Chapitre 5 | Partie 3: Hard Times Come Again No More


https://youtu.be/6SYwllZ6y08

ARLETTE

Arlette ferma tous les volets du rez-de-chaussée comme si elle s'attendait à recevoir à nouveau une visite indésirable et s'installa dans la cuisine pour blanchir le cresson. Elle n'en avait jamais mangé et n'avait aucune idée de la meilleure façon de le cuisiner. Betty lui avait parlé de pots et de vinaigre avec des crosses de fougère...

Le soleil disparu à l'horizon et les premières heures de la nuit défilèrent rapidement. Elle s'affairait à préparer des hameçons pour aller pêcher le lendemain lorsqu'elle entendit un hurlement à l'extérieur. Le bruit lui parvint comme une longue plainte qui résonnait dans la vallée. Elle pensa d'abord à un chien errant.

Elle leva la tête et tendit l'oreille. Quelqu'un criait, un homme d'après la voix érayée qui lui parvenait. Son sang ne fit qu'un tour. Pourvu que ce ne soit pas Joshua. 

Elle ouvrit un des volets du salon avec précaution et alluma la lampe extérieure. A à peine quelques mètres de la zone éclairée, de grands yeux luminescents la fixaient depuis les ténèbres.

Elle vit une chose à quatre pattes passer en trottant dans les herbes hautes. La bête devait faire un peu moins d'un mètre de haut...

—Mon dieu, ils sont énormes...

Elle était terrifiée. Ce n'était pas eux qui avaient hurlé. Elle entendait encore des cris venant des bois. Quelqu'un était en train de se faire attaquer là-bas. L'Acadien... Elle n'avait aucune idée de qui il s'agissait, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que cela pouvait être Joshua.

Non, c'était impossible, il était parti des heures auparavant... Il y eut une sorte de long silence à glacer le sang, avant que les cris ne reprennent. 

Il fallait qu'elle agisse, pensa Arlette, mais elle n'avait pas d'arme... Et il n'y avait personne d'autre qu'elle sur une dizaine de kilomètres. C'était à elle de le faire. Elle n'allait pas écouter les hurlements jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans le silence et la mort.

Elle prit la décision de sortir. Elle saisit le bâton qu'elle s'était taillé pour la marche, imbiba un torchon dans l'huile de friture et enfila son manteau. Un coup de feu retentit dans la forêt. La jeune femme sentit son souffle se faire plus court alors que la peur serrait sa gorge.

Les yeux autour de la maison disparurent. Mais elle entendait toujours les hurlements lointains de l'homme qui luttait pour vivre. Elle sortit et referma la porte à clef derrière elle.

Elle alluma la torche faite du torchon et du bâton avec une allumette et partit en direction des cris qu'elle entendait, à l'autre bout du pré. 

Les chiens s'étaient regroupés, il y en avait bien plus de dix. Et certains n'avaient rien de chiens-loups, ils ressemblaient plus à des chiens de garde aux mâchoires courtes et aux museaux écrasés.

Ils s'étaient mis à trotter autour de la jeune femme, excités par le feu. Ils n'avaient pas peur d'elle ou du feu comme elle l'espérait. Ces bêtes n'étaient pas sauvages, elles étaient corrompues. Elles avaient connu les chaînes, les coups, la faim et la méchanceté des hommes. 

Arlette arriva à l'orée du bois. Les bruits venaient d'un peu plus loin. Il fallait qu'elle entre dans la forêt au milieu des molosses qui étaient en train de se rapprocher en grognant.

Arlette sentit la peur raidir ses mouvements. Les arbres trop proches les uns des autres l'empêchaient de mouvoir correctement sa perche enflammée. Elle marcha en ligne droite, agitant son arme du mieux qu'elle pouvait pour faire fuir les bêtes qui approchaient.

C'était la première fois qu'elle voyait des canidés aussi gros, en si grand nombre, et d'aussi près. Elle avait l'impression qu'ils dansaient plus qu'ils ne marchaient. Lorsque l'un deux disparaissait dans son dos, un autre apparaissait sur son flanc en trottant, la langue pendante.

Alors qu'elle avançait précautionneusement entre les fougères, elle remarqua soudainement un objet noir au sol, couvert de sang. Un manteau. Un chien se rapprocha en la voyant s'arrêter et elle agita sa torche pour l'éloigner.

Elle saisit rapidement le manteau et sentit le contact lourd et froid d'une arme. L'homme avait dû être aux prises avec un des chiens et avait dû abandonner la couche supérieure de ses vêtements, avec un revolver encore chargé. 

En saisissant l'arme, Arlette se sentit un peu rassurée. Elle perçut une ombre dans son dos et se retourna brusquement, sa perche frappant de plein fouet un gros chien gris qui s'était approché trop près. La bête s'éloigna en couinant.

Elle entendit alors les cris qui commençaient à perdre de leur intensité. Elle se mit à courir en tenant son bâton en avant. Les taches de sang au sol étaient de plus en plus grandes, se mêlant à la mousse d'un vert foncée. Elle arriva en face d'une pente au bas de laquelle elle pouvait voir un homme luttant avec deux bêtes.

Ce n'était qu'un vieillard courbé à la longue barbe grise. Il avait été mordu au cou et combattait avec un couteau de chasse qu'il agitait pour tenter de repousser ses assaillants. Sans se poser de question, Arlette retira le cran de sûreté du revolver et tira dans la direction des chiens, assez loin de l'homme pour ne pas le blesser. 

Le premier molosse recula. 

Elle s'avança en brandissant la torche et il détala, mais le deuxième, une énorme bête noire, avait solidement attrapé la jambe de l'homme et ne le lâchait plus.

Elle sauta en bas de la pente et frappa l'animal avec son bâton. Sa fourrure se mit à empester le brûler mais il n'en mordit que plus fort. L'homme poussa un cri. Il allait lui rompre l'os. 

Arlette pressa la détente et tira dans l'épaule du chien. Il tomba sur le flanc en couinant, tandis que l'homme lui assénait un coup de pied pour se dégager. Elle entendit les grondements de la meute qui approchait. Les cris de l'homme s'étaient transformés en gémissements.

Elle vérifia le barillet. Il restait quatre balles. Quatre balles pour la cinquantaine de mètres jusqu'au pré, plus la centaine de mètres qu'il leur restait à parcourir avant de retrouver la sécurité des murs de Pinewood. 

La torche n'était pas encore trop consumée. Elle pourrait encore compter sur cette arme primitive. Elle saisit l'homme dont le visage était couvert de sang et passa son bras par-dessus son épaule.

—Vous pouvez marcher ? boiter ? Dépêchons-nous !

Arlette le souleva et il s'appuya sur elle pour poser sa jambe encore valide au sol. Il fallait remonter cette pente... Les chiens approchaient de plus en plus, aboyant sans cesse. Elle avait à présent un bras occupé et l'homme perdait beaucoup de sang à la nuque.

Elle concentra toutes les forces en sa possession pour courir jusqu'en haut de la pente, forçant le blessé à clopiner à ses côtés.

Elle vit un chien-loup sur sa droite qui s'apprêtait à bondir alors qu'ils étaient juste arrivés au sommet et elle tira dans sa direction, du bras qui soutenait l'homme et tenait le revolver en même temps. La bête disparut derrière des fougères.

Le blessé n'arrivait pas à tenir le rythme. Il manqua de s'écrouler deux fois, mais Arlette ne perdit pas espoir. Ils cavalèrent entre les racines et les branches. Elle vit alors les lumières de son perron au loin, entre les arbres.

Le sentiment de se rapprocher enfin de la maison lui redonna de l'énergie. Elle resserra sa prise sur l'homme et agita le bâton avec plus d'ardeur, frappant parfois contre un buisson ou un arbre, tandis qu'elle sentait les ombres des chiens qui les suivaient à distance. 

Lorsqu'ils arrivèrent au pré, elle se retourna et tira une deuxième balle vers la forêt, pour disperser les bêtes.

L'homme reprit certainement courage en voyant la maison car il accéléra, même s'il respirait de plus en plus difficilement. Il fallait encore qu'elle ouvre la porte et la referme avec le blessé, la perche enflammée et le revolver en main.

Elle marchait rapidement vers la maison, sans regarder autour, lorsqu'elle vit au dernier moment une sorte de pitbull jaillir d'entre les herbes et lui sauter à la jambe. Le contact des crocs dans sa chair lui fit l'effet d'une balle incandescente qui lui transperçait la peau. Elle tomba en avant avec l'homme.

Les chiens allaient se jeter sur eux. Ils n'en avaient plus que pour quelques secondes. Mais le vieillard se releva plus rapidement qu'elle et saisit son revolver pour tirer en plein dans la tête du chien. L'animal tomba raide mort.

Le blessé remit immédiatement une main contre son cou. Il se releva de lui-même, presque miraculeusement, et aida la jeune femme à se remettre debout. Sa jambe lui faisait atrocement mal. Mais les autres bêtes étaient toujours là, leurs yeux scintillant à quelques mètres d'eux, stoppés par la peur alors qu'un des leurs avait été réduit au silence.

Les humains se remirent à courir, relançant la traque. Ils réussirent à atteindre la porte et Arlette l'ouvrit rapidement, tandis que le vieillard tenait les loups en respect avec la torche.

—Balancez-la sur la route, lui cria-t-elle alors qu'elle entendait le cliquetis de la serrure.

Ils entrèrent en à peine cinq secondes, et la torche qui vola sur le chemin de terre fit reculer les chiens. Elle referma derrière elle à double tour et s'éloigna de la porte en entendant le bruit de pattes qui grattaient le bois.

L'homme tomba sur le sol, une mare de sang se répandant rapidement autour de sa tête et de sa jambe. Arlette boita jusqu'à l'armoire près de la cheminée et en sortit des torchons. Elle en noua un autour du cou de l'homme, un autre à sa jambe.

En touchant la plaie qu'il avait au tibia, elle se rendit compte que son os avait été touché. Elle n'avait aucun moyen de le nettoyer proprement. Si la plaie s'infectait, c'était la gangrène assurée.

Si seulement elle avait eu une voiture, ou un flacon d'eau de Dakin pour le désinfecter... Il fallait qu'il tienne la nuit. Et espérer que quelqu'un vienne le lendemain matin. 

Elle regarda sa propre jambe. Le chien n'avait pas eu le temps de s'acharner, il n'y avait que la marque des dents, mais la douleur était déjà assez forte pour la faire boiter.

Elle fit de son mieux pour remplir une casserole d'eau et la mit sur le feu. Le temps qu'elle chauffe lui parut durer une éternité. Elle entendait les gémissements de l'homme dans le salon, impuissantes, en attendant que l'eau soit assez chaude pour stériliser le reste de ses torchons.

Elle lava sa propre blessure à l'eau et au savon, rinçant son torchon dans une autre bassine d'eau. Puis elle traîna du mieux qu'elle put l'homme blessé près du comptoir et nettoya ses plaies. Celle au niveau du cou était large, et même si le chien n'avait pas atteint l'artère en s'attaquant à la nuque, elle saignait abondamment.

Arlette se leva en tremblant pour s'accouder sur la table où elle avait organisé son matériel de pêche. Elle n'irait pas au bord de l'étang le lendemain, pensa-t-elle avec ironie. 

Elle prit son hameçon le plus fin et étudia un instant sa pointe brillante à la lumière de la lampe. 

Elle allait devoir le recoudre. Et vite. Dehors les chiens aboyaient autour de la maison. Mais quel diable pouvait habiter ces animaux pour qu'ils s'acharnent autant sur eux ? C'était un vacarme assourdissant qui l'empêchait de réfléchir.

Elle sentait sa vision se troubler sous l'effet de la douleur et de la fatigue. Mais elle ne pouvait laisser cet homme se vider de son sang sur le plancher. 

Il la fixait d'un regard vitreux, gémissant. Elle amena une lampe torche qu'elle colla entre son épaule et sa joue en penchant la tête et découpa la barbe trop longue de l'homme pour libérer son cou.

A la faible lumière électrique, elle planta son hameçon dans la nuque du blessé. Il serrait les dents en retenant ses gémissements, mais pas plus lorsqu'elle le piquait. Ce ne devait pas être la douleur la plus insoutenable à côté de sa jambe cassée. La blessure était si large qu'il lui fallut faire plus de dix points de suture au fil de pêche pour la refermer.

Elle lui serra à nouveau le cou avec un torchon pendant qu'il la regardait faire, incapable de parler. Il avait le visage émacié et grêlé sous sa barbe d'un homme ayant vécu la faim et la maladie. Ses yeux bleus renvoyaient des éclairs d'acier dans la lumière blafarde.

Il lui fallut un peu de temps pour se calmer après l'opération. Il respirait bruyamment en écoutant les chiens dehors. Il sembla à Arlette qu'il se préparait à l'Enfer avec résignation. A chaque aboiement, son corps se crispait un peu plus, jusqu'à ce que ses bras couverts de morsures s'agrippent aux planches du salon.

Vers trois heure du matin, il s'endormit ou tomba dans un état d'inconscience. Arlette n'avait plus la force de vérifier, mais il respirait toujours. 

Elle resta assise à même les planches imbibées de sang, écoutant les chiens qui rôdaient et se battaient entre eux juste là, dehors, à seulement un mur d'écart. Ils aboyaient comme s'ils étaient animés par le démon en personne.

A plusieurs reprises, elle crut entendre des chants diaboliques, leurs hurlements se mêlant au bourdonnement dans sa tête. Trop fatiguée pour bouger, trop terrifiée pour dormir, elle compta les heures en guettant le lever du jour. C'était à peine si elle pouvait occuper ses pensées de questionnements.

Elle aurait aimé avoir assez d'énergie pour se demander si cet homme allongé-là était l'éleveur de chiens qui avait perdu sa cargaison, ou un de ceux employés pour les rattraper, comme Joshua l'avait dit. Mais elle n'y arrivait pas. Les liens logiques, les souvenirs et les pensées complètes ne voulaient pas s'articuler dans son esprit.

Les chiens partirent vers cinq heure du matin, comme des monstre ayant fini leur sabbat. Une heure plus tard, alors que l'aurore perçait à travers les volets fermés, une voiture passa devant la maison. En entendant le moteur qui s'arrêtait, Arlette eut l'impression d'être enfin délivrée d'un cauchemar.

Elle pensa immédiatement à Louis et tenta de se relever, mais tout son dos s'était raidi d'avoir passé autant de temps dans une position aussi inconfortable. Sa jambe blessée ne voulait plus la porter, et l'autre était bloquée par la tête de l'homme qui était toujours allongé au sol dans la mare de son propre sang.

Derrière la porte, Louis tenta d'ouvrir plusieurs fois. Puis la jeune femme entendit qu'il essayait d'enfoncer la porte. Elle allait lui crier d'attendre une minute qu'elle se lève, puis elle réalisa qu'il n'avait ni toqué comme à son habitude, ni sonné à la cloche. Il n'avait même pas essayé de l'appeler avant de commencer à forcer la porte. 

Ce n'était pas Louis. Il ne serait pas revenu avant la fin de la journée. Et qui pourrait bien passer la voir à six heure du matin sans s'annoncer ?

Rapidement, elle se pencha pour saisir le revolver de l'homme et regarda dans le barillet. Une balle. Elle serra l'arme et la pointa vers la porte sur laquelle on frappait avec une force qui faisait crisser les battants.

—Qui est là ? cria-t-elle d'une voix qui n'arrivait plus à se faire forte.

—Arlette, c'est moi ! entendit-elle soudainement.

Betty.

— Reste pas là, grogna une voix connue.

Arlette entendit un déclic mécanique. Brusquement, la serrure de la porte explosa, faisant voler du bois dans toute la pièce. Elle se protégea le visage et celui de l'homme allongé sur elle en le couvrant de son bras. La porte claqua contre le mur et la lumière entra dans le salon.

La tête de Betty qui essayait de regarder à l'intérieur apparut en premier dans l'entrebâillement de la porte. La deuxième chose que vit la jeune femme fut un fusil à double canon, un de ceux de l'épicier, puis ses yeux remontèrent le long du canon jusqu'à la personne qui se tenait au bout du fusil. 

Elle hoqueta de surprise. Le contrebandier.



Holy crap ! Le contrebandier ? Et Louis dans tout ça ? Que pensez-vous qu'il va arriver à notre malheureuse Arlette ?  

Prochain chapitre :



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