Flèches-miroirs et lac des cygnes

La quatrième photo était différente des autres, et je l'ai regardée un long moment avant de comprendre pourquoi j'avais rangé dans ces boîtes colorées renfermant mes trésors d'autrefois cette image si simple, paysage d'été aux milles nuances de bleu, de vert, de gris, de brun et de blanc. Au milieu des visages que j'aimais, au milieu des merveilles colorées, ce cliché était simple, tellement simple, tellement beau aussi, sans que je comprenne réellement sur le coup, ce jour-là, quand tu l'as pris du haut de la montagne russe, levant les bras vers le ciel, tandis que je riais en te disant de ne pas faire tomber l'appareil. Tu n'avais pas écouté, et c'est ce qui rend ce mélange de couleurs si joli : tu ignorais mes paroles à condition de tenir tes promesses et de me rendre heureuse. C'est aussi pour ça que lorsque je t'ai dit de me lâcher sans vraiment le vouloir, tu as entrelacé tes doigts aux miens et m'as serrée plus fort la main, me faisant comprendre que tu ne m'abandonnerais pas, jamais.

Cette photo si claire, si précise malgré le mouvement, prise au sommet, alors qu'on frôlait l'azur et qu'on cueillait les nuages, me fait sourire aujourd'hui : en me la glissant dans la main, tu m'as dit que tu m'aiderais à voler, très haut, comme je le méritais, et je t'ai répondu que je resterais avec toi pour veiller, simplement, sur mon diamant brillant comme les étoiles. C'était il y a quatre ans, avant la fin du lycée, notre premier voyage ensemble, tous les quatre, entre amis, mais pas le dernier... On est partis aux études, et on est restés fidèles à notre serment, car même si le décor a changé, nous pas vraiment. On est encore, dans nos coeurs, ces enfants qui préparaient ensemble des spectacles pour leur classe, se souriant. C'est fou comme un paysage peut rappeler tant de choses, si tu savais. Si tu savais tout ce à quoi je pense, en observant les gratte-ciels de l'île sur ce cliché, que l'on appelait des flèches-miroirs, si scintillantes et si hautes, effleurant les nuées. Si tu savais tout ce que j'ai envie de te dire, et à quel point je te suis reconnaissante, pour ton amitié, pour tout. Si tu savais tout ce dont je me suis rappelée, en restant là, immobile dans ma chambre devant cette image, à la contempler.

Le ciel était tellement bleu, le soleil tellement lumineux, les nuages semblaient si doux, et ce souvenir est encore si parfait. Le vent jouait dans nos cheveux, nos vêtements, et on riait, on criait, on s'amusait. Le lac, le fleuve, étaient lisses, si limpides, jusqu'à l'horizon, en un tableau idyllique de la vie : tout semblait facile. T'étais heureux, j'étais contente, et ensemble, rien n'était impossible, pendant ces vacances comme après, car on ne s'est jamais quittés vraiment. Quand on se séparait, il restait les messages, les appels, les vidéos, les photos et énormément d'affection l'un pour l'autre, jusqu'à ce qu'on se retrouve. Maintenant, on ne se quitte plus, on est amis, quoi que puissent penser et dire les autres, je n'échangerais notre lien pour rien au monde : c'est mieux qu'une relation amoureuse, sans les tourments de sentiments, ces sentiments que je n'ai jamais éprouvés. On est presque frère et soeur, je suis ta protégée, celle qui connaît tes secrets, aussi, et tu es, toi aussi, mon confident. Je t'aime, tu sais, mais comme une amie, et rester seulement cela, quand tu me souris ou me serres dans tes bras, ne me gêne pas. C'est bien comme ça.

Sur la photo, on voyait le lac, étendue d'onde pure, au bord duquel nous étions allés, tous les quatre, nous allonger dans l'herbe tendre en discutant, cette fois sans nos violons : en l'observant, je me rappelais les cygnes, si gracieux et si fiers, aux ailes délicates et puissantes, glissant sans un bruit sur l'eau, et mon ancienne meilleure amie, une jolie danseuse qui savait si bien s'envoler, elle aussi, ma gorge se nouant sous l'émotion, mes larmes troublant la surface du bassin. Délicatement, tu avais essuyé les larmes roulant encore sur mes joues, perles irisées, et prit la main une seconde pour la serrer, en un doux rappel rassurant. La dernière fois que j'avais été triste à ce point devant toi, au début de notre amitié, je t'avais demandé si un câlin serait abuser, et tu m'avais répondu de la plus belle des façons, avançant spontanément pour m'enlacer... Je sais, maintenant, pourquoi cette image compte autant à mes yeux, entre flèches-miroirs et lac des cygnes. Elle représente tes promesses, notre amitié, et me répète, en une réminiscence du passé, que tu ne me laisseras jamais. Je ne sais pas si tu as, toi aussi des carrés de papier colorés auxquels te raccrocher, avec des visages aimés, hormis le petit carnet que je t'avais donné, mais je l'espère, et j'espère que si tu dois te souvenir de moi, ce sera de manière à faire éclore un petit sourire sur tes lèvres. Tu es un de mes meilleurs amis, et tu représentes le monde à mes yeux : des fragments, il y en a une infinité, mais toi, tu es un de mes préférés.

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