Chapitre 11 | Partie 1 : Will The Circle Be Unbroken

DANNY

Danny entendit les coups de feu de l'autre côté de la montagne. Il voulut monter et venir en aide à Henry, mais Betty commença à s'agiter dans la voiture. Elle avait ouvert les yeux. 

En voyant qu'elle était allongée sur les sièges arrière, elle se mit à paniquer et chercha à tâtons une poignée à abaisser pour sortir. Le monde s'assemblait lentement autour d'elle. Danny lui ouvrit la portière. Il la prit dans ses bras pour regarder ses yeux. Ils semblaient trembler comme s'ils n'arrivaient pas à rester fixes. Elle avait été droguée et ils lui avaient visiblement donné une dose trop forte.

—Betty ? Betty ? Reviens avec moi !

Elle ne tenait pas debout. Elle s'assit en convulsant et vomi contre la voiture. Danny se retourna vers la montagne d'où étaient venus les coups de feu, tiraillé. Il ne pouvait laisser sa sœur seule, pensa-t-il. Il partit fouiller dans la voiture et ne trouva qu'une bouteille d'alcool... Il ne pouvait pas lui donner ça tout de même. Elle se mit à se frotter ses bras comme si elle avait froid, en gardant les yeux rivés sur le sol. 

Il fallait qu'elle rentre. Mais Henry était toujours là-haut, et il semblait y avoir de l'agitation. Il entendit alors un deuxième coup de feu. Un unique coup de feu. Il tendit l'oreille une minute de plus pour essayer de savoir s'il y avait une réponse à ce coup. Rien ne lui parvint dans le vent. C'était un coup final, le son long et disparaissant progressivement dans l'écho des montagnes d'une balle qui avait tuée. Il en était certain.

—Restes-là Betty, je reviens, dit-il, décidant finalement.

Il commença à monter la pente raide de la montagne. Il lui sembla qu'elle était bien plus haute que ce qu'il avait imaginé, les minutes qu'il passa à l'escalader lui parurent durer des heures. Et pendant tout ce temps, une boule de peur grandissait au fond de ses intestins. Elle remontait jusqu'à bloquer sa gorge. 

Il avait laissé sa sœur seule, sans même une couverture, alors qu'elle subissait les effets secondaires d'une drogue qu'il ne connaissait pas. Et il avait laissé son frère partir en avant seul, pour affronter Jessy. Son sang se glaçait rien qu'à cette idée. Lui ne tirerait jamais, il le savait, mais elle en était capable. 

Il arriva au niveau de la crête après une longue ascension et contempla le lac. Il était recouvert d'une brume épaisse. Il fallait qu'il descende et s'approche. Il hésita à nouveau. Il s'était déjà trop éloigné pour Betty... Elle pouvait faire une overdose pendant qu'il était à la recherche d'Henry, et lui pouvait avoir besoin de son aide alors qu'il rentrait soigner sa sœur...

Il serra les poings et soupira. Il fit demi-tour. Il n'était pas certain de pouvoir retrouver son frère et l'aider, mais il savait qu'il pouvait emmener immédiatement Betty chez le docteur. Il appellerait à la maison pour demander à Samuel et à Devin de retourner au lac. Mais alors qu'il redescendait, il eut le sentiment désagréable d'abandonner son frère à la mort. Il va s'en sortir. Il a survécu à l'Alaska, c'est pas Jessy qui va l'arrêter, tenta-t-il de se rassurer.

Il retrouva Betty allongée à même le sol, elle était tombée et resta inconsciente lorsqu'il la souleva pour la monter dans la voiture. Il prit la route de Richmond avec cette boule de peur qui lui dévorait toujours l'estomac. 

Il eut l'impression pendant un instant d'entendre Henry l'appeler, crier son nom entre les arbres, puis le silence prit la place de ces cris et lui glaça le sang plus encore. Il tremblait de tout son corps. Betty était livide à l'arrière. Elle vomit encore et il crut qu'elle allait s'étouffer.

—On n'est plus qu'à quelques kilomètres de Richmond, Betty, tiens le coup !

Il accéléra et entra dans la zone habitée sans penser à l'état de la voiture qui était criblée d'impacts de balles. Il arriva en ville et se gara sur le trottoir en face du cabinet. Sans même éteindre le moteur, il sortit, saisit Betty et fonça jusqu'au bureau de son beau-père.

Le médecin, Edmund March, était un vieil homme chauve et épais, aux lunettes rondes qui donnait l'impression que tout n'était que rondeur chez lui. Il était en train de recoudre un bûcheron qui s'était ouvert le bras lorsque Danny entra dans la pièce, portant sa sœur dans ses bras. En voyant la petite qui convulsait, il s'arrêta immédiatement, laissant l'aiguille à moitié plantée dans la plaie de l'homme.

—Excusez-moi, affaires de famille, dit-il simplement d'un air grave.

Il invita Danny à le suivre dans un autre salon qu'il ferma à clef. Il prépara le fauteuil en cuir pour que Danny la pose et examina rapidement la jeune fille. Puis sans un mot, il fonça vers une petite étagère remplie de fioles de verre.

—Faites-vite Edmund, je dois passer un appel.

—Seigneur, je savais que ce genre de choses finirait par arriver, avec toutes ces affaire louches, c'était certain que l'un de vous commencerait à toucher à ce genre de choses, s'écria le docteur en ramenant une fiole, qu'il passa sous les narines de la jeune fille.

Le contenu de la fiole semblait si puissant en odeurs que Betty se colla au siège en inspirant. Le médecin lui en fit avaler une goutte et elle se tourna sur la chaise pour vomir à nouveau. Danny qui s'était dirigé vers le combiné s'arrêta net, totalement effaré en voyant sa sœur se débattre comme une possédée.

—Mais qu'est-ce que vous lui avez donné ? siffla-t-il horrifié.

—« Levantate Lazarus ». Ne me demandez pas ce que c'est. Je tiens ça d'un médecin qui revenait du Mexique. Il faut aller à l'origine du mal pour le combattre... Passez votre appel, je m'occupe d'elle.

Il lança un dernier regard inquiet au père de Martha et courut jusqu'au téléphone. Il composa le numéro. Il donna le nom de la ligne et attendit qu'on décroche.

—Allô, Devin ? Tu peux marcher avec Samuel ? J'ai retrouvé Betty mais j'ai dû l'amener voir le Doc. Il faut que vous alliez immédiatement au lac au-dessus de Pinewood, Henry a poursuivi Jessy là-bas et j'ai entendu des coups de feu.

Il raccrocha sans attendre de réponse et se retourna pour s'appuyer contre la commode et souffler un instant. La boule de peur était toujours là.

—C'est cette catin qui est de retour ? Votre sœur, pardon.

Il se retourna. Edmund le fixait avec mépris. Il s'était arrêté alors qu'il repassait à son patient qui avait toujours une aiguille dans le bras. Danny le regarda retourner dans son cabinet sans répondre, fulminant. Il détestait cet homme. Toute la richesse de sa maison, ses trois salles de travail, toutes ces pièces d'un luxe grotesque au milieu des montagnes et la condescendance qu'il avait envers son gendre l'énervaient. 

Mais ce qu'il détestait le plus, c'est qu'en sa qualité de beau-père, il se permettait d'insulter ouvertement sa famille, et de le traiter comme un vaurien irresponsable. Il adorait « devoir leur venir en aide », en apportant sa contribution au bonheur de sa fille. Une enveloppe « pour elle et les enfants », que Danny retrouvait sur la table de la cuisine lorsqu'il rentrait. Histoire de rappeler aux Richter que son gendre n'était pas capable d'être un chef de famille subvenant aux besoins des siens, et pour montrer que lui en avait les moyens. La maladie de Charles qui le clouait au lit, c'était sa nouvelle façon le faire passer pour un incapable. 

Il répétait sans cesse que l'attention de son père aurait pu prévenir ce mal... Ce vieil arriviste avait accepté quand il avait demandé la main de sa fille, probablement pour le plaisir de passer ses journées à répéter à Martha que son époux était un raté incapable de faire quoi que ce soit d'autre que de suivre son diable de frère dans tous les cercles de l'Enfer.

Il trouva un goût amer à cette expression qui résonnait dans sa tête. Cette fois-ci, il n'avait pas suivi Henry, et c'était exactement cette fois-ci qu'il ne revenait pas... A quel démon avait-il eu affaire ? Il ne pouvait plus qu'espérer que Devin et Samuel le retrouvent, avec Jessy peut-être...

Betty revint à elle en quelques minutes après le traitement radical du docteur. Elle était si retournée qu'elle ne pouvait plus articuler une seule phrase. Elle pleurait en regardant son frère s'approcher d'elle, se refusant à ce qu'il la touche dès qu'il tendait une main vers elle.

—Ils t'ont touché, Betty ? demanda-t-il brusquement.

Elle serra ses bras contre sa taille en pleurant en secouant la tête frénétiquement. Il s'en voulu immédiatement d'avoir posé la question si directement. Elle en avait vraiment trop vu, se dit-il, d'abord les hommes de Lloyd qui l'avaient menacé à Pinewood, puis la mort de son amie Arlette, et enfin sa propre sœur qui la trahissait pour l'emmener avec des inconnus. Et ce n'était pas fini, il fallait qu'il lui annonce la suite pour qu'ils puissent enfin rentrer.

—Betty, écoute-moi, il faut que tu te calmes, il faut que tu sois forte. Henry n'es pas revenu...

Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent d'horreur.

—Pourquoi tu n'es pas allé le chercher ? s'écria-t-elle.

—Je ne pouvais pas te laisser comme ça. J'ai envoyé Dev et Sam le chercher, mais il faut qu'on rentre maintenant. Il faut qu'on... Prépare la maison pour quand il reviendra avec Jessy, tenta-t-il de l'apaiser.

—Je ne veux plus jamais la voir ! Je ne veux pas que Jessy revienne ! hurla t'elle soudainement en se griffant le visage.

Cet enfoiré d'Edmund devait se gausser dans son cabinet, pensa Danny en saisissant sa sœur par la force. Elle était totalement hystérique. Pourquoi se mettait-elle dans un état pareil ? Qu'est-ce qui s'était passé ? La drogue faisait encore effet ? Il la ramena à la voiture, malgré ses efforts désespérés pour s'écarter de lui. Il aurait voulu lui dire qu'il avait un mauvais pressentiment, qu'il avait entendu des coups de feu, qu'il n'était pas sûr que leur grand frère était encore de ce monde. 

Mais cela n'aurait servi à rien. Elle ne voulait rien entendre. Et il voulait partir avant que le docteur ne revienne lui donner une de ses leçons de morale sur la façon dont il devait traiter sa sœur... C'était assez rabaissant d'avoir besoin de lui, pas besoin qu'elle en rajoute en piquant une crise devant tout le monde.

Ils rentrèrent immédiatement. La nuit tombait de plus en plus vite en ce milieu de mois d'août, il espérait que Devin trouve son frère avant qu'il ne fasse nuit noire. Lorsqu'ils arrivèrent à la ferme, le spectacle qui les attendait les laissa sans voix. La grange était en ruines. Les deux gueules-cassées avaient dû essayer d'éteindre le feu et la pluie avait fait le reste. Il s'en échappait une forte odeur de bois brûlé et d'essence. Betty sortit de la voiture pour rentrer directement et s'enfermer dans sa chambre. 

Danny hésita à la suivre. Il ne savait pas ce qu'elle était capable de faire. Il ne l'avait encore jamais vu dans cet état, et c'était bien pire que les crises de Jessy auxquelles il avait assisté étant petit. Pourquoi les femmes ne pouvaient-elles pas frapper dans un mur, casser le nez d'un pauvre type ayant le malheur de passer par là au mauvais moment, puis reprendre le contrôle et retourner à leurs activités normales ? 

Il monta à l'étage pour aller la voir et vit que la porte de la chambre d'Henry avait été forcée. Elle avait été mise à sac. Tous les tiroirs avaient été jetés au milieu de la pièce, ses vêtements s'entassaient avec les cartouches de pistolet qu'il cachait sous son lit, un article du New York Times vieux de plus de trois ans parlant d'un groupe de musique, The Carter Family et... Un prospectus bleu et blanc pour l'inauguration de l'auberge de Pinewood. Pourquoi avait-il gardé ce bout de papier ? 

Il entra et regarda les photos de famille. Elles étaient toutes tombées. Jessy avait cherché l'argent, tout ce qui avait de la valeur, et elle avait laissé sa marque.

Danny courut dans la chambre qu'occupait Devin et y vit le même spectacle. Il oublia Betty et redescendit précipitamment pour aller dans la cuisine. Il n'avait pas regardé le plus important lorsqu'il était revenu avec Henry, il avait loupé ce détail. 

La planche sous le seuil de la cuisine avait été déplacée pour en retirer leurs économies. Cette renarde de Jessy avait toujours du flair pour l'argent durement gagné... C'était comme si elle était irrésistiblement attirée par le sang et la sueur de ceux qui travaillaient tous les jours de leur vie...

Il s'assit dans la salle à manger et vit Devin qui revenait avec Samuel. Ils n'étaient que deux dans la voiture. La boule de peur lui attaqua à nouveau le ventre et il sentit sa gorge se nouer. Non, ce n'était pas possible. Ils avaient certainement allongé Henry à l'arrière.

Il se leva et ouvrit la porte. Devin sortit de la voiture en gardant la tête basse. Sans dire un mot, il saisit quelque chose à l'arrière et l'amena à Danny. Un chapeau noir, trempé, imbibé de l'eau du lac. Les deux hommes se regardèrent sans échanger un mot. Samuel ouvrit sa portière et partit directement vers la forêt. Il disparut entre les arbres. 

Eux aussi auraient aimé pouvoir s'enfuir dans les bois et pleurer, se rouler dans la boue et frapper dans un tronc. Devin était dévasté. C'était tout ce à quoi il tenait qui s'évanouissait, tout ce pourquoi il était encore de ce monde. Danny était perdu. Il n'arrivait pas à réaliser ce qui s'était passé. Encore quelques heures auparavant, il était avec son frère, lui reprochant de ne pas s'occuper de son neveu Charles.

Ils entendirent Betty qui dévalait les escaliers et qui courait jusqu'à la porte. Elle s'arrêta en voyant le chapeau. Danny ferma les yeux, elle allait se remettre à pleurer et à crier, pensa-t-il. Et lui que pourrait-il faire alors ? Il faudrait qu'il soit celui qui reste fort pour eux et qui ne verse pas de larmes. Comment pouvaient-ils être aussi cruels en lui laissant ce rôle d'homme solide... En lui laissant le rôle d'Henry.

La jeune fille s'approcha et prit le chapeau qu'elle serra dans ses mains. Elle leva ses yeux embués de larmes vers ses deux frères et serra plus fort. Ils n'étaient pas chargés de tristesse, ils étaient plein de colère.

Ils n'étaient plus que trois. Il n'y avait maintenant plus qu'eux. Plus qu'eux pour continuer l'œuvre d'Henry. Plus qu'eux pour défendre la famille, pour reconstruire la grange, pour récupérer leur argent, pour survivre à l'hiver. Elle colla le chapeau contre sa poitrine et inspira profondément. Comment avait-elle pu être si puérile et détestable avec son frère, pensa-t-elle. 

Il était mort pour la sauver, elle et sa sœur. Il était comme le grand pin au fond du pré. Elle n'avait jamais fait que vivre dans son ombre protectrice sans jamais voir que c'était grâce à lui qu'elle était à l'abri de la pluie et du vent, lorsqu'elle jouait près de ses racines. 

Jamais elle ne s'était rendu compte que ce qui lui permettait de ne pas se perdre dans les montagnes, c'était de voir sa cime plus haute que les autres au milieu de la forêt pour savoir où devaient se diriger ses pas. Elle n'avait pas su apprécier son feuillage persistant pendant le rude hiver, son corps qui se courbait sous la force du vent, mais qui jamais ne cédait. Il avait fallu qu'une vermine issue de ses racines ne l'attaque de l'intérieur et atteigne sa sève pour qu'il finisse par joindre les forêts d'ifs.

—Et Jessy ? finit-elle par demander d'une voix blanche.

—Elle a disparu. Elle doit être passée au Canada. 

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