Chapitre 3 | Partie 2: Gospel Plow

ARLETTE

Vers une heure de l'après-midi, ils arrivèrent à Richmond. Après avoir passé trois petites montagnes aux forêts de pins surmontées de grands rochers blancs, ils virent les champs et les fermes qui devenaient plus fréquents le long de la route. Ils passèrent un pont de bois couvert au-dessus d'une vaste rivière aux eaux claires et peu profonde, entourée d'aulnes, de bouleaux et d'ormes noirs. Puis ils arrivèrent finalement en ville. C'était plus une petite bourgade qu'une ville, en contrebas des collines avoisinantes, suivant le cours de la rivière.

Il n'y avait que trois-quatre commerces, un médecin, une épicerie, une banque et un marché au grain qui était fermé. Aucun des bâtiments n'était fait de briques, hormis l'église qui était construite au bout de l'allée centrale.

Il y avait dans cette ville quelque chose qui rappelait le Far-West. Elle semblait avoir été plantée là comme on plante une tente, servant de camp de base pour quelques pionniers. Le sol de terre battue était jonché de copeaux de bois, signalant les scieries qui devaient être un peu plus haut, suivant le cours de la rivière.

Louis stoppa l'auto en face d'un grand bâtiment de bois blanc sur lequel le drapeau étoilé flottait fièrement, annonçant la mairie. Impatient, le garagiste bondit presque hors de la voiture et s'avança à grand pas vers la mairie, alors qu'Arlette n'était pas encore sortie.

Un homme en veste canadienne ouvrit la porte et le salua, lançant des regards par-dessus son épaule, cherchant la nouvelle arrivante du regard. La jeune femme émergea timidement de la voiture. La rue était presque déserte, il n'y avait trois hommes en chemise assis sur les planches de bois à l'angle de la rue qui la regardaient et une femme qui sortait de la boutique affichant « médecin-dentiste-pompes funèbres ».

C'était ses premiers instants à Richmond, Arlette tâcha de s'en souvenir comme si elle écrivait les premiers mots d'un cahier vierge. C'était en réalité un spectacle d'une simplicité morne et sans intérêt, mais vertigineux de nouveauté aux yeux d'une immigrée.

Elle se retourna vers la mairie et s'aperçut qu'à présent trois hommes l'attendaient sur le perron. Louis, celui vêtu d'une canadienne qui avait ouvert la porte et un troisième homme corpulent à la moustache longue grisonnante, portant une tenue blanche qui aurait mieux convenu à un dimanche de baptême.

Elle s'approcha pour les saluer. Celui en canadienne était agent du maire, il s'appelait Vernon Dumont. Il y avait dans ses yeux quelque chose de triste, une façon de regarder les gens fixement sans détourner le regard et avec dédain qui mettait la jeune femme mal à l'aise.

Le deuxième n'était autre que le maire lui-même, Gerald Elliot. Il donna immédiatement à Arlette l'impression d'un aristocrate de campagne qui se prenait pour le roi d'Angleterre, jugeant tout ce qui lui appartenait en se penchant du haut de son titre.

Il félicita immédiatement la jeune femme pour son acquisition et commença à parler de l'exploitation des forêts, des scieries aux environs et de la renommée de la région pour sa tarte aux myrtilles. Elle n'écouta son discours d'introduction à lui-même que d'une oreille, en cherchant discrètement du regard des signes de vie de chaque côté de la rue.

Peut-être les habitants étaient-ils tous chez eux ou dans leurs prés à cette heure-ci. Elle avait envie de rencontrer les gens du cru, bien plus que les politiciens du comté. Tout ce qui intéressait Elliot, c'était les centaines d'hectares de terrains dans sa circonscription qui allaient maintenant lui rapporter des taxes et amener des travailleurs.

Heureusement pour elle, le maire dut s'absenter un instant pour aller chercher les clefs de la villa de Pinewood. Il la faisait vérifier une fois par mois pour éviter les squatteurs. N'ayant plus très envie de faire la conversation avec Louis devant le regard froid de l'adjoint Dumont, elle se tourna vers la rue. Il y avait une jeune fille qui sortait de l'épicerie en tenant un sac de papier dans ses bras. Arlette plissa les yeux pour l'observer.

Elle avait des cheveux noirs et lisses qui tombaient devant son visage malgré son chignon. Sa robe et son chemisier étaient en coton très simples mais sa démarche donnait l'impression qu'elle dansait avec, donnant de la grâce à sa tenue modeste. Elle s'arrêta au milieu de la rue en voyant Arlette et changea de direction pour se diriger vers elle d'un pas sûr. Elle affichait un grand sourire, qui faisait remonter ses pommettes pâles. Elle plaça une main sous son sachet et tendit l'autre vers la jeune femme, presque trop tôt avant d'arriver à sa hauteur.

—Vous êtes la Française ? Betty Richter, enchantée !

Ses grands yeux s'étaient mis à briller en prononçant le mot « Française ». Elle ne devait pas avoir plus de seize ans. Elle transportait dans son sillage une légère odeur de foin, de terre et de cigarette. Une fille de fermier à n'en pas douter. Ses yeux et ses cheveux noirs virant au brun sur le bout des mèches laissaient penser qu'elle devait avoir un parent amérindien.

Elle semblait animée d'une gentillesse et d'une naïveté toute candide. Arlette lui sourit et prit sa main pour la serrer. Était-ce donc de cette façon qu'on s'annonçait dans ce pays ? Ce n'était pas aussi difficile que ce qu'elle s'était imaginé.

—Enchantée Betty, moi c'est Arlette, Arlette Mangel. Je viens d'arriver.

Le sourire de l'adolescente se figea lorsqu'elle entendit son nom de famille et elle dû se reprendre pour ne pas rester paralysée.

—Ah, vous... allez prendre le terrain au nord ?

Le maire réapparut à l'entrée, tenant dans ses bras une carte de la région et d'autres documents. Arlette se tourna à peine vers lui. Quelque chose n'allait pas avec cette Betty, mais elle n'avait pas le temps de continuer la conversation pour en apprendre plus.

—C'est exact, tu habites ici ?

—Oui, on a la ferme juste avant vos forêts, répondit-elle plus timidement.

Rapidement, Arlette lui serra à nouveau la main, plus énergiquement, pour lui témoigner de l'affection et la rassurer. Cette Betty semblait vraiment mal-à-l'aise. Peut-être avait-elle déjà fait un faux-pas, dit quelque chose d'inconvenant, ou oublié une partie du protocole pour saluer une personne dans ce pays.

—Alors nous sommes voisines, j'espère avoir l'occasion de te voir plus souvent !

Le malaise qui envahit Betty fit place à de la surprise, puis un sourire naquit à nouveau sur ses lèvres. Voyant que ses mots avaient de l'effet sur l'adolescente, Arlette continua :

« N'hésites pas à passer une fois que j'aurai arrangé l'endroit, tu seras la bienvenue. »

La jeune fille balbutia un mot de remerciement troublé et fit demi-tour, d'un pas mal assuré d'abord, puis sautillante comme un cabri. Arlette la regarda s'éloigner en souriant.

Betty était en réalité envahie de bonheur. C'était trop beau pour être vrai. Une grande dame venue de France la prenait pour son égale et l'invitait chez elle. Elle, la fille qui ressemblait à une Indienne. Elle avait à peine entendu parler d'une nouvelle arrivante à l'épicerie que déjà elle la rencontrait et s'en faisait une amie. Elle rentra chez elle persuadée que c'était la meilleure journée de sa vie.

Que pensez-vous de Betty ? Une future amie ? Que cache-t-elle donc ? La suite dans le prochain épisode ! 

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