle s'était mise à rêvasser devant l'immense carte, ses obligations l'avaient rappelée à l'ordre, manifestées par les derniers appels pour le train de Boston. C'était de là qu'elle irait rejoindre sa véritable destination, le Maine. Elle avait regardé la petite pointe tout au nord-est du pays qui représentait cet Etat à la frontière avec le Canada français.
Qu'allait-elle trouver sur ce petit bout de carte où toutes les lignes ferroviaires semblaient s'arrêter seulement au centre du pays ? Y avait-il quelque chose au bout des lignes de chemins de fer ? Trouverait-elle des routes au-delà ? Des gens ?
Une serveuse s'approcha d'elle avec une cafetière brûlante.
— Café ? marmonna-t-elle.
— Je...eh... oui, s'il vous plaît.
Arlette la laissa remplir sa tasse en baissant la tête pour cacher son visage cramoisi. Elle avait du mal à comprendre l'accent local. Même après des mois passés en Angleterre, elle se retrouvait totalement désarmée dès qu'on lui parlait un peu vite. Il y avait trop d'empressement dans la façon de parler des Américains.
Ces gens étaient comme les autres, ils n'avaient rien de plus que ceux qu'elle avait rencontré de l'autre côté de l'Atlantique, et pourtant elle sentait que le dépaysement dont elle était la victime la poussait à les considérer avec plus de distance, comme s'ils étaient faits d'une matière différente à la sienne. Ils appartenaient à ce monde trop grand pour être réel.
Elle était grisée par cette sensation de vide et de grandeur. Boston et New York, pour commencer. Deux villes immenses, en plein essors, pleines de travailleurs, de commerces, grouillantes d'une effervescence créatrice, comme elle n'en avait jamais vu à Londres, à Viennes ou même à Paris.
Elle saisissait à présent le sens de l'expression « le Vieux Continent ». Il suffisait de se balader dans la rue à côté de Trinity Church et de suivre la rivière Charles pour voir tout le remue-ménage fourmillant que l'esprit d'entreprise américain avait fait de sa société. Ici, on pouvait écouter la radio partout en ville, téléphoner même chez soi, laver son linge dans de grosses machines d'acier blanc.
L'étrangère crut d'abord que la Crise n'avait jamais eu lieu dans les grandes villes, ou qu'elle n'avait pas encore frappé. Nul doute que cette nation saurait s'en remettre rapidement, avait-elle pensé en arrivant. Mais ce qu'elle vit plus tard lui fit regretter cette pensée optimiste.
En se baladant dans les rues de New York, on pouvait voir des familles entières errant dans les rues, des cadavres sur les berges et l'odeur nauséabonde d'urine et d'alcool fort qui putréfiait les embruns de l'océan. C'était comme si la rivière elle-même était un torrent d'alcool. Cela faisait pourtant des années que la Prohibition avait été instaurée.
Les Américains n'avaient-ils pas de sodas pour étancher leur soif ? Ou ce pays était-il peuplé uniquement de criminels prêts à tout pour contrarier la loi, même si cela impliquait de ne boire que du whisky frelaté du petit déjeuner jusqu'au souper ?
La jeune femme avait déjà vu tout cela. En trois jours. Rien qu'en pensant qu'il ne s'agissait là que d'un départ, que d'un aperçu, que New York et Boston n'étaient pas des destinations finales, elle se sentait prise de vertiges.
Elle leva les yeux vers les toits, à la recherche d'une éclaircie, et ne vit qu'une publicité placardée sur un mur, une famille de fermiers qui se tenaient de dos, contemplant une vallée verdoyante et un soleil qui irradiait la scène de ses rayons, avec en titre : « La Californie, terre de tous les espoirs ».
Arlette ne put s'empêcher de pousser un soupir las. Personne n'allait vers les beaux-jours de toute façon.
Le début de l'année 1930 avait été dur pour tout le monde, et le véritable hiver commençait bien. Cela faisait moins d'un an que les gens avaient commencé à perdre leurs biens, que les fermiers des plaines abandonnaient leurs terres balayées par les vents et la sècheresse pour partir vers l'Ouest. La Crise.
La jeune femme l'avait appris à Paris, en lisant un journal. Elle n'avait pas réellement compris les tenants du problème à l'époque. Maintenant qu'elle se trouvait sur la terre où le drame s'était produit, elle se sentait moins seule dans son ignorance. Pour certains, c'était la faute des immigrés, pour d'autres c'était celle des Juifs et des communistes, qui avaient certainement déjà infiltré le pays.
Le café se vida progressivement. Bientôt, il n'y eut plus que le barman derrière son comptoir, et Arlette sentit une angoisse morose s'installer rapidement en elle, comme une vieille amie qui revient brusquement demander des nouvelles. L'excitation des premiers jours se fondait progressivement en un sentiment d'abandon et de nostalgie. Tout cela était totalement fantasque, vraiment.
Si elle n'avait pas appris l'existence de son oncle dans la lettre de condoléances qu'elle avait reçu, jamais elle n'en aurait entendu parler autrement. S'il n'en avait pas fait sa seule héritière, jamais elle n'aurait pensé se rendre aux Etats-Unis.
Elle avait l'impression que tout cela n'était qu'une suite d'erreurs d'adresse... Et pourtant, au fond d'elle c'était ce dont elle avait toujours rêvé. Elle se mit à fixer le lierre qui poussait sur les briques rouges du bâtiment de style géorgien, de l'autre côté de la route, alors que la pluie faiblissait. Le café se vida progressivement
Un homme entra dans le café. C'était un vieillard vouté, boudiné dans ses vêtements tirés à quatre épingles. Ses petits yeux étaient dissimulés sous une épaisse broussaille de sourcils gris.
Il referma son parapluie et se dirigea vers elle pour lui serrer la main. Elle se leva au dernier moment et tendit la main fébrilement. Etait-ce l'homme qu'elle avait eu au téléphone ? Elle grimaça. Il avait une poigne de fer.
— Maître Brunner je suppose ?
— Exact, Miss Arlette Mangel ? Enchanté. Vous avez fait bon voyage ? Comment trouvez-vous notre beau pays ?
— C'est... très différent de la France, répondit-elle gênée.
L'homme prit un air agacé. Ce n'était qu'une question de forme, qui ne nécessitait pas autant de mots hésitants et mal prononcés. Elle sentit ses oreilles rougir de honte et baissa les yeux. Il n'aimait pas son accent français, comme beaucoup d'Américains semblait-il. C'était comme s'il y avait quelque chose de fondamentalement mauvais dans la simple négation du mot « Américain » pour certains d'entre eux.
Cela faisait trois jours que la jeune femme faisait de son mieux pour essayer de leur ressembler, de s'adapter à leur prononciation nasale. Elle avait beau essayer de se rappeler du ton, de la prononciation correcte, chaque fois qu'elle devait prendre la parole, ses mots retombaient dans la platitude monotone de sa langue natale.
L'homme s'assit en face d'elle en posant sa malette de cuir sur ses genoux. Il n'enleva pas son manteau et laissa son chapeau sur la table, s'apprêtant à repartir immédiatement.
— Hm, oui, très bien, éluda-t-il rapidement. Bon, vous savez chez nous, le temps c'est de l'argent ! et nous en manquons tous ici, je parle du temps ma petite, ne roulez pas des yeux comme ça ! Bon, bien.
Arlette resta pantoise, avec l'impression de devoir essayer de rattraper un train en marche.
—Excusez-moi, est-ce que vous pouvez répéter ?
Il haussa les sourcils dédaigneusement et reprit encore plus rapidement :
—Certainement pas ! Vous ne vous rendez pas compte ? Une affaire en amène une autre, et j'en ai encore beaucoup pour aujourd'hui. Parlons donc directement de ce qui vous amène ici. Vous passerez demain à mon office pour signer la paperasse et vous pourrez rejoindre votre prochaine destination aussi vite que possible. Je ne doute pas de votre impatience à découvrir votre nouveau pays et à vous installer plus confortablement.
Surprise, Arlette se contenta de hocher la tête, plus pour assimiler les informations que pour signifier son approbation. Elle avait du mal à suivre le débit de ses paroles en anglais.
Mais pourquoi abordait-il ces questions privées ici dans un café, et non dans son bureau à l'abri des regards ? Était-ce seulement légal ? Ou peut-être avait-il peur qu'on les écoute dans son propre cabinet ? Elle tourna légèrement la tête vers le comptoir et comprit que le barman avait disparu. Qu'est-ce qui était en train de se passer ? Le notaire reprit en sortant quelques papiers de sa mallette.
« J'ai préparé tous les documents pour la vente de l'entrepôt et du bateau de Nantucket comme vous me l'aviez indiqué dans votre lettre. Lorsqu'ils seront vendus et que j'en aurai prélevé ma commission, je vous enverrai l'argent. En ce qui concerne la maison à Richmond, la clef vous attend déjà là-bas. Le maire s'en occupera. Je vous remettrai vos droits de propriété après la signature, demain matin. »
Il marqua une pause, et se racla la gorge avant de poursuivre :
« Vous allez acquérir près d'un cinquième du comté en forêts et lacs, Miss Mangel. Le domaine a été nommé Pinewood en raison des pins argentés qu'on trouve encore dans ses hauteurs et qui en font un terrain très prisé.
Lorsque le maire de Richmond vous fera visiter, vous verrez certainement la vieille maison de chasse de Pinewood, qui n'a pas été occupée depuis au moins une dizaine d'années. Vétuste et insalubre, totalement inhabitable si vous voulez mon avis.
Il y a aussi cinq mille hectares de terrain, dont trois étangs, un lac, trois rivières, dont une prenant sa source sur votre montagne, le Mont Curtis. Votre oncle a aussi laissé une lettre scellée, soixante mille dollars américains et une horloge, qu'il tenait absolument à vous léguer. »
Le souffle coupé, Arlette tenta d'intervenir, elle essaya de répéter les chiffres qu'elle venait d'entendre. « Votre montagne ». Etait-ce simplement possible ? Posséder une montagne... Le notaire balaya sa surprise en levant la main pour l'empêcher de prendre la parole, comme si sa voix lui était réellement insupportable.
« Maintenant je dois vous poser une question sur l'avenir des terres que vous allez posséder, Miss Mangel. Vous devez comprendre qu'il n'est pas habituel qu'une affaire de propriété soit réglée si loin de la terre elle-même. Si vous aviez une idée précise du type d'exploitation que vous allez pratiquer sur votre terrain après votre arrivée, les procédures administratives dans votre comté d'adoption seraient plus simples... »
La jeune femme prit un moment avant de réaliser qu'il y avait là-dedans une question nécessitant une réponse rapide. Elle se sentait emportée dans un tourbillon de d'informations abstraites.
Combien représentaient cinq mille hectares de terrain ? Est-ce qu'on pouvait en dessiner les limites en regardant l'horizon ? Est-ce qu'il lui faudrait utiliser une longue-vue du haut de la montagne pour apercevoir sa maison ? Et combien représentait soixante mille dollars en francs ? Est-ce qu'elle était riche ? Est-ce que c'était assez pour vivre une année ? Elle n'en avait aucune idée. Elle se reprit soudainement, alors que les yeux du notaire la fixaient avec impatience.
—Je... Je ne suis pas familière de... La coupe du bois dans les forêts...
D'un revers de la main, l'homme chassa cette pensée et répondit d'un ton agacé :
—Exploitation forestière. Tâchez d'apprendre un minimum de vocabulaire. Vous ne devez pas être moins renseignée que votre oncle, croyez moi. En quinze ans, il n'a jamais construit la moindre scierie. A son décès, les acheteurs potentiels se sont rués à ma porte dès qu'ils ont vu que l'héritage était géré depuis Boston.
Votre oncle était un marin, il n'avait aucune notion de tout ce qui touche aux arbres ou à la chasse, il a acheté ces terres en pensant en faire un nouveau Yellowstone, une sorte de réserve je crois. Mais vous, Miss, vous venez d'une région boisée me semble-t-il, non ? Cela fait de vous une personne plus compétente que lui, par défaut je le conçois, mais plus compétente tout de même.
—Je ne suis pas familière de la gestion en général, Maître. Je ne sais même pas...
—Très bien, la coupa-t-il, nous dirons que vous cherchez des associés pour entreprendre l'exploitation...
—Ne peut-on pas vendre le terrain comme l'entrepôt et le bateau ?
Le notaire allait ajouter quelque chose mais il se figea brusquement. Il la fixa avec surprise. Est-ce qu'elle avait fait une faute de grammaire ? S'était-elle trompée dans la prononciation d'un mot, lui faisant dire une absurdité ?
—Est-ce que vous vous rendez compte de la valeur de ce terrain ? Vous allez le vendre pour une poignée de dollars à cause de la crise et le prochain à le posséder en fera l'une des plus grandes fortunes de la région ! Votre oncle a été spécifique dans son héritage. Vous pouvez faire ce qu'il vous plaît du bateau et de l'entrepôt, mais les forêts appartiennent aux Mangel et il veut que ce nom reste sur ces terres. Est-ce que vous n'allez pas respecter les dernières volontés de votre oncle ?
—Je... oui, je verrai bien, il y aura surement des gens qui savent s'occuper de ces choses-là sur place, lui concéda-t-elle, vaincue.
Rassuré, le vieil homme baissa la tête et lui tendit un papier.
—Oui... Vous trouverez certainement quelqu'un pour s'occuper de la gestion du terrain... Fort bien. Voici le règlement des droits de succession comme convenu. Si vous voyez une quelconque rature, veuillez me le signaler tout de suite avant que je ne le fasse corriger définitivement.
Elle survola rapidement le document et réalisa que l'anglais manuscrit lui était totalement illisible. Gênée, elle décida de lui faire confiance et lui rendit la feuille. Tout cela était si rapide, elle se redemanda si c'était réellement légal. Elle lui aurait bien posé la question, mais elle avait envie de partir, de quitter ce café étrangement désert et de passer à l'étape suivante. Le voyage.
—C'est bon, ça ira. Quand pourrai-je partir ?
—Il y a un train pour Portland qui part demain en fin d'après-midi. Vous y arriverez dans la matinée de mercredi et un chauffeur vous y attendra pour vous amener directement chez vous. Quelle heure est-il ? Déjà cinq heure ? Je vous laisse, on se voit demain matin à dix heure pour la signature.
Et sans rien ajouter, le petit homme se leva, la salua en lui serrant la main à nouveau et sortit sans lui accorder un regard. Est-ce que les affaires étaient toujours aussi expéditives avec les Américains ?
Arlette regarda autour d'elle. Le barman était réapparu, il essuyait inlassablement les mêmes tasses en regardant par la fenêtre d'un œil vide, comme s'il était resté là depuis le début. Toute la salle avait gardé son atmosphère lourde et somnolente.
Le notaire avait laissé derrière lui une impression étrange, comme si son empressement n'était que des remous dans l'eau, les agitations inutiles d'une cuillère en argent dans un café froid.
Arlette fini le fond de sa tasse et partit à son tour, abandonnant la chaleur de l'intérieur pour affronter la pluie et la foule de cette fin d'après-midi. Elle avait besoin de respirer et de réfléchir. Est-ce qu'elle allait vivre dans cette villa, à Pinewood ?
Elle tenta de s'imaginer des forêts et des lacs de montagne, comme ceux des Vosges où elle avait passé son enfance, mais étant donné la superficie du terrain, les lacs français seraient certainement minuscules en comparaison...
Et voilà, premier chapitre de Pinewood ! N'hésitez pas à me laisser votre avis !
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