8.1 - Super co-pilote - Jake
(il est l'heure de reprendre ce manuscrit ! j'ai mis à jour les chapitres précédents si vous voulez relire :) )
Il est à peine sept heures, ce lundi matin, et j'ai déjà envie de balancer cette foutue attelle à la poubelle. La douleur qui me lance à chaque pas me rappelle que, contrairement aux hockeyeurs qui s'échauffent autour de moi, je ne suis pas venu pour jouer.
Comme si je pouvais l'oublier.
Je traîne ma carcasse jusqu'à la rambarde sur laquelle est appuyé Malcolm. Sur le chemin, je salue quelques membres de l'équipe avec un sourire de façade. J'ai l'air de bonne humeur, mais je suis loin de l'être. Ce qui me met le plus en rogne, c'est la jalousie qui m'envahit quand je vois les autres faire les cons sur la glace. La douleur n'est rien comparée à l'envie de jouer au hockey, mais il va falloir que je me fasse à l'idée. Je n'ai pas le droit d'enfiler mes patins avant au moins trois longues semaines d'après le kiné.
Je me place près du coach des Huskies pendant que celui-ci rassemble ses joueurs autour de lui. Il attend quelques secondes que le silence s'installe avant de prendre la parole.
— Bon, les gars, avant de commencer l'entraînement, j'ai une annonce à faire. Vous connaissez tous Jake Rodriguez, n'est-ce pas ?
Quelques murmures d'approbation s'élèvent du groupe. Certains échangent des regards admiratifs, d'autres hochent la tête en silence.
— Jake sera avec nous pour un petit moment. Il rejoint l'équipe en tant qu'assistant coach. Oui, il est blessé, mais ne vous méprenez pas. Ça ne l'empêchera pas de vous botter le cul si nécessaire. C'est un des joueurs les plus doués que j'ai eu l'occasion d'entraîner. Je veux que vous preniez exemple sur lui.
L'air imperturbable, je fixe un à un les étudiants face à moi. Les paroles de Malcolm me font marrer, mais je tâche de rester sérieux. Il paraît que je dois montrer l'exemple et ceux qui me connaissent savent à quel point je suis mal placé pour ça. Dean, situé à l'arrière du groupe, m'adresse un clin d'œil qui manque de me faire éclater de rire. Je devine sans peine à quoi il pense : la beuverie de ce week-end et comment j'ai terminé les jambes en l'air. Je me demande bien quel genre d'exemple j'ai montré aux mecs avec la tête en bas et un tuyau rempli de bière au fond de la gorge... Je doute que Malcolm apprécie la démonstration.
— La glace n'est pas un endroit pour les faibles, poursuit le coach. C'est un endroit où on se relève, encore et encore, jusqu'à ce qu'on soit plus fort qu'avant. Et Jake est là pour vous aider à y arriver.
Il s'arrête une seconde, le temps d'observer ses joueurs, puis il désigne un cercle imaginaire autour de l'équipe.
— Vous avez une chance incroyable. Profitez de son expérience, posez-lui des questions, et surtout, écoutez ses conseils. Ce qu'il va vous apporter pourrait bien faire la différence entre une bonne saison et une saison exceptionnelle. Maintenant, je veux voir de l'énergie, de la discipline et de la hargne. Si vous êtes ici, c'est que vous avez du potentiel. Alors, au boulot !
J'acquiesce en silence tandis que les hockeyeurs se dispersent sur le terrain en hurlant tel des loups. Leur enthousiasme fait plaisir à voir. Je croise les bras, un sourire au coin des lèvres. Malcolm sait motiver ses troupes, ça en tout cas, ça n'a pas changé.
Je finis par m'installer à côté de lui sur le banc. Plutôt que de me morfondre à l'idée de ne pas pouvoir jouer, je me concentre sur la feuille que je tiens entre mes mains. Il s'agit de la feuille de route sur laquelle je suis censé inscrire toutes les remarques qui me passent par la tête à propos des compétences des joueurs. Le nom de tous les membres y est inscrit. Je les lis un à un avant de me rendre compte d'un truc. Parmi tous ces noms, il y a ceux des deux connards qui ont laissé Emma sur le trottoir.
Je relève aussitôt le nez du document pour scruter la patinoire. Lequel de ces mecs est au courant de ce qu'il s'est passé vendredi soir ? L'un d'entre eux a-t-il versé un produit dans le verre d'Emma ? Je ne l'ai pas revue du week-end, mais je sais qu'elle était avec Weston hier. La pauvre, j'imagine qu'il a dû passer son temps à lui faire la morale. Le bon côté des choses, c'est qu'au moins, elle était en sécurité. Andréa est persuadée qu'Emma a exagéré sur son état de santé, mais je reste persuadé qu'il y a anguille sous roche.
L'entraînement commence. Je suis les instructions de Malcolm et je m'attelle à la tâche. Muni d'un stylo, j'observe les membres de l'équipe de loin pour noter leurs performances. Ou plutôt, leurs erreurs. Il y en a un paquet. Dean est toujours aussi maladroit avec ses passes. Benny patine comme s'il avait des boulets aux pieds. Et Luke a oublié que son rôle était d'attaquer.
— Laisse de l'espace aux défenseurs, Luke, lui crié-je depuis le banc. Tu n'as rien à faire dans la zone du goal.
Ce dernier lève sa crosse pour me faire savoir qu'il m'a bien entendu, puis je passe ses coéquipiers en revue. Du coin de l'œil, je remarque Freddy qui slalome entre les hockeyeurs sans but précis. Je l'observe quelques minutes sans comprendre ce qu'il fout. Il ne joue pas, on dirait plutôt qu'il fait semblant d'être occupé.
— Oh, Freddy, qu'est-ce que tu fiches ? T'en as pas marre de te promener ?
Je passe l'essentiel de la séance à tenter de décortiquer son comportement étrange. Finalement, la séance défile à toute vitesse et je ne vois pas le temps passer. Lorsque les joueurs prennent le chemin des vestiaires, Luke vient s'asseoir près de moi.
— Ne sois pas si dur avec lui, murmure-t-il en jetant un coup d'œil derrière lui, comme s'il craignait qu'on l'entende.
— Dur avec qui ?
— Freddy. Il n'a pas la tête à jouer en ce moment.
— Ah ouais ? Qu'est-ce qui lui arrive ?
— Je ne sais pas trop, il ne veut pas vraiment en parler. Je crois qu'il a des problèmes de fric, ça lui prend la tête. Ça fait des jours qu'il est ailleurs. Même à la fête de vendredi soir, il a insisté pour rentrer alors qu'il n'était même pas tard. Il m'a laissé en plan.
Je tique en prenant appui sur mes béquilles pour me lever.
— Il est rentré seul ?
Luke se marre.
— On n'a pas tous tes talents de Don Juan si c'est ce que tu insinues. Je ne crois pas l'avoir vu draguer de fille. D'ailleurs, si t'as des conseils, je suis preneur. J'ai bien tenté ma chance avec deux ou trois cheerleaders, mais ça n'a rien donné.
— Du coup, t'es rentré seul, toi aussi ?
Luke a dû mal à saisir l'intérêt de ma question, il fronce les sourcils.
— Chez moi ? Ouais. J'ai dû demander à Dean de me ramener en voiture. On en a profité pour ramener une cheerleader bourrée chez elle. Heureusement que je ne suis pas du genre à me taper une nana ivre parce que je t'assure que ce n'est pas l'envie qui me manquait. Elle était canon.
Je plante mon regard assassin dans le sien.
— C'était Emma ?
— Ouais, comment tu le sais ? Elle est magnifique, non ?
Mon estomac exécute un looping sur lui-même. Putain, ce con est carrément en train de m'avouer qu'il la trouve attirante et qu'il était à deux doigts de la baiser dans la caisse. Je dois déployer effort surhumain pour ne pas l'attraper par le t-shirt et lui écraser la gueule contre la rambarde derrière lui. Je serre les poings tout en me retenant de mettre à exécution toutes les idées — mauvais mais tellement jouissives— qui me traversent l'esprit.
Ma langue passe d'une commissure à l'autre pendant que je me force à rester calme.
— Donc... murmuré-je d'une voix grave. Dean et toi, vous êtes les deux connards qui avez laissé Emma inconsciente sur le trottoir.
— Quoi ? Non. Elle était consciente quand on l'a déposée. Elle nous a assuré qu'elle pouvait rentrer seule. C'est elle qui nous a dit de la laisser là.
Je serre les dents. Ça ressemble tellement au caractère d'Emma. Déjà petite, elle n'acceptait jamais qu'on l'aide, même quand elle galérait. Je fixe Luke, fouillant son regard à la recherche d'un indice, d'un tressaillement de paupières, ou n'importe quoi qui puisse le trahir. Il a l'air sincère, mais ça ne m'empêche pas d'avoir envie de lui botter le cul.
— Pour ta gouverne, Emma s'est évanouie sur son porche. La prochaine fois, sache qu'un véritable mec s'assure que les filles rentrent chez elles en sécurité, lui lancé-je d'un ton qui n'a rien d'amical.
— Désolé. Dean était pressé.
Je me contente d'acquiescer, puis je reviens à la charge.
— Est-ce que tu as passé une partie de la soirée avec elle ? demandé-je, plus tendu que je ne le voudrais.
— Pas longtemps. Peut-être trente minutes.
— Et elle avait l'air en forme ?
— Comme une étudiante bourrée, lance-t-il avec une moue désolée, comme si c'était une excuse suffisante.
Je pousse un soupir en secouant la tête. Sérieusement, ce mec est peut-être bon sur des patins, mais il ne brille pas par son discernement. Je me frotte les tempes tandis qu'une pulsation sourde martèle l'intérieur de mon crâne.
Rester calme, Jake. Ce n'est pas le moment de te battre avec un de tes joueurs.
— Écoute-moi bien, Luke, commencé-je d'un ton plus doux. Si une fille te semble saoule, tu ne la laisses pas seule et encore moins sur un foutu trottoir au beau milieu de la nuit. Tu t'assures qu'elle rentre chez elle, en sécurité, compris ?
Son sourire s'efface immédiatement, remplacé par une expression contrite. Il semble chercher ses mots, mais rien ne vient.
— Désolé. Je pensais que... enfin, elle avait dit que... Et Dean avait un rancard. Il ne voulait pas s'attarder.
— Vous avez merdé. Emma s'est évanouie devant chez elle. Si personne ne l'avait pas trouvée, qui sait ce qui aurait pu lui arriver ? La prochaine fois, pressé ou pas tu restes et tu vérifies. Point.
Vexé, Luke baisse les yeux. Il marmonne une nouvelle excuse que je ne prends même pas la peine d'écouter. À vrai dire, pour l'instant, je n'ai plus envie de lui parler. Une fois que je suis certain qu'il n'a rien à ajouter, je reprends ma route. Luke n'est peut-être qu'un gamin immature, mais ça ne me rassure pas pour autant. J'ai toujours cette boule au ventre, cette impression de passer à côté de quelque chose.
Les mâchoires toujours serrées, je rejoins Malcolm dans son bureau pour lui faire un rapide compte-rendu des performances de l'équipe. Une fois que tout est bouclé, je récupère mon portable pour vérifier mes notifications. Rien. Pas un seul mot d'Emma. Ça commence bien. Je lui envoie un énième SMS avec l'espoir qu'elle daigne enfin me répondre. Au cas où elle l'aurait zappé, elle est censée me ramener chez moi. J'ai son emploi du temps, je sais qu'elle n'a rien de prévu avant son prochain cours. Elle a largement le temps de me déposer. Mais encore faudrait-il qu'elle lise mes fichus messages.
Agacé, je me passe une main dans les cheveux. Hors de question que je la laisse filer comme ça. Pas après ce week-end. Cette histoire de drogue me trotte dans la tête, et plus j'y pense, plus je suis convaincu que quelque chose cloche. Si Luke dit la vérité, alors quelqu'un d'autre, quelque part, a pris Emma pour cible. Et ça, ça craint.
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