II


Yongsun éclata de rire, lui tapant sur l'épaule, remplissant la pièce de sa voix mélodieuse.

« Mais, Wheein, Taehyung n'est qu'un collègue. »

L'intéressé fit la moue, peu satisfaite du fait que son amie se moquait d'elle, alors qu'elle lui avait posé une question qui la tracassait depuis un long moment, et qu'il avait été difficile de franchir le cap.

« Il ne regarde que toi.
- Parce qu'il est obsédé par la musique. On est obligés de communiquer quand on joue, et ça se fait par le regard. L'as-tu seulement déjà vu me regarder à un autre moment ? »

La rousse haussa les épaules, se donnant un instant pour réfléchir à la question qui venait de lui être posée. Non. Après tout le temps qu'elle avait passé à épier le garçon, elle ne l'avait jamais vu regarder particulièrement Yongsun, en dehors des moments qu'ils passaient sur scène.

« Tu sais, il y a bien quelqu'un qu'il regarde lorsqu'il ne joue pas.
- Qui ?
- Je ne pense pas que je devrais te le dire. Penses-y simplement et observe bien.
- Mais justement, Yongsun. Il a vu que je l'observais. Je ne peux plus le faire, c'est bien trop gênant. »

La brune soupira alors qu'elle s'installait devant le miroir, allumant les ampoules qui l'entouraient, pour se maquiller en vue du moment où elle devra monter sur scène.

« Qu'est-ce qu'il t'a dit, exactement ?
- Eh bien, hésita la jeune femme, cherchant à résumer l'étrange conversation de la veille. Qu'on se ressemblait parce qu'on était bizarres. Que j'observais trop, et donc que je n'écoutais pas assez.
- Quoi ?
- Il a aussi dit qu'il voulait m'apprendre à écouter.
- Il avait bu combien de verre, ton Taehyung ? »

La jeune femme se remit à rire, visiblement fière de sa remarque, alors que Wheein trépignait sur place, vexée que son amie ne prenne pas plus sa situation au sérieux. Elle se laissa tomber sur la banquette de la loge qu'elles partageaient, prenant garde à ne pas froisser sa tenue.

« Ce n'est pas mon Taehyung, Yongsun.
- Mais tu l'aimes. Ce que je ne comprends pas, d'ailleurs, parce que cet homme est ailleurs. Mais c'est ce qui doit te plaire. »

Sûrement.

« Écoute, je ne connais pas plus Taehyung que toi, mais s'il devait te reprocher tes regards, il ne l'aurait pas fait comme ça. Il aurait plus dit : arrête de m'épier, c'est flippant, fit-elle en prenant une grosse voix qui ne ressemblait en rien à la personne qu'elle cherchait à imiter.
- Tu sais que ça sonne bien plus comme le patron ?
- Chut, je suis chanteuse, pas imitatrice ! »

Cette fois, elle éclata d'un rire franc de concert avec sa meilleure amie, ce qui, au fond, lui ressemblait plus que la mauvaise humeur qui l'avait envahie dès son réveil, et dont elle n'était pas parvenue à se débarrasser de la journée, malgré nombreuses tentatives pour se détendre et ne plus penser au pianiste ténébreux qui semblait avoir décidé de ne plus laisser ses pensées tranquilles. Normalement, elle était une personne gaie, qui ne laissait rien lui peser longtemps, et qui, surtout, ne montrait pas lorsque quelque chose n'allait pas. Pourtant, Yongsun n'avait mis que quelques minutes pour s'apercevoir qu'elle n'était dans son jour le plus heureux, et lui avait demandé ce qui se passait, d'où cette discussion. Ce n'était pas son amie ne voyait jamais qu'elle n'allait pas bien quand elle essayait de le cacher, mais ça avait été immédiat, tout simplement parce qu'elle n'avait ni cherché ni réussit à donner un minimum le change. C'était comme si l'aura mystérieuse et sombre de Taehyung s'était accroché à elle pendant leur discussion, la veille. Comme si elle se trouvait encore face à lui, au bar, à l'écouter dire ces choses étranges.

Elle y avait pensé, beaucoup, au sacrifice de sa nuit de sommeil complète habituelle dont elle avait cependant si besoin. Finalement, elle ne pouvait que lui donner raison : elle ne comprenait pas vraiment, ou du moins pas tout. Elle ne saisissait pas comment Taehyung parlait d'elle comme s'il la connaissait, et pourquoi il avait décidé de lui dire ça. Elle se souvenait de chaque mot qu'il avait prononcé, de chaque geste qui avait fait, et elle s'était repassé le moment en boucle, pour tenter de trouver un sens à ce qui s'était passé.

Wheein s'était toujours dit qu'elle était transparente pour le pianiste, parce que, comme venait de le dire son amie : il était obsédé par la musique. Elle pensait que jamais il ne ferait attention à elle, et qu'il la voyait comme une collègue, une serveuse un peu simplette. Pourtant, il devait bien avoir dû l'observer, comme elle l'avait fait avec lui, parce qu'il n'aurait sinon pas pu lui parler d'elle-même de la sorte. Ils n'auraient pas pu avoir cette discussion – auparavant, elle ne l'avait jamais vu parler de la sorte à quelqu'un – si Taehyung ne la considérait pas différemment. La vraie question n'était donc pas de savoir s'il voulait lui reprocher ses regards, ce qui n'était visiblement pas le cas, mais comment il la voyait et ce qu'il attendait d'elle.

Depuis hier, elle faisait tout pour ne pas s'emballer, pour calmer son cœur qui se mettait soudainement à bondir dans sa poitrine à mesure qu'elle se rendait compte qu'il y avait une infime possibilité qu'elle éveille l'intérêt de Taehyung d'une manière ou d'une autre. C'était peut-être une attirance amicale, mais il l'avait vue. Elle l'avait intrigué, suffisamment pour qu'il aille vers elle.

Ça, c'était le beau revers de la médaille, celui qu'elle espérait et fantasmait. Mais elle pouvait tout aussi bien se faire un film, et il pourrait n'être venu lui parler que par besoin social. Un besoin d'exprimer, soudainement, quelques-unes des pensées étranges et sombres qui le taraudaient chaque jour. Un besoin de se vider auprès d'une presque inconnue qui ne serait donc pas à même de le juger. Une discussion anonyme, nette, qu'il aurait oubliée aujourd'hui, mais qui lui aurait autorisé un court apaisement dans la tempête qui ravageait ses pensées. Après tout, Wheein n'était que la serveuse de l'endroit où il travaillait. Cette fille discrète, mais passionnée dans son travail et joyeuse, qui semblait patiente et à l'écoute : une personne parfaite pour vider son sac, même s'il n'avait jamais vraiment fait attention à elle.

La seule chose certaine qu'elle pouvait retirer de cette scène, c'était le fait qu'il savait tout. Il savait qu'elle passait son temps à l'observer et devait alors se douter qu'elle ne le voyait pas comme les autres. Que pour elle, il était unique. Différent. Il avait dû comprendre que, lorsqu'il était dans la pièce, son regard ne pouvait rien faire d'autre que se poser sur lui, comme s'il était l'aiment qui attirait irrémédiablement ses pupilles. Il avait dû comprendre qu'elle l'aimait à sa manière, silencieuse, et qu'elle n'attendait rien de lui. Que tout ce qu'elle lui demandait, c'était de revenir jouer du piano dans le bar, pour qu'elle puisse le voir un soir de plus.

C'était peut-être cette raison pour laquelle il ne lui avait pas posé de question ou reproché quoi que ce soit. Il ne se sentait pas piégé, pas obligé de faire un commentaire, ou alors, il attendait que ce soit elle qui décide de se confier, par politesse, faisant comme s'il n'avait rien compris.

« Wheein, tu peux m'aider à arranger mes cheveux ? »

La jeune femme acquiesça, se levant du canapé pour se mettre debout derrière son amie, qui lui adressa un sourire radieux dans le miroir. Elle commença à relever délicatement ses longs cheveux bruns en un chignon, le fixant avec des épingles. Yongsun était tellement belle, un ensemble de douceur et de délicatesse. Elle n'avait pas besoin de fioritures tel que le maquillage, ou même de tenues trop élaborées pour la mettre en valeur : elle était toujours belle, avec sa peau pâle, son visage harmonieux, et ses beaux yeux brun brillant d'un mélange de malice et d'innocence. Depuis qu'elles étaient petites, Wheein l'avait constamment enviée pour sa beauté naturelle. Elle avait toujours vécu dans l'ombre de son amie, appréciée des autres pour sa grande patience et gentillesse. C'était sans doute pour ça qu'elle avait cru que Taehyung s'intéressait à elle, comme tous les hommes qui lui avaient plu par le passé. Dès qu'elle se rapprochait de l'un d'eux, il venait à faire connaissance avec sa meilleure amie et elle perdait alors toutes ces chances. Elle avait vraiment cru que cette situation s'était répétée encore. C'était peut-être même le cas, sans que Yongsun s'en rende compte.

Comme s'il elle avait compris à quoi elle pensait en regardant juste son visage dans le miroir, cette dernière cessa d'appliquer son fard à paupière pour lui adresser ces quelques mots :

« Je suis certaine que Taehyung est intéressé par toi. Il ne serait pas venu te parler comme ça, sinon. Et puis si c'est par rapport à moi que tu t'inquiètes... Je suis sûre qu'il ne me voit pas de cette manière, Wheein. Je ne lui corresponds pas, et tu le sais même mieux que moi. »

La rousse se contenta de hocher la tête, lâchant les mèches brunes de son amie qu'elle avait fini de coiffer, regardant alors tristement son reflet.

« Comment est-ce que je pourrais l'intéresser ? Je suis tellement banale... »

Yongsun répéta « banale » d'un ton à la fois outré et interrogateur, comme si elle espérait que la jeune femme revienne sur ses propos et annonce qu'elle avait été trop dure avec elle-même. Wheein n'en fit rien, lâchant simplement un léger soupire alors qu'elle s'attendait à se faire gronder, comme à chaque fois qu'elle osait se rabaisser devant son amie. Cette dernière se leva de sa chaise, se posant devant elle, la forçant ainsi à ancrer ses yeux dans les siens.

« Tu sais que je ne supporte pas que tu dises ce genre d'ânerie... »

Elle se décala alors, faisant de nouveau apparaître son reflet à Wheein, qui grimaça. Peu importe combien de fois elle se regardait, elle ne se voyait pas plus exceptionnelle qu'une autre.

« Tu es magnifique. Tes cheveux sont sublimes. Tu as cette fossette adorable quand tu souris, que tout le monde t'envie. Wheein, arrête de dire que tu es banale ! »

Elle vit son amie ramasser sa poudre, et en appliquer sur son visage, l'air concentré, alors que son propre teint se transformait dans le miroir. Elle prit ensuite son rouge à lèvres et en appliqua sur les lèvres de son amie, chantonnant radieusement. Elle s'arrêta, jetant un œil à son œuvre dans le miroir.

« Tu vois comme tu es belle ?
- Le maquillage va couler pendant mon service...
- Quelle rabat-joie tu es, souffla Yongsun en lui pinçant les joues avant de rire. Et si tu faisais attention à comment va réagir ton prince lorsqu'il te verra ? »

Wheein senti ses joues chauffer alors qu'elle s'imaginait Taehyung entrant dans la pièce, lui lançant un regard distrait et restant figé, les yeux pétillants de surprise, cherchant ce qui avait bien pu changer chez la demoiselle depuis la veille pour qu'elle semble si radieuse. Elle secoua la tête, chassant l'homme de son esprit, un sourire presque triste sur les lèvres :

« Il ne va avoir aucune réaction, Yongsun.
- Ça, c'est toi qui le dis.
- Non, je t'assure. Il ne verra pas la différence, tout bonnement parce qu'il ne va même pas me regarder. »

Alors que son amie affichait une moue, Wheein lui mit une pichenette affective avant de rire doucement, lui faisant ainsi comprendre que ça lui était égal, et qu'elle allait mieux, à présent. Elle se décala, saisissant son tablier avant de l'enfiler.

« Je vais devoir aller bosser, à tout à l'heure. »

Avant de quitter la pièce, elle entendit la brune murmurer la réponse qu'elle avait étouffée pendant quelques secondes :

« Ça, c'est toi qui le dis, Wheein, c'est toi qui le dis... »

_

Lorsque l'heure de l'arrivée habituelle du pianiste approcha, Wheein sentit une impatience et un stress l'envahir, sentiment qui l'avait quitté depuis bien longtemps, car elle s'était habituée à l'attendre tous les soirs. Mais les mots de Yongsun tournaient dans son esprit, que Taehyung serait intéressé par elle, et qu'il pourrait avoir une réaction devant son changement... Enfin, changement, elle avait mis un peu de maquillage. Quelle stupidité, elle qui n'aimait pas ça. Ce n'était pas comme si sa meilleure amie l'ignorait, qui plus est, mais cette dernière avait tellement fait ça de bon cœur qu'elle n'avait pas osé ni eut envie de lui dire quoi que ce soit. Elle ne ressentait pas l'envie de se mettre en valeur, pour Taehyung ou pour elle-même.

Elle n'arrivait pas non plus à oublier l'allusion de son amie quant à une personne que Taehyung observerait. Si elle existait, de qui pourrait-il s'agir ? D'une habituée ? Pourtant, si ça avait été une cliente, Yongsun n'aurait eu aucune réticence à lui en révéler l'identité. Pourquoi la laissait-elle ainsi dans l'embarras ? Comme si le pianiste seul n'avait pas déjà suffit à lui prendre la tête.

Alors qu'elle était occupée à maugréer contre elle-même, contre ce joueur de piano, contre son amie, voire même contre le monde entier qui semblait chercher à tout faire pour l'empêcher d'avoir les idées claires, son attention sur le moment présent était suffisamment apte à lui faire remarquer la porte de service qui s'ouvrait. Sans s'arrêter de traverser la pièce, son plateau remplit de verres vides fermement maintenu entre ses doigts, elle observa la personne qui entrait dans la pièce du coin de l'œil. Elle ne doutait pas une seule seconde de son identité. Parce que c'était l'heure du début de son travail.

Taehyung n'était jamais en retard. Il arrivait toujours pile à l'heure, à la minute près. Son patron appréciait énormément cette ponctualité, en plus du talent de pianiste du jeune homme et avait donc décidé de le garder malgré son caractère taciturne qui ne correspondait pourtant pas du tout à l'établissement. Wheein avait vu beaucoup d'artistes défiler ici, sur ce piano sombre. Certains étaient tête en l'air, et n'étaient alors pas concentrés sur leur travail, ou arrivaient en retard – ce n'était pas comme si Taehyung, lui, n'était jamais dans la lune, au contraire même, mais il montrait un effort certain à faire sa tâche convenablement – d'autres étaient trop imbus d'eux-mêmes, jouaient trop fort, ou râlaient du fait qu'on ne se taisait pas pour les écouter. Finalement, une personne effacée comme le garçon correspondait parfaitement, même si, comme le disait souvent le propriétaire, « un peu de gaieté et de vie ne ferait vraiment pas de mal ».

La gaieté, c'était vrai qu'il en manquait parfois, bien qu'il soit capable de grands éclats de rire et de magnifiques et étranges sourires qui avaient le don d'être communicatifs. Le voir avec cette expression donnait l'impression d'être face à un homme innocent et doux. Une existence que le monde n'avait pas encore souillée de sa lâcheté et de ses difficultés. L'ennui, c'était que ces moments étaient précieux, parce que dès qu'il s'installait à son instrument, ils devenaient rares, beaucoup trop.

Et la vie... Wheein ne savait pas quoi en penser. Elle avait l'impression qu'il était vif à tout moment. Il l'était peut-être trop pour arriver à le montrer. Comme si sa tête fonctionnait plus vite que ses émotions, les masquant alors.

Ses yeux toujours tournés vers la porte qui semblait s'ouvrir trop lentement, laissant le temps à son cœur de s'impatienter et de commencer à battre follement dans sa poitrine, un vent de panique la saisissant sans qu'elle ne puisse le réfréner, entrèrent en contact avec ceux du garçon dès que son visage eut passé l'encadrement. Il se figea alors, ses prunelles brillant d'un éclat. Un éclat de vie, et d'autre chose, qu'elle n'arriva pas à identifier. Non, elle n'essaya même pas, car elle tourna subitement la tête, accélérant le pas vers le bar.

Pourquoi fallait-il toujours qu'elle se détourne ? Son cœur s'affolait, elle s'affolait. À chaque fois, elle perdait pied, littéralement. Elle n'arrivait pas à plonger ses yeux dans les siens, alors que c'était ce qu'elle souhait le plus ou monde : sonder son âme comme il était capable de le faire pour elle. Elle posa son plateau avec tant de frustration sur le bar que les clients alentours lui lancèrent un regard, interpellés par le bruit sourd qui venait de prédominer sur leurs conversations, mais elle ne leur adressa aucune excuse, passant la main dans ses cheveux en les secouant, essayant ainsi de se remettre les idées en place. Elle devait être capable de contrôler tout ça, d'arrêter de se sentir aussi frustrée d'elle-même.

« Prend une pause. »

Elle releva le visage vers son patron qui lui adressait un sourire encourageant.

« Non, c'est bon...
- Wheein, tu en as besoin, alors prend dix minutes. Je peux gérer. »

Son ton était plus insistant que pour sa première sentence, ainsi elle n'osa pas protester davantage et hocha la tête. Il lui adressa un sourire de nouveau, comme pour s'excuser de sa dureté, et elle lui rendit, montrant sa reconnaissance. Après tant d'années qu'elle travaillait ici, elle avait lié une certaine complicité avec cet homme. Ils avaient appris à s'épauler, à savoir quand c'était le moment de pousser l'autre à faire quelque chose, ou d'entamer une discussion sérieuse. Ils se comprenaient mutuellement, et c'était avec une certaine émotion que Wheein se dit qu'elle aimerait énormément avoir ce genre de relation avec son pianiste. Comprendre ce qu'il pouvait bien se passer dans sa tête.

Elle s'installa sur le tabouret vide devant elle. Il n'y avait pas beaucoup de clients aujourd'hui, ce qui était plutôt agréable vu sa mauvaise nuit. C'était souvent comme ça le dimanche soir. En vérité, bien que l'établissement marche très bien, il n'y avait que le vendredi et le samedi soir où il était vraiment plein à craquer. C'était aussi pour ça qu'elle appréciait travailler ici, ce n'était pas toujours un rythme éreintant. Un verre d'eau apparu devant elle et elle remercia l'homme derrière le bar.

« Depuis combien de temps n'as-tu pas pris de congé ? Demanda son supérieur avec douceur et voyant qu'elle haussait les épaules, il continua : Si tu l'ignores, c'est que ça fait déjà trop longtemps. On est en période creuse, alors n'hésite pas.
- Je vais bien, vraiment.
- Mais tu m'as l'air à bout. Et dans tes pensées, ça ne te ressemble pas.
- Ça va, ça va aller.
- Tu es toujours trop à fond, Wheein... »

La voix douce de sa meilleure amie la détendit instantanément, d'autant plus qu'elle sentit les bras de cette dernière l'enlacer alors qu'elle posait son menton contre son épaule. Elles faisaient souvent ça, et ça ne choquait personne.

« Tu ne dis jamais quand tu as besoin d'une pause. Tu ne dis jamais quand ça ne va pas. On s'inquiète tous pour toi.

- Je...
- Tous. Tous, Wheein. »

Ses yeux furent arrachés de la vision de son supérieur qui était en train de converser avec un client, alors que Yongsun fit tourner le tabouret en direction de la salle, restant derrière elle. Il ne lui fallut que quelques microsecondes pour que ces prunelles rencontrent celles de Taehyung, enclenchant cette explosion au sein de son ventre qu'elle aimait tant qu'elle haïssait. Depuis combien de temps la regardait-il ? Depuis le départ, quand elle avait fui son regard, ou lorsqu'elle avait commencé à parler à son patron ? Ou alors, était-ce dès que son amie était venue ? Ne regardait-il pas d'ailleurs Yongsun à la base ?

Le corps de son amie remplaça la vision du pianiste, l'en arrachant tandis qu'elle se sentait divaguer de nouveau dans ses pensées et les yeux de Taehyung.

« Prends au moins deux jours. On est en semaine, en plus, c'est le bon moment. Et ça te permettra de faire le point sur beaucoup de choses, non ? »

Wheein hocha silencieusement la tête, convaincue par les mots de son amie qui complétaient parfaitement ceux de son supérieur. Bien sûr qu'elle avait besoin de repos, ça faisait des lustres qu'elle n'avait pas pris le moindre congé. Sans parler de son manque de sommeil récent, pour lequel elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même.

« Tu sais que Taehyung est aussi en congé après-demain, non ? »

Ses yeux se plantèrent dans ceux de son amie, qui lui lançait un regard entendu, visiblement fière d'avoir à la fois provoqué sa surprise et son excitation. Pourquoi avait-il fallu qu'elle ajoute ce détail - dont elle avait parfaitement conscience, vu qu'elle venait de se dire qu'elle n'allait pas louper le pianiste si elle prenait un jour de repos, vu que lui-même serait absent – en lui donnant une telle connotation ? Yongsun était cruelle. Pas comme une personne méchante qui aimerait faire souffrir, mais comme quelqu'un qui la connaissait tellement bien qu'elle lui faisait en permanence perdre la tête, s'amusant de ses réactions. Wheein ne pouvait même pas lui en vouloir vu combien elle l'adorait et combien ce comportement, certes souvent agaçant, l'avait souvent poussé à faire des choses qu'elle considérait aujourd'hui comme les meilleures décisions de sa vie.

C'était elle qui l'avait fait franchir les portes de ce bar, comme elle y avait trouvé son poste de serveuse-chanteuse. Quand elle avait vu que Wheein avait été charmée par le lieu, ayant eu comme un coup de cœur pour sa chaleur et cette impression de sortir du temps et de la vie habituelle dès qu'on y entrait, elle lui avait simplement posé une suggestion à l'oreille, similaire à celle qu'elle venait de lui faire : « Tu sais, le patron cherche encore une serveuse ». Ces petites phrases magiques, qui ne la forçaient à rien, mais lui offrait un conseil, une petite poussée pour faire progresser sa vie dans un certain sens, voir s'ouvrir une nouvelle voie qu'elle n'avait pas envisagé.

Wheein avait beau être plutôt observatrice, elle était comme aveugle pour repérer les signes que le destin, la chance, pouvait mettre sur sa route. Elle avait du mal à se comprendre elle-même autant qu'elle pouvait lire les autres avec brio. C'était pour ça qu'elle écoutait toujours ce que Yongsun, ou n'importe qui d'autre, pourrait lui dire, ça lui permettait de mieux saisir sa vie, parfois.

« C'est limite si on ne s'est pas parlé pour la première fois hier, tu sais ?
- Et alors ? Ça fait des semaines que tu l'observes.
- Mais pas lui. »

Yongsun poussa un long soupire, faisant rouler ses yeux.

« Qu'est-ce que tu peux être lente ! »

Elle passa affectueusement les doigts dans la chevelure de son amie, coiffant ses mèches rousses d'un air distrait.

« Que ferais-tu sans moi, Wheein ? »

L'intéressée fronça les sourcils, un mauvais pressentiment s'emparant d'elle. La brune s'éloigna d'elle lentement, laissant ses cheveux glisser entre ses doigts.

« Ne fais rien, souffla Wheein. Je t'en prie, Yongsun. »

Le clin d'œil qu'elle reçut comme unique réponse lui coupa le souffle, et elle ne put que regarder son amie s'éloigner en direction du piano, priant pour qu'elle n'ait que comme idée d'aller chanter, et non pas de discuter avec Taehyung. Mais son amie, comme elle l'espérait de tout son cœur, passa devant le pianiste sans lui adresser la moindre parole, allant s'installer à sa place, devant son micro.

Yongsun était radieuse ce soir, tout particulièrement. Elle semblait plus sensuelle, plus douce que d'ordinaire. Elle avait aussi cet éclat espiègle dans le regard, ce qu'il ne cessait de l'inquiéter depuis quelques minutes.

« N'hésitez pas, ce soir. Prenez la main de la personne qui vous plait et emmenez là faire un tour. Nous sommes en été. N'est-ce pas la meilleure saison pour l'amour ? »

Un éclat de rire attendri secoua la salle, charmé par la candeur de la jeune femme. Les yeux rivés sur elle, personne ne put voir l'expression de Wheein se décomposer. La remarque n'avait rien d'innocent. Ce n'était pas juste une introduction pour sa chanson, mais bien un message adressé à quelqu'un. Quelqu'un qu'elle n'avait pas quitté des yeux alors qu'elle murmurait ses mots dans le micro, presque coquins. Taehyung.


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