Juste un pétale de fleur
La cinquième photo représentait un bouquet de fleurs aux merveilleuses couleurs, entre des mains à la peau caramel, lisse, irisée, les bras tendus couverts de tissu rose pâle semblant vouloir m'offrir ces éphémères pétales, cette beauté fragile et douce, qui se trouvait juste devant l'objectif que je tenais ce jour-là, je me souviens. Et tu me tendais des roses, des lys, aux nuances de blanc et de rouge, sans que la photo n'immortalise également ton grand sourire complice, ton regard brun étincelant et tes cheveux où se perdaient encore quelques brins de nature après que nous ayons passé un moment couchés dans l'herbe, avec nos amis qui, à cet instant, discutaient et riaient, ne voyant pas la scène qui se déroulait derrière eux. Aux yeux d'autres personnes, cette image colorée, sur laquelle on distingue encore en arrière-plan un peu de vert, de brun, de gris, de bleu, doit sans doute paraître romantique, mais tu n'étais pas amoureux de moi, quoiqu'en disent les autres, et moi non plus je ne l'étais pas. Je ne pouvais avoir ce genre de sentiments pour toi, et je pense que je suis la seule à savoir ce que cette simplicité touchante, exprimer en couleurs joliment disposées, peut vouloir signifier.
Tu savais que j'avais un peu de mal avec mon passé, tu savais qu'il m'arrivait encore de pleurer, le soir ou quand personne ne me voyait, à cause de certains souvenirs, de certaines personnes, qui m'avaient lâchée, ou insultée et brisée, ces personnes qui m'avaient enlevé une partie de ma confiance en moi, m'avaient fait douter de mes dons, oublier à quel point ma différence était une chance et à quel point certaines amitiés pouvaient être précieuses. C'est pour cela que j'ai encore du mal à accorder ma confiance, à écouter des promesses, même si, aujourd'hui, j'ai les meilleurs amis du monde, qui ne m'abandonneront pas, et c'est pour cela que je sanglote, encore, parfois, dans tes bras. C'est pour cela que je ne peux que rester silencieuse en classe, que me lever pour parler aux évaluations me fait parfois trembler, que je garde la tête baissée quand les professeurs interrogent et que je cache les meilleures notes de la classe, les miennes. les adultes disent qu'être surdouée est une chance, et j'y ai cru aussi, un moment, avant qu'ils ne me poussent au sol, alors que j'étais fragile comme du verre, ces élèves que je côtoyais, de deux ans plus âgés, et me reprochent mes facilités : alors, ce mot est devenu la raison de mes larmes. Ma soeur de coeur savait tout ça, mais tu étais la seule autre personne à qui j'avais tout raconté, en résistant pour ne pas craquer, ne pas me mettre à pleurer, et tu étais devenu mon confident, mon meilleur ami, ce jour-là, après m'avoir raconté toi aussi ton passé. Chacun ses souffrances, on s'épaulait, je t'avais sauvé, comme tu me le disais, je te tenais la main quand je voyais que tu souffrais, et tu étais là quand j'avais besoin de toi, me calmant, me consolant et me serrant dans tes bras.
Ton cadeau n'était pas une preuve d'amour, cependant, en tout cas, pas de cette manière, notre relation étant davantage fraternelle, mais il était bien davantage, pur et sublime : tu m'adressais un message qui, encore aujourd'hui, me fait sourire tandis que je contemple les fleurs imprimées, les pétales sur papier glacé et les quelques mots griffonnés au dos, d'une écriture qui nous avait tant fait rire de par son imprécision : N'oublie jamais, petite soeur... Je n'ai pas oublié, je t'avais promis de ne pas le faire et je ne l'ai jamais fait. Comment l'aurais-je pu ? Tu avais cueilli ces fleurs dans les champs pendant qu'on discutait, riant de celles que j'avais glissées dans mes cheveux, mes mèches flottant un peu au vent, et tu me les avais tendues juste après la photo, calmement, avec ta gentillesse habituelle, avant de m'adresser un de ces sourires rares que je t'arrachais parfois, de ceux que tu me faisais pour me rassurer, avant que ta voix ne chuchote à mon oreille :
« Tu vois la fleur qui est différente ? »
Mon regard avait parcouru les pétales grenat, rubis, pourpres, écarlates, comme les jolies fleurs blanches comme l'ivoire, comme la neige, avant que je ne ferme quelques secondes les paupières, et j'ai hoché la tête en signe d'accord, doucement, effleurant les feuilles, les tiges, posant l'appareil pour prendre ce bouquet entre mes petites mains aux longs doigts fins. Il était vraiment joli, et la fleur différente, comme tu l'appelais, une magnifique pensée immaculée, semblait me sourire au centre de ce cercle printanier, entres les lys et les roses. Elle était vraiment différente, mais pas moins belle, c'est ce que je t'avais dit, je m'en souviens encore, et tu avais acquiescé, replaçant une de mes mèches derrière mon oreille en un geste tendre, effleurant ma joue d'une manière qui restait amicale, comme quand tu séchais mes larmes, pour me dire ensuite ces simples phrases que je peux encore entendre, le vent jouant dans nos vêtements. Ta main était légèrement froide, quand je l'ai prise dans la mienne, mais tu m'as rassurée, tu m'as dit que ça allait, et tu as entrelacé nos doigts. C'est cette multitude de petits détails qui a tissé notre amitié : les câlins, les rires, les discussions, les histoires, les devoirs et les confidences, nos mains se joignant, nos yeux se trouvant, nos sourires se répondant, tes haussements de sourcils si drôles quand en classe, je ne pouvais pas me permettre un bruit, nos musiques, et ma manière de t'attendre avant de quitter la salle, à la fin d'un examen, jamais longtemps, mais patiemment... J'entends encore ta voix, sincèrement, et je ne pourrai jamais te dire à quel point je t'en suis reconnaissante, les larmes aux yeux, cette nuit. Tu chasses les fantômes. Tu les effraie. Moi, tu me consoles. Et ce soir, ça suffit à me rendre heureuse. Je m'imagine près de toi, à rire, à regarder des films, à rester silencieux, à se poser des questions sur le bonheur, à être meilleurs amis et confidents, simplement. J'ai envie de te remercier, pour ces mots, et je t'appellerai tout à l'heure pour ça.
« Cette fleur, c'est toi. Différente, mais sublime, que les autres le voient ou pas. Je le vois. Alors arrête de douter... Je sais que ce sera compliqué, mais dis-toi que je resterai à tes côtés. Je ne t'abandonnerai jamais, c'est promis. Souris, et crois en toi. C'est fou parfois, à quel point tu peux être orgueilleuse, et à d'autres, sembler si fragile sous le regard des autres. Ne les laisse pas t'atteindre. T'es exceptionnelle. Tu m'as aidé, et je te parle comme je le fais à des amis que je connais depuis des années, te racontant des choses que même eux n'ont jamais réellement entendues. T'as tellement de qualités. Je le vois. Ne t'inquiètes pas. Ne pleure pas. Tu mérites bien plus que ça. Tu sais que je ne fais pas beaucoup de promesses, mais celle-là, je compte bien la tenir : je resterai avec toi. Tu sais que j'ai du mal avec les mots mais t'es tellement attachante. Tu n'as pas envie de me voir partir, et moi... Je n'ai aucune envie de te laisser. »
Merci d'être toi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top