Chapitre 28 | Partie 1 : La Prière des Ruines
Il y eut une nouvelle tombe à Pinewood, juste à côté de celles de Joshua et de Mickey. On passa les jours restants avant la nouvelle année à remettre en ordre ce que Walter et ses hommes avaient pu saccager.
Des coups de marteaux et le grincement des scies perturbèrent le silence de la forêt pendant quelques jours, puis tout redevint calme. L'auberge resta fermée encore quelques jours après la nouvelle année, comme si le passage de 1930 à 1931 s'était avéré plus difficile que prévu.
Lorsque Pinewood rouvrit ses portes au public, l'ancien salon dans lequel les clients mangeaient avait refait à neuf. Les décorations de Noël avaient disparues et un béret solitaire pendait au porte-manteau, attendant un propriétaire qui ne reviendrait jamais.
L'absence de Kenneth avait creusé un trou profond dans le cœur d'Arlette. Elle avait perdu l'ami avec lequel elle sortait dans les bois, avec qui elle pouvait discuter sans compter les heures.
Elle avait d'abord passé du temps à s'imaginer tout ce qu'elle aurait pu faire pour lui venir en aide, les choix qu'elle aurait dû faire, les choses qu'elle aurait dû dire, puis elle avait accepté que rien ne pouvait plus changer la réalité. Elle avait maintenant Henry, Betty et les Irlandais à Pinewood pour réchauffer son cœur.
Dès que l'état de la route lui permit d'aller en ville, Arlette acheta une petite radio. Elle la posa sur le comptoir pour pouvoir être enfin avertie des tempêtes de neige et écouter la musique des Appalaches dont parlait souvent Henry. Elle découvrit l'Amérique le long du chemin de fer qui menait en Californie dans les nouvelles qu'en donnaient les speakers aux voix saturées de grésillements.
La radio attira Devin qui passait à présent la plupart de son temps à l'auberge avec Jim. Ils restaient devant la cheminée, fabriquant des hameçons et réparant les pièges à castor, tout en écoutant les émissions humoristiques de l'après-midi.
Margaret repartit dans le sud pour tenir son auberge avec Danny et sa famille, sans emporter Paddy dans ses bagages. Il avait finalement refusé d'abandonner Pinewood après la disparition de Kenneth. Il se disait prêt à retourner travailler dans la forêt.
En vérité c'était surtout qu'il en avait besoin. Il avait besoin de retrouver les arbres et la nature, là où il serait au plus proche de son ami. Il avait pris son matelas et l'avait ramené à l'étable où ne vivaient plus que lui et Ronald.
Les marques de la présence de Joshua, Mickey et de Kenneth imprégnaient tellement l'atmosphère de leur dortoir qu'ils se mirent à dormir avec les chevaux, ne montant même plus les échelles. Ils attendaient seulement la fonte des neiges pour construire leur propre maison.
Lorsqu'ils partaient travailler avec John et Charles, le matin, il arrivait qu'ils attendent quelques minutes de plus avant de prendre le chemin de la rivière, comme s'ils gardaient l'espoir que les membres de l'équipe absents puissent apparaître d'une minute à l'autre, revenant d'un lointain voyage pour reprendre avec eux le chemin des bois.
La jeune Eva vint à l'auberge quelques jours après l'enterrement, pour poser des questions à Arlette, puis elle ne réapparut plus jamais dans le comté. D'après ce qu'avait compris la Française, elle n'avait pas très bien connu Kenneth, et c'était peut-être mieux ainsi. Son deuil ne devrait pas être trop dur. Henry avait entendu dire que c'était à l'origine une Newyorkaise qui avait essayé d'obtenir un poste de maîtresse d'école à Richmond. Finalement, elle était partie dans le Vermont, emportant avec elle les souvenirs d'un homme secret.
Il n'y avait plus de menace à craindre dans le comté, si ce n'était les fédéraux et leur brigade anti-alcool. Les loups aussi semblaient avoir cessé de hanter les bois du Maine. Ils étaient probablement repartis vers le nord, laissant les collines et le mont Curtis dans le silence de l'hiver.
Louis avait définitivement quitté les Etats-Unis d'après Wojtek, et le Bureau d'Investigation s'était désintéressé du comté de Richmond immédiatement après que le Polonais ait obtenu les témoignages dont il avait besoin.
Officiellement, les « incidents », qui s'étaient produits dans le comté, avaient conduit à la mort du chef de l'un des plus grands gangs de la frontière, et à l'arrestation de plusieurs membres d'une organisation secrète, dont le sénateur du Massachusetts.
C'en était presque trop gros, trop incroyable pour qu'on y croie. Les gens de Richmond prêtaient plus facilement foi à l'idée d'un règlement de compte entre gangs, et tout ce qui les intéressait était de savoir Walter définitivement six pieds sous terre. Certains fermiers superstitieux avaient même demandé à voir le corps.
Du reste, les grandes manigances politiques et les histoires de ventes d'armes ne les intéressaient guère. La crise qui ravageait le pays laissait peu de place pour les considérations morales dans l'esprit des gens. Il fallait s'en sortir, coûte que coûte.
Arlette le ressentit rapidement. Elle dû baisser ses prix deux fois au cours de l'hiver pour conserver ses rares clients. Elle était à l'abri du besoin grâce à l'argent que lui avait laissé son oncle, mais elle préférait le garder en cas de véritable nécessité.
Elle hésitait à présent à faire quoi que ce soit avec cet héritage sale qui lui avait déjà tant coûté. Peut-être n'en avait-elle pas réellement besoin au final. Les revenus de l'auberge et du bois semblaient lui suffire pour vivre. Et puis, elle n'était pas seule. Elle avait les habitants de Pinewood, elle avait Henry.
Depuis le début du mois de janvier, le contrebandier venait à Pinewood tous les jours, à l'aube, puis le soir lorsqu'il rentrait de ses longues journées en extérieur. Il passait tout son temps disponible avec Arlette pour lui apporter son soutien. Ils restaient ensemble les premières heures du matin pour s'enlacer et discuter de leurs projets.
Les temps n'avaient jamais été aussi durs pour tout le monde, et pourtant, ils n'avaient jamais eu autant d'ambitions. Après ce qu'ils avaient vécu, ils se sentaient capable de tout. Malgré l'aide des Fitzgerald, Henry s'était remis à la distillation pour joindre les deux bouts. Il devenait évident que la Prohibition ne pourrait bientôt plus durer. Il y avait trop de victimes de la crise et de l'alcool de mauvaise qualité.
Tôt ou tard, le gouvernement serait obligé de ré-autoriser la vente de spiritueux, et peut-être même la production de ceux-ci. Le bootlegger espérait pouvoir ouvrir une véritable distillerie de whisky du Maine une fois que cette folie aurait pris fin.
De son côté, Arlette voulait créer un sentier remontant jusqu'au Mont Curtis et engager une équipe de forestiers pour aérer les bois. Elle avait assez appris de Joshua pour savoir quel arbre couper sans trop nuire à la forêt, mais elle invitait souvent Jim et les amis gardes-chasse de Devin pour en apprendre plus sur les bois du Maine. Elle voulait faire de Pinewood un exemple de gestion forestière sur le long-terme.
Elle ne rêvait pas de voyages de retour en Europe et encore moins d'aventures comme elle en avait vécu ces derniers mois. Le seul lieu où elle voulait retourner, c'était l'île des Monts Déserts et le phare de Bass Harbor, là où elle avait découvert l'autre visage du Maine. Il devait y avoir tellement d'autres produits là-bas qu'elle pourrait utiliser pour raffiner un peu plus sa cuisine, et puis il y avait ce gardien de phare qui lui rappelait Joshua...
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