Chapitre 19 | Partie 4: The Red Haired Lass
ARLETTE
Henry redescendit l'escalier plus rapidement, tenant dans ses mains un petit paquet en tissu grisâtre. Il referma la porte derrière lui, posa le paquet sur la table et se rassit, l'air grave. Arlette l'observa sans comprendre. Il hésita à commencer et finalement se lança.
—C'était... Il y a quelques mois. Pinewood venait d'être abandonné, le propriétaire était mort. Je suis allé voir à l'intérieur, comme tout le monde à l'époque. Il n'y avait déjà plus rien à part une vieille horloge qui soi-disant faisait partie du testament et ne devait pas être touchée. Le mécanisme était arrêté, alors j'ai voulu voir ce qui clochait... Simple curiosité. J'ai ouvert le boîtier et là j'ai trouvé ce paquet. Je l'ai ouvert, et quand j'ai pris conscience de ce qu'il y avait à l'intérieur, j'ai décidé de le cacher.
—C'était donc bien dans l'horloge ! S'écria Arlette, c'est à cause de vous si je n'ai pas trouvé la lettre de mon oncle ! Pourquoi est-ce que vous l'avez gardée ?
—Laissez-moi terminer. Je l'ai caché parce que c'était beaucoup trop dangereux pour être laissé là. Si quelqu'un l'avait trouvé, il y aurait eu des agents du Bureau d'Investigation partout pendant des mois, ça aurait été très mauvais pour nous. Ils auraient posé des questions... Et puis en même temps je ne savais pas quoi en faire. Je ne voulais pas le détruire, alors je l'ai caché ici. Et puis vous êtes arrivée. Au départ j'ai cru que vous étiez comme votre oncle, que vous étiez là pour les mêmes raisons, alors... J'ai essayé de vous faire partir.
—Alors ce n'était pas seulement pour avoir l'emplacement de Pinewood ? Mais qu'est-ce qu'il y a dans ce paquet au final ?
—Ouvrez-le.
Elle se pencha en avant pour prendre le paquet et l'ouvrit délicatement. C'était la lettre, la dernière lettre d'Armand, celle qu'elle avait cherchée partout.
Elle lança un regard à Henry. Alors c'était lui qui l'avait cachée pendant tout ce temps...
Il connaissait son contenu et ne semblait pas impatient de le revoir à la lumière du jour. Elle l'ouvrit et trouva d'abord une lettre pliée. Elle la posa à part et regarda ce qu'il restait, intriguée par le poids des autres objets.
Il y avait un grand morceau de tissu rouge plié et des photos. Elle les examina en premier et ne reconnut pas immédiatement son oncle. Il était assis au milieu d'un groupe d'hommes en manteaux rembourrés avec des chapeaux de fourrure. Ils portaient tous des moustaches et tenaient des armes de guerre. La jeune femme cessa de respirer un instant.
La première rangée d'hommes tenait un grand drapeau ayant pour seul motif une faucille et un marteau.
C'était donc cela, la raison pour laquelle Henry avait essayé de la faire partir aussi brutalement. Il avait peur qu'elle soit comme son oncle... Une communiste.
Elle regarda les autres photos et y vit Armand avec d'autres hommes, posant en prenant des airs héroïques, le fusil à la main sur l'une, prêt à signer un papier sur l'autre. C'était donc ce dont il parlait lorsqu'il évoquait son tournant philanthropique et les nouvelles causes pour lesquelles il avait décidé de se battre après la guerre.
C'était pour mener la révolution qu'il avait recruté Joshua. Elle savait à présent ce que renfermait le tissu rouge plié. C'était un drapeau, cela ne faisait aucun doute.
Tout cela semblait soudainement totalement fantastique et incroyable, mais aussi terriblement effrayant. Elle leva les yeux vers Henry. Il la regardait avec attention, attendant sa réaction. Peut-être que certaines personnes étaient passées à Pinewood après lui en cherchant ces preuves de l'implication de son oncle dans des activités révolutionnaires...
Peut-être lui avait-il évité d'être elle-même déclarée ennemie de l'Etat et rejetée à la mer comme une traîtresse avant même d'apprendre la vérité. Si la police apprenait qu'elle avait hérité d'un combattant révolutionnaire actif, tout Pinewood serait récupéré pour être fouillé.
—Il faut... Il faut brûler tout ça, déclara-t-elle subitement.
Il s'étira et quelque chose craqua dans son dos. Il put immédiatement prendre une pose plus souple, et choisi de repartir en arrière sur sa chaise. Il soupira et ralluma son cigare qui s'était éteint.
—Lisez la lettre avant. C'est du français, je n'y comprends rien.
Elle réalisa alors que s'il avait conservé ces preuves, s'il ne les avait pas détruites, c'était parce qu'il voulait lui aussi savoir ce qu'elles renfermaient. Derrière ses airs de rustre se cachait un homme curieux.
Le mystère de Pinewood avait suscité sa curiosité, au point de conserver des documents dangereux. Elle s'exécuta et déplia le papier jauni. Elle reconnut immédiatement l'écriture de son oncle, plus nerveuse que dans les autres lettres.
« Chère Arlette,
Je ne sais pas si c'est la deuxième ou troisième lettre que tu trouves. J'espère qu'elle a été bien cachée et qu'aucune personne ayant de mauvaises intentions ne la trouvera.
Je te dirai donc que les informations que tu trouveras ici concernent le but de l'héritage que je t'ai offert et non son contenu exact, information que tu trouveras dans l'autre lettre.
Comme tu as pu le découvrir sur les photographies, j'ai pendant quelques années fait partie de l'Internationale Communiste. Après des années de capitalisme effréné, le front en 1916 m'a fait réaliser que tout ce que j'avais passé des années à amasser n'avait jamais rien fait que servir à alimenter les machines de guerre qu'étaient les Etats en ce début de siècle.
J'ai appris à survivre dans les tranchées, et j'ai vu mes investissements plus proches que jamais, puisque je les tenais entre mes mains. L'acier qui sortait de mes usines, le minerai qui était extrait de mes mines, vendu à la France comme à l'Allemagne, me servait à rester en vie aussi bien qu'il tuait mes camarades les uns après les autres.
Lorsqu'un obus tombait à côté de moi et me retirait mes sens, j'avais l'impression qu'il s'agissait d'une farce orchestrée par Dieu qui voulait me voir détruit par ce que j'avais créé. Lorsque je suis parti en permission, et que j'ai appris pour ton frère, j'ai réalisé avec horreur que c'était probablement l'acier des fonderies Mangel qui lui avait retiré la vie.
Hanté par ces pensées, j'ai décidé de me joindre à des groupes œuvrant à la pacification de ce monde barbare et arriéré. Il fallait en changer les bases. Je suis certain, que si nous arrivons à libérer le peuple et à lui donner le choix, il ne choisira plus jamais la Guerre.
Car ce ne sont pas les grands hommes, là-bas à Paris, qui se sont retrouvés sur le champ de bataille. Ce sont les gars des campagnes, enrôlés dès leur plus jeune âge comme ton frère, qui sont morts pour que l'Empereur, son cousin germain qui porte une couronne Outre-Manche et ce petit-bourgeois de Pointcarré jouent jusqu'au bout leur partie d'échecs.
J'ai rejoint la lutte en offrant tout ce que j'avais : les moyens de produire des armes et des ressources partout dans le monde. Alors que les réactions contre le communisme se durcissaient en Angleterre et en Italie, mon nouvel intérêt pour Pinewood et ses ressources était menacé par le Bureau d'Investigation qui avait compris mes intentions.
J'ai donc volontairement laissé à l'abandon le site pour laisser croire qu'il s'agissait simplement d'un placement que j'allais revendre tôt ou tard.
L'ami que je ne citerai pas ici pour son propre bien mais dont je t'ai parlé dans mon autre lettre m'a accompagné dans le Maine. Il gardait ce terrain discrètement alors que je préparais d'autres révolutions. Il n'a jamais été très investit dans la cause, et je crois que ses motivations concernaient plus la forêt de Pinewood que ce qu'elle contenait dans ses entrailles.
Je te conseillerai donc de ne pas trop te fier à lui pour les affaires qui vont suivre. J'espère qu'à l'heure où tu lis cette lettre, les révolutions auront toutes été victorieuses et que Pinewood pourra rester en paix sans avoir à être utilisé, mais j'en doute fortement. Voilà donc ce qui va se produire :
Au mois de décembre 1930, mon homme de confiance que tu as vu sur la photo de l'autre lettre viendra te trouver à Pinewood. J'ignore si tu as essayé de vivre sur le terrain, j'espère que la somme que je t'ai laissé t'a permis de te trouver un joli cottage ou quelque chose allant à ton goût. Mais au mois de décembre tu devras garder quelqu'un sur place pour accueillir la personne qui viendra.
Cette personne n'est autre que le deuxième héritier de ma fortune. Il en aura pris possession au Canada, et alors que je te laisse les ressources, lui reçoit les armes et le carnet d'adresses. Lorsqu'il viendra, il te donnera les directives pour commencer à exploiter les ressources et les envoyer en au front pour mener la Révolution.
Tu n'auras qu'à signer quelques papiers, faire bonne figure devant les sénateurs et jouer le rôle qu'on te donnera. Si je t'ai choisi Arlette, c'est parce que tu es à présent la plus proche personne de mon entourage à porter mon nom. Le bien renfermé à Pinewood ne peut passer d'une main à une autre en changeant de nom sans attirer les soupçons et les convoitises.
Seule la légitimité d'un héritage familial pourra décourager les manigances de certains. De plus, étant une femme, tu attireras moins les regards en attendant l'arrivée de l'autre héritier.
J'ai caché cette lettre à ta vue, dans l'horloge cassée, parce que je suis certain qu'il n'y aura que toi qui aura l'idée de la réparer, et parce qu'il s'agit de la plus importante des lettres. L'ami qui a rédigé la première lettre s'est peut-être emporté en parlant de l'importance des bois de Pinewood, mais il fallait bien distraire le notaire qui, je n'en doute pas, allait la faire traduire.
Je le soupçonnais déjà de me prendre pour un illuminé, moi et surtout mon ami. J'espère que tu n'auras pas trop pris à cœur ces mots, car ce ne sont pas les miens mais ceux de l'ami en question. Et je crois qu'il aime plus la poésie de Maïakovski plutôt que la doctrine communiste en elle-même.
Lorsque tu auras fini de lire cette lettre, détruis-la comme les autres et attends mon homme de confiance. La maladie m'affaiblit de jour en jour, et mes rêves de voir de mes yeux la cause triomphante s'évanouissent peu à peu. C'est à toi de porter le drapeau, de passer la flamme et d'amener l'égalité et la fraternité entre les hommes sur terre.
Je compte sur toi pour continuer la lutte.
Ton oncle Armand. »
Arlette reposa la lettre en tremblant. Un monde venait de s'écrouler en elle. Ce n'était pas Armand qui avait écrit tout ce en quoi elle avait cru dans la première lettre, c'était l'œuvre de Joshua. Lui aussi avait vécu la guerre. Il avait dû utiliser les anecdotes dictées par son oncle...
Elle sentit les larmes couler sur ses joues en repensant au vieil Acadien à la barbe noire. Il n'était pas son parent, et elle avait pourtant l'impression qu'il avait été en réalité la personne la plus proche d'elle.
C'était lui l'oncle de son cœur, celui qui lui avait appris à aimer cette terre, à la chérir et à se battre pour elle. Et il avait disparu si rapidement, sans laisser rien d'autre que des phrases incomplètes et des murmures dans la brume.
Elle serra les poings sur la table. Son oncle Armand n'avait jamais eu à cœur la protection de cette terre, mais son utilisation pour servir ses causes politiques. Des armes et du minerai. Voilà ce qu'il voulait réellement... Elle avait bien fait de détruire la mine, se dit-elle avec amertume. Il avait plongé sa nièce dans une histoire de trafic d'armes et de matières premières pour servir la Russie.
Elle n'avait en vérité aucune connaissance sur le communisme et la doctrine que prônaient ces gens. Elle n'avait fait qu'entendre parler de la Révolution, du nouvel Etat russe et cela avait toujours été de simples rumeurs pour elle. Elle avait vu des communistes à Paris, mais certainement pas auprès de Paula qui fréquentait plutôt l'aristocratie contre laquelle ces gens se battaient...
Elle essuya ses larmes rapidement, se rendant soudainement compte qu'elle avait pleuré devant le contrebandier. Sans aucune compassion, il continuait de la fixer froidement. Il ne semblait plus curieux du contenu de la lettre. Peut-être en avait-il eu assez en la voyant tomber en larmes.
Elle eut envie de crier et de s'enfuir. Son regard placide ne l'effrayait plus, il l'exaspérait, il la dégoûtait. Pourquoi était-il toujours si indifférent avec elle ?
Une porte s'ouvrit et se referma dans la pièce d'à côté. Précipitamment, Henry prit la lettre, les photos, le drapeau et les rangea dans un tiroir du meuble à côté de sa chaise.
Devin entra pour aller chercher les gamelles des ouvriers. Sans adresser la parole à son frère, il récupéra les gamelles dans un coin. Il ne vit Arlette de son œil valide que lorsqu'il se retourna et eut un mouvement de surprise.
—Tiens, vous êtes rentrée ?
Elle s'efforça de lui sourire et il remarqua qu'elle avait pleuré. Il se tourna alors vers son frère en secouant la tête en signe désapprobation. « Toujours occupé à rendre la vie impossible à cette pauvre fille, Henry » semblait-il dire dans sa grimace figée.
Il poussa un grognement et repartit, sans refermer la porte derrière lui. Arlette se retourna pour le regarder s'éloigner et sentit qu'il avait réussi à faire redescendre toute la tension qui l'avait envahie. Henry la fixait toujours sans rien dire.
Il décida finalement de se lever et alla chercher la bouteille de whisky derrière le dindon empaillé. Sa démarche était un peu moins saccadée. Il resta debout pour servir la jeune femme et lui tendit le verre bien rempli en la regardant dans les yeux.
—On peut tout brûler maintenant, déclara-t-il.
—Vous ne voulez pas connaître le contenu de la lettre ?
—Votre oncle était un communiste, il voulait vous utiliser pour récupérer le minerai dont vous venez de me parler, des types vont venir finir le travail, fin de l'histoire.
—Ils vont venir cet hiver. Et il n'y a plus de mine...
—Alors ils vont être sacrément déçus ces Rouges...
Elle soupira. Elle venait de découvrir une information qui changeait toute sa vision de son oncle et de Pinewood. Comment pouvait-il être aussi sarcastique ?
—Je suis vraiment épuisée. Je crois que je vais rentrer, dit-elle pour tenter de sortir de cette impasse.
—Très bien, dit-il d'un ton froid.
Elle repensa soudainement à la soirée qu'elle avait prévue. Elle ne se sentait plus d'humeur à célébrer quoi que ce soit, mais Kenneth avait déjà dû prévenir tout le monde à Pinewood. Elle ne pouvait plus reculer maintenant. Elle but cul-sec et se leva.
—Ah, au fait... Vous êtes invité ce soir. Vous et vos frères.
—Ce soir ?
—Oui, à Pinewood. On va fêter mon retour.
—Je... J'ai une cargaison à livrer ce soir, répondit-il évasivement. Venez juste voir le feu avant de partir.
Elle acquiesça et se leva pour le suivre. Ils sortirent et se dirigèrent derrière la maison, dans un coin isolé entouré d'arbres et de vignes sauvages. Des caisses de bois étaient déjà empilées au milieu d'un grand tas de feuilles mortes et de cendres.
C'était donc ici qu'il faisait disparaître les choses. C'était l'endroit où opérait la magie, transformant le crime, l'illégal en un vide sans nom de cendres. La jeune femme leva les yeux et remarqua que les branches des arbres autour étaient toutes noires jusqu'aux cimes. Il devait y avoir des jours où il faisait de grands feux, pensa-t-elle non sans une pointe d'effroi.
Il déplia le drapeau rouge, révélant le motif jaune sur le coin et l'étala en dessous des caisses d'où s'échappa un mulot. Il enfonça la lettre dans les feuilles et tordit les photos pour en faire un cornet.
Il sortit son briquet et mit le feu aux photographies. L'encre chimique du papier cartonné libéra une odeur nauséabonde et il plaça le cornet enflammé au milieu du tas. Rapidement, les flammes montèrent et commencèrent à consumer les caisses. Les fibres du drapeau noircirent avant d'être dévorées à leur tour.
Henry fit reculer Arlette alors que les flammes grandissaient et ajouta une caisse remplie de papiers et de feuilles mortes. C'était comme si le feu se délectait de ce repas composé d'affaires obscures. Il crépitait, ronronnait, léchait le papier et cherchait à s'étendre sur les côtés, poussé par le vent, comme s'il en redemandait par gourmandise. Le feu libérateur...
Elle lui aurait bien jeté l'horloge, le testament d'Armand, la première lettre qu'elle avait gardée, les médailles et toutes ses illusions. Elle les avait nourrit en pensant qu'un de ses proches s'était occupé d'elle parce qu'il était préoccupé par l'avenir de sa famille.
Elle avait cru que le nom qu'elle portait valait quelque chose de plus que des lettres inscrites sur des pierres tombales. A cause d'Armand, il était maintenant moins que cela, il serait à tous jamais assimilé à des trafiquants d'armes pour elle.
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