Ange de Musique
La huitième photo représentait une scène illuminée par les projecteurs aux lumières colorées, le bois vernis très clair contrastant avec l'obscurité de la salle et des grands rideaux, les étoiles au-dehors scintillant, en un monde entre or et argent, tandis que les faisceaux orangés, rosés, bleutés ou plus blancs dessinaient des motifs magiques au milieu des ombres, éclairant les visages de ceux qui, sur scène, chantaient ou jouaient. Ce n'était qu'un spectacle de lycée, organisé par le professeur de musique avec les finalistes du concours de chant qui avait rassemblé deux établissements, mais tout était magnifique, mélodieux, et le temps aurait pu s'arrêter à ce moment, cette soirée restant à jamais gravée dans mes pensées, tandis que je serrais un peu plus fort la main de mon meilleur ami dans la mienne. Mon meilleur ami, et le tien. Il m'a souri, avant qu'on ne tourne le regard vers celle qui t'est quasiment une soeur, et qui nous a rendu un visage euphorique, au début de cette soirée : elle et moi, au contraire de notre ami, avions assisté aux répétitions, la dernière le samedi, aux cours de musique qui avaient également permis de monter ce projet, et nous savions déjà un peu à quoi nous attendre, même si, je l'ai compris ensuite, ce soir-là, vous alliez encore nous faire rêver davantage et nous emmener plus loin. Ce soir-là, on était tous dans un autre monde... Un monde d'émotions, de mélodies, de féérie, un monde dans lequel tu possédais la clé de nos coeurs.
Dès la première chanson, le premier mot, la première note, la jeune fille qui avait commencé, véritable princesse, avait fait tomber un silence parfait, paisible, nous transportant loin, immensément loin, du lycée où nous devrions aller le lendemain, de cette salle plongée dans la pénombre, de notre île perdue au milieu d'autres, papillon posé sur la mer, et elle avait annoncé le niveau de beauté qui promettait une jolie soirée. Puis un adolescent lui avait succédé, et une autre, une amie, avant qu'un jeune homme que j'avais déjà vu une ou deux fois, n'écarte les tentures et s'approche lui aussi, accompagné d'une autre silhouette familière. La main de ta soeur de coeur s'est nouée à la mienne, entrelaçant nos doigts et serrant très fort sans que je ne relève, un petit murmure lui échappant, camouflé par les derniers applaudissements, m'annonçant à quel point elle était heureuse, à cet instant, d'être là, heureuse, privilégiée, presque, et immensément enthousiaste. Je partageais cette idée, pour être honnête, mes doigts liés à ceux de mon meilleur ami, et tous les trois, on a esquissé des sourires qui voulaient tout dire, se comprenant sans avoir besoin de parler : tu étais sur scène, simplement, avec ton pull clair qui ne changeait pas du lycée, ton violon flamboyant et ton attitude plutôt douce, attentif. Puis le morceau a commencé, et c'est vrai, à cet instant, on a réellement vécu la fin de la fin du monde... Les battements de coeur ont semblé s'arrêter quelques minutes, les vagues cesser de troubler la mer de mille franges d'écume, la nuit s'est faite silencieuse, et la salle s'est figée, l'apocalypse au point zéro. A tes côtés, piano, basse, batterie et chant s'amusaient, puis le temps d'un couplet, quelques notes de violon, délicates, ont percé, se sont envolées, tout le monde se concentrant là-dessus, aussitôt. Tu m'avais demandé ensuite, à l'entracte, si ton instrument était assez audible : oui, il l'était, et crois-moi, tout le monde t'écoutait, tout le monde te regardait. A la fin du morceau, seulement, un tonnerre d'applaudissements a éclaté, accompagné de sifflements, de cris, et tu as souri, tandis que le chanteur te remerciait.
D'autres chansons sont passées, m'emmenant quelques pensées et beaucoup d'émotions, l'une en particulier me ramenant à la répétition de samedi : elle était une de tes préférées, celle qui t'émouvait le plus, aussi, et j'ai tenté de m'imaginer ce que tu pouvais ressentir, en coulisses, une seconde, avant de me laisser emporter par les notes. J'ai toujours été dans un univers musical, j'y ai grandi, et d'une certaine manière, j'ai été une petite princesse de mélodies à qui ce soir-là, vous veniez de rendre son royaume, entre ombre et lumière. L'entracte, joyeuse et pleine de bonne humeur, a été l'occasion de te retrouver, et tu m'as serrée dans tes bras avant qu'on ne rejoigne les autres, puisque j'avais été la seule à me diriger vers les loges pour t'y rejoindre, saluant au passage certaines de mes amies, certaines des chanteuses. On a discuté, ri, et finalement, regagné nos places, et tu t'es éclipsé pour retourner en coulisses et jouer le prochain accompagnement, arrivant peu après sur scène, cette fois seul en compagnie de la chanteuse, avec davantage de mélodie à jouer, commençant avec douceur en posant ton archet sur les cordes. A ce moment, ta meilleure amie, figée, avait oublié le monde, et à mes yeux, tu étais la seule personne à exister encore, tandis que notre ami prenait la photo que, des semaines, des mois après, je serre entre mes doigts. Sur ce cliché, tu joues, les yeux fermés, concentré, et te détaches à merveille du fond tissé de ténèbres, avec ce vêtement clair contrastant avec ta peau de cacao et ton violon qui s'enflamme, mais surtout, tu sembles à ta place, comme tu me l'avais dit. Après tout, c'était ton premier concert hormis ceux de l'école de musique, le premier aussi depuis que tu avais fait ton choix, et tu arpentais désormais la voie, Ange de Musique prêt à s'envoler...
Encore aujourd'hui, assise sur mon lit, l'image fragile et colorée entre mes doigts, devant la boîte ouverte emplie de fragments d'éternité, mes écouteurs dans les oreilles avec les enregistrements de ce soir-là, je peux ressentir un peu de la magie qui nous avait entourés totalement, et me rappeler cette mélodie et toutes les autres, celles que j'ai renfermées précieusement dans l'écrin de mon coeur, comme s'il s'agissait de précieux diamants, celles qui t'ont valu ton surnom : je le savais depuis le début, je le voyais, mais sur la scène, tout semblait évident, et tu avais déployé tes ailes. Tu arpentais la Voie depuis un moment déjà, mais cette nuit-là, je crois vraiment que tu venais d'assumer un choix : celui de poursuivre ton rêve et de t'envoler.
Et je n'ai aucun doute, tu vas y arriver.
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