Toutes les étoiles du monde

La deuxième photo représentait un adolescent d'environ dix-sept ans, à la peau sombre comme l'ébène, satinée, et aux grands yeux d'onyx scintillant d'étoiles tandis qu'il décochait un sourire d'ivoire lumineux à l'objectif et surtout à celle qui venait d'appuyer sur le déclic. Capturé en plein éclat de rire, rayonnant en ce jour d'hiver l'entourant d'un paysage tout blanc, il était vêtu d'une parka gris perle bordée de fourrure de la même couleur, si claire qu'elle paraissait blanche, ainsi que d'un jean et de bottes anthracite, la poudreuse immaculée valsant dans le ciel avant de se poser, s'accrochant à chacun de ses vêtements en mille flocons scintillants. Je me rappelle chaque détail de ce jour-là, même si ça fait quatre ans maintenant... Notre premier jour de neige. C'était moi, derrière l'appareil, et on venait de finir une bataille de boules de neiges, le vent nous fouettant les joues et justifiant la capuche repoussée en arrière le temps d'une photo, découvrant tes cheveux noirs.

C'est toi, sur cette photo, et tout est aussi beau et brillant que dans mes souvenirs, l'arrière-plan ne montrant qu'un ciel bleu assurant les couleurs du cliché et les branches de quelques arbres, parés de givre. Ça semble tellement magique, quand j'y repense. Bien sûr, ce n'était que le premier jour de neige de quatre hivers maintenant, mais si tous nos jeux étaient aussi intenses, une certaine féérie se dégage de cette première fois. On était ensemble, ayant échangé nos écharpes, je m'en rappelle, et si je serrais contre moi la tienne, d'un blanc légèrement mêlé de gris brodé de blanc et d'or, tu avais noué autour de ton cou, invisible sous le manteau mais perceptible contre ton coeur, la mienne, d'émeraudes tissées mêlées à l'argent, puisqu'on était tous les deux héritiers de Serpentard. Je regarde cette image, simplement, et je peux encore entendre ton rire s'élever pour s'envoler avec les oiseaux, les voix de nos amis en arrière-plan, ressentir la brise froide et la douce tiédeur de ta main dans la mienne, goûter le chocolat chaud bu ensuite tous ensemble et sentir ton parfum quand tu me serrais dans tes bras. Je revois la suite de la scène, nos chamailleries dans la neige, nos sculptures dans le gel, nos séances de patinage, nos anges, et les fois où on finissait, à bout de souffle d'avoir trop couru et trop ri, couchés un moment, côte à côte dans la neige tous les quatre.

Ensuite, on rentrait tous ensemble, en discutant, on se changeait, on se plaçait tous en arc de cercle sur le tapis devant le feu, et on sortait les jeux de société ou nos instruments, en un refuge de musique, avant qu'on ne se mette à créer, chacun de son côté, avec son art, et pourtant, tous enfermés dans une même bulle, partageant notes, mots, fragments de vidéos et dessins. Entre composition, écriture, cinéma et bande-dessinée, on ne s'ennuyait jamais, et encore aujourd'hui, on fait tout ça, à quatre, ou à six quand les filles nous rejoignent. On a un peu grandi, simplement, et créé certains des meilleurs souvenirs de ma vie, de ces souvenirs qu'on a promis de ne jamais oublier, de ne jamais renier. Tu sais, ça me ferait vraiment mal que tout ça se brise, comme les fragiles étoiles glacées qui tombent lentement du ciel pour former un manteau blanc sur le sol, crissant sous nos pas, de ces fragments de ciel qui parfois se posent, graciles mais intacts, sur le rebord de la fenêtre.

Je veux l'éternité pour nous dans un monde éphémère, je veux tellement plus que je ne peux me permettre de demander. Je veux la joie sans fin, pour eux, pour toi, je veux des étoiles pour les placer dans vos yeux, finir les constellations qui brillent déjà dans tes prunelles, des fous rires. Je veux une amitié qui ne s'achèvera jamais, comme en rêvent les enfants dans les cours d'école, ces visions colorées que l'on crée quand on croit encore à la beauté de la vie, avec toute l'innocence de leur âge. Je veux d'autres séances de violon, de piano, de guitare, je veux d'autres folies, d'autres projets, d'autres jours de neige, entre passé, présent et avenir, qu'on se conduise en adultes ou plutôt en enfants, puisque nous ne sommes que des adolescents. Je veux d'autres étreintes, d'autres desserts partagés devant le feu, d'autres jeux, d'autres cadeaux dont le plus précieux est simplement votre présence, à tous les trois. Je veux qu'on continue ensemble d'arpenter la voie, qu'on se prenne la main et qu'on ne la lâche pas, je veux qu'on tienne nos promesses et qu'on ne s'abandonne jamais, quoi qu'il arrive. Je veux simplement te revoir me sourire comme ça...

Que l'univers me le pardonne, mais je n'ai jamais dit que mes souhaits seraient altruistes. Pardonne-moi toi aussi de faire ce voeu chaque fois qu'une étoile filante trace une fine et fugace ligne de feu dans ce ciel d'encre, sur la voûte céleste où ses compagnes muettes et glacées sont restées, bien accrochées, pour nous observer et veiller. Pardonne-moi d'être devenue accro à ton joli sourire, ta voix, tes bras, et surtout tes mélodies. Pardonne-moi de t'observer à la dérobée ou quand on discute, d'un regard complice qui étincelle en réponse au tien, de contempler ton visage avec sans doute trop de tendresse, de ressentir cette étincelle dans mon coeur et de sourire immédiatement en te voyant, alors que je ne suis qu'une amie et compte le rester. Je n'ai pas l'intention de prétendre à plus, même je n'ai pas maîtrisé mes sentiments et mes rêves, et je suis heureuse, comme je l'étais avant, de la place que j'ai dans ta vie et dans ton coeur, toi, le jeune homme musicien au regard plein d'astres, avec dans les yeux toutes les étoiles du monde. Mais pardonne-moi, pardonne-moi, je crois que je suis tombée amoureuse de toi.

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