4.2 - Peanut - Emma
— C'est mort. Oublie tout de suite. Je ne veux rien lui devoir. Si tu as un minimum de considération pour moi, ne lui parle jamais de moi. Tu ne me connais pas, tu ne m'as jamais vue, compris ?
— Oh, je vois... Elle te mène la vie dure à l'entraînement ? Ah, ces petits jeunes trop fragiles !
— À ton avis, pourquoi est-ce que les membres de l'équipe la surnomment Cruella ? Et puis, j'ai envie de mériter ma place, pas de l'acheter. Contrairement à certains, j'ai la notion d'honneur.
— C'est beau toute ces belles valeurs, se moque Jake. Donc, notre petite Emma veut devenir cheerleader. Je ne m'en remets toujours pas. Est-ce que Weston et Frank sont au courant ?
— Que veux-tu, les gens évoluent. Et oui, ils savent.
Jake ricane pendant que je vérifie une nouvelle fois que personne ne nous observe.
— Je suis curieux de découvrir comment t'es venue cette soudaine passion pour les acrobaties. Ta période Billie Eilish est passée ?
— Absolument pas.
Il marque une pause, puis plisse les paupières, ce qui me met soudain mal à l'aise.
— Qu-quoi ? Pourquoi tu me dévisages comme ça ?
Mon cœur s'emballe quand son index se pose entre mes deux sourcils. Il pousse fort sur son doit, ce qui fait partir ma tête en arrière.
— Peanut !
— Arrête ! râlé-je.
Je remue la tête avant de lever les yeux au ciel en entendant ce vieux surnom. J'ai beau prétendre que Jake m'agace, mon large sourire prouve le contraire. C'est ce que j'ai toujours aimé avec lui. Tout est si simple, naturel. Il s'est écoulé un peu plus de trois ans depuis la dernière fois que je l'ai vu et il réussit à se réapproprier mon cœur en une simple conversation.
Le téléphone de Jake se met à sonner. Il interrompt notre échange le temps de le sortir de sa poche et son expression se durcit quelque peu. Il pousse un faible soupir en me jetant un rapide regard avant de porter l'appareil à son oreille.
— Ouais ? Je suis dans le coin.
Il balaie les alentours du regard, puis reprend :
— Pas très loin, à quelques mètres. J'arrive, j'en ai pour une minute. Tu sais ce que c'est d'avancer avec des béquilles, c'est la misère.
Il raccroche sans même saluer son interlocuteur, puis reporte son intérêt sur moi. Son front se plisse.
— Tu vas adorer la nouvelle, marmonne-t-il. Devine quoi ? Cruella ne va pas tarder à débarquer.
Son ton est loin d'être ironique. Je m'apprête à protester et à lui hurler dessus, mais à la place, aucun son ne sort. Mon esprit s'emballe. D'après ce que m'a dit Raven la semaine dernière, si Andréa me trouve avec Jake, elle me fera la peau. J'ai envie d'intégrer les cheerleaders et de vivre une vie paisible à l'université, pas de me faire des ennemis dès le premier mois.
— Et merde... Merci beaucoup, Jake. Si elle nous trouve ensemble, je suis morte.
— N'exagère pas. C'est une fille sympa. Elle est censée me ramener chez moi, m'explique-t-il. Donc... si tu ne veux plus que ça se reproduise, sois mignonne et accepte de devenir mon chauffeur.
Mais, je ne l'écoute plus.
— Rends-moi un service. Si elle te questionne à mon sujet, on ne se connaît pas.
— Il n'y a rien de grave à avouer qu'on est ami. Elle est intelligente, elle comprendr...
— Merde, elle arrive ! Planque-toi ! soufflé-je, en tirant Jake afin qu'il soit caché par le mur.
Le hockeyeur éclate de rire alors que je le tire par le bras. En appui sommaire sur son pied valide, il manque de chuter dans le mouvement. Il se rattrape à moi comme il le peut, et nous nous retrouvons collés l'un à l'autre dans une position carrément indécente lorsque Andréa arrive à notre hauteur. Son front posé contre le mien, ses lèvres proches de ma bouche, ses bras noués autour de mon cou... Et merde. C'est exactement ce que je voulais éviter.
— Jake ? Je te cherche partout. Qu'est-ce que tu fous avec... Emma ? lui demande-t-elle, surprise.
Ses iris d'un noir profond s'immobilisent sur mon visage et tous les muscles de mon corps se tendent. Je peine à déglutir, il n'y a pas la moindre lueur de joie dans son regard.
— Moi ? Rien, réplique Jake, l'air tout à fait détendu.
— Tu connais cette fille ? cingle-t-elle.
Je m'efforce de ne pas réagir. Le mot « fille » sonne comme une insulte dans sa bouche, comme si j'étais la chose la plus détestable que la terre ait crée. Et il me faut déployer un effort encore plus important pour ne pas tuer Jake quand il lui répond. Il est décidément bien nul lorsqu'il s'agit d'improviser.
— Absolument pas. C'est la première fois que je la vois.
Pitié, mais quel con !
— Et ça t'arrive souvent d'enlacer une fille que tu viens de rencontrer ? riposte-t-elle, sceptique.
– J'ai buté dans une racine et... Emma, c'est ça ? m'interpelle-t-il d'un clin d'œil. Emma m'a aidé à retrouver mon équilibre. Quelle chance que je sois tombé sur elle !
Il n'y a aucune chance que ça passe.
— Ha ha, oui, quelle chance ! répliqué-je, forcée de jouer le jeu. La faute aux béquilles.
Jake se redresse finalement et retire — enfin — son bras enroulé autour de ma nuque. Je défroisse mes vêtements pour ne pas avoir à croiser le regard glacial d'Andréa qui cherche à sonder le mien, puis je tente de me sauver. Si je m'en sors indemne, ce ne sera pas grâce à Jake Rodriguez.
— Bon, je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps. Je vous laisse...
— Est-ce que tu sais qu'Emma fait partie des candidates de cette année ? lance Andréa avant que je n'aie le temps de quitter son champ de vision. C'est une de nos petites nouvelles prometteuses.
Elle prend ma place auprès de Jake, puis s'accroche à son bras pour le soutenir. Une pointe de jalousie me traverse la poitrine à la voir se tenir si près de lui et je me sens soudain ridicule. Après trois ans passés à l'étranger, je devrais au moins pouvoir regarder une femme l'approcher sans que mon cœur ne joue à saute-mouton.
— Vous avez combien de postulantes, cette année ? la questionne Jake.
— Une vingtaine, mais il n'en reste que douze encore en lice. Tu pourras en voir certaines à la fête de ce soir, si ça t'intéresse. D'ailleurs, tu n'as pas répondu à mon message. Tu viens toujours ?
— C'est celle chez les Sigma ? réplique-t-il0
— T'es au courant ?
— Dean m'en a parlé.
— Et donc ?
— Je ne sais pas. Emma vient ? rétorque-t-il avec une pointe de malice.
Fichu Jake Rodriguez !
— Bien sûr qu'elle sera là. Hein, Emma ? Toute l'équipe est conviée, y compris les nouvelles recrues.
— Je... ne sais pas encore.
Je réprime une grimace. J'ai effectivement entendu parler d'une gigantesque fête dans une des fraternités du campus lorsque j'étais dans les vestiaires, mais je n'avais pas prévu d'y mettre les pieds. Je ne vois pas l'intérêt d'assister à cette soirée tant que ma place dans l'équipe n'est pas assurée. Si c'est pour servir de larbin de service à l'équipe officielle dans le but d'obtenir leur faveur, c'est mort.
Et puis, je déteste ce genre de fête.
— Emma vient d'arriver de Paris, explique-t-elle à Jake, comme s'il l'ignorait.
— De Paris, vraiment ? C'était sympa ?
— Très, éludé-je.
Cet idiot a l'air de beaucoup s'amuser de la situation.
— Jake a raison, tu devrais te joindre à nous. Après tout, tu ne connais pas grand monde sur le campus. Ce sera l'occasion pour toi de t'intégrer, continue Andréa avec un sourire mielleux.
Non. Hors de question.
— Bonne idée, valide Jake en riant. J'ai hâte de voir Emma nouer des liens avec des êtres humains. Ça semble hilarant. Cette petite a l'air tellement amicale et sociable quand on la voit comme ça. N'est-ce pas, Peanut ?
Je le fusille du regard, ce dont il semble totalement se contreficher, étant donné qu'il riposte par un sourire radieux.
Quel gamin ! Dire qu'il est le plus âgé de nous deux !
— Donc, vous vous connaissez finalement ? siffle finalement Andréa.
Elle nous dévisage à tour de rôle et je finis par avouer la vérité. De toute façon, fichu pour fichu, autant d'essayer de sauver ce qui peut l'être.
— Oui. Un peu, acquiescé-je. Nous avons quelques amis en commun, mais ça s'arrête là.
Jake hausse un sourcil, puis hoche la tête, amer.
— Ouais, ça s'arrête là, répète-t-il.
Je hausse les épaules, désolée. Que voulait-il que je réponde ? Ce n'est pas comme si on se connaissez vraiment, après tout. Il n'est certainement plus tout à fait le même Jake que j'ai rencontré lorsque j'étais enfant. Les gens changent avec le temps. Les gens changent après les drames.
Ses iris verts s'attardent sur mon visage avant de s'en détourner. Andréa ressert sa prise sur son bras. Et un autre morceau de mon cœur s'arrache de ma poitrine.
— Je vois. Je compte sur toi, Emma. On se voit ce soir à vingt et une heures, alors, déclare-t-elle en entraînant Jake avec elle vers le parking.
Son ton n'admet pas de réplique, pourtant je n'ai toujours pas pris ma décision. Mais ai-je vraiment le choix si je veux décrocher cette place dans l'équipe ?
J'en ai le tournis.
Ils s'éloignent, cependant je suis incapable de reprendre mon chemin tant j'ai les jambes qui tremblent. Le monde semble s'écrouler autour de moi. Mes pires cauchemars sont en train de prendre forme sous mes yeux et Jake ne réalise pas dans quel pétrin il vient de me mettre.
Je prends une profonde inspiration, ignorant mon souffle fébrile et la panique qui me gagne.
Passer du temps avec toute l'équipe de cheerleaders ? Je peux le faire.
Voir Jake en compagnie d'une autre femme ? C'est désagréable, mais je survivrai.
Se rendre à une soirée quand on sait que la dernière à laquelle j'ai assisté a failli me coûter la vie ? Ça me paraît tout simplement insurmontable.
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