Chapitre 20 | Partie 3: Hares on the Mountain

ARLETTE

Ils roulèrent pendant près d'une heure sur la côte, avant d'atteindre un petit lac à l'écart où se dressait une grande maison couvertes de planches de bois blanches dans le style Cape Cod. 

Les fenêtres avaient été peintes en bleu, tout comme la porte d'entrée qui donnait directement sur un petit quai de bois où était attachée une barque longue. Du linge séchait dehors, accroché à une ligne reliant deux ormes.

Une autre Ford était déjà garée devant la maison. Elle ressemblait à l'une de celles qu'elle avait vue à la ferme des Richter, pensa Arlette.

Alors qu'ils arrivaient en suivant la grande allée, la porte de la maison s'ouvrit et Betty en sortit, suivie de Martha l'épouse de Danny et de leur fils Charles. Devin était derrière. Il resta dans l'entrebâillement de la porte.

Arlette se tourna vers Henry. Que signifier tout cela ? Une réunion de famille sur la côte ? Le contrebandier ne descendit pas. Il n'éteignit pas le moteur. Il se tourna vers elle et la regarda dans les yeux. Elle vit qu'il hésitait. Était-ce de la peur qu'elle voyait dans ses pupilles ?

—Arlette, commença-t-il à sa grande surprise, je dois vous laisser ici. Vous allez rester chez Margaret pendant quelques temps. On a déjà tout arrangé avec Betty pour votre auberge. Il faut que vous restiez en sécurité jusqu'à ce qu'on en ait fini.

—Qu'est-ce que vous allez faire ?

—On va mettre un terme à tout ça maintenant. On va prendre Portland.

—Aujourd'hui ? Mais c'était prévu pour...

—On peut pas perdre de temps après avoir parlé aux Acadiens. Et ils savent peut-être déjà pour la date initiale.

Les questions et les émotions fusèrent brutalement dans son esprit. Elle se sentait profondément déçue, il ne lui faisait donc toujours pas confiance. Mais ils allaient prendre Portland aujourd'hui ? Sans plus de préparatifs ? Elle sentit qu'elle commençait à perdre pied.

—Les Irlandais ?

—Ils ont été prévenus ce matin par Devin, ils sont en route.

S'ils n'avaient été prévenus qu'aujourd'hui, Kenneth n'avait certainement pas eu le temps d'appliquer le plan, pensa-t-elle. Ce n'était pas possible... Tout ce qu'elle avait préparé allait tomber à l'eau.

Elle regarda le contrebandier avec effroi.

Elle ne pourrait pas les protéger.

C'était la dernière fois qu'elle le voyait. Elle sentit les larmes monter au coin de ses yeux. Ils allaient tous mourir et elle serait totalement inutile.

—Mais pourquoi est-ce que vous faites ça ? murmura-t-elle la gorge serrée.

—Ce type a essayé de nous voler notre gagne-pain, il nous a pris pour des pouilleux, des moins que rien... Ne pleurez pas s'il vous plaît. Betty arrive et je ne lui ai rien dit...

—Vous ne lui en avez pas parlé ? Et qu'est-ce que je devrai lui dire quand ses frères se seront fait descendre ?

Il baissa la tête. Betty n'était plus qu'à quelques pas. Arlette s'essuya les yeux.

—Devin et Danny reviendront, ils s'en chargeront...

—Et vous ? Est-ce que vous vous rendez compte à quel point c'est... Vous allez vous faire tuer !

—Moi j'irai jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte...

Betty était presque arrivée. Elle se retint de le gifler en serrant les poings.

—Je viens avec vous.

—Non.

—On a un accord, un putain d'accord ! d'égal à égal.

Il releva la tête en regardant derrière Arlette. Betty était juste devant sa porte. Elle affichait une mine ravie. Elle était si candide, si naïve...

La jeune femme ne réussit pas à ajouter quoi que ce soit alors qu'elle était juste là. Elle aurait aimé pouvoir étreindre Henry, le forcer à rester là, mais Betty était là et elle ne devait rien savoir de son désespoir

—Restez pour protéger Betty, glissa finalement Henry avant de sortir.

Elle inspira profondément et se retourna vers la jeune fille pour ouvrir la portière. Elle refoula ses larmes et tenta de contenir ses tremblements.

—Vous avez fait bon voyage ? Viens voir Arlette, Margaret a dit qu'elle allait nous apprendre la cuisine acadienne !

—Ah oui ? C'est... formidable.

Betty l'attrapa par la manche pour l'amener à l'intérieur. Elle lança un dernier regard désespéré à Henry qui rejoignait Devin devant sa voiture. Aucun d'eux ne regardait plus les femmes. Ils fixaient la route qu'ils s'apprêtaient à prendre.

Arlette se laissa traîner par Betty jusqu'à Margaret. Elle n'avait pas envie d'entrer dans cette maison, de parler de cuisine avec ces femmes.

Henry et Devin allaient se faire tuer et elle devrait rester là à discuter de futilités en prétendant qu'elle ignorait tout de ce qui allait se produire. Elle eut envie de se retourner et de les rejoindre, de les empêcher de partir... Comme elle l'aurait fait si elle avait compris ce qui se passait quand son frère et son père étaient partis à la guerre.

Martha lui emboîta le pas pour rentrer et elle perdit de vue les deux hommes. Elle se retrouva entourée de femmes, au milieu d'un petit salon tout en bois qui sentait la pâte à beignet et le café frais.

Elle avait l'impression d'être emportée par le courant, et de nager contre lui. Tout ce qu'elle voulait, c'était ressortir et monter dans les voitures que les deux frères allaient prendre. Margaret vint la saluer. Elle avait maigrit mais était habillée d'une jolie robe colorée qui dissimulait la tristesse marquée sur son visage.

Elle prit les mains de la Française entre les siennes et la remercia pour le nouveau départ qu'elle lui avait offert. Arlette garda les mains crispées, refusant le contact amical. Elle ne comprit pas un mot de ce que Margaret racontait jusqu'à ce qu'elle explique que c'était Henry et Danny qui s'étaient occupés de la loger dans un endroit qui ne portait pas la marque de la présence de Joshua. Ils avaient utilisé les fonds qu'elle leur avait prêtés pour offrir à la veuve un nouveau départ... Et se préparer une planque en cas de besoin.

Mais Arlette s'en fichait totalement à présent. Elle avait envie d'envoyer la tasse de café qu'on lui proposait au visage de la veuve, de frapper Martha pour lui retirer du visage cet air prétentieux et trop sûr d'elle alors que son mari partait affronter la mafia de Portland.

Elle avait envie d'hurler, d'arracher les murs de cette maison, de défoncer cette porte fermée et de retenir Henry avant qu'il ne parte.

Elle entendit les moteurs qui se mettaient à accélérer et les deux voitures partirent.

—Margaret, vous avez une voiture ? demanda-t-elle en interrompant une discussion sur les marques de réfrigérateurs.

—Miss Mangel, ce sont des vacances improvisées... Nous savions que vous auriez du mal à vous détendre, mais vous ne vous reposerez pas si vous repartez immédiatement. Henry et Devin sont partis faire des courses pour la semaine et ils seront de retour d'ici quelques heures, ne vous en faites pas. Nous pouvons bien nous passer de voitures ici, le bord de mer n'est pas loin, ne vous en faites pas.

Arlette ne répondit pas. Elles n'avaient plus de moyen de transport. Elle était maintenant coincée ici avec les femmes et les enfants, tandis que toute l'action allait se dérouler à une centaine de kilomètres au sud. Comme quand elle était petite, on la renvoyait parmi les civils, ceux qui ne faisaient que subir la guerre sans pouvoir se défendre...

Elle était à nouveau une réfugiée... Elle avait envie de vomir. Tout le monde conversait joyeusement dans la petite maison et l'ambiance chaleureuse entre les femmes rendait sa nausée plus intense.

Elle ne pouvait même pas passer un coup de fil à Kenneth, Pinewood n'ayant pas de téléphone. Et puis il devait maintenant être en chemin pour Portland.

Elle prétexta une migraine depuis le trajet dans la voiture d'Henry et demanda la permission de sortir prendre l'air.

Elle ouvrit cette satanée porte qu'elle aurait aimé pouvoir écraser de ses poings quelques minutes plus tôt et sortit fixer la route. La poussière était déjà retombée dans leur sillage.

Elle alla s'asseoir au bout du quai devant le lac. Des goélands s'étaient posés dans l'eau, ils raillaient les plus jeunes qui volaient autour, mais elle n'était plus d'humeur à s'extasier devant la nature luxuriante du lieu.

Elle passa une heure, peut-être deux, assise là sur le bois, fixant l'eau avec apathie, ne sentant plus que les rayons du soleil qui réchauffaient son dos lorsqu'ils n'étaient pas entravés par les nuages.

Elle n'arrivait pas à s'ôter cette idée de sa tête : Henry allait mourir. Kenneth allait mourir. Tous les autres allaient être abattus. Ses dents se mirent à claquer sans qu'elle ne puisse plus les serrer.

Des sueurs froides traversèrent sa colonne vertébrale comme des bourrasques de vent froid, avant que son esprit ne s'englue dans une sorte de silence morne, dans lequel il n'était plus possible de penser, d'espérer, de rêver.

Elle fut tirée de son état végétatif en entendant une voiture qui arrivait. Qui cela pouvait-il bien être ? Elle se releva et partit en avant sur la route. Et si des hommes de Lloyd connaissaient l'existence de cet endroit ? Peut-être était-ce eux, qui venaient les prendre en otage ou les assassiner.

Elle n'avait pas d'arme, pas de voiture pour fuir, seulement une petite barque qui ne pourrait les amener qu'à l'autre bout du lac, dans les buissons.

La voiture apparut au bout de l'allée d'arbres. La jeune femme découvrit avec surprise que c'était la sienne, avec Kenneth au volant. Il s'arrêta à sa hauteur, alors que Margaret sortait de la maison avec son fusil, prête à se défendre.

—Kenneth ? Tu as pu prévenir New York ? cria Arlette en courant à sa rencontre.

Il passa la tête par-dessus la vitre de la voiture et lança un regard anxieux vers la maison. La sueur perlait sur son front. Elle eut envie de le serrer dans ses bras, de l'embrasser. Elle allait pouvoir reprendre la lutte !

—Oui, mais ils vont avoir du retard. Il faut absolument que je gagne du temps, répondit-il avec précipitation, ils sont déjà partis ?

—Il y a au moins une heure.

—Merde, je pensais pouvoir les retenir ici... Faut que j'aille à Portland directement alors...

—Je viens avec toi.

Il leva les yeux vers elle, étonné. Ce n'était pas un endroit pour les femmes, il allait y avoir des armes, des explosifs, et s'ils ne finissaient pas troués de balles, ils seraient certainement attrapés par la police.

Il allait protester mais elle fit le tour de la voiture et monta à côté de lui, fixant droit devant elle d'un air décidée.

— Patronne, ce n'est pas...

—Arrête de m'appeler comme ça et démarre cette putain de voiture Kenneth, il est hors de question que je passe une minute de plus ici, répondit-elle sèchement. On a une ville à prendre et des contrebandiers à sauver.

Kenneth la dévisagea sans répondre. Son étonnement se changea en un sourire ravi et il remonta la vitre de sa portière avant de faire demi-tour sur la route pour repartir.

Arlette vit Betty qui l'appelait et tentait de les suivre en courant dans le rétroviseur. La jeune fille s'arrêta au milieu de la route, aveuglée par la poussière soulevée par la voiture.



Nous voilà à la fin du deuxième tome de Pinewood, préparez-vous pour de l'action après toutes ces révélations ! 

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