Chapitre 14 | Partie 5: Bury Me Under The Weeping Willow

ARLETTE ET HENRY

Elle prit sa monture et emprunta le chemin de la tourbière. S'il la cherchait, il n'aurait qu'à suivre les traces des lourds sabots qui s'enfonçaient dans la mousse. En arrivant au sommet de la crête qui redescendait vers le marais, elle sentit soudainement sa jument se raidir et montrer des signes de résistance. Il y avait quelque chose, une odeur qui l'effrayait.

Arlette regarda autour d'elle et arma son fusil. Mais pourquoi n'avaient-ils pas pris le chien ? C'était certainement un ours... Elle sentit sa propre nuque se raidir et ses mains se crisper sur son arme. L'animal était tout proche. Il valait mieux retourner chercher Henry. Elle avait un fusil, tandis que lui n'avait qu'un revolver pour se protéger.

Brusquement, la créature apparut derrière elle, lui bloquant l'accès au lac. C'était un ours noir, une bête d'un peu plus de trois pieds de haut, qui devait peser dans les cent kilos. Il était à moins de six mètres d'eux. La jument piaffa et se mit à respirer bruyamment. Arlette tenta de la maîtriser tout en gardant les mouvements de l'ours à l'œil, mais la bête était prête à partir au galop. 

La pente derrière était abrupte, elle descendait directement à la tourbière, et il fallait zigzaguer entre les buissons pour éviter de glisser sur les pierres. Si sa jument partait en arrière, elles le retrouveraient en bas de la pente, la nuque brisée. L'ours en face d'eux ne semblait pas agressif, il n'était certainement que curieux de voir un humain sur un cheval. 

La jeune femme jura nerveusement. Il fallait qu'il parte avant qu'elle ne perde le contrôle du cheval. Elle ne pouvait pas tirer un coup de somation non plus, ou sa monture se cabrerait et elles allaient dévaler la pente en roulant. Elle tenta de l'effrayer en prenant une voix forte :

—Dégage, va-t'en !

Étonné, l'ours tendit l'oreille et se mit à humer l'air dans leur direction. Soudain il se retourna et émit un grognement. Le son étouffé par la mousse du galop lourd d'un cheval se rapprochait peu à peu. Henry avait réussi à remonter en selle, il apparut au loin entre les arbres. Sa jument noire sembla effrayer l'ours. 

Il détala rapidement, avec une agilité et une rapidité dont Arlette n'aurait pas cru cet être lourd et nonchalant capable. Henry semblait souffrir à chaque fois que son cheval se soulevait pour retomber dans sa cadence. Il réduit l'allure en tirant sur la bride. Arlette soupira et flatta l'encolure de sa jument. La bête était encore terrifiée, mais elle reprenait peu à peu son assurance. L'homme arriva à hauteur de la Française et arrêta sa monture pour poser une main sur sa poitrine douloureuse.

—Vous essayez de vous faire la malle ? dit-il en grimaçant.

—Je dois aller voir quelque chose à la tourbière, vous restez ici.

Il continua de tordre la bouche, plié en deux sur sa selle, et regarda dans la direction où avait fui l'ours. Il se redressa en reprenant son calme et sortit un cigare.

—Je ne crois pas, non, répondit-il en l'allumant. Vous faites vos affaires si vous voulez, mais moi je reste à côté.

Elle faillit protester mais l'idée d'avoir encore affaire à l'ours lui rappela l'intérêt d'avoir une deuxième personne à proximité. Elle le regarda cracher depuis son cheval et inspirer une grande bouffée de fumée en scrutant les bois tout autour. Ne venait-il pas de lui sauver la vie ? Et pourtant il n'avait rien du preux chevalier, il ressemblait plutôt à ces méchants au cinéma, dans les westerns, qui ne parlaient jamais que pour donner des ordres à leur bande. La plupart du temps on voyait leurs bouches s'agiter mais on ne leur donnait pas même un carton pour afficher leurs paroles. Ils restaient les plus violents des muets. 

La jeune femme s'approcha pour regarder sa chemise qui s'était imbibée de sang, mais il écarta sa main en grognant un « c'est bon » acide. Il inspira une bouffée de cigare et toussa. Elle le regarda s'étouffer avec son tabac et rouvrir sa plaie à cause de sa quinte de toux avec un mélange de pitié et d'exaspération. Oui vraiment, il ne lui manquait plus qu'un cache-œil pour jouer dans un film avec Tom Mix, pensa-t-elle. Elle mit son fusil à l'épaule et passa devant pour descendre la pente. Il la suivit sans cesser d'observer les alentours.

Ils arrivèrent au niveau de la tourbière et la jeune femme mit pied à terre dans la partie encore à peu près sèche pour avancer à tâtons. Le début de l'automne marqué par les pluies torrentielles avait affecté le paysage. Le sol était spongieux, recouvert d'une mousse vert clair.

Elle n'était plus certaine des endroits où ils pouvaient passer. Elle marcha dans un parterre d'herbe verte et sentit son pied qui commençait à s'y enfoncer sans rencontrer de surface plus dure au fond. Elle le retira du mieux qu'elle put et failli perdre l'équilibre. Il valait mieux laisser les chevaux sous les arbres. 

Elle revint à sa jument et aida Henry à descendre. Pourvu que la zone de l'arbre ne soit pas inondée... Elle passa entre les buissons et sentit son cœur se charger d'angoisse. Et si la pierre n'était pas le bon indice ? Et si ce qu'il y avait en-dessous avait disparu ? Elle arriva dans la clairière de l'arbre brisé. La pierre était là. Un gros roc rugueux de grès rose. Comment Armand l'avait-il porté jusque-là ? Y avait-il un endroit aux Etats-Unis où il avait pu s'en procurer ?

Elle sentit que la terre de la clairière était trop imbibée d'eau. Il allait bien falloir qu'elle atteigne cette pierre... Elle donna son fusil à Henry pour qu'il la couvre et prit une branche de sapin tombée au sol, assez longue pour s'en servir de bâton. Elle avança en tâtant la terre pour trouver une trajectoire menant au rocher. 

Elle s'approchait peu à peu de l'arbre aux jeunes branches vertes et réussit finalement à atteindre le roc. Elle en toucha la surface rugueuse et brillante de quartz. Il était d'un rose terne, nervuré de blanc. Il devait peser plus de soixante kilos. Lentement, elle essaya de le pousser pour voir s'il était stable. Il ne bougea pas. 

Elle regarda l'arbre fendu et examina son tronc. Non, ça ne pouvait pas être dans l'arbre. S'il y avait quelque chose, il se trouvait sous cette pierre. Mais comment allait-elle la soulever ? Comment Armand avait-il pu l'amener ici ?

Elle tenta de planter sa branche de sapin assez profondément entre la pierre et la terre pour faire levier, mais la pierre restait bien trop lourde pour qu'elle la soulève. Henry s'approcha et éteignit son cigare dans une flaque d'eau, regardant avec amusement ses efforts infructueux.

—Mais qu'est-ce que vous faites ?

—Je... Laissez-moi faire.

—Vous essayez de bouger cette pierre ? Vous savez qu'elle fait au moins cinquante kilos ?

—Si j'arrive à faire levier...

—Poussez-vous.

Il s'accroupit et posa ses mains à la base du roc. Il allait rouvrir sa blessure, pensa Arlette sans oser protester.

—Mettez-vous sur le côté avec la branche. A trois, vous poussez. Un... Deux... Trois !

Il se leva en dépliant ses jambes, faisant bouger la pierre. Arlette pressait sur le bâton de toutes ses forces. Le roc roula sur le côté. Quelque chose surprit Henry, car il recula immédiatement et la saisit brusquement par la taille pour la tirer en arrière. Immédiatement, elle essaya de s'écarter de lui en rougissant. Il la retint et avant qu'elle ait pu réagir, il pointa du doigt le roc. 

Elle se tourna sans comprendre et il la lâcha. Le rocher avait laissé place à un trou de forme rectangulaire au fond duquel se lovait un énorme serpent noir. Ses anneaux s'enroulaient autour d'une boite noire luisante.

—Un serpent sous un rocher... Souffla Henry médusé. Putain de Français...

Elle saisit fermement le bâton et essaya de faire fuir le serpent en tapant sur les bords du trou, mais il se mit à siffler et à la fixer de ses grands yeux noirs, prêt à mordre. Elle ne pourrait pas simplement le faire fuir, regretta-t-elle. Elle visa la tête du serpent pour la bloquer. D'un geste rapide, elle planta le bâton dans sa nuque et d'une forte pression, lui brisa la colonne vertébrale. 

La bête roula sur elle-même, se contractant une dernière fois sur sa prise. La jeune femme écarta son corps de la boîte et vérifia s'il n'y avait plus de reptiles dans le trou avant de sortir la boîte. Elle était recouverte de goudron. On avait dû la tremper dedans pour l'isoler de l'humidité.

Elle prit le petit couteau qu'elle utilisait pour les champignons au fond de sa veste et le planta pour y tailler une entaille de toute la largeur de la boîte. Elle s'apprêtait à l'ouvrir, puis sentant le bruit de plusieurs objets qui roulaient au fond, elle se ravisa. Elle se retourna vers Henry qui s'était accroupit près de l'arbre pour resserrer son bandage. La plaie s'était rouverte.

—Ça va aller ?

—Ouais, ouais... est-ce que vous avez fini avec vos manigances françaises ? Vous sortez un papier de votre poche et vous allez déterrer un trésor au milieu des marais tous les jours par chez vous ?

Elle s'était approchée pour l'aider à se redresser, mais elle s'arrêta et lui lança un regard placide.

—C'est ici chez moi, répondit-elle. Vous avez décidé de l'endroit où vous passerez pour la rivière ? Remontons voir au lac.

Elle retourna à son cheval sans rien ajouter. Peut-être un « merci » aurait été bienvenue se dit Henry en lui emboîtant le pas.

Ils remontèrent la pente et examinèrent les bords du lac. Il y avait des zones peu profondes où des bateaux à fonds plats pouvaient passer, et il serait possible de faire passer un traîneau pendant l'hiver, une fois le lac gelé. 

Henry voulait passer par les petites montagnes menant à la route plus à l'ouest pour éviter d'avoir à monter la ligne de crête sud avec des cargaisons importantes, mais Arlette s'y opposa. S'ils passaient par le col, on les verrait redescendre depuis la route s'ils passaient en plein jour. Et elle ne voulait pas que des hommes risquent leur vie dans la forêt en pleine nuit. Les pentes raides étaient dissimulées par la végétation dense et il était impossible de les distinguer dans le noir. Elle ne pouvait imaginer quelqu'un rester piégé là-dedans en hiver. 

Elle se représenta Henry et ses hommes, peut-être avec Kenneth ou un autre de ses amis, avançant à la lumière de lampes à huile au milieu des bois enneigés... Non c'était une mauvaise idée. Mais s'ils descendaient par les tourbières, le chemin serait plus accidenté pour des traîneaux. C'était tout aussi dangereux.

Arlette proposa qu'ils tracent un chemin allant du milieu du lac et descendant directement à la maison de Pinewood en passant par l'étang où Henry avait abandonné ses alambics. Ce trajet pourrait être effectué en journée, et on cacherait l'alcool dans les charrettes ou traîneaux transportant du bois qu'on entreposerait dans la grange où elle laissait les outils, en attendant la nuit pour les transporter sur la route. 

Cette solution évitait aux hommes de passer la nuit dans la forêt et leur donnait un alibi raisonnable pour se déplacer sur le terrain. Même si on les voyait autour du lac, ils n'auraient qu'à se balader avec des haches pour justifier de leur présence. Il leur faudrait couper un peu de bois pour dissimuler la cargaison, sous la surveillance des Irlandais pour sélectionner les essences.

Henry sourit derrière sa barbe, amusé. Il était en train de fixer le fond de l'eau lorsqu'elle émit cette proposition, montrant du doigt l'endroit où ils passeraient. Elle avait trouvé le moyen pour le forcer à travailler pour elle, pour que Pinewood n'ait pas a acheter son bois cet hiver. 

Il siffla entre ses dents et ôta son chapeau, passant une main dans la mèche longue et brune au sommet de son crâne, frôlant la longue cicatrice sur son côté gauche. C'était bien la solution la plus efficace et prudente, et elle y gagnait au change. Comme une renarde qui préparait son terrier pour l'hiver, elle tirait habilement son épingle du jeu. 

Ayant du mal à accepter qu'elle le mène à la baguette, il cherchait quelque chose à contredire. Tenant toujours sa boîte dans ses bras, elle regarda la surface à présent calme et bleuté du lac, dans le ciel de l'après-midi. Henry regarda discrètement sa poitrine se soulever lorsqu'elle respirait. Elle ne devait pas porter de corset, remarqua-t-il. Est-ce que toutes les Françaises faisaient ça ? 

Il se reconcentra rapidement sur le lac. Il y avait une famille de raton-laveurs qui cherchait des pignons de pin tombés au sol sur l'autre rive.

—Devin va être beaucoup occupé à votre ferme les prochains mois, et je suppose que vous n'aurez pas non plus de temps pour la coupe du bois. Ça vous sera toujours utile de faire amener « des charrettes pleines de bûches » depuis Pinewood. Nous dirons que vous me verserez pour chaque stère de bois un équivalent en céréales ou autre denrée de votre ferme.

—Hum.

Elle était exaspérante de ruse et de finesse.

—Pas un équivalent. Un pourcentage. Ce sont mes hommes qui seront là-haut en train de couper votre bois...

—Mes travailleurs.

—Qui ont officiellement accepté de travailler pour moi.

—Le droit de coupe sur un terrain privé coûte cher, vous savez...

— Une stère de bois pour deux livres de production de la ferme.

Elle le regarda droit dans les yeux en reprenant son air déterminé. Est-ce que ce n'était qu'un jeu pour lui ? Discuter de transaction, de prix avec une femme, ça n'avait pas l'air sérieux.

—Trois.

—Deux. On va remonter tous les jours au moins cinq stères de bois. La ferme ne produira pas assez et vous ne consommerez pas autant.

—J'ai un restaurant à faire tourner.

—Fait chier, grogna-t-il. Vous voulez nous couler avant la fin de l'automne ?

—Je veux tenir jusque-là, c'est tout.

Ils se fixèrent un instant, se défiant du regard. Henry renifla finalement et tourna la tête.

—Hum. Rentrons.

Il remit son chapeau sur sa tête et se retourna vers les montures. Elle le suivit sans rien dire, retenant son sourire.

Ils arrivèrent à Pinewood en passant par l'étang pour examiner la piste qu'ils allaient devoir tracer dans la végétation. Cela devrait prendre moins d'une semaine, il n'y avait que cinq kilomètres qui séparaient les deux points. Le passage répétés des chevaux feraient le reste du travail.

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