Chapitre 10 | Partie 4: A Man of Constant Sorrow

JESSY

Jessy courrait comme une folle. Elle avait laissé ses cheveux voler au vent et sentait l'air des montagnes aviver la couleur de ses joues. Elle volait presque, pendue au bras de Nathaniel. Elle avait l'impression de pouvoir aller au bout du monde. L'âge, les expériences, sa famille. Tout cela n'avait plus d'importance. 

Elle allait prendre un nouveau départ ! Elle serrait fermement le sac dans lequel elle avait placé l'argent et les bijoux. Tu as peut-être pris de l'âge, mais tu restes un imbécile, Henry, se dit-elle. Tu n'as jamais pensé à changer la cache à billets des parents. Elle l'avait trouvé au même endroit que la fois précédente, sous la planche du seuil de la cuisine.

Son petit frère taciturne avait toujours été un peu trop sentimental avec la maison familiale. Il aurait mieux fait de la brûler jusqu'aux fondations pour en détruire les moindres parcelles de famille qui y subsistaient. Mais il s'évertuait à faire rester ses frères et sœurs dans cette vieille ruine, comme des parasites.

Elle s'arrêta une seconde pour souffler. L'ascension avait été longue, mais ils arrivaient enfin en haut de la montagne, et de là ils pouvaient voir le lac aux eaux grises et la rivière. Nathaniel l'aida à sauter par-dessus un trou de boue et ils continuèrent à courir.

—Tu crois qu'ils vont réussir à transporter Betty jusqu'à la barque ? Demanda-t-elle après qu'ils aient passé une clairière.

A ce moment ils entendirent des coups de feu en contrebas. Elle se retourna et regarda Nathaniel. Il arma son revolver. C'était ses frères, pensa-t-elle. Ils allaient tout faire rater ! Son évasion, ses perspectives pour sa petite sœur et elle, ils allaient encore tout gâcher. Tout ça à cause de l'avarice d'Henry qui voulait toujours tout contrôler. Moi tu ne m'auras pas, sale assassin... Pensa-t-elle.

—Tes frères, certainement, fit l'homme avec inquiétude. On n'a pas le temps d'attendre les autres, ils ne pourront pas porter Betty et...

—Ils le pourront une fois qu'ils auront tué Henry, répondit froidement Jessy en fixant la cime des arbres.

Il la regarda avec effroi. Il avait rencontré cette femme quelques mois plus tôt, dans un salon à Chicago, et il avait tout perdu pour elle. Elle était sombre, magnifique, et elle avait de l'ambition, alors que lui n'était qu'un petit joueur de poker fauché. Lorsqu'il l'avait vu pour la première fois, il s'était dit qu'il pourrait tout accepter si elle daignait poser un regard sur lui. Ses amants, son travail de nuit, il avait tout accepté sans broncher. Parce qu'ils étaient unis, parce qu'ils avaient un plan, un objectif à mettre en œuvre.

Il observa Jessy qui reprenait son souffle et vérifiait la semelle de ses bottines noires. Il avait toujours trouvé que son maquillage profond d'actrice avait quelque chose d'hypnotique, mais à cet instant, il ne voyait plus qu'une poupée de cire macabre aux grands yeux noirs. Elle était prête à tuer son propre frère... Alors qu'ils étaient enfin en train de mettre en œuvre le plan qu'ils avaient préparé depuis leur rencontre, il était pour la première fois assailli de doutes.

Depuis qu'il l'avait vu maltraiter sa propre sœur, la jeter en pâture à ses acolytes, il ne la croyait plus capable de loyauté. Le voile de luxure qui avait couvert son jugement commençait à se déchirer. Jessy n'était pas la déesse qu'il s'était imaginé. C'était une reine froide, dont il voyait à présent les faiblesses, les imperfections et les tourmentes.

Mais il était là, au milieu des bois du Maine avec cette femme et les crimes qu'elle l'avait poussé à commettre. Il ne pouvait plus reculer. Il n'ajouta rien et ils continuèrent leur cavalcade vers le lac.

Henry arriva en haut de la butte et s'arrêta un instant pour reprendre son souffle. Le temps commençait à se dégager pour laisser le ciel bleu apparaître dans les hauteurs. Le lac était juste en bas. Il reprit sa course effrénée. Alors qu'il se laissait pousser par l'apesanteur pour descendre plus vite la pente, il glissa dans un trou de boue et chuta. Il sentit qu'il tombait de tout son poids sur sa blessure et eut encore plus de mal à se relever.

Ses jambes étaient profondément enfoncées dans la boue. Il chercha un appui autour du trou mais ne trouvant que la racine d'un pin qui sortait de terre, il se traîna jusqu'à elle et s'y tracta pour sortir de la bourbe et se relever. La douleur était si intense qu'il en claquait des dents. Il resta plié en deux au sol, tentant de calmer le tremblement de ses muscles puis se releva. Ce n'était pas qu'une simple égratignure.

Il sentit les battements de son cœur qui s'intensifiaient et une décharge électrique lui traverser l'échine. Ses membres ne tremblaient plus. L'adrénaline, enfin. Il reprit sa course, sautant par-dessus les souches, évitant les zones boueuses. Il vit alors la lumière entre les arbres qui étaient de plus en plus écartés les uns des autres.

Il approchait du lac. Il ne pensait plus, il ne voyait plus. Tout ce qui émanait de lui était la volonté d'arrêter sa sœur. Courant plus vite, il dû stopper sa course en se laissant glisser dans l'herbe pour ne pas continuer jusque dans les roseaux. Il était au bord de l'eau.

Il suivit le rivage jusqu'à ce qu'il retombe sur les traces dans la terre. Ils avaient pris une barque.

Quand avaient-ils organisé ça ? Comment avaient-ils pu préparer un tel plan sans qu'il s'en rende compte, alors qu'il avait des yeux et des oreilles partout dans le comté ? Ils étaient passés par Pinewood parce qu'ils savaient que les Richter n'y entraient pas... Il regarda à l'horizon. La barque était là, à une trentaine de mètres de la rivière. C'était un large batteau utilisé par les flotteurs de bois.

Il fallait qu'il les rattrape avant qu'ils ne passent dans les rapides. Ils serraient inaccessibles dans le courant de la rivière. Heureusement pour lui, Jessy était aussi bonne en navigation sur une barque que pour faire la cuisine. Le type qui était avec elle avait dû espérer être accompagné des deux autres pour mener l'embarcation. Il se retrouvait seul pour maîtriser un canot de six personnes.

Henry s'écarta un peu des berges pour ne pas être vu et reprit sa course dans les bois. Les arbres défilaient autour de lui et il avait l'impression d'éviter les branches à un rythme de plus en plus soutenu. La barque allait approcher de la rivière. Il lui restait vingt mètres à nager pour y arriver. Il bifurqua soudainement vers le lac, enleva sa veste et ses chaussures rapidement et plongea. Il ne sentait plus la douleur à son flanc.

Le contact de l'eau froide lui fit l'effet d'un deuxième choc, il sentit son cœur qui se resserrait comme s'il était comprimé de l'intérieur. Ses mains se crispèrent, son cou se durcit. Non, il n'allait pas s'arrêter maintenant. D'un geste brusque, il se frappa la poitrine dans l'eau et remonta à la surface pour nager. Ils l'avaient vu.

—Rame, Nat, plus vite ! hurla Jessy, donnes-moi ton flingue !

Le type sur la barque eut du mal à comprendre les ordres. Il rama plus vite tout en essayant de sortir son arme et tenta de tirer dans l'eau d'une main alors que l'autre tentait de dévier la trajectoire de la barque. Henry replongea et continua de nager sous l'eau.

Lorsqu'il refit surface, il entendit à nouveau les cris de Jessy qui se battait avec l'homme pour prendre le colt. Il profita de l'agitation pour nager à la surface sur les derniers mètres et utilisa toute la force qu'il restait à ses bras pour se hisser sur la barque, qu'il dû faire pencher de moitié lorsqu'il y monta. L'homme et Jessy tombèrent en arrière, l'un sur l'autre.

Henry se mit debout sur la barque, bandant ses muscles, prêt à bondir, face à sa sœur qui venait de prendre possession de l'arme. Son maquillage avait coulé le long de ses yeux noirs, son rouge à lèvres était moins sombre à la commissure de ses lèvres.

Ses cheveux courts volaient au vent. Etait-ce encore un visage, ou un masque qui se désagrégeait peu à peu ? Elle pointa l'arme vers lui. Lui n'en avait plus, la sienne était restée dans sa veste, sur la berge. Il tendit les mains en avant.

—Jessy, arrête ça immédiatement, dit-il.

—Va te faire foutre Henry, Betty méritait mieux que de vivre avec votre bande de cul-terreux, et avec un meurtrier ! T'as tué Walter, espèce de salaud.

Il se rendit compte qu'elle était terrifiée. Elle avait dans les yeux la peur, la peur d'un enfant dans le noir. Il n'était plus son frère pour elle, il représentait tous les hommes qu'elle avait connus.

—Lâche ce flingue, Jessy. On est ta famille, on est là pour t'aider. Si t'as des dettes, t'es pas obligée de fuir, on peut-

—Ferme-là ! T'es qu'un putain d'assassin Henry ! Va en Enfer, toi et tes frères !

Son regard n'était plus que fureur. Elle avait les mêmes yeux noirs dans leurs orbites blancs, le même regard que le sien. Elle tira. Henry sentit la balle s'enfoncer sa poitrine et la haine de sa sœur lui percer le cœur. Il tomba en arrière, s'affalant dans la barque.

Jessy s'approcha, son colt braqué sur sa tête. Henry la fixait, impuissant. La balle s'était logée un peu trop en haut à gauche pour atteindre le cœur. Il vivait, mais il ne pouvait plus bouger. Il aurait encore pu parler, l'implorer, mais il ne dit rien. Il respirait bruyamment et se vidait peu à peu de son sang. Elle était au-dessus de lui, souriant avec mépris.

—Nat, mets-le à l'eau, ordonna-t-elle froidement.

L'homme regarda Henry sans réagir, choqué. Elle se retourna vers lui et braqua l'arme sur sa tête.

—T'es en train de te dégonfler Nathaniel ? demanda-t-elle d'une voix sombre.

Il ferma les yeux et pris une bouffée d'air. C'était trop tard pour lui. Il saisit Henry par les pieds. Il les passa par-dessus la barque, puis le souleva par les épaules et fit passer son corps par-dessus bord, sans oser regarder le visage de l'homme qu'il était en train de tuer.

Henry sentit l'eau le recouvrir, et la barque se transforma en ombre peu à peu évanescente. Il perçut un instant la brûlure froide des profondeurs, puis fut envahi par le silence. Plus de cris, plus de questions, seulement le silence glacial de la mort.


Fin de cet avant dernier chapitre de Pinewood ! Qu'en avez-vous pensé ? 

Voici en lien la musique pour la chute d'Henry

https://youtu.be/cO6zakt0lgc

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