I


Le samedi soir était le moment culminant de la semaine. Les gens de toutes classes sociales se pressaient dans les bars après avoir mangé au restaurant où être allé au cinéma, dans le but de se détendre du stress accumulé dans la semaine. Les parents laissaient leur enfant avec la nurse pour se laisser aller dans l'ivresse et la joie le temps de quelques heures, les célibataires s'installaient à une table en espérant faire une belle rencontre entre deux verres, trouver une personne pour partager leur vie solitaire, ou juste leur nuit.

Wheein vérifia que sa queue de cheval était bien faite dans le miroir avant de quitter la salle réservée aux employés, prenant une grande inspiration d'air pur avant de pénétrer dans la pièce déjà comble de clients. L'atmosphère était chaude et étouffante, remplie des effluves de parfums et de cigarettes. Elle avait beau être habituée à cet endroit, la différence avec le calme de l'extérieur était saisissante. Ici, les personnes parlaient et riaient fort pour se faire entendre, créant une ambiance à la fois chaleureuse et assourdissante, à laquelle elle mettait toujours plusieurs minutes à s'habituer.

Elle laissa ses yeux se perdre dans la salle, cherchant du regard quelqu'un qui, elle le savait pourtant, n'était pas encore arrivé. Ses yeux se posèrent brièvement sur le piano. Un magnifique piano à queue noir, qui occupait une place royale devant la piste de danse. L'instrument, bien que sublime, lui semblait incomplet. Parce qu'Il n'était pas là. Après tout, qu'était un piano sans son pianiste ? Et qu'était un pianiste sans son piano ? Un sourire traversa les lèvres de la jeune femme alors qu'elle se rendait compte, qu'encore une fois, le visage du garçon était apparu dans son esprit, et elle savait parfaitement qu'elle ne cesserait de penser à lui que lorsqu'il viendrait trouver sa place devant l'instrument, remplissant la pièce de sa présence discrète, mais percutante.

« Wheein ! Tu rêves encore ? »

Elle manqua de sursauter, arrachée à ses pensées par son patron qui l'appelait depuis sa place derrière le bar. Ce dernier était un homme de la quarantaine, doux et chaleureux, au visage et au corps déjà fatigué par le temps où il travaillait en tant que charpentier. Il avait des yeux bleus perçants et des cheveux bruns grisonnants, épais, qu'il rabattait sur son crâne, marquant alors plus encore sa calvitie. Ces derniers ne cessaient d'ailleurs pas de revenir devant son visage, lui ayant alors donné le tic de toujours passer la main dans ses mèches pour les rabattre, même quand elles étaient finalement bien en place. La rousse lui fit un grand sourire avant d'avancer à pas rapide vers le bar, s'emparant du plateau qu'il lui avait préparé et allant donner leurs boissons aux tables qu'il lui indiquait.

Elle aimait ce travail, énormément. Elle aimait être au contact des gens, illuminer leurs soirées de son sourire, rire aux blagues que lui faisaient parfois certains clients pour la charmer. Les personnes qui venaient ici étaient gentilles et chaleureuses, et elle ressortait toujours de son service de bonne humeur, bien qu'épuisée. Au départ, ses parents avaient été réticents à ce qu'elle ne soit que serveuse parce qu'après tout, ce n'était pas un travail avec des perspectives d'évolution, mais ils avaient été obligés de reconnaître que leur fille ressortait épanouie de cette activité.

De toute façon, ce n'était pas comme si elle aurait pu faire quoique ce soit d'autre. Elle n'était pas assez intelligente pour faire des études, pas assez jolie pour se marier avec un bon parti, et n'avait ni talent si passion pour l'orienter. Lorsqu'elle avait arrêté l'école, elle avait trouvé un travail ici, et c'était très bien. Wheein n'allait pas se montrer difficile alors qu'elle avait un revenu, un toit, sa famille, et qu'en plus de ça elle appréciait son gagne pain. Elle ne pourrait peut-être pas rester ici toute sa vie, mais pour l'instant, c'était plus que suffisant et puis... Et puis, comme Il était ici, c'était d'autant plus un bonheur de venir travailler chaque soir.

C'est au moment où son esprit se remplissait à nouveau de Lui qu'un air de piano résonna soudainement dans la salle, changeant radicalement l'ambiance. Les clients avaient baissé la voix dans le but de respecter la musique, créant un moment privilégié et feutré, permettant au pianiste qui venait de s'installer de s'enivrer autant qu'il le souhaitait de son univers.

La jeune fille se retourna vers l'instrument devant lequel Taehyung venait de s'installer, le cœur battant fort dans sa poitrine, son rythme suivant ironiquement. celui de la musique. Il ne regardait pas les partitions devant lui, ses paupières fermées pour mieux ressentir son moment. En vérité, il était très rare qu'il vérifie les notes, si ce n'est que très brièvement. C'était comme si c'était instinctif, que ses doigts savaient par eux même sur quelle touche aller, et c'était sûrement le cas parce que Taehyung ressentait son instrument comme s'il était une prolongation de lui-même, c'était pour cette raison qu'il était si agréable de le regarder jouer. Et c'était pour ça qu'elle était tombée amoureuse de lui.

Elle se détacha de la vision du garçon, éclairé légèrement par les lumières tamisées de la pièce, lui donnant un air à la fois mystérieux et angélique. Un air irréel. Comme s'il n'était pas vraiment là, sa présence n'étant qu'une brise légère qui passait le temps d'un morceau avant de disparaitre cruellement. Wheein aurait pu le regarder pendant des heures, ses belles mains aux longs doigts caressant les touches, son corps fin mis en valeur dans son costume sombre, ses mèches brunes qui cachaient une partie de ses yeux clos et de son visage si beau, tellement harmonieux, la douceur du sourire éphémère qui ornait ses lèvres lorsque la musique devenait plus taquine. D'ailleurs, elle l'avait observé, longuement, secrètement et pouvait deviner ses expressions, ses tiques, ses réactions. Elle le connaissait certainement mieux qu'elle se connaissait elle-même.

Ce qui était ironique dans cette belle histoire, c'était qu'ils n'avaient jamais échangés plus que quelques mots, et ce n'était que des politesses. Elle ne savait pas quel âge il avait, ce qu'il aimait manger, d'où il venait, où il vivait actuellement, s'il était seul. Elle avait à la fois l'impression de le connaître depuis toujours, mais aussi qu'il était un total étranger, venu de loin avec tous ses mystères, lui dérobant son cœur en un regard, le temps d'un soupir.

Ce soir, comme tous les autres soirs, Wheein fit son travail tout en observant le mystérieux pianiste, l'observant du coin de l'œil et l'écoutant d'une oreille.

Alors qu'elle trouvait enfin à moment pour se reposer, s'asseyant derrière le bar, aux côtés de son patron qui faisait joyeusement la discussion à quelques clients, l'ambiance de l'établissement changea de nouveau, les lumières se baissant pour plonger la pièce dans une obscurité feutrée. Non loin du piano, un spot s'alluma, éclairant la jeune femme qui venait de s'installer à sa place habituelle. Yongsun.

Taehyung commença à jouer un morceau plus enjoué et entrainant, et elle le rejoignit de sa voix merveilleuse, croisant le regard du garçon à plusieurs reprises pour lui sourire chaleureusement, ses yeux s'illuminant de passion alors qu'elle chantait. Ces moments, ils semblaient privilégiés entre le pianiste et Yongsun. Comme s'ils partageaient quelque chose d'unique et de secret.

Elle était si belle, avec sa longue robe blanche la faisant paraître irréelle, presque angélique et ses cheveux bruns soyeux, laissés détachés. Cette fois, toute la salle s'était tue pour écouter le morceau et tous les yeux étaient rivés sur la chanteuse, qui avait fermé les yeux pour se concentrer sur sa voix. Elle ressemblait beaucoup à Taehyung dans ses moments là, vivant la musique au plus profond d'elle-même, et Wheein se sentit jalouse, comme tous les soirs, du fait que son amie devait plus comprendre cette facette du garçon qu'elle. De toutes les femmes que le pianiste devait côtoyer, c'était avec Yongsun qu'il partageait le plus de choses, et pendant qu'ils jouaient ensemble, un sourire permanent s'installait sur son visage, signe d'une béatitude qu'il ressentait certainement au plus profond de lui-même.

La rousse aurait aimé l'accompagner également, lui montrer qu'elle aussi existait. Peut-être que de cette manière, elle aurait une place à ses yeux. Peut-être qu'il se rendrait compte d'à quel point il la touchait, et de combien elle se languissait de n'avoir ne serait-ce qu'un regard de sa part. Mais elle n'était pas chanteuse, et elle ne pourrait jamais réaliser ce rêve silencieux.

La bouche de Wheein, désormais baignée dans l'obscurité, entonnait les paroles de la chanson qu'elle connaissait par cœur, parce que le duo l'avait déjà beaucoup jouée. Elle ferma les paupières, s'imaginant à la place de Yongsun, les yeux de Taehyung rivés sur elle, l'admirant comme tout le monde ici. Comme elle aurait aimé être sous ce projecteur, et pas au fond de la salle, cachée du regard du monde.

Pourtant, jamais elle n'avait pu être illuminée comme sa meilleure amie. Elle avait toujours été ainsi, tapie dans la pénombre, derrière elle. Cette situation lui avait toujours convenu, avant que Taehyung commence à travailler ici, la faisant détester Yongsun dans ces moments-là, lui donnant envie d'aller lui arracher son micro pour prendre sa place, comme pour dire au garçon « regarde-moi ». Mais ça, évidement, elle ne le fera jamais.


_


L'établissement était à présent clos, un silence feutré avait envahi la grande pièce, seulement perturbé par la mélodie hypnotisante que Taehyung jouait sur son piano, l'air distrait, comme s'il était parti du monde pour se perdre dans le sien. Wheein l'observait du coin de l'œil alors qu'elle aidait le patron à finir de ranger la salle. Habituellement, le pianiste était le premier à s'en aller. Dès que le dernier client avait franchi le seuil, Taehyung disparaissait. Parfois, il restait le temps de boire un verre, l'air maussade, comme s'il ressassait l'intégralité de son existence, sautant de regret en regret à mesure que les souvenirs défilaient.

Au départ, Wheein s'était surprise et inquiétée du caractère lunatique de Taehyung. Au début de la soirée, il était jovial et bavard, n'hésitait pas à blaguer, souriant. Il semblait être un jeune homme qui croquait la vie à pleines dents, libre, en paix avec lui-même. Mais dès qu'il s'asseyait devant son piano, il devenait grave. Il perdait son grand sourire au profit d'un rictus plus discret, les rires laissaient place au silence et ses yeux si pétillants se mettaient à briller d'une profondeur sans nom. Taehyung était lunatique et le piano était son changeur d'humeur. Celui qui le faisait passer du rire aux larmes, de la joie à la mélancolie. L'instrument s'insinuait en lui pour torturer son âme solitaire, faisant tout ressortir de son intérieur - le triste, le beau, l'horrible, le bon, le mauvais - sans trier et sans douceur, laissant le garçon à la fois face à ses anges et ses démons. Le piano, loin d'être un catalyseur, le défiait, le brutalisait. Il se moquait de lui et de sa fragilité du haut de sa splendeur captivante. C'était la relation que Taehyung avait avec son piano : une douce rivalité et jalousie complice, une guerre amicale. Un étrange lien, qui, Wheein en était sûre, le détruisait petit à petit.

Elle avait commencé à l'aimer quand il jouait, mais elle voulait désormais l'arracher à son piano. Elle souhaitait voir Taehyung guérir ses plaies, pas les observer tristement chaque jour.

« Wheein, ma femme a besoin de moi, tu peux finir seule ?
- Bien sûr. »

Son employeur la remercia, lui demandant de déposer les clés chez lui comme elle le faisait à chaque fois qu'elle s'occupait de fermer l'établissement. Heureusement, il ne lui restait pas beaucoup de travail : quelques verres à essuyer et quelques tables à laver. L'homme aux cheveux grisonnant quitta la pièce, saluant Taehyung qui ne lui répondit même pas. Wheein termina habillement les tables qui lui restait, et s'arrêta alors qu'elle se dirigeait vers le bar, juste à côté du piano. Il jouait toujours, complètement coupé du monde extérieur.

« Taehyung, l'appela-t-elle doucement. »

Il ne releva même pas le regard, ni ne cilla en entendant sa voix, s'il l'avait seulement entendu. Elle s'approcha jusqu'à ce que ses doigts effleurent le bois ciré, s'offrant le luxe de profiter de l'inattention du garçon pour l'admirer.

Son nez fin, son teint halé, la manière dont ses cheveux retombaient sur son front, lui donnant sans cesse envie de les recoiffer ou les caresser, sa peau sans imperfections...

« Taehyung ? »

Ses lèvres, ses si douces lèvres rosées, qui complétaient à merveille son élégance fascinante. Et ses yeux. Ses prunelles sombres et profondes comme deux mers infinies dont l'horizon disparaissait, le ciel et l'eau semblant se rejoindre. Un ciel sombre, sans lune ni étoiles, mais également sans nuages. Un ciel au noir aussi parfait que celui du piano. Deux océans qui venaient de s'ancrer dans ses propres yeux, lui arrachant un frisson.

« Je vais bientôt fermer... pour... pour que tu puisses te préparer. À moins que tu veuilles boire quelque chose ? »

Normalement, Wheein n'était pas une personne qui perdait ses moyens. Elle était très sociale et confiante, et c'était pour ça qu'elle faisait ce travail. Mais lorsque que leurs regards se croisaient, elle perdait pied. La réalité devenait irréelle, ses sens se troublaient, son cœur s'emballait. Croiser le regard de Taehyung, c'était découvrir une infime partie de son monde. Ce dernier hocha la tête, toujours aussi silencieux.

« La même chose que d'habitude ?
- Oui, s'il te plait. »

Sa voix doucereuse résonna comme le plus beau des sons aux oreilles de la jeune femme, dont le sourire qui était maladroit devint radieux, faisant apparaître son adorable fossette dont elle était si fière.

« Je t'apporte ça ! »

Elle sautilla presque jusqu'au bar, contente d'avoir un moment seule avec lui. Ce n'était pas grave s'ils ne parlaient pas. Elle avait sa présence tout à elle. S'il parlait, ce serait à elle qu'il s'adresserait. Il y avait de quoi être heureuse, surtout quand elle avait passé tant de temps à ne l'observer que de loin. En fait, ce genre de chose n'était jamais arrivé : qu'ils se retrouvent seuls ici, totalement seuls. Elle apporta son verre à Taehyung, qui avait cessé de jouer pour appuyer ses coudes contre l'instrument, toujours aussi pensif. Il la remercia et elle retourna derrière le bar pour essuyer la dizaine de verres dont son patron n'avait pas pu s'occuper avant de partir. Elle se concentra au maximum dans sa tache, essayant de chasser l'excitation qui s'était emparé d'elle face à la situation.

C'était idiot d'espérer quoi que ce soit. Taehyung n'était pas d'humeur à discuter. Comme chaque soir, il n'était pas du genre à parler après avoir joué. Il allait certainement boire son verre en silence et s'en aller. Pourtant, lorsqu'elle releva les yeux vers le piano, elle manqua de sursauter quand le visage de Taehyung était bien plus proche d'elle que ce à quoi elle s'attendait. Il était venu s'assoir au bar, plus silencieux qu'une brise. Elle cacha son émotion derrière un sourire, que le garçon lui rendit, ses lèvres s'étirant doucement et discrètement.

Ce n'était peut-être que de la politesse, et il était capable de sourires plus chaleureux, mais tant pis. Taehyung lui souriait, et ça suffisait à son cœur pour rater un battement. Il lui souriait. Ce sourire était à elle, pour elle.

La jeune femme retourna à la tâche, un rictus heureux ne quittant pas sa bouche. Elle ressentait bien trop de bonheur pour ne pas l'afficher. Quand elle releva de nouveau la tête, il n'avait pas bougé d'un pouce, ses yeux toujours posés sur elle.

« Ça ne t'est jamais arrivé d'avoir une sensation étrange avec certaines personnes ? Demanda-t-il soudainement alors qu'elle l'avait interrogé du regard.

- Comment ça ?
- Une impression de déjà vu. Ou de compréhension mutuelle.
- Si, souvent. »

Tous les soirs, quand tu rentres dans cette pièce, même.

Le bruns s'appuya sur le bar, son regard rivé dans le sien. Elle avait l'agréable impression qu'il la sondait, découvrait chacun de ses secrets, de ses sentiments. Avec n'importe qui d'autre, cette intrusion aurait été étrange, voire désagréable, mais pas avec lui. Parce qu'elle n'avait que faire qu'il sache tout d'elle et qu'il la perce à jour. Après tout, elle n'avait pas envie de lui mentir.

« Tu vois, je parle de ça, reprit Taehyung alors qu'elle avait détourné le regard pour s'atteler aux trois verres restants.

- Hein ?
- Là, à l'instant, ça vient d'arriver. Encore. »

Elle se figea, redressant soudainement la tête vers le jeune homme. Son cœur battait à tout rompre, assourdissant. Elle l'entendait résonner sur ses tympans et sauter contre sa poitrine. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il voulait dire, mais c'était comme si son organe vital, lui, avait parfaitement saisit les mots que Taehyung venait de prononcer. C'était comme s'il lui faisait signe que cette déclaration était spéciale, très spéciale. Wheein avait l'impression que le garçon venait de lui dire quelque chose d'important, quelque chose qu'elle aurait dû comprendre, et qu'elle comprendrait sans doute un jour, ou dans quelques heures, quand elle y repenserait alors qu'elle chercherait le sommeil en se retournant dans son lit.

Le brun rompit le contact qui s'était de nouveau instauré entre leurs pupilles, baissant les yeux vers son verre avant de boire une petite gorgée du liquide ambré. Wheein scruta chacun de ses gestes, avide. Elle se délecta de la vision de ses douces mains fines autour du récipient, puis de ses lèvres qui s'entrouvrirent contre lui, et enfin de la manière dont sa mâchoire se crispa lorsque, sûrement, sa langue entra contact de l'alcool, fort et ardant. C'était comme si le temps s'était stoppé, et son esprit avec lui, et qu'à présent, elle ne pouvait plus rien faire d'autre que de l'observer, pendue au moindre de ses gestes et de ses paroles.

« Tu es étrange, Wheein. »

Taehyung avait prononcé ces mots d'une voix douce, tel un chuchotement venant caresser ses oreilles. Il tenait toujours son verre devant ses lèvres, un sourire rêveur sur celles-ci.

« A première vue, on dirait que tu es une fille spontanée et légère, mais en fait, tu observes. Peut-être trop. Tu passes ton temps à scruter et à analyser ton entourage, comme si tu cherchais à tout comprendre, ajouta le garçon après un silence, voyant qu'elle ne répondait pas. »

Comme elle aurait aimé que son cœur s'arrête de battre avec tant d'affolement, afin qu'elle puisse reprendre ses esprits, saisir réellement la situation. Pour que ses joues cessent de chauffer, et que son estomac cesse de se tordre, autant d'excitation que de panique.

« Là, tu as peur. Tu ne comprends rien, alors tu t'affoles. Tu aimerais me comprendre, mais tu n'y arrives pas. »

La jeune femme entrouvrit les lèvres, cherchant à répliquer, les mots restant bloqués dans sa gorge, boule douloureuse de frustration et d'humiliation. Elle avait envie de lui dire qu'il se trompait, qu'elle pourrait le comprendre. Qu'elle le comprenait, même. Probablement trop. Alors pourquoi semblait-il avoir autant raison qu'il avait tort ?

« Je suis étrange, alors peu de gens me comprennent, mais tu l'es aussi, fit-il alors qu'il posait ses coudes sur le bar, croisant ses mains devant sa bouche, comme s'il réfléchissait tout en parlant. Quand tu observes, j'écoute. On se ressemble, et c'est pour ça que j'ai l'impression que toi, tu pourrais peut-être me comprendre. Si tu apprends à écouter. »

Wheein ne bougeait pas d'un pouce. Elle en était sûrement capable, mais elle avait l'impression qu'elle casserait l'étrange magie qui paraissait les entourer. Alors, elle se taisait, immobile, cherchant à fuir son regard tout en s'y enfonçant toujours d'avantage. Elle avait le sentiment de se noyer, sans pouvoir appeler à l'aide. Elle était enfermée dans son propre corps, scellée par les prunelles du garçon qui restaient irrémédiablement rivées dans les siennes.

« Le problème, c'est que si on observe trop, on oublie d'écouter, et inversement. Tu ne sais plus écouter, je ne sais plus observer, dit le jeune homme avant de finir son verre d'une gorgée, détachant ses yeux des siens alors qu'il les fermait pour savourer le gout de la boisson. Qu'en penses-tu ?
- A... propos de quoi ? Demanda-t-elle d'une voix qui lui parut rauque et faiblarde, comme si elle venait de hurler de toutes ses forces.
- Que je t'apprenne à écouter, et que tu m'apprennes à voir.
- Taehyung, tu es tellement étrange.
- Je sais. »

Et il se mit à ricaner, sa bouche s'ouvrant pour afficher un sourire à la forme rectangulaire charmante, à la fois atypique et innocente. Elle avait soudainement l'impression de faire face à un enfant qui venait de faire une blague, pourtant, cet enfant venait de lui dire des mots d'adulte. Des mots que même beaucoup d'adultes pourraient ne pas comprendre. Mais ce sourire et ce rire délicieux semblèrent tout effacer de l'atmosphère pesante, et elle finit elle-même par en afficher un à son tour, radieux. Elle avait l'impression qu'elle venait de le comprendre.


•~✤~•


J'entame un ravalement de façade pour Piano Man ! Les chapitres suivants ont été dé-publiés comme je suis en train de les modifier. Ce n'est pas une réécriture, juste quelques petits correctifs, la suite devrait donc revenir sous-peu. 

Piano Man avait été mise en pause depuis un moment, je ne promets pas parvenir à écrire la suite, mais me replonger dans l'histoire pourrait très bien me donner l'inspiration de la reprendre.

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