Chapitre 2 | Partie 3: Bonaparte's Retreat

HENRY

Les deux frères reparurent aux frontières de la bourgade au volant de leur camionnette vide, se mêlant à l'activité foisonnante de l'aurore, entre les tracteurs qui partaient vers les champs, les camions qui arrivaient de Bangor pour approvisionner les commerces et les bûcherons qui partaient vers les forêts au Nord.

Les deux hommes avaient le teint pâle et l'air fatigué, ils rentraient après une nuit de travail. Une de plus. Alors qu'ils traversaient la route de campagne menant aux bois, ils virent sur le pas de la porte le vieux à la longue barbe qui les avait salués la veille. De loin, on ne voyait que sa barbe, son gros nez, ses joues creuses et ses sourcils épais sous son chapeau à bords larges. Il leur faisait de grands signes, les invitant à le rejoindre. Les traits de son visage étaient tirés.

—C'est Hawkes, commenta Danny en mâchant un cigarillo, qu'est-ce qu'il a ?

—On va voir, gare-toi là.

L'homme vint les accueillir jusqu'à leur voiture. En le voyant approcher, ils comprirent qu'il était totalement paniqué. Il marchait d'un pas vif et regardait de gauche à droite comme s'il craignait qu'un espion sorte des buissons.

Autour de lui, sa meute de chiens aboyait gaiement, manquant de le faire trébucher à chaque fois. Danny fit mine d'ouvrir la portière et le vieux s'y agrippa, laissant seulement assez de place pour que l'un des chiens y glisse sa tête en aboyant. Hawkes lui donna un coup de pied et s'accouda à la fenêtre.

—Les garçons, ils ont attrapé les Douarnet à la frontière, leur siffla t'il en tremblant sur ses jambes.

Danny qui s'apprêtait à sortir s'arrêta net et se tourna vers son frère. Le regard dur d'Henry ne laissa transparaître qu'un éclair d'inquiétude lorsque ses yeux croisèrent ceux de son cadet, avant de reprendre sa froideur naturelle.

—Allons à l'intérieur, grogna t'il en vérifiant rapidement le contenu de sa tabatière.

Hawkes habitait dans un chalet de trappeur, la dernière bâtisse avant la forêt sur la route de la ville. Il vivait de ses prises et s'improvisait cantinier dans un refuge lorsque les bûcherons partaient dans les montagnes l'été.

L'intérieur de sa cabane reflétait son mode de vie, celui d'un vieil homme solitaire. Sur les murs étaient accrochés les pièges à castors et à ours qu'il posait pendant l'hiver. Des bois de cerfs et d'orignaux étaient attachés par paire au-dessus de la table de sa minuscule cuisine, seulement délimitée par le poêle et le lit. Il n'avait que deux chaises et laissa Danny s'asseoir sur le lit comme un enfant, tandis qu'il faisait face à son frère ainé. Il leur offrit du café et des biscuits secs. Henry lui tendit un cigare en retour.

—Bon, qu'est-ce que c'est que ces histoires ?

—Ecoutez, quand je vous ai vus hier soir, tout allait encore bien, même que juste avant j'avais entendu Tom au magasin général dire qu'il irait bien vous prendre un galon de whisky. Moi je lui ai dit de pas parler comme ça de ces choses-là en ville, mais lui y avait pas moyen, il voulait pas capter. Je lui ai mis un...

—Ok Hawkes, et pour les Douarnet ? s'impatienta Henry qui n'avait que faire de ces histoires de bagarres d'ivrognes.

—Les Douarnet, bon Dieu, c'est horrible. J'étais à Princeton pour des hameçons, je connais un gars qui fait ça bien, ça te tient un saumon de trois livres ! J'allais pour repartir, il devait être neuf heure passée, et là j'ai vu le fils et le père Douarnet, menottés, qu'avaient tous les deux la tête baissée si bien que je voyais pas leurs visages. Ils montaient dans une de ces voitures bien brillantes des fédéraux. Des agents de la Prohibition, ils étaient dix. Au moins, peut-être trente ! J'ai voulu continuer comme si de rien n'était, mais j'avais pas donné un coup sur l'accélérateur que je voyais quelque chose dans le fossé. La camionnette des Douarnet, criblée de balles. Et puis là j'ai vu quelque chose derrière la vitre. Il y avait les deux autres fils, Jean et Gustave, couchés sur le pare-brise. Morts.

Le visage grave de Henry se durcit. Danny avait retiré le cigarillo de sa bouche, médusé.

—Ils ont tiré sur les Douarnet ? Pourquoi les Douarnet étaient de ce côté de la frontière ? Ce sont des citoyens canadiens, ils peuvent pas tirer comme ça sur eux, s'emporta le cadet en jetant des regards tantôt vers le vieux, tantôt vers son frère.

—Il y avait pas écrit sur l'auto qu'ils étaient canadiens. Ils ont peut-être fait de la résistance quand on leur a dit de s'arrêter, répondit Hawkes.

—Le père Douarnet n'avait rien à faire de ce côté de la frontière, on venait justement de prendre sa marchandise. Et il n'aurait jamais résisté aux flics, il aurait préféré passer une nuit au poste... fit remarquer Henry.

—Et pourquoi aurait-il amené ses trois fils avec lui ? Continua Danny.

—Hum...

N'ayant plus rien à leur proposer de plus que ce récit, le vieil Hawkes aspira son café et déchira un morceau de journal pour alimenter le poêle. Les deux frères ne parlaient plus. Henry commença à jouer avec son briquet, regardant fixement par la fenêtre. Il finit par demander :

—Tu as déjà vu une voiture de fédéraux, Hawkes ?

Le vieillard prit un air vexé.

—J'ai pas toujours vécu dans ce patelin, jeunot ! Et j'ai toujours acheté de l'alcool de contrebande ! J'en ai connu des fédéraux, j'ai eu affaire à eux, et des histoires qui te feraient frémir !

Nullement impressionné, Henry plissa les yeux et Hawkes baissa la tête, réalisant soudainement qu'il avait été trop loin avec le contrebandier. On ne prenait pas ce ton avec lui. Le vieil homme prit une bouffée de cigare, respectant le silence des deux frères. Ils finirent leurs tasses et se lancèrent un regard entendu.

—Merci Hawkes, on te mettra un galon demain, déclara Danny.

—Pas besoin, je passerai à la ferme, vaut mieux évitez de vous balader avec l'alcool ces temps-ci.

Ils se levèrent et le saluèrent avant de partir. Une fois de retour dans la voiture, Danny reprit le volant. Il n'arrêta pas de regarder son frère tout en roulant. Son aîné fixait un objet invisible droit devant lui, fumant son cigare sans le retirer de ses lèvres, révélant ses dents serrées.

—Qu'est-ce qu'on va faire sans notre fournisseur ? On avait déjà du mal à tenir le rythme pour les acheteurs de Portland, on va quand même pas leur vendre le tord-boyaux qu'on distille ici ?

—C'est ce que tout le monde fait dans tous les autres Etats, faut juste qu'on s'y mette.

—Mais on n'est pas comme les autres Etats ! On a les Canadiens à la frontière, nous. Il nous suffit de trouver un nouveau fournisseur de l'autre côté et les affaires reprennent !

—La ferme Danny, je t'ai dit qu'on allait distiller et c'est tout.

—Quoi ? Mais on va perdre soixante pour-cent des recettes ! C'est une entreprise familiale, Henry, et moi j'ai une famille à nourrir, j'ai aussi mon mot à dire sur la gestion du business.

—Danny, le jour où t'arrêteras de te rendre ivre aux alambics quand tu fais ton moonshine (alcool de contrebande), t'auras le droit de discuter mes ordres.

Le cadet ne répondit pas. Henry continua d'un ton moins sévère.

« C'est pas les fédéraux qui ont eu les Douarnet. Hawkes a jamais vu un agent de la Prohibition de sa vie. Le père et le fils qu'ils ont embarqués, m'est avis qu'on les reverra nulle part, pas dans un poste de police, pas dans un tribunal. Parce qu'à l'heure qu'il est, ils sont enterrés avec les deux autres, quelque part dans la forêt. »

—Quoi, un règlement de compte ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

Henry resta les yeux rivés sur la route, ignorant les appels de détresse de son frère. Ses yeux bruns étaient devenus aussi noirs que des charbons, à demi cachés par son chapeau. Sa bouche s'était figée dans une expression de dégoût dissimulée par sa barbe.

—Je dois appeler Mr Lloyd.


Comment imaginez-vous Henry et Danny pour l'instant ? Donnez votre avis en laissant un commentaire et en votant ! Et un peu de maïs et d'histoires de famille pour accompagner tout ça ? Je vous laisse un peu de bluegrass pour le plaisir ! 

https://youtu.be/YWJ8m8tNATs

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