J'arrive rapidement dans le quartier de mon enfance. Les maisons là-bas y sont plutôt grandes, mais toutes identiques. Gris sur gris et sur gris. Plate. Sans personnalité. La maison de mes parents est identique à toutes les autres : briques grises, pelouse bien verte, allée en asphalte, etc. C'est trop parfait, ça en devient ennuyeux. Dans mon quartier, les maisons sont colorées et décorées avec des jolies fleurs et des gros arbres. J'ai moi-même un pot de fleurs jaunes et rouges accrochés au balcon de mon appartement. Quand je rentre enfin dans la maison, mes parents me sautent presque dessus.

-    Où étais-tu ?! Ça fait un quart d'heure qu'on t'attend, crie ma mère, tu n'as vraiment aucun respect! Je ne peux pas croire!

-    Maman! J'ai à peine cinq minutes de retard.

Ma mère continue à me disputer, pendant que je vais m'asseoir à la salle à manger. Mon frère y est déjà assis et me salue avec beaucoup trop d'enthousiasme.

-    Loan! Ça fait tellement longtemps!

Je roule des yeux. Ça fait une semaine qu'on s'est vu, ça ne fait pas « tellement » longtemps! Mon frère, le grand drama queen de la famille!

-    Je t'ai tant manqué, petit frère?

Il rigole et se lève pour me faire une accolade rapide. Adam est le contraire de moi : il est irréfléchi, rebel, joueur, insoucieux, impulsif... La liste est longue. Quand on était plus jeune, je voulais être à sa place et lui à la mienne. On avait donc du mal à s'entendre. Adam voulait à tout prix l'attention de nos parents, contrairement à moi qui ne souhaitait que la liberté de mon jeune frère. Heureusement, aujourd'hui, nous avons délaissé nos querelles d'enfants et nous nous entendons très bien. Je m'assois à ma place, la même depuis mon enfance. Je suis assis à côté de ma mère et en face de mon père. Une chaise reste vide, seul souvenir de ma sœur dans la maison. Ma mère amène le repas, tandis que mon père s'assoit sa place, son visage sévère toujours bien en place. Au menu : salade et côtes-levées. Ma mère sert mon père pendant que nous nous servons nous-mêmes et seulement lors de la première bouchée du « chef », nous pouvons commencer à manger. Du plus loin que je me souvienne, cela a toujours été comme ça à la maison. J'ai toujours trouvé cette habitude dépassée et dégoûtante. Pourquoi ma mère devrait-elle servir mon père comme s'il était le roi et non son mari? Tout comme le repas, mon père commence toujours la conversation.

-    Alors Loan, tout va bien à l'école?

C'est une autre particularité des soupers de famille du dimanche : tout savoir à propos de mes études, que ce soit les devoirs, les examens, les profs, tout! Je déteste ça! Il y a des tas de choses dont on pourrait parler, mais non! Seules les études sont importantes.

-    Oui, rien de nouveau.

Ma mère dépose ses ustensiles brusquement. Ce n'est jamais bon signe. Je dépose les mieux en soupirant et je me prépare mentalement à ses reproches.

-     Et les examens? Tu n'avais pas un examen jeudi? Tu sais que je n'aime pas les cachoteries! Est-ce qu'il faudra refaire cette discussion tous les dimanches ou tu vas comprendre une fois pour toutes!

-     Non maman, je suis désolé. C'est vrai, j'ai eu un examen jeudi. Il s'est bien passé.

-    J'espère!

Je prends une bouchée et la mâche lentement pour me laisser le temps de retrouver mon calme. Je ne peux pas me permettre de répliquer. J'ai déjà assez de chance qu'ils ne m'obligent à les voir qu'une seule fois par semaine. Plus les années passent, plus ma patience diminue.

-    Alors, papa? Maman m'a dit que Jacob t'avait rendu visite? Comment va-t-il?

Merci Adam! Une chance qu'il est là. Il sait toujours quoi dire lorsque la conversation commençe à tourner autour de moi.

-    Oh, il va bien. Tu le connais, toujours à raconter milles et unes bêtises. Il me donne mal à la tête. Aujourd'hui, cet idiot a décidé de me raconter ce que Marthe et lui avaient fait aux pauvres caissières de l'épicerie du quartier. Je me demande comment il peut sortir autant d'imbécilités de sa bouche! Bref, ils ont eu l'excellente idée de payer chaque aliment individuellement. Ah et ils n'en avaient pas qu'un peu, d'aliments! Ils avaient fait une épicerie complète! Au moins, ça leur a fait du travail à ces caissières. Il faut bien qu'elles travaillent une peu. Enfin, c'est pas comme si...

Je laisse mon père parler dans le vide. De toute manière, il est rendu à la partie de son récit où il va insulter les caissières et les traiter de moins-que-rien. Ce genre de pensée que je hais plus que tout. Qui aime insulter les autres? Certainement pas moi! J'ai hâte que le souper finisse et que je puisse enfin rentrer chez moi. Je veux juste m'écraser dans mon lit et dormir. Si le sommeil veut bien m'accueillir ce soir... Demain, j'ai des cours tôt le matin, alors il faut que je me réveille à sept heures, ce qui est une horreur! Ça devrait être illégale de se réveiller avant huit heures le matin au moins.

-    En tout cas, Jacob m'a dit qu'il reviendrait demain pour m'aider avec le grand ménage du printemps, puisque mes deux fils ne veulent pas m'aider avec ça!

Non, en effet. Le moins de temps que je passe chez mes parents, le mieux je me porte. Et ce n'est pas comme s'il avait vraiment besoin de mon aide. Je suis certain que tous ses amis du quartier vont finir par le rejoindre comme à chaque année. Quant à moi, je vais rester bien tranquillement dans ma salle de classe en écoutant le professeur donner son cours. La conversation, ou devrais-je dire le monologue, continue et je me dépêche de finir mon assiette. Une fois le souper fini, je me lève et salue mes parents.

-    Merci pour le souper. Je dois quitter maintenant, j'ai des cours demain et je ne peux pas me coucher trop tard.

Mon frère se lève à son tour, annonçant qu'il doit lui aussi quitter. Nos parents nous reconduisent à la porte et nous font un signe de tête en guise d'au revoir. L'affection n'est pas leur point fort. Mon frère part à sa voiture, l'ancienne de notre père. Il habite bien plus loin de notre maison d'enfance que moi. Ça ne me prend qu'une vingtaine de minutes pour aller chez moi à pied d'ici.

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