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Le lendemain après-midi, quand il entra dans la salle, ses sourcils se froncèrent aussitôt. Il avait pris l'habitude de trouver de la nourriture sur le piano et de la jeter à la poubelle, alors il fut assez étonné de découvrir un gilet en laine à la place. Il s'en approcha, l'esprit en ébullition. Il tentait de comprendre ce qu'un habit pouvait bien faire à cet endroit.
Le cardigan était plié à la perfection, encore mieux que dans certains magasins. Yoongi esquissa un sourire à ce détail. Puis il détailla le devant de l'habit. Vert au niveau des épaules, une rayure bleue puis une autre du même vert. Enfin, le reste semblait bleu. Le col était en V et une grande lettre blanche avait été tricotée sur le côté gauche. Il n'avait rien d'exceptionnel à première vue. C'était ce que Yoongi avait alors pensé.
Il remarqua un morceau de papier plié en deux posé dessus. Il laissa tomber son sac au pied de l'instrument et une fois ses mains libres, il s'empara de la petite feuille et la déplia. C'était un message. Le premier mot de cet individu qui s'amusait depuis des semaines à lui laisser des cadeaux. Une émotion qu'il n'arriva pas à identifier l'envahit alors qu'il lisait ces quelques lignes :
Si tu n'as pas voulu du reste,
prends au moins ce gilet.
Il fait froid dans cette aile du lycée.
Il jeta un œil au cardigan puis autour de lui comme s'il s'attendait à voir quelqu'un apparaître pour lui ordonner de s'habiller chaudement. Mais bien entendu, personne ne sortit d'une cachette quelconque. Il enfonça le papier dans la poche de son pantalon d'uniforme et reprit ses habitudes comme si de rien n'était, abandonnant l'habit sur la caisse.
Le lendemain, le vêtement était toujours à la même place, toujours aussi bien plié. Un nouveau message l'attendait. Cependant, cette fois, il ne se précipita pas pour le lire. Il prit son temps pour poser ses affaires correctement puis récupéra le papier :
Je suis surpris, je m'attendais à le
récupérer dans la poubelle...
Il n'y a pas d'obligation à ce que
tu le mettes, mais je pense que tu
devrais le porter quand tu es ici.
Ça s'entend que tu as froid à ta
manière de jouer...
Il fronça les sourcils, légèrement vexé. Cet inconnu venait littéralement de critiquer sa manière de jouer et s'il y avait bien quelque chose que Yoongi n'aimait pas, c'était ça. Longuement, il réfléchit à cette remarque, allant jusqu'à s'asseoir sur la chaise que Namjoon occupait en temps normal.
Le musicien ne pouvait pas nier le fait qu'il faisait froid ici. Souvent, il avait dû arrêter de jouer parce que ses doigts étaient frigorifiés, mais il n'avait jamais pensé que cela aurait pu réellement impacter son jeu. Il était déçu. Déçu de lui-même. Il soupira, une grimace déformant ses traits. Il devait se résoudre à faire quelque chose qu'il n'appréciait pas.
Il se leva et mit le mot dans la poche de son pantalon. Il se positionna à côté du piano de manière à voir le vêtement. Il se pencha légèrement et le sentit. Une odeur de lessive. La même que sa mère. Un bon point. Ses dents mordillèrent un moment sa lèvre inférieure, hésitant encore.
Puis finalement, il attrapa le cardigan et l'enfila sans le déboutonner. À peine la laine le toucha que son rythme cardiaque accéléra alors que sa respiration se fit plus chaotique. Son corps et son cerveau tentaient de se faire à l'idée qu'il portait un habit dont l'origine lui était inconnue. Yoongi souffla, les paupières fermées et les poings serrés pour tenter de maîtriser la crise d'angoisse qui approchait à grands pas.
Il ignora combien de temps il était resté au milieu de la pièce, prostré, mais il avait fini par réussir à éloigner la crise pour son plus grand soulagement. Cependant, il n'était pas serein. Il passa ses mains doucement sur le devant de l'habit pour tenter de s'habituer. Il se concentra sur le toucher et l'odeur de lessive qui lui parvenait. Lentement, il alla s'asseoir sur le banc puis avec la détermination de faire mieux que les fois précédentes, fit danser ses doigts sur le clavier.
Quand il fut l'heure de tout ranger, il avait bien fallu que Yoongi reconnaisse que le cardigan avait eu son petit effet. Il avait eu moins froid que les autres jours. Il soupira et fixa les touches du piano. Une question lui traversa alors l'esprit. Cet inconnu critiquait son jeu, mais comment pouvait-il le connaître quand il était ici ?
Il se redressa et observa avec attention la pièce. Il n'y avait rien qui sortait de l'ordinaire. Rien qui ne permettait de se cacher. Rien qui ne ressemblait à une caméra. De plus, l'idée que quelqu'un l'espionnait lui paraissait absurde. Il fronça les sourcils, la tête penchée sur le côté. Sa main gratta sa nuque, un tic qui était d'habitude celui de son frère.
Yoongi se leva et retira le gilet qu'il s'appliqua à plier comme il pouvait en se servant du banc comme support. Il le reposa sur la caisse, à l'endroit où il l'avait trouvé. Il hésita un moment, mais finit par craquer. Il prit une feuille dans son classeur et écrivit dessus avec application :
Je le mets seulement
pour améliorer mon jeu.
Mais il faut arrêter de
laisser tous ces trucs.
Satisfait d'avoir dit ce qu'il souhaitait, il abandonna le mot sur le gilet et récupéra ses affaires avant de partir sans un regard en arrière. Pourtant, s'il l'avait fait, il aurait vu cet inconnu, pas si inconnu, appuyé contre le mur au fond du couloir...
Le lendemain, Yoongi avait passé une mauvaise journée. Des garçons de sa classe l'avaient embêté et même insulté parce qu'il avait eu la meilleure note à leur dissertation d'Histoire coréenne. Le musicien n'était pas quelqu'un qui ressentait facilement de la tristesse ou toute autre émotion en dehors de l'angoisse. Mais dans ce genre de situation, il ressentait toujours le besoin de jouer. De jouer beaucoup et avec force.
C'était ce qu'il avait prévu de faire quand il pénétra dans la salle désaffectée. Cependant, il se figea sur place, le regard passant sur tous les éléments de la pièce. Le piano était toujours là avec le gilet qui l'attendait dessus, mais il n'y avait aucune nouvelle boisson, aucun paquet de snack. Il s'approcha et dut se rendre à l'évidence qu'il n'avait même pas eu de réponse à son message de la veille.
Cela l'étonna fortement, mais après tout, l'inconnu ne faisait que ce que Yoongi lui avait demandé. Alors le musicien ne s'appesantit pas plus longtemps sur cet état de fait. Il enfila le cardigan et se mit en place pour jouer.
Les jours qui suivirent furent identiques en tout point. Le piano et le cardigan. C'est tout ce qu'il avait. Ce n'est qu'une semaine plus tard qu'il prit conscience que les garçons n'étaient pas revenus une seule fois dans la salle. Pas même pour un déjeuner.
Bien qu'il ait eu l'habitude d'être seul au lycée, Yoongi eut alors la désagréable impression d'être abandonné. Il n'était pas sûr de pouvoir qualifier Namjoon et Jimin d'amis, mais il pensait qu'ils avaient créé un certain lien. Ils avaient été les seuls qu'il avait tolérés dans son espace personnel. Puis l'air de rien, l'absence des cadeaux de l'inconnu lui manquait aussi d'une certaine manière.
Il avait alors joué deux fois plus qu'auparavant. Plus vite, avec plus de force et d'exigence. Jusqu'à se faire mal à la main en tapant du poing sur le banc après avoir loupé un enchaînement qu'il considérait comme facile. En fixant sa main meurtrie, il réalisa que sa solitude lui pesait pour la première fois de sa vie. Alors quand il rentra ce soir-là, il retira ses chaussures et son manteau et rejoignit son frère qui faisait ses devoirs sur la table de la cuisine.
— Pourquoi vous ne venez plus ?
Jungkook releva la tête de sa feuille d'exercices, confus.
— De quoi tu parles ?
— Toi et les garçons vous ne venez plus dans la salle.
— Ah...
Yoongi attendit quelques secondes que son frère poursuive, mais rien ne vint. Il pencha la tête sur le côté.
— Tu t'es disputé avec les garçons ?
— Absolument pas, s'exclama Jungkook, choqué par cette simple idée.
L'aîné s'installa, les bras croisés sur la table, sur la chaise en face de son frère. Ce dernier abandonna son stylo et se laissa aller contre le dossier de son siège.
— J'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? insista Yoongi.
— Euh... non... on... on a eu beaucoup de devoirs ces derniers temps et... on voulait pas t'embêter.
Aux explications de son frère, Yoongi fronça les sourcils. Quelque chose lui soufflait qu'il ne lui disait pas la vérité ou en tout cas, pas entièrement.
— J'avais dit que ça ne me dérangeait pas.
Pour simple réponse, Jungkook haussa les épaules alors qu'il jouait avec les coins de ses feuilles ce qui attira l'attention de Yoongi dessus. C'était des exercices d'anglais et au nombre de ratures, il était assez clair que son frère avait des difficultés. Puis son regard tomba sur des petits mots écrits dans la marge.
Il s'empara de la feuille et détailla les mots qui étaient des petites blagues. Ce n'était pas l'écriture de Jungkook, mais celle de quelqu'un d'autre. Il avait la sensation de l'avoir déjà vue quelque part. Puis soudain, ça fit tilt. Le musicien lâcha le papier avant de se lever brusquement.
— Qu'est-ce qui t'arrive, Yoon ? s'inquiéta le plus jeune.
Le dénommé Yoon ne lui répondit pas, se précipitant dans sa chambre. Sans même réfléchir, il se dirigea vers sa table de nuit et ouvrit le premier tiroir. Les morceaux de feuille attendaient sagement sur ses anciens carnets de musique. Les mots de l'inconnu de la salle. Il vérifia avec attention et son intuition se confirma. C'était la même que sur les exercices de Jungkook.
— Yoon ? l'appela son frère.
Il cacha les mots et se tourna vers le plus jeune qui était à l'entrée de la pièce. Son rythme cardiaque s'emballa à cette confirmation.
— Ça va ?
Yoongi prit une profonde inspiration. Son regard ne se posa pas une seule fois sur Jungkook. Sa respiration se fit plus forte, mais son esprit réfléchissait à toute vitesse à ce qu'il venait de découvrir. Il était incapable de se concentrer sur autre chose même pas sur la crise d'angoisse qui menaçait. Il trouva malgré tout, la capacité de hocher la tête pour lui répondre.
— Tu es sûr ?
Il lui était impossible de continuer cette conversation alors il s'approcha de son frère.
— Tu peux...
D'un coup sec, il claqua la porte sans la moindre cérémonie, ne laissant pas la possibilité à Jungkook de finir sa phrase. Il colla son dos dessus et se laissa glisser par terre. Alors qu'il tirait sur ses doigts pour se calmer, son cerveau se plongea dans tous ses souvenirs et avec la mémoire qu'il avait, il en possédait des centaines. Mais une chose était sûre... L'inconnu aux cadeaux était un ami de son petit frère.
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