Chapitre 10 | Partie 2: A Man of Constant Sorrow
ARLETTE
Elle fut réveillée par les deux juments qui tapaient toutes deux contre les portes de leurs enclos. Le Chien s'était mis à aboyer. Elle crut d'abord qu'un feu s'était déclaré. Elle se leva rapidement, et courut jusqu'à l'échelle. Pas de fumée. Le chien la regardait d'en bas. Il aboyait dans sa direction. Elle se rendit compte qu'elle s'était levée et avait fait tout le chemin jusqu'à l'échelle sans en éprouver de difficulté.
Est-ce qu'elle était guérie ? Elle ignorait combien de temps était passé depuis le départ des Irlandais. Par la seule fenêtre du premier étage, elle pouvait voir la cime des pins et des bouleaux à côté de la rivière. Il y avait un peu de brume entre les arbres.
Cette brume qui avançait lentement dans les bois et apportait avec elle les ombres fantomatiques... Les lumières du jour étaient dissimulées par de lourds nuages menaçants, et le soleil était presque au zénith. Elle se retourna vit qu'une jupe et un gilet lui avaient été préparés. Les vêtements étaient posés à côté de son long manteau noir, de ses bottes et de son chapeau.
Le chien et les chevaux étaient toujours agités. Ils tambourinaient aux planches et poussaient des grognements effrayés. Y avait-il un ours ou un intrus dans les parages ? Anxieuse, elle s'habilla rapidement, prenant soin d'éviter de trop bouger son bras blessé et s'arrêta devant l'échelle. N'y avait-il pas d'autres moyens de descendre ?
Elle se décida finalement à descendre en gardant le bras replié au niveau de la taille, s'appuyant à l'échelle du plat de la main tandis que de l'autre, elle maintenait tout son poids pour ne pas tomber. Elle sentait la sueur froide remonter le long de sa colonne vertébrale et sa vision qui se troublait. Cette blessure n'était pas si profonde, c'était l'inaction et le désespoir qui l'enlisaient dans la faiblesse. Les aboiements du chien lui semblaient de plus en plus proches, de plus en plus bourdonnants.
Soudainement, le chien retroussa les babines comme s'il voyait soudainement un autre personne en elle. Il faillit lui sauter dessus, mais elle le bloqua en lui donnant un coup de pied avant de toucher le sol.
—Du calme, le chien ! cria-t-elle.
La bête semblait paniquée, comme les chevaux, elle se réfugia sous un établi en couinant. Arlette alla à la porte pour l'ouvrir et faire entrer le vent frais dans l'étable. L'air lui semblait soudainement vicié, trop chargé d'odeurs. Lorsqu'elle saisit la porte, elle remarqua que celle-ci était gelée.
Elle tira la poignée et ouvrit l'étable au monde extérieur. Le spectacle en face d'elle lui glaça le sang. La brume était si dense qu'elle ne pouvait discerner les fermes de Charles et de John. Là dehors, le monde était silencieux comme le fond d'un puit. On n'entendait pas un oiseau, pas un animal. Ce n'était pas une matinée normale.
Le chien s'approcha de la porte et se mit à gronder. Les spectres étaient venus, pensa-t-elle. Elle referma brusquement la porte et caressa le chien. Une pensée fiévreuse s'insinua rapidement dans son esprit. Joshua n'en avait pas terminé. Il venait la chercher. L'amener à lui. Il fallait qu'elle aille le retrouver pour qu'il lui dise ce qu'il avait à lui avouer.
Cette idée lui parut soudainement plus réaliste, plus concrète que celle de rester là à attendre le retour des hommes. Quelque chose de terrible venait de se produire. C'était peut-être peine perdue, mais que se passerait-il si là, maintenant, elle ratait sa dernière chance de voir Joshua. Il fallait qu'elle le voie. Une dernière fois. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Pas avec une phrase inachevée. Elle essuya les gouttes de sueur sur son front et s'adossa à la porte. Ses jambes tremblaient.
—Tu veux venir Le Chien ?
Le molosse noir la regarda et arrêta d'aboyer. A quel point cette bête était-elle capable de la comprendre ?
Elle prit la selle avec les harnachements de la jument noire et poussa un juron. La selle avait tapé son épaule. Elle s'avança jusqu'au cheval qui s'ébroua. Elle ne connaissait pas cette bête, c'était toujours Ronald, et seulement Ronald, qui s'occupait des chevaux. Elle ne savait même pas si elle avait un nom. Peut-être que si les gens d'ici ne donnaient pas non plus de noms aux chevaux. Mais elle ne pourrait pas aller jusqu'au lac à pied. Elle espéra que la jument soit aussi compréhensive que le chien.
Après quelques sueurs froides et de nouveaux jurons, elle ouvrir à nouveau la porte et sortit, montant la jument, accompagnée du chien. Avoir réussi à poser, attacher et sangler tout l'attirail d'équitation relevait plus du miracle que de l'effort. La fièvre qui lui brûlait le front et les joues. Alors qu'elle avançait le long de la rivière, l'air froid de la forêt, chargé de l'odeur de la sève de pin et de la terre humide lui fit l'effet d'un seau d'eau en pleine face. Elle sentit une nouvelle vigueur l'envahir.
Elle avait réussi à enfiler un pull supplémentaire, appartenant probablement à Paddy, et n'ayant pas trouvé d'arme pour se rendre en territoire des ours. Elle avait simplement emporté une hachette qu'elle avait trouvée à l'établi. Elle savait où la mènerait la brume de toute façon. Dans la forêt, près du lac, là où Joshua aimait aller. La rivière s'était assombrie sous le ciel gris. Le bruissement des eaux noires ressemblait à des sifflements de serpents aux oreilles d'Arlette. Sans oser regarder les ondes mouvantes, elle suivit leur cours jusqu'à l'orée des bois.
Lorsqu'elle entra dans la forêt, la brume se leva un peu et elle put suivre la piste du lac. La jument avançait lentement, s'arrêtant de temps en temps pour humer l'air, comme si elle y percevait quelques présences étranges. Le brouillard se condensait en un fin crachin qui laissait le manteau d'Arlette trempé.
C'était comme si l'automne était arrivé en une journée. Elle serrait son bras blessé contre l'autre, alors que la fièvre la gagnait peu à peu. Des larmes coulèrent sur son visage sans qu'elle puisse qu'elle savoir si elles venaient de sa tristesse ou de la douleur. Elle avait l'impression d'être à la fois guidée et perdue. Les troncs passaient les uns après les autres, comme s'ils s'écartaient sur son chemin puis se mettaient à la suivre. C'était cela, le cortège végétal de Joshua.
Comme il aimait ces bois, ces arbres, cette mousse qui couvrait les sons et rendait chaque branche qui tombait aussi légère qu'une plume. Elle chevauchait avec lui. Comme quand ils allaient chasser ensemble. Le chien était partit en avant. Il trottait, le museau collé au sol, dans le silence total de la forêt. Il revenait sur ses pas dès qu'il perdait de vue la cavalière.
Qu'était-elle en train de faire ? pensa-t-elle soudainement en sentant la peur la ramener un instant vers la raison. Elle était blessée, elle ne savait pas quelle heure il était, et elle sortait en montagne, en plein brouillard... Guidée par des mots entendus dans un rêve.
Le chien s'arrêta net. La jument sursauta et Arlette dû resserrer les rênes pour en reprendre le contrôle. Les deux bêtes avaient senti quelque chose. La jeune femme plissa les yeux. Le sentier devant eux n'était qu'un étroit passage entre les troncs et les fougères. On ne voyait pas le ciel, et l'horizon s'arrêtait à trois mètres, bloqué par les milliers de sapins et de thuyas, créant une obscurité sans profondeur. Contrairement aux autres côtés, le sentier qui leur faisait face était comme tracé par une nappe de brume blanche.
Prise d'un sursaut de pragmatisme, la jeune femme se mit à chercher une raison plausible à cette brume mystique. C'est parce qu'on approche des tourbières, se répétait Arlette pour se convaincre. C'est juste l'humidité des marécages. Il faudra faire attention et c'est tout. Rien d'extraordinaire, juste du brouillard par temps de pluie. Elle talonna la jument et siffla le chien pour qu'il avance, mais aucun des deux ne réagit. Ils étaient pétrifiés. Elle releva la tête et vit à cent mètres sur le sentier la forme qu'ils fixaient.
Il avait les yeux vides, un visage vaporeux et un corps qui s'étirait dans la nappe de brouillard. Il tourna la tête vers elle. Sa bouche s'ouvrit lentement, et un vent froid traversa la forêt. Il était loin, presque caché entre les troncs noirs, et pourtant elle pouvait voir sa tête de façon précise. Arlette sentit la peau de son cou et de ses bras se refroidir d'un seul coup et ses poils se hérissèrent. Elle sentit la terreur qui perçait le creux de sa nuque comme si son âme essayait de s'en échapper, tirant dans sa fuite vers l'arrière ses épaules raidies. Le fantôme se dissipa lentement dans le vent. Elle déglutit. Le spectre avait totalement disparu.
Etait-ce un avertissement ? Une invitation ? Comment était-il possible que les animaux l'aient aussi vu ? Ce n'était que des hallucinations, qu'il n'y avait rien, aucune vérité derrière les apparitions qu'elle rencontrait dans les bois. Mais comment les animaux pouvaient-ils y réagir aussi ? C'était donc vrai. Les légendes racontaient que si on errait dans les montagnes, on faisait d'étranges rencontres. Les hommes qu'on rencontrait dans la forêt n'en étaient pas véritablement.
Elle tira les rênes de la jument et redonna un coup de talon pour la faire avancer. La bête sursauta et se mit à placer un sabot devant l'autre sans rechigner, comme si elle s'éveillait lentement. Le chien les suivit à l'arrière, la queue entre les jambes. Il faisait de plus en plus froid. Elle serra la ceinture de son manteau et empoigna sa hachette. Elle irait retrouver Joshua. Elle affronterait les spectres de la forêt obscure.
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