Chapitre 27 | Partie 3: Follow The Drinking Gourd
ARLETTE
Ils partirent rapidement, chevauchant vers l'ouest, jusqu'aux routes de montagnes qui descendaient vers Pinewood. Wojtek qui montait un cheval trop petit pour lui semblait être le seul de la compagnie à vouloir troubler le silence de la forêt en discutant avec le contrebandier et la Française.
Il s'approcha d'eux pour ouvrir la conversation à plusieurs reprises, mais à chaque fois Arlette lui lançait un regard noir et écartait sa monture. Elle avait mieux à faire qu'écouter cet homme insipide lui révéler les ficelles de toute l'opération dont elle s'était retrouvée la victime.
Cela faisait des mois qu'elle était piégée par son oncle, des années qu'elle l'avait été par Paula, et elle apprenait avec amertume que Louis qu'elle s'était résignée à considérer comme un ennemi était en vérité bien pire que ça.
C'était un étranger, qui avait attendu qu'elle fasse une erreur, comme le Diable tentateur. Ses avertissements obscurs lui semblaient maintenant dérisoires en comparaison de la violence avec laquelle les évènements lui étaient tombés dessus. Comment pouvait-il oser prétendre l'avoir aidé ? Elle sentait l'angoisse qui ne la quittait plus se transformer en véritables douleurs abdominales. Qu'allait-il leur arriver à présent ?
—Arlette, je peux te parler ?
Elle sursauta. Chevauchant à présent à côté d'elle, Louis la regarda d'un air grave. Elle talonna sa monture et ils partirent tous les deux en avant.
—Ecoute, on n'est pas venus chercher des bootleggers et des accusations de communisme ridicules si c'est ce qui vous inquiète. Je n'ai pas de charges contre vous. Tu as fait les bons choix Arlette. En détruisant la mine et en refusant la proposition de Prosper, tu t'es innocentée toute seule.
Elle sentit une sorte de soulagement emplir soudainement son cœur. Tout cela n'avait donc pas été vain. Est-ce qu'ils étaient libres ? Pour de bon ? Elle avait du mal à le croire. Mais à quel prix avaient-ils obtenu cette liberté ? Elle repensa à Devin et Kenneth qu'ils avaient laissé dans les collines.
—Si on vous parle de tout ça, c'est parce que nous aurons encore besoin de votre aide pour finaliser l'enquête, ajouta-t-il, des témoignages sur Prosper et Fowler surtout, et ce que tu as pu entendre en Europe.
— L'Etat ne veut pas récupérer la mine alors ?
— Pas pour l'instant, répondit Louis.
—Pourquoi est-ce que tu ne m'as prévenu immédiatement pour Fowler et la mine ?
—Parce que tu venais de passer deux ans avec une membre de son organisation, Paula. Et que lorsque tu es arrivée à Pinewood, tu as immédiatement décidé d'y vivre.
—Ce n'était pas à cause de Paula...
—Je le sais maintenant. Ensuite, après que tu te sois alliée avec les Richter, je ne pouvais plus venir à Pinewood sans attirer les soupçons. J'ai essayé de te prévenir avant que vous n'attaquiez Portland. Puis quand tu as amené les Fitzgerald, Fowler m'a interdit de retourner à Richmond. Il y avait trop à préparer pour la venue de Prosper et de Walter.
—Pourquoi tu n'as pas agis plus tôt ? Pourquoi tu n'étais pas là hier, alors ? Kenneth...
Elle sentit sa gorge se serrer à la simple évocation de l'Irlandais. Si Louis et ses hommes étaient intervenus la veille, aucun d'entre eux n'aurait été blessé. Prosper serait peut-être même encore en vie.
—Je devais attendre que Fowler se montre pour agir.
Son regard froid ne trahissait aucun regret. Il avait fait ce qu'il devait faire, et cette satisfaction lui suffisait amplement. Il n'avait aucune considération pour le nombre de vies humaines qu'avait coûté son stratagème. Il était exactement comme les espions que Kenneth avait un jour décrit en lui parlant de Louis. L'Irlandais avait eu raison sur toute la ligne, s'avoua-t-elle tristement.
Il sembla hésiter à ajouter quelque chose. Il fixa une branche d'orme noir qui dépassait au-dessus de la route, à moitié arrachée de l'arbre par le poids de la neige. Il attendit qu'ils soient passés dessous pour commencer à parler, comme s'il s'agissait d'une ligne de départ.
—Je dois partir.
—Où ça ?
—Ailleurs. Je voulais te dire quelque chose avant de te quitter.
Elle se redressa sur sa monture sans vraiment comprendre. Il partait réellement, pour de bon ? Pour son travail ? Elle le fixa sans arriver à déterminer si elle éprouvait de la tristesse ou du soulagement. Il continua :
—On n'aurait pas pu faire pire comme façon de se rencontrer et de se dire au-revoir, mais j'ai été heureux de te connaitre Arlette. J'ai tout de suite vu quelque chose de fort en toi. Quelque chose de sincère et de sauvage à la fois, une réalité qui n'existe que dans les yeux de ceux qui ont vu la guerre. Tu sais ce qu'on a vécu, comme très peu de femmes. Ça donne envie de te faire confiance.
Elle resta muette, incapable de trouver quoi répondre. Elle avait attendu tellement de cet homme, puis avait été si déçue. C'était étrange de se retrouver là, en face de lui, après que tous les masques soient tombés. Peut-être y en avait-il encore. Elle n'en savait rien.
—Moi j'aurais aimé pouvoir te faire confiance, Louis.
—Tu n'avais pas à le faire, ça ne t'aurais servi à rien. Je ne suis pas comme vous. Moi je serai toujours l'Etranger, où que j'aille.
—Où est-ce que tu vas ? Tu quittes le garage, Richmond ?
—Disons que les moteurs de voiture ne sont pas ma spécialité, et que la vie de village a tendance à me lasser...
—Tu étais pilote d'avion, c'est ça ? « Per ardua ad astra », Dans la difficulté, jusqu'aux étoiles, dit-elle en désignant l'endroit où elle avait vu son tatouage.
Il sourit et couvrit son regard de son chapeau.
—C'est exactement ça dont je parle. Tu connaissais trop bien les soldats et la Guerre pour te laisser faire par Prosper, Fowler ou le rêve d'Armand. Reste ainsi et continue à suivre ton chemin, Arlette.
Sans attendre de réponse, il éperonna son cheval et partit vers l'ouest, taillant à travers les bois sans plus se retourner. La jeune femme le regarda s'éloigner jusqu'à ce qu'il ait disparu derrière une pente enneigé. Louis était partit pour de bon.
C'était des adieux bien étranges, qui restaient sur des questions sans réponses, des non-dits et le sentiment frustrant d'avoir oublié de dire quelque chose d'important. Elle soupira. Oui, une dernière question. Est-ce que tu m'as aimé ? C'était trop tard, Louis était partit. Un vent venu de l'est balaya la forêt et des aiguilles de pin volèrent sur la neige.
—Où est-ce qu'il va ? Pourquoi est-ce qu'il s'en va ? s'écria Wojtek en arrivant au galop.
— Je ne sais pas. Il a été appelé ailleurs.
—Qui va finir tous les dossiers d'enquête ? Ce sale fainéant d'Anglais me laisse encore tout seul avec des montagnes de paperasse ! s'emporta-t-il en prenant soudainement un accent slave.
Il n'y avait plus Louis pour faire des mystères et donner les informations au compte-goutte. Elle pouvait à présent en apprendre plus sur ce qui les attendait.
—Quand est-ce que nous pourrons revoir les autres ?
Il sursauta, surprit qu'elle lui adresse finalement la parole.
—Eh bien, maintenant que mon supérieur m'a fait faux bond, je suppose que je ne suis plus obligé de suivre ses directives... Nous allons tout de même vous ramener chez vous puisque c'est la route que nous avons prise. Je ne pense pas que vous irez bien loin ce soir vu l'état de votre ami, mais vous pourrez vous rendre à Bangor pour voir vos amis à l'hôpital dès demain. J'y serai pour recueillir vos témoignages.
—Est-ce que... Est-ce que vous avez vu ceux qui ont été amenés à Bangor ? Dans quel état est-ce qu'ils étaient ? demanda-t-elle anxieusement.
—Je pensais que j'en reverrai plus des comme ça après la guerre, répondit-il simplement.
De quoi parlait-il ? Du visage de Devin ? Des blessures de Kenneth ? Elle voulut le questionner plus encore mais il se contenta de répondre par des marmonnements. Il s'enferma dans ses pensées, cherchant une façon d'annoncer à leur directeur qu'il allait avoir du retard dans ses rapports.
Déçue, Arlette retourna auprès d'Henry et lui dit simplement que Louis était parti. Le contrebandier était à nouveau moribond, comme lorsqu'elle l'avait ramené du lac. Comme ce jour-là, elle n'avait aucune idée de ce qu'il allait advenir d'eux.
Mais cette idée ne la dérangeait pas. Il n'y avait plus aucune menace sur Pinewood, et ses amis étaient en sécurité. S'ils n'avaient pas été entourés de fédéraux, elle se serait arrêtée pour serrer Henry dans ses bras. Ils étaient tous les deux en vie, c'était tout ce qui comptait réellement.
KENNETH
Kenneth vit les lueurs de l'aube par-delà les montagnes enneigées. Il regarda le ciel se teinter d'orange et de jaune, alors que les ténèbres reculaient peu à peu.
Il était transporté dans une luge tirée par un cheval et sentait le bois qui glissait sur la neige dans des craquements feutrés. L'étoile du matin brillait encore fièrement comme la pierre centrale d'un diadème, auréolée des milliers d'autres scintillements dans le ciel.
Il inspira l'air givré en bombant le torse comme s'il pouvait aspirer toutes ces étoiles. Ses mains pendaient par-dessus la luge, caressant la neige et les branches qu'elles croisaient. Le froid ne le blessait plus, les aiguilles de pins et l'écorce dure des branches ne lui étaient plus rugueuses.
Tout glissait sur sa peau comme de l'eau. Le monde terrestre coulait autour de lui telle une rivière. Il n'y avait plus de bruit, plus de hurlements au creux de ses oreilles. Il n'entendait plus que le pas lent des chevaux, le glissement de la luge sur la neige et les cliquetis des éperons.
Les arbres dont le bois se contractait sous l'effet du froid craquaient parfois d'un seul coup, mais il ne percevait ces sons brusques que comme de lointaines interventions de la forêt. Peu à peu, le silence faisait taire tous les bruits alentours. Lorsqu'il n'entendit plus rien, il sut que sa vision allait elle aussi faiblir jusqu'à ce qu'il rejoigne le néant.
Ses pensées n'en étaient plus. Elles n'étaient plus que des images, des sentiments qui passaient, volatiles et insaisissables, faiblissant lentement. Il revit Eva, les espoirs qu'il avait osé nourrir avec elle. Il ressentit de la tristesse, du désespoir, et ces sentiments douloureux s'atténuèrent peu à peu. Il revit Paddy, Arlette et les autres.
La nostalgie le berça quelques secondes et l'apaisa. Les images de ses amis commençaient à se dessiner dans l'espace. Il perdait pied, il n'était plus dans le monde réel. Cette révélation l'angoissa quelques instants puis il finit par se laisser porter dans ces méandres
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