IV
Ne pas y penser et laisser les choses venir d'elles-mêmes : c'était la décision que Wheein avait prise concernant sa relation avec Taehyung et l'appel de ses parents. Trop y réfléchir ne serait que toxique, elle le savait parce qu'elle était le genre de personne à toujours trop penser aux choses, au point de passer à côté de sa propre vie. Elle était fatiguée de ça, sincèrement, elle avait juste envie de voir où tout ça allait l'emmener, sans imaginer les possibilités qu'il y avait devant elle. Laisser couler et simplement voir.
Elle reprenait le travail ce soir, non sans impatience. Elle s'était terriblement ennuyée la veille, et avait même dû luter pour ne pas aller au bar, ne serait-ce qu'en tant que cliente. Pour voir Taehyung. Mais elle se serait certainement fait gronder pour ça, alors elle avait rejeté l'idée et était restée à se morfondre dans son appartement, laissant son esprit vagabonder au gré de ses humeurs. Elle s'était reposée, et elle avait réfléchi suffisamment à sa situation.
Elle aimait Taehyung. Ce n'était pas une simple amourette bondissante, mais bien quelque chose qui lui serrait le ventre, quelque chose qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Elle savait ce que ça signifiait pour lui, qu'il allait en avoir peur. Au fond, elle aussi était effrayée de ses propres sentiments. Elle voulait qu'il lui laisse une chance de construire quelque chose, de vraiment apprendre à se connaître. Mais le pourrait-il, lui, qu'elle sentait déjà sur le point de fuir ?
Peut-être qu'il ressentait quelque chose, peut-être ce baiser signifiait réellement plus que ce qu'il paraissait, ou peut-être aussi signifiait-il moins. Elle ne pouvait pas le savoir si Taehyung ne venait pas s'expliquer de lui-même, ce qu'il ne ferait potentiellement pas. Il ne s'expliquait pas, il agissait, il parlait davantage avec les gestes et la musique. Il était comme ça, simplement.
Le pianiste allait s'en aller, c'était un fait. Elle l'avait ressenti dans son âme même. Il y avait autour de lui cette ambiance qui n'entourait que les personnes qui partaient un jour, sans prévenir, qui disparaissaient comme des spectres, comme des existences éphémères qu'on avait eu la chance d'effleurer un temps. Taehyung était une brise printanière et chaleureuse qui ne durait pas, qui venait vous réchauffer le cœur avant de se dissiper comme si elle n'avait jamais existé. C'était peut-être ce qu'elle avait aimé chez lui dès le départ, ce qui avait attiré son intérêt, puis ce qui avait happé son cœur.
L'idée de le retenir ne lui venait pas même à l'esprit : ce serait entacher sa liberté, lui ôter ce qu'il avait de plus pur et de plus beau, et ce faisant, elle perdrait à jamais l'homme qu'elle aimait. Il serait physiquement à ses côtés, mais son âme, elle, ne serait plus la même, elle disparaîtrait à l'endroit où son corps aurait dû se rendre. Elle ne le retiendrait pas, car elle n'avait pas ce rôle dans sa vie. Chacun gérait sa propre existence, leurs choix ne devaient pas se confronter, mais s'embrasser par moment : le choix de Taehyung était de partir un jour, celui de Wheein de le laisser s'en aller, néanmoins, il restait un temps avant ça où leurs vies pouvaient continuer de s'emmêler.
Laisser les choses finir d'elles-mêmes, mais tout faire pour ne pas qu'effleurer cette existence éphémère. Faire partie des personnes qui pouvaient la toucher, la sentir réellement, s'en abreuver à en perdre soif, en faire presque une overdose pour se préparer à ne plus jamais l'avoir à ses côtés.
« Wheein ! »
Le sourire chaleureux de Yongsun l'accueillit dès qu'elle entrait dans l'établissement par la porte de service. La jeune femme n'était pas habillée dans sa robe somptueuse, mais dans une tenue similaire à la sienne, un tailleur sombre qui la mettait autant en valeur que ses vêtements habituels. Elle était tout simplement magnifique, peu importe les tissus qu'elle posait sur son corps.
« Tu fais le service ? demanda Wheein en posant son sac dans le placard qui lui servait de casier.
- Oui, il y a énormément de monde ce soir, et le patron n'est pas là.
- Il y a eu un problème ?
- Son fils a de la fièvre.
- Encore ? »
Ce n'était pas vraiment une question, et Yongsun échangea avec elle un regard triste. Bien qu'elle ignorait les problèmes de santé du fils du gérant, elle savait qu'il s'absentait trop souvent pour cette raison pour que ce soit anodin. Il avait un jour, évasif, parlé d'une maladie respiratoire. Peut-être que la chaleur des derniers jours ne lui avait pas réussi.
« C'est toi qui as ouvert ?
- Non, Taehyung.
- Il est déjà là ?
- Il s'occupe du bar, en fait... »
Wheein fronça les sourcils.
« Oui, ce n'est pas son rôle, mais je venais juste te prévenir ici. Il a dit que ça ne le dérangeait pas d'aider.
- Même si ça le dérangeait, il dirait ça, soupira la jeune femme. Retournes-y, j'arrive. »
Yongsun quitta la pièce d'un pas pressé alors que Wheein sortait son habituel tablier. Pour une reprise, cette soirée s'annonçait épuisante, et elle remarqua que son amie n'avait pas exagéré l'expression « il y a du monde » dès qu'elle passa la porte de la salle.
Il y avait beaucoup de bruit, une chaleur étouffante, sans parler de ce brouillard causé par la fumée de trop nombreuses cigarettes. Les odeurs l'étourdirent quelques secondes avant qu'elle ne secoue la tête et se précipite vers les fenêtres pour les ouvrir. Yongsun n'était pas serveuse, même si elle aidait occasionnellement, et Taehyung ne devait même pas savoir comment faire un kir correct, bien sûr qu'aucun d'eux n'avait pensé à ouvrir les fenêtres vu qu'elle l'avait toujours fait. La charge de travail reposait sur elle, ce soir. En voilà une reprise !
Elle se faufila entre les personnes pour atteindre le bar, passant derrière. Yongsun venait de repartir avec un plateau chargé de verres pleins. Taehyung, lui, regardait les bouteilles avec un air hébété. Ils avaient dû s'en sortir pendant une demi-heure, mais les limites devaient se faire ressentir à présent. Comme le bruit ambiant empêcherait le jeune homme de l'entendre facilement, elle se pencha vers lui.
« Je vais m'en occuper, qu'a-t-il demandé ? »
Il articula difficilement le nom de la boisson, visiblement peu sûr de le répéter convenablement, ce qui n'était d'ailleurs pas le cas. Wheein ne pu s'empêcher de sourire devant son air perdu.
« Tu as une bonne mémoire, non ? lui demanda-t-elle, Taehyung répondant d'un hochement de tête hésitant. Prends les commandes, je les prépare. Tu peux noter ici si tu veux. »
Elle lui tendit son carnet, gardé bien au chaud dans la poche de son tablier depuis des mois – elle ne l'utilisait plus tant elle s'était habitué à retenir les demandes de dizaines de clients à la fois – et s'attela à la préparation de la boisson qu'il lui avait décrite plus tôt dès qu'il s'en fut saisi.
D'ordinaire, Wheein n'aimait pas ce genre de soirées où elle n'avait pas le temps de souffler une seconde. Pourtant, cette fois, elle eut envie de remercier chaque client d'être venu, de lui donner suffisamment de travail pour qu'elle oublie la peur qu'elle avait plus tôt de le revoir. Il y eut une demi-heure intense pendant laquelle les seuls mots qu'ils s'adressèrent furent à propos d'une commande, leurs corps se frôlant parfois dans le petit espace qu'il y avait derrière le bar. Occasionnellement, Wheein allait aider Yongsun en salle, revenait, préparait des verres, lavait ceux qui étaient sales. Le rythme semblait loin d'être prêt à s'essouffler, pourtant, naturellement, il y eu enfin un moment creux où elle se retrouva sans rien à devoir effectuer urgemment.
La jeune femme posa un regard autour d'elle, prenant un instant pour souffler. Des clients sortaient, sûrement agacés par la densité de population dans l'établissement, et les personnes qu'elle apercevait d'ici étaient toutes servies. Ils avaient rattrapé le petit retard qui était en place à son arrivée.
« Wheein. »
Elle sursauta tant à cause de la voix grave de Taehyung que par la faute du contact soudain d'un verre d'eau froid sur son bras. Elle s'en empara, lui souriant.
« Merci. »
Le liquide frais lui fit un bien fou, et elle ne se rendit compte qu'à cet instant qu'elle avait terriblement soif. Peut-être que c'était de la pure logique ou instinctif, mais c'était comme si le pianiste venait une nouvelle fois de lire en elle.
« Je pense qu'on va pouvoir se débrouiller avec Yongsun,
- Ça ne me gêne pas, tu sais ? Tant que je n'ai pas à traduire ces noms bizarres. »
Elle ria, se remémorant son regard perdu devant les bouteilles, plus tôt.
« Je ne pense pas pouvoir jouer ce soir, personne ne m'entendra avec ce monde. »
Bien qu'elle hoche la tête, lui donnant raison sur ce point, son esprit criait le contraire. Ce soir, personne n'entendrait le piano, sauf elle. Elle y aurait porté attention, comme toujours, distinguant une mélodie derrière les rires et les voix. Le fait que Taehyung ne soit pas accompagné de son instrument la déboussolait, elle avait l'impression que quelque chose manquait au bar, à lui, à elle. Même si le son ne lui serait pas parvenu, le savoir en train de jouer aurait changé quelque chose.
« C'est juste que tu n'es pas censé faire le service, Taehyung. On peut... »
Elle s'arrêta net lorsqu'il lui pressa l'épaule, approchant son visage du sien.
« Ça ne me dérange pas, Wheein. Sauf si tu ne me veux pas là. »
Il s'était sans doute approché parce que le volume sonore les forçait à parler trop fort, puisqu'il n'avait pas forcément envie que les clients entendent leur conversation qui prenait un détour plus intimiste. Sans doute. C'était rationnel, mais son cœur s'affola soudainement et elle sentit le rouge lui monter aux joues. Elle venait de boire un verre d'eau, mais sa bouche était sèche, comme si elle revenait d'une marche dans le désert. Comme ça, si rapidement, Taehyung venait de lui couper l'herbe sous les pieds, de lui faire perdre tous moyens et tous mots.
Si elle le voulait là ? Que voulait-il bien dire par ces mots ? Est-ce qu'il ne parlait que du travail, du fait qu'il ne faisait en rien ce que son contrat indiquait ? Est-ce qu'il évoquait sa potentielle gêne face à leur sortie d'il y a quelques jours ? Ou est-ce qu'il parlait de sa présence, en général, de son action sur sa vie ? Avec Taehyung, les mots devenaient flous, ils semblaient déborder de divers sens. Il parlait peu, mais chaque phrase paraissait réfléchie à la lettre près, comme s'il pensait à ce qu'il allait dire avant d'ouvrir la bouche, posément, pour toujours donner réflexion à ses paroles.
Wheein commençait à comprendre comment savoir ce qu'il voulait vraiment dire. Taehyung ne s'expliquait pas oralement, il restait flou, mais ses yeux parlaient pour lui. Alors, chose qu'elle n'avait presque pas fait depuis le début de la soirée, elle affronta son regard. Et pendant qu'elle se perdait dans ses orbes sombres, elle finit par saisir qu'il n'était pas question du monde, de la ville, de ce bar, de leur travail, mais bien d'eux. Peut-être qu'à présent, il ne s'agirait même plus que d'eux, loin du reste, à l'écart, comme lorsqu'ils étaient sur sa moto la dernière fois.
« Bien sûr que je te veux ici, souffla-t-elle. »
Quelle question ! S'il y avait bien une chose dont Wheein était certaine, c'était sa volonté d'avoir Taehyung à ses côtés, et ce le plus longtemps possible. Et son plus grand souhait était bien que cette impression que le temps s'arrêtait et les isolait n'en soit pas une. Que le cours de la vie cesse pour eux, pour leur permettre de rester ensembles plus longtemps, pour lui permettre d'avoir Taehyung plus longtemps.
Le pianiste ne lui répondit que par un sourire énigmatique. Elle avait oublié combien leur relation était incertaine, et maintenant qu'elle l'avait face à elle, Wheein se rendait d'autant plus compte qu'elle n'en avait que faire.
Elle lui appartenait. Il lui appartenait.
Les astres s'étaient alignés autour d'eux. Ils illuminaient son coeur alors que Taehyung, toujours tendu vers elle, caressa doucement sa joue. Sa main était douce, une main de pianiste.
« Alors, je reste, susurra-t-il. »
Il aurait embrassé Wheein si Yongsun n'était pas venu leur donner une liste de nouvelles commandes.
_
Tout dans ce lieu sentait une impression de fausseté. Le restaurant était pourtant bien vivant, même pour un soir de semaine, et beaucoup de personnes semblaient avoir décidé de se faire un bon repas en couple, entre amis, ou entre collègues. Les conversations fusaient au quatre coins de la grande pièce, idée de partenariats commerciaux d'un côté, projets de vacances de l'autre.
Wheein portait actuellement plus attention à la discussion entre les deux hommes installés à la table derrière elle, qui parlaient de leur dernière sortie à l'hippodrome le weekend précédent qu'aux mots que lui adressaient ses parents. Elle n'arrivait pas à se concentrer sur eux, ou plutôt, elle ne le voulait pas. Elle n'avait aucune envie d'entendre comme elle savait déjà ce qu'ils lui disaient, comme une chanson redondante qu'on lui chantait sans cesse, inlassablement, depuis tellement longtemps qu'elle était devenue fade.
« Je sais que cette conversation ne te plait pas, ma puce, mais fait un effort. »
La jeune femme releva les yeux vers sa mère. Elle aimait ses parents, vraiment, même si elle cherchait à les fuir depuis des années. Ils ne lui avaient jamais rien fait de particulier, ils voulaient réellement le mieux pour elle – c'était bien ça le problème – ce qui les poussait à croire qu'ils avaient un meilleur point de vue de comment elle devrait gérer sa vie. Là encore, ils ne voulaient pas la forcer, mais bien la convaincre que leurs projets étaient meilleurs que les siens. Ils voulaient qu'elle se range, trouve un mari, et fonde une famille parfaite, à l'instar de ce qu'ils avaient fait. Elle voulait juste être elle-même ; libre.
« Vous voulez que je quitte le bar.
- Ça ne te mènera nulle part, Wheein, tu le sais autant que nous.
- Mais j'y suis heureuse. »
Est-ce que ça ne devrait pas être ce qui compte pour eux, en tant que parents, qu'elle soit heureuse ? Elle avait conscience que sa carrière actuelle ne pouvait demeurer longtemps, qu'elle allait un jour devoir trouver quelque chose de plus stable, plus durable. Pourtant, ce n'était pas urgent, rien n'allait disparaitre de sitôt, alors pourquoi, soudainement, ses parents venaient s'en inquiéter ? Pourquoi voulaient-ils l'enfermer dans une existence qui ne lui correspondait pas ?
« Rencontre-les simplement, lui dit son père avant de boire une gorgée de son vin. »
Wheein lâcha un discret soupir. C'était la première fois qu'ils insistaient autant pour qu'elle rencontre un homme, et elle savait parfaitement pourquoi : ils pensaient lui avoir trouvé le parti parfait, celui qui avait une situation fixe et rangée, confortable. Celui qu'elle désirait néanmoins était un rêveur toujours sur le départ, et elle ne pouvait évidement pas le leur dire, parce que s'il y avait une chose qui était instable dans sa vie, c'était bien lui.
« D'accord, céda-t-elle. Un diner. »
Mais ça ne voulait pas dire que ça allait fonctionner.
_
Lorsque le taxi la déposa devant chez elle, la nuit était bien entamée. Comme elle aurait préféré passer cette soirée comme d'ordinaire, lors de son congé hebdomadaire ! Rester calmement chez elle, à lire, ou sortir se promener seule, errer dans les rues sans réel but. Les rencontres avec ses parents lui laissaient toujours ce sentiment d'avoir perdu son temps, mais cette fois était bien la pire de toutes, parce qu'elle sentait que ce n'était que le début d'une longue insistance de leur part. Plus le temps s'écoulait, plus ils devenaient pressants.
Alors qu'elle cherchait ses clés dans son sac à main, devant la porte de son immeuble, une voix interrompit soudainement ses pensées :
« Wheein. »
Sursautant à l'entente de ce ton grave qu'elle connaissait terriblement bien, surprise de l'entendre à cet endroit, à cette heure, elle se tourna pour faire face à Taehyung. Il était appuyé contre un plot, à côté de sa moto, certainement là depuis son arrivée. Il l'observait marmonner en silence parce qu'elle était en colère contre ses parents, mais aussi contre elle-même puisqu'elle n'arrivait pas à trouver ses clés rapidement dans son stupide sac à main.
Cette fois encore, il semblait totalement irréel. Ses cheveux étaient ébouriffés, sûrement à cause du casque, ses yeux brillaient d'une lueur mystérieuse, amplifiée par les reflets des légères lumières des lampadaires. Taehyung était magnifique, tant qu'il paraissait toujours sur le point de s'évaporer, une entité qui était trop belle pour être vraie. Un rêve qu'elle avait la chance de côtoyer un instant, mais qui, comme tout songe, serait oublié au réveil comme s'il n'avait jamais marché sur cette terre.
« Que fais-tu ici ? demanda-t-elle du bout des lèvres, s'avançant vers lui. »
Elle hésita un court instant à s'arrêter à une distance raisonnable, à résister à sa folle envie de l'étreindre, de pleurer sa détresse dans ses bras, à lui expliquer tout d'un baiser. Dès qu'elle fut plus proche, comme s'il avait senti ses pensées, le jeune homme se saisit doucement de son poignet pour l'attirer vers lui.
Plus d'une semaine s'était écoulée depuis leur rendez-vous sans qu'ils n'aient un moment à eux. Le quotidien avait continué comme si rien ne s'était réellement passé, comme si elle avait rêvé ce moment avec lui. Elle savait pourtant que ce n'était pas son imagination grâce aux regards qu'ils échangeaient souvent, complices, comme s'ils partageaient un énorme secret.
Elle ne lâchait pas ses prunelles sombres, se laissant totalement fondre dedans, cherchant, une fois encore, à le comprendre. Pouvait-il arrêter d'être si insaisissable ? Ses doigts glissèrent pour se glisser entre les siens, et son cœur se serra. Il la rendait folle, il lui donnait envie de s'enfuir à toutes jambes, loin de tout, y comprit de lui, parce qu'elle se sentait tellement faible face à lui qu'elle désirait s'éloigner pour se contrôler à nouveau pleinement.
« Tu n'avais pas l'air d'aller bien, ces derniers temps, alors je m'inquiétais. »
Elle s'en foutait, de tout ça, de ses parents, de lui, d'elle, de tout. Ça n'avait pas d'importance, rien n'en avait, elle devait juste essayer de composer avec tout ça pour tenter de s'en sortir. Elle le pouvait, pas vrai ? Régler tout ça, tout faire pour avoir ce qu'elle désirait. Elle pouvait l'avoir, vraiment ? Que devait-elle faire pour le convaincre de se laisser totalement aller, de s'abandonner à elle, de lui faire complètement confiance, de ne pas l'abandonner ?
Elle s'était toujours dit qu'elle devrait laisser Taehyung mener les choses, imposer son rythme, comme s'il était un animal qu'elle cherchait à apprivoiser et qu'il fallait le laisser venir avec confiance, lentement, mais sûrement. Elle avait peur de le brusquer, de l'enchainer trop rapidement et qu'il cherche à s'enfuir. C'était fragile, tant qu'elle craignait à chaque instant de le perdre. Pourtant, à présent que le temps lui semblait compter, elle ne pouvait s'empêcher de vouloir inverser cette loi, arrêter d'avancer comme si elle marchait sur des œufs. C'est pour ça, qu'alors même que Taehyung s'apprêtait à lui dire autre chose, elle supprima la courte distance qui les séparait pour l'embrasser.
Comme s'il l'attendait, le jeune homme l'attrapa aussitôt par les hanches pour l'attirer contre lui. Ce n'était en rien comme leur premier baiser, il était bien plus confiant et passionné, et Wheein se laissa fondre contre lui, s'abandonnant totalement. L'abandon, c'était son seul sentiment à ce moment. Elle pourrait tout abandonner pour lui, tout faire pour le garder près d'elle. Rien ne lui importait d'autre. Ses parents, son travail, plus rien n'avait réellement d'importance à ses yeux quand il y avait, de l'autre côté, Taehyung, ses lèvres contre les siennes, ses mains dans le creux de ses reins, et son propre cœur battant tellement fort qu'elle entendait le sang claquer contre ses tympans.
Battement, elle leva ses bras pour les poser sur ses épaules, glissant ses doigts dans ses cheveux. Ils étaient doux. Battement, ses lèvres pincèrent les siennes. Battement, la main de Taehyung glissa le long de son dos. Battement, elle colla son corps au sien. Battement, ses doigts frôlèrent sa nuque, lui arrachant un frisson délicieux.
Ils restèrent longuement silencieux, à se regarder dans les yeux, chacun hésitant à ce qu'il devrait dire à l'autre après ça. Ce fut Wheein, qui, la première, décida d'interrompre le moment :
« Tu veux monter ? lui proposa-t-elle. »
Taehyung lui sourit, hochant la tête sans hésiter une seconde, et la lâcha pour récupérer son casque qu'il avait laissé sur sa moto. Wheein l'attendait déjà devant la porte de son immeuble quand il revint vers elle, la tenant ouverte avec une expression enjouée. C'était étrange, d'aller l'un chez l'autre, pourtant terriblement naturel. Comme c'était nouveau, ils éclatèrent timidement de rire dès qu'ils furent dans l'appartement de la jeune femme, essayant tous deux d'échapper à la tension agréable qui les saisissait. Wheein l'invita à retirer sa veste, la posant avec son casque sur un des fauteuils du salon.
« Tu veux boire quelque chose ? »
Il haussa les épaules.
« Surprends-moi. »
Elle ne put s'empêcher de rire gaiement, à peine étonnée de sa réponse, et le laissa dans le salon le temps d'aller leur chercher quelque chose. Quand elle revint vers lui, il était appuyé contre le mur près de la fenêtre, les yeux perdus sur les toits sombres, visibles malgré la nuit grâce aux reflets des lumières de la ville. Wheein posa deux verres et la bouteille de vin qu'elle venait de sortir de ses placards sur le rebord de l'ouverture.
« C'est cette vue qui m'a fait choisir cet appartement. J'ai sans cesse l'impression que quelque chose va surgir sur ces toits, expliqua-t-elle avant de pouffer : je peux passer des heures à attendre pour rien. »
Alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la bouteille, la main de Taehyung se posa sur la sienne pour l'arrêter.
« Tu sais que je dois conduire pour rentrer ? »
Et la jeune femme lui offrit un sourire mystérieux, lâchant le tire-bouchon pour glisser ses doigts entre les siens :
« Tu n'es pas obligé de rentrer, Taehyung. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top