9.1 - Pyromane - Emma
Les cris de victoire des fans des Krakens résonnent dans toute la patinoire. Je monte les escaliers en compagnie de Charlie, la copine de Weston, pour rejoindre la salle de conférence à l'étage. Elle a été aménagée en salle des fêtes pour l'occasion, mais vu le nombre de personnes en train de gravir les marches en même temps que nous, je doute qu'elle soit assez grande pour nous accueillir tous. Une chose est certaine, je trépigne d'impatience. L'ambiance est dingue, j'ai déjà mal aux oreilles alors que je ne suis pas encore entrée. Mettez vingt-trois hommes surexcités dans une même pièce et vous aurez les tympans explosés comme les miens. Le match est terminé depuis près d'une heure, pourtant l'euphorie n'est pas retombée, loin de là. Et quelque part, j'adore l'excitation qui règne dans l'air.
Une fois près de la porte, quelqu'un vérifie nos pass VIP, puis Charlie entre la première. Quelque peu intimidée, je la suis à l'intérieur. Depuis le temps qu'elle fréquente Weston, huit ou neuf ans, elle est habituée à fréquenter les membres de l'équipe. Moi, ça fait quelques années que je ne les ai pas vus dans un cadre aussi privé que cette soirée. Pour la plupart, je ne suis que la petite blondinette qui suivait Weston à tous les matchs. La gamine qui patientait plusieurs heures dans les gradins avec Kiwi, le chien de Bill. Je me demande ce qu'ils diraient si je leur avouais qu'en réalité je venais surtout pour voir Jake jouer.
Je pose un pied dans la pièce et je suis aussitôt submergée par le brouhaha. Les rires et les éclats de voix couvrent les murmures indistincts des conversations. Weston m'avait prévenue : les fêtes des Krakens sont légendaires. Et il n'a pas menti. Quand j'étais ado, je n'avais pas le droit d'assister aux afters de l'équipe. Mon oncle me raccompagnait chez moi pendant que les « grands » faisaient la fête. Je comprends sans peine pourquoi je n'avais le droit d'y assister. Il n'y a qu'à voir le comportement de certains joueurs avec les ice-girls qui animaient les temps morts durant le match pour savoir que cette fête est interdite aux moins de dix-huit ans. Un joueur blond des Krakens vient de hisser une femme sur la table devant lui. On dirait qu'il est à deux doigts de la baiser devant tout le monde.
Après un rapide examen des alentours, je constate sans grande surprise que je suis la plus jeune, ici. Cette prise de conscience me colle la boule au ventre. Il y a peut-être quatre ou cinq jeunes dans le coin, mais ils sont tous plus âgés que moi. C'est une certitude. Je poursuis ma découverte des lieux jusqu'à ce que mon regard se pose sur Jake, à l'opposé de la salle. Même s'il n'a pas joué, il a participé à sa manière en hurlant quelques insultes à l'intention de l'équipe adverse, à grand renfort de « retournez baiser vos mères ! », son insulte préférée à ce que j'ai compris. Peu importe que Jake n'ait pas patiné, ça ne l'empêche pas d'attirer l'attention. Au fond, peu de choses ont changé en trois ans. Il est entouré de membres de son équipe et de femmes que je ne connais pas, mais qui peinent à dissimuler leur attirance pour lui. Jake a toujours attiré les gens à lui avec une facilité que je lui envie.
Un peu mal à l'aise dans cette salle pleine de visages que je connais à peine, je tourne sur moi-même, à la recherche de Charlie. Je ne la trouve nulle part, mais Weston s'approche à point nommé. Comme s'il avait entendu mon appel à l'aide silencieux, il m'adresse un sourire bienveillant, puis me tend le verre en carton qu'il tient dans sa main.
— Tiens, je t'ai ramené à boire.
— Merci !
Je fronce les sourcils en voyant la couleur orangée du liquide.
— Qu'est-ce que c'est ? Une espèce de punch ? lui demandé-je.
En réponse, West se met à rire.
— Du jus d'orange, Emma. Tu ne croyais quand même pas qu'après la frayeur que tu nous as faite ce week-end, j'allais te filer de l'alcool ?
Contrariée, je pince les lèvres lorsqu'un de ses coéquipiers s'approche de lui, une canette à la main.
— Hé, West, félicitations pour ton but ! C'était une belle action.
— Merci, Sawyer. Tu as été génial, toi aussi.
Le dénommé Sawyer trinque avec West, échange quelques mots avec lui avant de remarquer ma présence. Curieux, il hausse un sourcil dans ma direction, puis esquisse un sourire en coin.
— Et qui est cette jolie jeune femme ? Tu fais les présentations ?
Déjà agacé par la question, mon garde du corps serre légèrement la mâchoire. Sawyer, le dossard numéro soixante-deux, ne remarque pas cet infime changement, mais moi oui. Et ça a le don de m'agacer.
— Emma, réplique West d'un ton froid. Ma petite sœur, en quelques sortes.
Le changement dans le regard de son coéquipier est immédiat. En un clin d'œil, je passe de la jeune femme attirante qu'il pourrait potentiellement draguer à la petite protégée intouchable. Je perçois presque une sorte de répulsion chez l'homme face à moi. Cette régression me fait grincer des dents et me donne envie de commettre un meurtre. OK, je n'étais pas venue ici pour flirter, mais cette transformation soudaine dans la perception des autres m'insupporte.
Le numéro soixante-deux hoche la tête avant de s'éclipser, et Weston, visiblement satisfait, sourit comme un idiot.
— Bon débarras. Qu'est-ce qu'il croyait, ce con ? Il était beaucoup trop vieux pour toi.
Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils.
— Quoi ? me lance-t-il sans comprendre.
— Rien.
J'essaie de paraître neutre, mais je n'y arrive pas. L'indignation transparaît sur mon visage.
— Je vois bien qu'il y a un truc qui ne va pas. Crache le morceau.
— C'est juste que je n'ai plus neuf ans, West.
Comme pour joindre l'acte à la parole, je repose mon verre encore plein, puis j'attrape une bière sur un plateau. En réponse, il lève les yeux au ciel sans pour autant m'en empêcher. Il n'a pas intérêt à le faire parce que je me sens si frustrée que je pourrais bien causer un esclandre. Mes doigts se resserrent autour de la bouteille en verre et j'avale une grosse goulée de ma nouvelle boisson juste pour le plaisir de l'emmerder. Je m'oblige à faire bonne figure. Même si je n'aime pas l'alcool, je refuse de me plier à cette image de petite fille sage qui semble me coller à la peau. Si je veux être traitée comme une adulte, je dois me comporter comme telle, même si cela signifie faire semblant d'apprécier une boisson que je trouve infecte.
Nous ne sommes pas liés par le sang, cependant West s'est toujours comporté comme un grand frère avec moi. En tant que fille unique souvent délaissée par ses parents, j'appréciais qu'il soit à mes côtés. Enfin, j'apprécie encore... Sauf ce soir. Ça ne passe pas. C'est peut-être à cause du monde, du bruit, de Jake qui fait l'idiot plus loin. Je n'en sais rien. Je crois que je suis juste stupide. Je m'attendais à une espèce de miracle en assistant à cette fête pour la première fois de ma vie.
— Tu veux en parler ? me demande West en m'adressant un regard interrogateur..
— De quoi ?
— De ce qui te tracasse.
— Tout va bien. Tu n'as pas besoin de jouer les nounous, répliqué-je en souriant.
Jake passe près de nous avec ses béquilles et, surpris, il s'arrête lorsqu'il m'aperçoit.
— Tiens, Peanut, qu'est-ce que tu fais là ? Je ne savais pas que tu viendrais à l'after.
— West et Charlie m'ont invitée. Je suis venue découvrir vos fameuses fêtes.
Jake détaille un instant la bouteille que je tiens entre mes mains et je la cache derrière mon dos pour qu'il arrête de me jeter ce regard.
— Ne me dis pas que tu comptes me faire la morale, toi aussi ? soupiré-je.
Il rigole, puis remue la tête.
— Ce n'est pas mon genre, mais ça ne m'étonne pas de West.
— Je veille juste à ce que la mésaventure de ce week-end ne se reproduise plus, rétorque ce dernier. C'est différent.
Je sais qu'il s'inquiète, mais son comportement de mère poule a tendance à me hérisser le poil.
— Je vais bien. Arrêtez de te faire du souci.
— Ça me fait penser... reprend Jake sur un ton plus sérieux en se tournant vers son coéquipier. Les deux hockeyeurs qui ont ramené Emma chez elle n'ont rien à voir avec tout ça. Dean et Luke sont stupides, mais pas coupables. Je pense que c'était juste une mauvaise coïncidence. Emma s'est peut-être trompée de verre. Lâche l'affaire.
Ça devrait suffire à rassurer West, mais c'est loin d'être le cas. Au lieu d'acquiescer, il s'énerve.
— Tu ne connais pas la moitié de l'histoire, Jake, crache-t-il. Ce n'est pas la première fois qu'Emma finit hospitalisée après une fête et la dernière fois, elle a failli en crever. Alors, excuse-moi de prendre ça au sérieux.
Je manque de m'étrangler. Pourquoi faut-il qu'il mentionne cet événement à ce moment précis ? Jake pivote vers moi à la manière d'un robot. Il me fixe, stupéfait, mais je décide de détourner la conversation avant que les choses ne dégénèrent.
— On s'en fiche, coupé-je. Je vais bien aujourd'hui, c'est tout ce qui compte.
Jake ne réagit pas pour autant. Son regard reste bloqué sur moi jusqu'à ce qu'un groupe de joueurs à quelques mètres de là crie son nom.
— Je crois qu'on t'appelle, lui lancé-je pour qu'il cesse de me dévisager ainsi.
Le hockeyeur face à moi finit par se retourner à contrecœur, et je me retrouve face à l'imposant numéro 44 floqué sur son t-shirt.
— Rodriguez, t'attends quoi pour te joindre à nous ? Je parie que t'as pas les couilles de participer ! lui crie Chuck de loin.
— C'est ce que tu vas voir ! J'arrive.
Jake se redresse sur ses béquilles, mais son habituel sourire confiant a disparu.
— Tiens, apparemment, c'est l'heure du concours de piment, m'explique West.
— Ah, c'est la fameuse tradition dont vous m'avez parlé ? Ça promet d'être drôle, répliqué-je.
— Surtout que Jake ne recule jamais devant un défi, n'est-ce pas ?
— Jamais, réplique l'intéressé. On n'a qu'une vie, autant la vivre à fond, pas vrai ?
Weston secoue la tête, amusé.
— Celui-là, on ne le changera jamais.
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* ice girl Femmes en tenue souvent légère chargée du nettoyage de la glace et de l'animation pendant les pauses durant un match de hockey.
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