Des guirlandes et des ballons

La treizième photo représentait la classe, ma classe, celle de première littéraire, celle que je partageais avec toi, mon meilleur ami, mon frère de coeur et mon confident, et qui serait aussi notre classe de terminale. Vingt-et-une filles, deux garçons, toi et moi, et ce cliché coloré, un des seuls que j'aie de nous tous, et des guirlandes, et des ballons, qui paraient de mille couleurs la salle, théâtre de ce souvenir magique. C'était le jour de la fête de fin d'année, pour remercier les professeurs de français, de littérature anglaise et d'histoire géographie... On était à deux semaines du BAC, certes, mais on voulait justement s'échapper un peu, et comme les cours n'avaient plus grande utilité, on avait tout organisé, demandé une salle à la vie scolaire, emmené des gâteaux, des bonbons, des chips, des crêpes, des quiches, placé un buffet, avec une jolie nappe, fait un demi-cercle avec les chaises et installé, juste en face, les trois sièges décorés de blanc et d'un noeud de tissu qu'on avait prévu pour elles, accrochant aussi des guirlandes. Enfin, les filles l'avaient fait. Nous, on était de ce petit groupe à être allés en cours, pendant que le reste de la classe arrangeait tout. En littérature anglaise, justement. Quand on était arrivés, elles souriaient toutes, et les enseignantes d'histoire et de français étaient déjà là, alors on a eu qu'à poser nos affaires, dans le silence le plus complet, finaliser la décoration, et éteindre les lumières, en attendant qu'arrive la professeure de littérature anglaise pour rallumer et crier tous ensemble « Surprise ! » C'était une jolie journée, colorée, joyeuse, emplie de rires, et c'est ce que représente la photo : un moment de bonheur, loin des désaccords et des petits problèmes de la classe, un moment d'union pour ce qui était important et un moment d'amitié un peu folle. On était tous complices, sur le coup, tous enthousiastes. C'était vraiment beau. 

Les lumières blanches éclairaient les ballons de toutes les couleurs qui volaient dans l'air quand on se les lançait et tombaient au sol, formant un arc-en-ciel un peu féérique, pendant que les enseignantes s'asseyaient et qu'on prenait aussi nos places, pour commencer. Avec une amie, on se disputait un ballon en particulier, fuschia, aux reflets violets, je ne sais pas si tu t'en souviens... À un moment, elle a me l'a arraché, et j'ai fait semblant de bouder, me réfugiant dans tes bras, dans l'étreinte de mon grand frère de coeur, juste pour rire : tu lui as repris le ballon, et tu me l'as offert, avant de me faire un câlin. C'était drôle, gentil, et tellement doux comme geste. Ça peut paraître insignifiant, mais ça donnait l'impression que tu serais toujours là pour moi, pour me protéger, m'aimer, me rendre heureuse, comme tu l'avais déjà prouvé, et comme je l'aurais fait : tout, n'importe quoi, juste pour un sourire. Et ensuite, on a commencé les discours : quelques filles se sont levées, pour dire quelques mots, deux autres, dont notre ange et déléguée, sont allées prendre les cadeaux, et je ne sais pas, j'ai voulu ajouter ma voix à ces remerciements. Je me suis levée sans aucune préparation, contrairement aux autres, mais les mots venaient tous seuls, et tout était simple : il suffisait de les regarder, souriantes, et de dire ce que je pensais, vraiment. Remercier notre professeure de littérature anglaise pour sa gentillesse, pour toute cette année, pour la manière dont elle s'était conduite avec nous et pour son sens du devoir envers nous, parce que beaucoup ne pensaient pas comme elle. Remercier notre professeure de français pour sa manière d'avoir veillé sur nous toute l'année comme une deuxième maman, de nous avoir guidés, de s'être énervée quand il le fallait tout en sachant redevenir douce, toujours motivante et encourageante, et pour, de manière plus personnelle, m'avoir fait parler, devant la classe, donner des réponses et vaincre ce qui me reste du collège comme une mauvaise habitude, de vouloir me faire totalement oublier par mon silence. Quand j'ai mentionné ça, je m'en souviens, tu m'avais souri : tu étais mon courage, et tu l'es encore ! C'était ça, aussi, la photo. Ce jour-là à la fête, en me levant pour parler devant toute la classe et en exprimant mes sentiments à ces enseignantes, j'avais envie d'y croire. La vie était belle, colorée, et je pouvais continuer d'avancer.

Je n'avais pas envie de parler pour la professeure d'histoire devant toute la classe, et je n'en étais pas capable, mais ce deuxième point, je ne l'ai compris qu'après, quand on a été se servir des gâteaux, de quiches, des bonbons et des crêpes sous les guirlandes de papier et de tissu, avant de venir saluer chacune de nos professeures, verre à la main et sourire aux lèvres, échangeant des messages et des souhaits, formant une file devant les trois sièges. La professeure de français nous souhaitait la réussite, pour les examens et la vie, de manière générale, ce qui était déjà gentil, mais c'est le souhait de notre enseignante de littérature anglaise qui m'a réellement touchée : elle savait pour les textes, elle savait pour ces mots que j'alignais sans cesse, pour les romans et les nouvelles, elle avait vu mon cahier, aussi, celui avec les images colorées et les milliers de phrases beaucoup plus personnelles, s'attachant à toi ou à moi, alors elle avait juste dit « à la future écrivain », et je n'avais su que répondre, émue, « à un futur livre publié un peu grâce à vous et votre confiance en moi ». Et elle avait souri. Seulement après, je me suis dirigée vers la plus jeune des trois adultes, celle qui nous faisait les cours d'histoire et de géographie, et on a fait comme les autres, fait se toucher nos verres avant de boire un peu sans se quitter des yeux, puis je me suis lancée. J'avais beaucoup à dire, mais quand j'ai commencé à parler, j'ai su que je n'y arriverais pas, alors j'ai fait court, mais sincère, parce que je voulais éviter qu'elle entende trembler ma voix, et éviter aussi que les larmes qui, je le sentais, me piquaient les yeux, ne coulent. Personne ne devait réaliser à quel point l'hypersensibilité, une des caractéristiques des enfants à haut potentiel s'étant bien confirmée toute ma vie après le diagnostic posé à mes sept ans, était toujours présente dans ma vie, chaque seconde, et à quel point je me cachais derrière le masque de l'élève première de classe, enfant modèle, et de la fille gentille. Je lui avais seulement dit :

« Merci... Merci pour tout. Mais surtout, merci pour avoir compris, ces fois-là, quand j'étais seule et qu'il n'était pas là, et que j'angoissais, à quel point j'étais mal et ailleurs et inquiète. C'est rare, les gens qui comprennent... Et c'est vraiment précieux. »

Elle avait compris, compris que je ne pouvais pas en dire plus sans éclater en sanglots, parce que même après coup, reparler de ces jours-là me faisait ressentir à nouveau tout ça, et n'avait rien dit, son regard se tournant légèrement vers toi, puisque c'était de toi que je parlais, avant de revenir s'ancrer dans le mien. Elle m'avait répondu que c'était normal, avait souri, et finalement, m'avait doucement étreinte. C'était étrangement apaisant, et amusant aussi, parce qu'elle était aussi petite que moi, tout en calmant un peu le flot d'émotions... Puis j'étais partie te rejoindre, et la fête avait continué. C'était tout ça, ce cliché, et aujourd'hui, quand je le regarde, j'entends encore tous les discours, tous les souhaits, nos conversations tous les deux, les rires, la musique, les cris et les larmes d'émotion des filles, et les voix des quelques chanteuses de la classe qui se mêlaient à la mienne et celle de notre amie pour une chanson, avant que la professeure de français ne tienne la promesse qu'elle nous avait faite et chante, elle aussi. On s'était vraiment bien amusés. Je ressens encore l'air frais de la clim, et tes doigts entrelacés aux miens, et je revois les couleurs, et les visages tous visibles sur la photo qui me rappelle ce moment, mais surtout, j'entends la musique assourdie depuis l'extérieur de la classe, quand on était sortis, juste toi et moi, juste quelques minutes, parce que je voulais te parler. Je n'avais rien dit, je t'avais juste demandé si on pouvait aller dehors, et tu m'avais suivie, silhouettes contrastées mais esprits se complétant bien.

T'étais plus grand, assez pour pouvoir poser ta tête sur la mienne quand je m'appuyais contre toi, tes bras étaient rassurants, mes poignets extrêmement fins par rapport aux tiens et mes doigts délicats me donnaient un air fragile et enfantin, ma peau était plus claire, et j'étais toujours en tee-shirt quand tu te cachais sous des chemises et des vestes, tes cheveux cascadant sur tes épaules et plus longs que les miens étant frisés, les miens ondulés, mais on avait les mêmes yeux : chocolat, scintillants d'étoiles et incapables de se mentir l'un à l'autre parce qu'on lisait trop bien nos regards. On partageait une intelligence, une empathie, des passions, et on prenait soin de l'autre, vraiment. Ça changeait de beaucoup de relations... Alors, hors de la salle, un instant éloignés de la classe, on avait parlé de cette année inoubliable, qui s'achèverait bientôt par des examens, et je t'avais expliqué qu'il m'aurait semblé impossible de partir sans te remercier, toi aussi, motif d'origine de la fête, parce que tu étais la partie la plus importante de mon année, dans la classe, et une des plus lumineuses si on considérait le lycée et ma vie de manière générale. J'ai toujours eu du mal à m'exprimer de vive voix, je suis davantage le genre de fille à écrire ses pensées, mais je t'avais quand même dit ce que je pouvais, et tu avais souri, gentiment, touché, avant de m'enlacer. J'aimais être ta meilleure amie, ta confidente, ta petite soeur, et pouvoir être dans tes bras sans aucune ambiguïté entre nous : j'aimais cette relation de secrets, de rires, de protection, de discussions sur nos passions, de musique et aussi d'écriture. On était deux, simplement, sans pour autant être amoureux, et ça me plaisait. Je ne voulais pas d'un petit ami : je voulais d'un nounours, d'un grand frère, d'un ange, et j'avais l'impression d'être réellement une petite princesse, avec toi, une petite étoile, une fée. On se complétait, c'est tout. Et encore aujourd'hui, on ne s'est pas lâchés... On a tenu nos promesses, et ça me rend très heureuse.
C'était ça, aussi, cette photo. La fin de notre première année d'amitié. La fin d'un chapitre, mais pas de l'histoire.

Je n'ai aucune envie d'écrire un épilogue.

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