0. Photo n°0 : Comment je suis tombé amoureux

Je m'appelle Cléo Clébert, et j'ai changé.

Les choses sont parfois étranges. Elles se déroulent d'une certaine manière et suivent leur cours sans qu'on ne comprenne bien comment. Prenez « moi », par exemple. Je suis un jeune homme de dix-huit piges. Sans vouloir me venter, je suis beau. Je n'ai aucun doute à ce sujet. Il suffit pour s'en convaincre de voir l'effet que j'ai toujours pu faire aux autres, à commencer par certaines personnes dont la fréquentation ne serait pas recommandable.

Mais que voulez-vous ? Est-ce ma faute si certains sont prêts à payer uniquement pour avoir le droit de poser leurs doigts gras et dégueulasses sur les cuisses d'un adolescent en fleur ? Est-ce ma faute si ma peau très blanche, mes cheveux très noirs, la douceur de ma peau, ma taille fine et mon sourire éclatant et pervers, rehaussé par l'étincelle de mes yeux gris bleuté, attirent les ours affamés de miel ? De mon miel ?

Et est-ce ma faute si, au lycée, j'ai si souvent accepté leurs caresses, sans trop leur en donner mais toujours en essayant de tout leur prendre ?

Certains seraient tentés de répondre que non, qu'on ne choisit pas ces choses-là, qu'on ne se présente pas sur une place publique pour subir des gestes infamants, que nul jeune homme ne mérite de passer ses nuits à pleurer en se trouvant dégueulasse, en haïssant sa vie et en voulant parfois en finir. Personne.

Ils se trompent.

Je mérite ce qui m'est arrivé. Non pas parce que je l'ai cherché ou voulu, ni même provoqué. Je le mérite car je suis moi. Je ne sais pas très bien comment l'expliquer, comment exprimer ce sentiment. Mais c'est ma vie, telle que je l'ai vécue, mes choix, mes erreurs et surtout mes névroses.

Bien sûr, les personnes les plus avisées auront vite fait de me trouver des circonstances. Perdre ses parents si jeune... se retrouver avec sa sœur jumelle placés chez un oncle, ne plus jamais ressentir l'amour d'une mère, la fierté d'un père, l'étreinte protectrice d'un adulte... Ça casse. Tout comme comprendre trop jeune que son propre corps est à la fois une marchandise autant qu'une arme. Un collégien ne devrait pas avoir ce genre de considérations, pas plus qu'un lycéen. Personne, en fait.

Mais savez-vous à quelle introspection un jeune garçon ne devrait jamais être confronté ?

« Pourquoi j'aime ma sœur ». Une question qui en entraîne d'autres. « Pourquoi je la désire ? Pourquoi suis-je à ce point en perdition quand je pense à elle ? Pourquoi ces idées traversent-elles mon esprit ? Pourquoi suis-je incapable de maîtriser mes rêves quand je me caresse ? Pourquoi je pleure en le faisant ? Pourquoi suis-je comme ça ? Pourquoi un tel monstre ? Pourquoi ne puis-je rien faire pour elle qui se détruit de son côté ? Pourquoi suis-je si lâche ? Pourquoi j'existe ? Pourquoi je ne meurs pas ? »

Toutes ces questions, je me les suis posées. Charmer des filles et des garçons de mon âge et rendre fou de désir des vieux schnocks était alors pour moi une façon d'y répondre. J'étais un salaud qui faisait du mal aux autres et qui souffrait en retour. La réponse était tellement simple. Elle m'allait.

Aujourd'hui, je fais près d'un mètre quatre-vingts. Je suis plutôt grand, élancé, et toujours aussi beau. J'ai une tête de bébé, qui n'a presque jamais besoin de connaître les joies du rasoir, mais qui sait faire fondre n'importe qui d'un seul regard. Mes cheveux sont lisses et brillants. Ils me tombent sur les oreilles, parfois sur les yeux. J'entretiens mon corps à la perfection, ne laissant rien pousser ou dépasser, chassant la graisse comme la peste. Je suis beau. Au zénith de ma beauté. Je le sais. Je ne peux plus que me faner, vieillir et devenir un jour le miroir de ceux que je déteste. Et je m'en fiche éperdument. Cela ne revête aucune forme d'importance. Je m'appelle Cléo Clébert, et je viens de rentrer en première année de classe préparatoire scientifique au lycée du Lac, à Lyon, un des meilleurs de la région, voire de France. Je m'appelle Cléo Clébert, et j'ai changé.

J'assume avoir mérité le mal que je me suis fait. Parce que j'en ai fait aux autres, et que j'en cherchais en retour. Était-ce utile ? Non. Fut-ce efficace ? Encore moins.

J'ai failli tout perdre. Je n'ai à propos de mon comportement passé presque que des regrets. Je me suis moi-même détruit, encore plus que ce que la vie m'avait prévue. Mais je ne suis pas à plaindre. Les gens peuvent bien passer leur chemin et me regarder d'un air dépité sur le bord de la route. Ils ont raison. Si j'étais eux, j'en ferais de même. Non, c'est en réalité exactement ce que j'ai décidé de faire, avec ce garçon qui n'est plus moi.

Il m'aura fallu une année de première bien tourmentée et presque une année de terminale pour m'en remettre, pour enfin pouvoir sourire comme je le fais aujourd'hui. Alors que j'étais au bord du précipice, des camarades de classe m'ont rattrapé, m'évitant une chute mortelle. Je les avais tous blessés, je pense, mais ils n'en eurent rien à faire. Ils m'ont offert leur amitié, à condition que j'apprenne à m'aimer. J'ai accepté de les écouter.

Je n'ai jamais cessé de désirer ma sœur, je n'ai jamais cessé non plus d'admirer sa folie, sa créativité incroyable, sa façon de voir le monde et de se moquer de tout. Je n'ai jamais cessé de me soucier d'elle, de vouloir la protéger, voire la servir. C'est en acceptant la nature de mes sentiments que j'ai réussi à m'en détacher. J'ai pu m'apaiser en la laissant dans les bras d'un garçon qui la méritait et en vivant ma propre vie à côté. Forcément, j'aurais souhaité pour elle que son histoire d'amour dure toujours. Mais son petit copain, un véritable ami à côté de ça, a choisi de suivre une bonne partie de la bande à Paris, là où sa dulcinée a préféré rester dans la région. Elle souhaite se lancer dans divers projets artistiques, faire du théâtre, créer. Notre oncle l'a convaincue d'au moins essayer une année de fac. Du coup, elle s'est inscrite dans un cursus d'histoire de l'art à l'Université Lyon 2. Elle semble heureuse, mais elle parle encore de Gabriel comme s'il était toujours à elle. Elle dit s'être remise de son récent départ et le prendre bien, mais elle m'a tout de même confié vouloir l'étriper s'il remettait les pieds dans le département. J'ai quelques doutes sur le fait qu'elle ait réellement accepté leur séparation, mais je lui fais confiance pour avancer et gérer ses sentiments. Elle aussi, elle a grandi.

Je me sens tellement plus libre aujourd'hui en ayant renoncé à me détruire. Je n'ai toujours pas vraiment compris comment ma vie avait pris ce chemin, et je ne cherche même pas à savoir. Cela ne représente plus grand-chose. Mes camarades de classes actuels ignorent tout de cette partie de mon passé. Ils voient en moi celui que je suis maintenant. Une tête en maths qui mâchouille du chewing-gum à la pastèque en cours, qui résout des systèmes d'équation en se léchant les lèvres d'excitation, qui grogne en bossant la nuit, qui s'amuse de la vie et la croque à pleines dents en essayant de se construire un avenir. À vrai dire, cela ne fait que deux semaines que les cours ont commencé, mais je me suis déjà fait des amis. Deux en particulier, et ce de manière assez imprévue.

Alors que je logeais toujours chez mon oncle, dans la banlieue lyonnaise, j'ai fortement balisé le premier jour de classe en prenant conscience du temps que j'allais perdre dans les transports. Pas de chance pour moi, m'y étant pris bien trop tard, il n'y avait plus la moindre place de disponible dans l'internat. C'est en me voyant ruminer et stresser que deux camarades se sont retournés vers moi. Potes de collège, ils avaient poursuivi leur scolarité dans le même lycée, avaient été acceptés dans la même prépa – dans des sections différentes – et s'étaient mis en coloc dans un super appart de 120m² situé à à peine cinq minutes du bahut. Le pied total, idéalement placé, bien orienté, avec un grand salon et trois chambres séparées. C'était d'ailleurs là leur seul problème. Ils avaient signé le bail au début de l'été. Mais c'était avant que celui qu'ils avaient choisi comme troisième ne leur fasse faux bon pour des raisons personnelles. Il leur restait une place de libre qu'ils avaient bien envie de combler afin de payer le loyer, et je leur semblais sympathique.

Voilà comment, moins de trois jours après le début des cours, j'emménageai en coloc avec Mika – en MPCI comme moi – et Fab, en Khagne. Les deux sont adorables, mais n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Mikaël est plus jeune et plus petit que moi. En avance scolairement de deux ans, il a survolé son lycée. Avec sa petite taille, on dirait un gosse tout droit sorti des jupes de sa mère découvrant le monde et même pas foutu de se laver lui-même ses chaussettes sales ou de se faire cuire un steak. Toujours en t-shirt à manches longues, il ne boit que des jus de fruit, si possible pressés par sa maman qui lui dépose un stock tous les lundis. Puceau gêné de l'être, il n'a même jamais embrassé une fille, alors qu'il est mignon comme tout. Un vrai gamin aux cheveux blonds et aux yeux bleus avec une tête de bébé, mais mieux faites et plus rapide à calculer que la majorité de celles qu'il m'ait été données de rencontrer.

Fabien, lui, est son exact opposé. Grand, plus âgé – il a retapé une classe au primaire à cause d'un déménagement compliqué–, châtain, possédant des yeux sombres et doté d'une barbe hirsute aux reflets orangés qui lui descend jusqu'en haut de la poitrine, il porte avec une certaine classe un béret sur ses cheveux longs, noués par un chignon. Quand en plus il sort ses vieilles chemises à carreaux achetées dans une brocante et se fout devant la Playstation 4 une bière à la main en parlant de sa toute dernière copine, on se croirait transporté dans un tout autre univers que celui des classes prépas. Fab, c'est tout un personnage, différent, mais aussi attachant que Mika. Ces deux-là n'ont vraiment rien à voir, et pourtant, ils s'apprécient comme des frères. Leur seul point commun ? L'intelligence ! Mon barbu de coloc est un tueur niveau culture G. Du niveau intellectuel d'un insupportable brun vaniteux que j'avais dans ma classe au lycée et avec qui j'ai pu faire, une fois, des choses qui ne me rendent pas fier. Foutu passé. Et dire que je le compte aujourd'hui dans le rang de mes amis sincères...

M'être retrouvé en coloc avec Mika et Fab a été une sacrée veine. Fabien est une vraie mère de substitution pour Mikaël, et moi, je profite des bons petits plats que cet hédoniste lui prépare. Il n'y a pas à dire, il y en a qui savent se faire plaisir dans la vie. Si nous n'avions pas déjà autant de boulot, je crois que nous passerions tous les trois nos soirées de libre à nous éclater sur Rocket League à refaire le monde en parlant tantôt d'Histoire, tantôt des grandes théories scientifiques de ce monde. En attendant, on se retrouve surtout pour bouffer avant de nous enfermer dans nos chambres respectives. La prépa, ça ne pardonne pas. Il faut travailler, encore et encore si on peut avoir une chance de réussir. Du coup, cela laisse bien peu de temps pour les loisirs, et encore moins pour s'occuper de son petit copain. Ou de sa petite copine. Dans mon cas, les gens peuvent dire les deux, cela ne me dérange pas, et lui non plus. Des fois, cela m'arrive de passer d'un genre à l'autre, usant du masculin quand j'en parle, m'adressant à lui au féminin, surtout lorsqu'il ressent le besoin d'afficher cette apparence. Les termes sont trop limités pour décrire tout ce qu'il est.

Camille. Son prénom, c'est Camille. Il partage avec moi le poids d'un passé douloureux. J'ai perdu mes deux parents, lui sa mère et sa sœur. Chacun, nous avons vécu nos traumatismes à notre manière. Moi en me dégradant, lui en se cherchant. Peut-être ne s'est-il pas encore vraiment trouvé, même si je souhaite de tout cœur lui apporter le bonheur qu'il mérite. Parce que de tout ce qui a pu m'aider à aller mieux et à me reconstruire, c'est son sourire et les frissons qui parcouraient son corps quand je l'embrassais dans le cou qui ont été le plus décisif. Je lui dois mon bonheur actuel. Je lui dois donc tout. C'est aussi simple que cela.

Cet essai que j'écris, à destination de je ne sais qui – peut-être personne, peut-être un inconnu qui tombera un jour dessus par hasard –, c'est un peu l'histoire de comment je suis tombé amoureux. Ou plutôt, comme cet amour m'a sauvé. C'est en tout cas ce que je souhaitais coucher sur papier entre deux exercices de maths, alors qu'il est déjà si tard.

Si je remonte à cette année de première ou tout allait si mal, je ne peux que penser que le temps et le destin ne connaissent pas de hasard, qu'il ne faut pas chercher à comprendre le cours des évènements mais simplement se laisser porter par son flot. Seul Camille, un amour transgressif, pouvait me libérer d'une passion transgressive et destructive, celle qui me rongeait de l'intérieur et que je nourrissais pour ma sœur. Seulement dans ses yeux sombres « bleu de minuit » pouvait se refléter mon portrait. Seules ses lèvres couleur grenadine pouvaient happer mon souffle. Seulement à sa poitrine pouvait se caler le rythme de mon cœur. Seules nos deux âmes tourmentées pouvaient se rencontrer et s'enlacer ainsi, jusqu'à ne faire plus qu'un. C'était écrit.

À lui aussi, pourtant, j'ai fait du mal. Peut-être plus encore qu'à d'autres. Dès le collège, Camille s'est mis à douter. Non pas seulement de lui, mais aussi de son genre. Le départ de sa sœur l'a chamboulé au point qu'au tout début, il a essayé de lui prêter son corps pour qu'elle continue à vivre à travers lui. Je n'étais pas là pour découvrir son premier travestissement, ni les suivant. Je n'étais pas présent lorsqu'il a compris que sa douceur, ses traits féminins, son comportement et son androgynie naturelle lui permettant de se fondre dans l'un ou l'autre sexe sans se faire repérer n'étaient pas un hasard. Que son besoin de se sentir fille n'était pas une lubie, mais une partie de lui.

Beaucoup se sont fait avoir. Moi le premier. C'était à l'anniversaire de Gabriel, en tout début de première. Camille avait été invité pour faire plaisir au blond de service, qui s'en était pris d'affection pendant l'été, après l'avoir longtemps pris pour une véritable demoiselle. Sur le moment, je l'ai trouvé adorablement mignonne, tout à fait à mon goût. Un petit sucre d'orge venant tout juste d'entrer en seconde, prêt à être dévoré par le garçon que j'étais. J'avais envie de tenter ma chance, mais je me retins. Ce n'était sans doute qu'une autre gamine inintéressante qui pouvait peut-être me plaire, mais guère plus. Je me trompais lourdement. Ce ne fut que de retour au lycée que je découvris la vérité. Sous cette robe et cet air triste et esseulé se cachait une vigueur masculine que je n'avais pas suspectée. J'ai trouvé ça merveilleux, sincèrement. Alors que tout dans ma vie n'était que mensonge et faux semblant, je faisais face à un garçon qui avait trouvé en lui les couilles de s'en affranchir. Qui avait le courage de se pointer à une soirée non pas comment les autres le voyaient, mais comment il voulait être vu.

Et moi, tout ce que j'ai trouvé à faire, ce fût de le draguer lourdement, espérant égoïstement que sa subversivité, que je trouvais à la fois poignante et hautement érotique, n'irrigue mon corps et mon esprit.

Cette année fut pour lui un calvaire, largement à la hauteur du mien. La puberté n'est pas l'ami des jeunes adolescents qui sont plus heureux en jupe qu'en jean. Certes, Camille n'a jamais prétendu être une fille, et ce de manière exclusive. Il n'a jamais nié être né garçon, acceptant la vérité de son corps et de ce qu'il pouvait en faire, jouant sur les deux tableaux au grès de ses envies et du temps qui passe. Cela ne fut pas simple. Sans le blond de service et l'odieux brun de la classe pour s'occuper de lui, je ne sais pas comment Camille aurait fini l'année. Son organisme, son apparence pourtant si féminine mais encore trop masculine à son goût, sa voix douce mais pas assez, le règlement interne du lycée qui lui interdisait de se vêtir comme il le souhaitait, les disputes avec sa meilleure amie Margot... Tout le faisait souffrir, le poussant parfois à s'enfermer chez lui pour pleurer.

Notre rapprochement s'est fait de manière naturelle, au moment-même où, tous les deux, nous cherchions des raisons d'aller mieux. Je m'étais calmé, moins agressif, moins lourd, mais pas moins motivé. Il me plaisait. Lui tout entier, y compris elle. Ce qu'il voulait être, je m'en foutais. Ce n'était ni le Camille garçon, ni le Camille fille qui m'intéressait. C'était Camille tout court, comme pille et face n'appartiennent jamais qu'à une seule et même pièce. Alors je l'ai embrassé, on s'est enlacés, aimés, et très rapidement assumés.

Je n'ai pas de genre préféré. Les gens peuvent trouver cela étrange, mais c'est ainsi. Je ne me suis jamais vraiment posé la question. À l'âge où les garçons commencent à s'intéresser aux filles, j'avais déjà pris conscience de mon corps et de son potentiel, je savais à qui je plaisais et à qui je pouvais plaire. Je ne voyais dans toutes ces histoires d'orientation sexuelle que de l'hypocrisie. L'un ou l'autre, je m'en tape, aujourd'hui encore. Le désir n'est pas quelque chose d'assez rationnel pour qu'on y colle des mots. Qu'y puis-je si Camille est tout simplement merveilleux ?

L'année de terminale fut la plus belle de toute ma vie. Nous étions ensemble, au même endroit, moi préparant le bac, lui me suivant de près. J'étais avec l'être le plus merveilleux qui soit. Tourmenté, Camille se renferme sur lui. Libre, « elle » rigole, s'affirme, s'amuse et nous entraîne. Sa beauté m'apaise. Son charme me séduit. Son tempérament me fait voyager. Nous étions heureux. Tellement que je chéris chacun de ces instants, ceux qui ont fait de moi le Cléo bien dans sa peau qui n'a plus peur d'avancer. Même mes proches ont noté ma transformation. Pour me féliciter pour mon bac, mon oncle m'a offert un appareil photo, un Canon EOS 80D de grande classe dont je me sers à présent presque tout le temps, afin de garder en mémoire les images qui font mon bonheur. Cela me fut étrange de me replonger dans ce qui représentait ma grande passion d'enfance avant que les aléas de la vie ne m'en détournent.

Puis juillet est arrivé à toute vitesse. Entre amis, nous avons loué une maison au bord de la plage pour passer un peu de temps ensemble, avant que chacun ne trace sa propre route. Si je suis rentré en prépa, Camille est resté derrière. Toujours prisonnier des murs du lycée Voltaire. Il me dit qu'ils ne lui ont jamais semblés si froids depuis que je n'y suis plus. J'aimerais tellement vivre avec lui. Si seulement j'avais moins de travail le soir et un peu plus de temps à lui consacrer...

Camille est fort, je le sais. Quand il est lui-même, quand il peut être « elle » sans être jugé, il rayonne. Je ne me suis jamais vu comme le protecteur du couple. Peut-être que je joue parfois ce rôle, mais au lit comme dans la vie, nous partageons bien plus que ça. Certes, même si je n'en ai rien à foutre, il est sans conteste bien plus souvent ma copine que mon copain. Je le soupçonne même un jour de vouloir franchir le pas et de se lancer dans des démarches sérieuses, ou tout du moins de se poser de vraies questions quant à l'identité qu'il voudra plus tard assumer au quotidien et sur ce à quoi devrait ressembler son corps pour qu'il s'y sente vraiment bien. Mais il n'a que seize ans et demi, en aura dix-sept, en décembre. Il a le temps. Je sais qu'il doute. Au fond de lui, il existe une fille qui cherche à se libérer. Mais son corps est ce qu'il est, et s'il voudrait parfois qu'il en soit autrement, tout n'est pas aussi simple dans la vie qu'un coup de ciseaux dans du papier. C'est vrai que de mon côté, je ne veux pas qu'on me l'abime, mon Camille. Je l'aime comme il est. Je ne suis pas tombé fou amoureux d'un garçon ou d'une fille, mais simplement d'une belle personne, affichant sa force pour cacher sa fragilité, capable de me comprendre, qui a souffert comme moi et qui mérite de laisser tout ça derrière.

Je veux lui offrir son bonheur, tout comme il m'offre le mien, ce soir encore alors que défilent devant mon nez sur, mon écran d'ordinateur, des photos de lui, de nous, des photos qui me font l'aimer encore plus et qui mouillent mes doigts lorsque je me frotte les yeux.

*****

Extrait de l'album photo de Cléo

Emplacement n°0

Nom de la photo : « Comment je suis tombé amoureux »

Filtre : noir et blanc

Lieu : sur la plage, en Corse, devant un coucher de soleil

Date : un des derniers soirs des vacances, en juillet

Composition : Kilian, Aaron, Martin, Jarno, Gabriel, Justin, Camille, et moi. Toute la bande, nous posions devant l'appareil, installé sur un muret avec un minuteur. Kilian enlaçait Aaron, ce dernier souriait. Justin accroupis devant lui avec sa casquette faisait le signe « V » de la victoire avec la main droite. Gabriel posait avec un air classe. Martin rigolait. Jarno se trouvait un peu à l'écart, le regard perdu. Je me tenais à gauche, la paume de Camille dans ma main, sa tête sur mon épaule. Nous étions tous heureux. Sans eux, je ne me serais sans doute jamais rapproché de Cam. Bien que prise un an plus tard, cette photo symbolise pour moi la façon dont je suis tombé amoureux.

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