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Yoongi releva les yeux et remarqua le petit graffiti qui ornait le mur des toilettes. Il pencha la tête sur le côté, tentant d'assimiler les mots qui le concernaient. Certes, il n'était pas le seul de l'établissement à s'appeler ainsi, mais il pouvait aisément affirmer qu'il était le seul à pouvoir être qualifié ainsi : Yoongi l'asocial.

Il fronça un instant les sourcils puis haussa les épaules. Il se rhabilla, remonta sa braguette et tira la chasse d'eau. Après être sorti de la cabine qu'il occupait, il se dirigea aussitôt vers les lavabos, juste en face. Alors qu'il se lavait les mains, il se demanda pour quelle raison quelqu'un avait cru indispensable d'annoter le mur de cet état de fait.

Yoongi était asocial. Ceci n'était même pas une critique pour lui. Tout le monde en avait conscience, lui le premier. Seule sa mère continuait de croire qu'il était seulement timide. Son père, quant à lui, avait depuis longtemps abandonné l'idée que son fils aîné se fasse des amis.

C'était un trait de sa personnalité qui avait été accentué par l'apprentissage du piano dès son plus jeune âge. Voulant progresser le plus rapidement possible, il avait très vite mis de côté tout ce qui n'était pas indispensable à sa vie. L'amitié en faisait partie.

Il avait bien supplié ses parents d'arrêter l'école, mais pour une raison qui restait encore obscure pour lui, ils avaient refusé sans même écouter ses arguments. Il avait pourtant passé des heures à les répertorier quand il était en première année d'école. Maintenant qu'il était en dernière année de lycée, ses arguments étaient toujours aussi pertinents.

Yoongi était aussi un maniaque des habitudes. Tous les dimanches soirs, il rédigeait une liste des choses qu'il devait faire dans un ordre bien précis. Chaque jour avait sa liste, bien écrite, avec sa propre couleur et affichée dans sa chambre, juste au-dessus de son bureau. Cela le rassurait de la lire avant de se coucher. Ainsi, il pouvait se préparer psychologiquement au lendemain.

En effet, tout élément ou événement qui sortait de sa routine le mettait dans un état de stress tellement important qu'il faisait une crise d'anxiété et restait vingt-trois heures dans le placard de sa chambre. Celui de sa penderie parce que celui de ses pantalons n'était pas assez spacieux et il passait trop de temps à tout ranger après. Il avait déjà testé.

Pourtant se trouver dans les toilettes du premier étage sortait de ses habitudes. Celles qu'il utilisait toujours dans l'aile ouest du lycée avaient été condamnées parce que des élèves avaient mis le feu en voulant fumer pendant la pause du matin.

Heureusement, depuis la dernière rentrée, son petit frère allait lui aussi dans ce lycée. Dès que Yoongi lui avait envoyé une alerte rouge, Jungkook l'avait rejoint dans la cour. Il avait alors réussi à faire face à la crise qui menaçait d'envahir Yoongi et l'avait accompagné jusqu'ici. Il lui avait même fait faire le tour pour lui montrer qu'ils étaient exactement comme les autres avant qu'il accepte.

— Quelqu'un a écrit que j'étais asocial, déclara-t-il en allant récupérer un papier pour s'essuyer les mains.

Il pivota et retrouva son petit frère qui avait accepté de l'attendre, appuyé sur une cabine, le nez plongé dans un jeu sur son téléphone.

— Ne les écoute pas, ce sont des idiots, marmonna Jungkook en grimaçant après avoir sans doute perdu sa partie.

Il releva les yeux vers lui, un grand sourire aux lèvres. Yoongi aimait bien son frère. C'était peut-être horrible à formuler mais il était le seul être vivant qu'il aimait. Il fallait dire que Jungkook était très intelligent et drôle. En plus, il chantait. Il chantait toujours quand Yoongi jouait et ça, il appréciait beaucoup.

Puis il avait beaucoup de patience avec lui sans en faire trop comme leur mère qui passait son temps à vouloir le prendre pour un gamin de trois ans. Et il s'intéressait toujours à son avis, contrairement à son père qui avait baissé les bras. Et surtout, Jungkook était le seul à ne pas se moquer de lui quand il disait adorer la nuit, mais pas être dans le noir.

— Pourtant ils ont raison.

Mais Jungkook, comme tous les autres, malgré ses efforts, ne le comprenait pas toujours. Comme à cet instant. Yoongi ne pensait pas que les autres étaient des idiots et il ne saisissait pas en quoi ils l'étaient pour son frère. Il jeta son papier et enfonça ses mains dans les poches de son pantalon d'uniforme. Il avait pris l'habitude de faire ça depuis qu'un garçon avait rabattu violemment la porte de son casier sur ses doigts.

— Tu me parles, nuança Jungkook en imitant sa posture.

— Tu es mon frère.

— Tu ne parles pas aux parents.

Yoongi haussa les épaules.

— Ils veulent que je sois un autre, dit-il simplement.

— Absolument pas ! s'écria Jungkook en se redressant. Ils t'aiment.

— Oui, mais ils voudraient que je sois comme toi.

Cette fois, le plus jeune ne put le contredire. Yoongi vit dans son regard qu'il était peiné et qu'il aurait voulu avoir un geste fraternel pour lui. Mais qu'encore une fois, il avait la gentillesse de ne pas le faire.

— Le plus important, c'est d'être toi-même, Yoon.

Jungkook lui adressa un sourire avant de lui demander, d'un mouvement de tête, s'il était prêt à sortir. Pour simple réponse, Yoongi se dirigea vers la porte, mais celle-ci s'ouvrit avec tellement de force qu'elle rebondit sur le mur.

— Jungkook, cria un jeune garçon aux cheveux noirs en entrant en courant.

Cependant, le nouvel arrivant fut surpris de trouver quelqu'un sur son passage. Jungkook eut le réflexe d'attraper le bras de Yoongi pour le faire reculer et lui éviter de se prendre le noiraud. Un frisson désagréable traversa tout son corps à ce toucher, mais heureusement, son frère le lâcha rapidement. Le petit brun réussit à s'arrêter, les yeux écarquillés.

— Jimin, fais attention, gronda une voix puissante à la porte.

— Mais qu'est-ce que vous foutez là ? les questionna Jungkook.

Yoongi s'éloigna un peu de ce dernier et observa les deux élèves qui venaient d'arriver. Ils étaient aux antipodes l'un de l'autre. Le premier faisait sûrement la même taille que lui et avait un corps fin qui lui sembla d'une légèreté incroyable. Ses cheveux noirs étaient assez longs pour lui permettre de les attacher en une queue de cheval.

Le second aux cheveux blonds coupés courts avait peut-être une dizaine de centimètres de plus, il était même plus grand que Jungkook. Il ressemblait à une armoire à glace et pouvait assurément casser d'une main le moindre objet. Yoongi en premier lieu. Il frissonna à nouveau à cette idée.

— Jimin est totalement perdu quand tu n'es pas dans son champ de vision, marmonna l'armoire.

Jungkook s'avança et ébouriffa ledit Jimin, le décoiffant complètement. Ce dernier baissa la tête, les joues rouges et un timide sourire aux lèvres.

— Alors je te manquais déjà, hyung ?

— Il raconte des bêtises, Jungkookie, murmura Jimin, tellement bas que Yoongi dut tendre loreille.

Les trois amis continuèrent de se taquiner, laissant le plus âgé dans son coin. Il pencha le crâne sur le côté comme à chaque fois qu'il essayait de comprendre quelque chose qui le dépassait. Il tentait de saisir leur mode de fonctionnement. Mais il fut tiré de ses réflexions par son frère qui se tourna vers lui :

— Yoongi, je te présente mes potes, Jimin Hyung...

De son index, il montra le plus petit des deux qui lui fit un timide coucou de la main. Yoongi ne lui rendit pas le geste.

— Et Namjoon hyung.

Son doigt pointa cette fois l'armoire. Cette dernière lui tendit le bras dans le but d'échanger une poignée. Le musicien se recula aussitôt en fixant cette main comme si elle était l'invention du diable.

— Yoongi n'est pas trop poignée, tape amicale et...

— Je déteste qu'on me touche, déclara-t-il clairement.

Namjoon retira sa proposition et s'excusa :

— Pardon, je savais pas !

— Pas grave.

— On est tous les trois dans le club de tir à l'arc, lui expliqua Jungkook pour briser le silence gênant qui s'était installé.

— Enfin...

Le plus grand se passa une main dans le cou et nuança les propos de son ami :

— Moi, je n'y suis plus vraiment. J'ai abandonné.

— Il a failli tuer le prof, se moqua Jimin ce qui lui valut une tape sur le bras.

À ce geste, le petit brun manqua de tomber en avant, perdant son sourire amusé.

— Hyung, le sermonna Jungkook après avoir récupéré Jimin.

Il passa son regard sur les trois à plusieurs reprises. Leur relation était bizarre pour lui, mais il était heureux parce que son frère semblait l'être. Satisfait de cet état de fait, il reprit sa routine comme si rien ne s'était déroulé. Il contourna le trio et quand il franchit la porte, il entendit la voix forte de Namjoon :

— Il est toujours comme ça ?

La réponse de Jungkook lui fut inaudible cependant. Mais Yoongi la connaissait déjà. Oui, il était toujours comme ça. Il ne savait pas être autrement. Et ne voulait pas l'être. Il marcha en direction de sa salle de classe. C'était toujours ce qu'il faisait après être allé aux toilettes. De plus, l'emplacement des sanitaires et la rencontre avec les amis de Jungkook lui avaient fait perdre du temps sur son planning. Il n'aimait pas ça.

— Yoon ! hurla la voix de son frère dans son dos. Tu m'attends ce soir, on rentre ensemble !

Il fit une petite grimace, cela changeait ses plans. Il prenait un chemin plus long en fin de journée pour pouvoir se rendre dans une boutique de pianos et jouer dessus. Le patron avait accepté après l'avoir entendu. Il avait bien un instrument chez lui, mais ses parents lui disaient toujours d'arrêter.

Il tourna à gauche et commença à grimper les escaliers alors que son cerveau était perturbé par cette modification. Puis quand il s'installa à sa table, il décida qu'il ne changerait rien à ses habitudes. Jungkook resterait avec lui ou rentrerait tout seul. Il comprendrait.

Comme son frère lui avait demandé, Yoongi l'attendait en fin de journée. Il regarda sa montre. Jungkook avait deux minutes de retard et il sentait déjà le stress monter en lui. Il remit sa main dans sa poche. Ses pieds commencèrent à faire les cent pas devant la grille, à une dizaine de mètres de la sortie par laquelle son frère devrait arriver. Son regard scrutait les environs, scannait chaque visage d'élèves qui quittaient le lycée.

Il souffla de soulagement quand il reconnut la coupe de cheveux de Jungkook au loin. Ce dernier passa le portail en compagnie de Jimin. Ils s'arrêtèrent sur le côté, son frère semblait expliquer quelque chose avec enthousiasme à son ami qui se contentait de hocher la tête par moments. Cependant, il paraissait intéressé par le sujet de conversation.

Avec envie, Yoongi jeta un coup d'oeil à la rue qu'il devait prendre pour aller à la boutique puis à nouveau à sa montre. Cinq minutes de retard sur son planning. Normalement, il devrait presque être arrivé. Il tapa du pied par terre, perdant patience. Ses yeux croisèrent ceux de Jimin qui lui adressa un sourire qui ne trouva pas d'écho. Le petit indiqua la présence de Yoongi à Jungkook d'un mouvement de menton.

Il fallut encore trente-six secondes d'attente puis son frère salua son ami et le rejoignit, de bonne humeur. Yoongi se mit en route, déterminé à rattraper son retard.

— Ta journée s'est bien passée, Yoon ?

— Oui.

Ses enjambées se firent plus grandes. Il aurait voulu courir, mais il détestait ça. De plus, il risquait de chuter, les trottoirs étaient mouillés à cause de la pluie qui était tombée dans l'après-midi.

— Moi, j'ai failli me prendre des exercices en plus en anglais parce que je bavardais avec Jimin. On se disait que...

Il continua pendant un moment son monologue. Jungkook avait toujours été loquace avec Yoongi. Il avait compris depuis son plus jeune âge que le pianiste ne lui poserait jamais de questions le concernant, mais qu'il l'écouterait à chaque fois avec attention, enregistrant toutes les informations qu'il lui donnait. Ce mode de fonctionnement convenait aux deux frères.

— En fait, si je rentre avec toi aujourd'hui, c'est parce que mon club a été annulé. Tous les responsables avaient une réunion ou j'sais pas trop quoi.

Yoongi ne faisait pas d'activité, au grand désespoir de sa mère. Le jeune homme ne s'intéressait à rien d'autre qu'au piano et il n'y avait pas de club pour ça. Il n'allait tout de même pas rejoindre celui de danse ou de kendo. Le tir à l'arc était impossible, il aurait sans doute failli tuer le prof, comme l'ami de Jungkook, Namjoon. Ou alors il aurait réussi.

— C'est pour ça que, tout à l'heure, Jimin hyung est arrivé en trombe dans les chiottes.

Il tourna à gauche et du coin de l'oeil, remarqua que Jungkook le suivait, les mains dans les poches comme lui.

— Tu vois qui c'est...

— Jimin est le petit aux cheveux noirs qui semble timide. Il fait des coucous plutôt que des poignées de main. Je préfère. Il a une voix basse et jolie.

Yoongi se racla la gorge et déclara, plus sèchement :

— Je suis différent, Jungkook, pas stupide.

— Tu n'es ni stupide ni différent, s'écria-t-il, sûr de lui. Tu es toi et c'est très bien comme ça.

Il prit à droite sans rien répondre, la boutique se rapprochait.

— Yoon ! C'est pas par-là, la maison.

— Je me rends tous les jours, du lundi au vendredi, dans un magasin pour jouer du piano.

— Mais on en a un, s'étonna Jungkook.

— Ça embête appa et eomma quand je joue trop longtemps alors je vais là-bas.

— Et toi, ça ne t'embête pas d'être entouré d'étrangers ? s'inquiéta-t-il.

Yoongi ralentit presque imperceptiblement le pas à l'écoute de cette question, perturbé. Sa voix se fit moins déterminée quand il répondit :

— Il y en a peu.

Il baissa la tête un quart de seconde avant de prendre enfin la rue qui l'intéressait.

— Et quand il y a un client, j'arrête de jouer et j'attends qu'il parte.

— Tu devrais te contenter de celui de la maison. Eomma aime bien ta musique. Tu sais, elle s'appuie toujours contre la porte de ta chambre pour t'écouter.

— Je sais... Mais ma musique la rend triste.

— Pourquoi tu dis ça ?

Yoongi secoua la tête, sans dire un mot. Il était devant le magasin. Il ne chercha pas à savoir si Jungkook resterait avec lui ou rentrerait sans lui. Il pénétra dans l'établissement, salua le patron poliment et se dirigea vers le piano en bois dans le coin. Quelques secondes plus tard, une mélodie s'éleva d'une telle légèreté qu'elle ferait passer un papillon pour un poids lourd.

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