Chapitre 12 | Partie 3: Gooseberry Pie
HENRY
Elle sortit de la cuisine et marcha dans le salon. Les bottes arrivèrent sur le perron, faisant grincer le bois. Il entendit qu'elle ôtait la sécurité de l'arme. On toqua à la porte. Cinq coups. Elle remit la sécurité et soupira. Elle revint dans la cuisine le temps qu'on ouvre la porte, pour ne pas être visible même dans l'entrebâillement. La lumière entra dans le couloir. Elle regarda Henry un instant, elle semblait nerveuse.
—Ne vous montrez pas, s'il vous plait.
Il acquiesça et reprit sa tasse de café. Sa poitrine commençait à le tirailler. A la fois froid et fiévreux, il aurait préféré pouvoir s'allonger ou respirer un peu d'air frais, mais il était maintenant coincé dans cette cuisine, dans l'air étouffant réchauffé par le four.
Arlette s'avança dans le salon. La deuxième personne s'avançait sur le parquet grinçant.
—Comment ça se présente ? demanda-t-elle.
—J'ai parlé avec le leader du Klan, répondit une voix familière. Ils veulent la tête des Irlandais. Ils vont envoyer la police ou le Bureau d'Enquête pour enquêter sur la disparition de leurs membres.
—Quoi ? Ils ont voulu m'assassiner et maintenant ils vont utiliser des hommes de loi pour se venger ? Que peut faire ce Bureau d'Enquête ? Qui sont ces types ?
—J'avais dit à Kenneth de ne pas faire ça. La femme d'un des gars les a vus et pourrait même les reconnaître. Si le Bureau est mêlé à ça, je ne peux rien faire. C'est l'agence de lutte contre l'espionnage, les communistes, tous les grands criminels qui n'ont pas peur de la police locale. Ils doivent déjà avoir des dossiers garnis sur tes ouvriers retraités de l'IRA. Dernièrement, ces gars du Bureau ont été occupés à Chicago pour agir contre les trafiquants d'alcool et la mafia. Il paraît qu'il suffit de leur faire sentir le whisky pour qu'ils rappliquent...
—Non, c'est pas possible... Je... Je dois voir ce type du Klan et lui demander de ne pas appeler ce Bureau, il faut qu'on trouve un arrangement.
—Il va te demander de quitter Pinewood...
—Je ne peux pas laisser Kenneth et les autres se faire exécuter pour une affaire de vengeance. Joshua est mort à ma place, je ne peux pas les laisser subir le même sort.
Henry entendit depuis la cuisine la voix de la jeune femme qui se troublait. Elle pleurait.
—Je suis désolé Arlette, je les avais prévenu, mais ils n'ont rien voulu entendre. Le Klan a plus de relations que nous dans le comté...
—S'il te plaît Louis, fais quelque chose.
—Je ne peux rien faire.
—Appelle Rushlow. Tu peux passer par Fowler
Il ne répondit pas immédiatement.
—Tu veux que j'appelle le sénateur ? Arlette...
—Fais-le. Dis-lui que... Que je ferai ce qu'il faut, s'il veut toujours Pinewood...
Elle se mit à sangloter. Elle allait renoncer à tout ce pourquoi elle s'était battue si facilement ? Pour des menaces ?
Henry se leva. Il sentit sa poitrine qui l'incendiait. Il repoussa sa chaise bruyamment et s'élança jusqu'à l'encadrement de la porte. Pinewood vendu à Rushlow, donc à Lloyd. Il ne pouvait pas laisser ça se produire. Il sortit de la cuisine et passa dans le couloir. Il vit l'ombre de la jeune femme qui était adossé au comptoir, serrant ses bras contre sa taille.
Elle venait de relever la tête en le voyant apparaître. Il ne pouvait voir l'expression de son visage dans la faible lumière qui filtrait à travers les rideaux, mais il s'imaginait très bien son air horrifié. Louis était en face d'elle. Habituellement il avait le dos voûté dans ses vêtements trop larges, mais cette fois-ci, il faisait la même taille que lui. Il le fixait sans rien dire.
—Moi je traiterai avec le Klan, fit Henry.
Louis ne répondit pas. Il se tourna vers Arlette. Le contrebandier aurait tout donné pour voir sa tête de blanc-bec à cet instant, alors qu'il découvrait qu'Henry Richter était en vie, avec sa copine française. Cette idée lui redonna assez d'énergie pour se tenir debout sans s'appuyer au mur.
—Qu'est-ce que tu as fait Arlette ? s'écria Louis d'une voix sourdre, tu sais que tout Richmond le cherche depuis deux jours ? les Richter sont prêts à l'enterrer !
—Alors tu leur diras d'attendre un peu, répondit-elle en séchant ses larmes.
Elle était elle-aussi en train de reprendre le dessus. Louis était pris de court, il allait lui falloir revoir son plan pour exploiter Pinewood. Henry le regarda dans l'obscurité. Ce garagiste était un vil opportuniste, il en était à présent certain.
—Où est-ce que tu l'as trouvé ? je pensais que c'était Kenneth qui s'en était aussi occupé...
Elle regarda Louis puis se tourna vers lui.
—On en parlera plus tard. Qu'est-ce que vous pouvez faire ? lui demanda-t-elle.
Il s'avança fièrement, sans voir sur quoi il marchait. Il arriva au niveau du comptoir et y posa le coude feignant la nonchalance, alors que c'était sa poitrine qui le forçait à trouver un point d'appui.
—Ça fait partie des affaires qu'on doit aborder, répondit-il en regardant Louis dans la pénombre.
Henry se rendit compte qu'il parlait comme s'il allait déjà conclure un accord. Il se demanda soudainement pourquoi il s'était montré. Pourquoi était-il intervenu ? Il ne pouvait pas laisser Pinewood être récupéré par ses ennemis.
Mais pourquoi est-ce qu'il allait se compromettre avec le Klan pour elle ? Pour Joshua ? Pour lui rendre la pareille après qu'elle l'ait sauvé du lac ? Il se sentait soudainement envahi d'un sentiment de faiblesse qui blessait son orgueil. Il avait une dette envers elle.
Louis le dévisagea dans la pénombre. Henry serra les poings. Il se souvenait de ce gamin qui était venu en courant et qui avait essayé de le frapper, alors qu'il ramenait la Française chez elle après l'avoir retrouvée dans une mare de sang avec Jim. S'il n'avait pas été là, peut-être aurait-il pu parler avec la propriétaire de Pinewood et trouver un compromis.
Il était une épine dans son pied, un perturbateur gênant, comme il l'avait toujours pressentit. Il n'avait jamais aimé son air sûr de lui et la façon qu'il avait de jouer le garçon de ferme alors qu'il servait un sénateur dans l'ombre. S'il n'avait pas eu des vertiges, il l'aurait frappé encore une fois.
Louis s'approcha de la jeune femme et lui attrapa l'épaule.
—Arlette, tu ne vas pas t'associer avec les Richter ? Si tu te lies avec eux, avec des criminels, Fowler ne pourra plus te protéger.
Henry s'avança en fixant le blondinet. Il n'avait pas à s'interposer dans les affaires qu'il allait mener avec la jeune femme. D'un geste brusque, il le repoussa, malgré sa poitrine douloureuse. Il sentit le sang qui coulait de la plaie à nouveau ouverte. Arlette le saisit par le bras pour le retenir et se tourna vers lui sans plus prêter attention à Louis.
—Vous pouvez empêcher le Klan de s'en prendre à mes travailleurs ? demanda-t-elle à mi-voix, incertaine.
—Oui. Mais faites sortir ce type d'ici.
Elle soupira et regarda le garagiste.
—Louis...
L'homme ne réagit pas. Est-ce qu'il se sentait trahi ? Est-ce qu'il voulait se battre ? Il baissa la tête et renifla bruyamment.
—Arlette, je sais que la mort de Joshua, l'attaque, les soucis que tu as eu ces derniers temps... Tout ça t'a beaucoup affecté. Mais ne prends pas des décisions à la hâte. Tu ne connais même pas ce type, comment peux-tu lui faire confiance ? Fowler est en train de s'occuper de Lloyd et de Rushlow, je te l'ai dit. Mais il lui faut plus de temps. D'ici un mois, tu n'auras plus de problèmes avec eux, tu pourras vivre à Pinewood, avoir l'auberge que tu rêvais d'ouvrir, et tu n'auras plus de soucis...
—Et entre temps les Irlandais auront tous été arrêtés, répondit-elle sèchement. Comment peux-tu donner plus de valeur à cet endroit qu'à la vie de nos amis ?
—C'est l'héritage de ton oncle...
— Je ne sais pas si mon oncle aurait vendu Pinewood si ça avait pu sauver six personnes et leurs familles, mais moi c'est ce que je ferai.
Il ne répondit pas. Il se contenta de hocher la tête en reniflant. Il n'y avait rien à ajouter. Il fit mine de partir vers la porte mais s'arrêta.
—Arlette, je serai là quoi qu'il arrive.
Il entrouvrir la porte pour sortir sans les mettre dans la lumière. Un vent frais traversa la pièce. La jeune femme semblait dévastée. Elle resserra ses bras contre sa taille en baissant la tête. Est-ce qu'elle pleurait encore ?
—Je vous avais dit de rester à la cuisine, souffla-t-elle.
—Vous étiez sur le point de vous faire avoir par ce vendu. Et vous l'avez dit, je suis borné.
Elle le regarda sans rien dire. Elle arrivait à voir les détails de son visage. Il avait l'air de lutter contre ses propres limites, la sueur perlait dans son cou et il était de plus en plus avachi sur le comptoir. Il ne tenait plus debout.
—Je vais vous aider à remonter, dit-elle en s'approchant.
Il eut un mouvement de recul. Non, il avait encore assez de dignité pour monter des marches sans aide.
—Je peux monter tout seul.
Il s'avança vers les escaliers et sentit la douleur qui lui tournait la tête. Elle le prit soudainement à la gorge. Au lieu de monter, il repartit précipitamment vers la cuisine et vomit dans l'évier. Il était agité de tremblements et sentait les sueurs froides remonter dans son dos.
La jeune femme le suivit silencieusement et lui tendit un verre d'eau. Il se laissa glisser au sol en tremblant et se mit à fixer le parquet devant lui, incapable de bouger. Elle s'assit à ses côtés et lui passa un torchon sur le visage. Il se laissa faire sans protester.
—Vous avez perdu beaucoup de sang. Je n'aurais pas dû vous donner du café mais je n'avais rien d'autre... Vous étiez si mal que j'ai pensé à vous faire une transfusion hier.
Il tourna la tête vers elle pour la dévisager avec inquiétude.
« Ne vous inquiétez pas, j'ai vu des gens faire ça dans la boue au milieu des bois et sauver des vies... Je vous ai aussi mis une solution de Dakin pour la plaie... Ça aussi je l'ai vu utilisé, ne vous inquiétez pas.
—Où ça ? souffla-t-il en se reconcentrant sur le parquet qu'il voyait bouger autour de lui.
Il ne comprenait pas tout, il n'entendait qu'à moitié ses paroles, mais il avait besoin de l'entendre pour rester accroché à la réalité.
—En France. Ma mère avait rejoint la Croix Rouge pendant les deux dernières années de la guerre. Moi j'étais qu'une gamine, mais je la suivais.
Il tendit la main dans le noir et saisit la sienne. Elle lui sembla plus fraîche que l'air qui s'était échappé par la porte lorsque Louis était sorti. Il la serra sans réussir à parler. Le « merci » qu'il s'apprêtait à prononcer restait encore coincé dans sa gorge. Il émit une sorte de grognement gêné.
Elle se mit debout et le prit par l'épaule pour l'aider à se relever.
—Aller monsieur le bootlegger, vous ferez le dur une autre fois.
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