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Lui

Mon portable vibre, m'arrachant de mon sommeil paisible. J'émerge lentement du monde des limbes et je m'oblige à ouvrir les yeux. Il fait noir dans ma chambre et la lune est parfaitement discernable dans la nuit noire au travers de ma fenêtre. Il n'y a aucun bruit. Pas le moindre, mis à part celui des vibrations folles de mon téléphone qui n'en finissent plu. Qui peut bien m'appeler à une heure pareille ? Je grogne avant d'attraper maladroitement mon portable que j'avais posé sur ma table de nuit la veille. Je m'apprête à appuyer sur le bouton « ignorer l'appel » pour envoyer se faire foutre la personne qui ose m'appeler à trois heures du matin, mais je me résigne immédiatement lorsque je lis le nom qui s'affiche sur mon écran : « Aly ».

Une.

Deux.

Trois.

Trois secondes où ma respiration est restée bloqué dans ma poitrine. Aly. Les pulsations de mon cœur s'emballent dans ma poitrine d'une manière indescriptible. Merde, pourquoi m'appelle-t-elle en pleine nuit ? Elle a sûrement besoin de moi, elle a peut-être un problème. Je veux dire... Un vrai souci.

Je dois lui répondre mais je ne le fais pas. Je reste simplement immobile à contempler l'écran de mon téléphone, sans osciller, jusqu'à ce que les faibles vibrations s'évanouissent au creux de ma paume moite. Si je ne lui ai pas répondu, ce n'est pas parce que je n'en avais pas envie. Si je l'ai fait, c'est pour la simple et bonne raison que je ne peux pas le faire. Je ne peux pas lui révéler le son de ma voix. Même si c'est par téléphone. Même si ma voix serait légèrement déformée. Non, ça serait un bien trop grand indice pour notre jeu. Alors j'ai simplement ignoré son appel.

J'avale difficilement ma salive et je lui envoie un message à la place, pour savoir ce qu'elle me veut à une heure si tardive.

Lui : Aly, quelque chose ne va pas ?

Je ne sais pas réellement pourquoi, mais je me sens mal. Mes organes se compriment férocement dans mon ventre de manière spasmodique. Les secondes qu'elle prend à me répondre durent des minutes. Parce que merde, elle a peut-être un grave problème, et j'ai ignorer son appel pour un simple jeu. Si elle a vraiment des ennuis, et que je l'ai lâchement ignoré, je m'en voudrais vraiment.

Alyssa : J'arrive pas à dormir.

Voilà le message que je reçois, après plusieurs secondes d'attente interminables. Et je ne peux m'empêcher d'être soulager, en lisant les quelques mots qu'elle m'a envoyé. Je me laisse tomber dans mes cousins en soupirant, soulagé. Je pose ma main sur ma poitrine et j'attends que les pulsations de mon cœur se soient régularisées avant de lui envoyer une réponse.

Lui : Moi, j'y suis arrivé. Tu m'as réveillé, Chérie.

Alyssa : Je suis désolée. Je voulais simplement discuter.

Lui : Pourquoi m'avoir choisi pour discuter ?

Alyssa : Parce que j'avais envie de te parler. A toi. Seulement à toi.

Lui : Pourquoi ?

Alyssa : Parce que je me suis dit que ça me relaxerait de te parler. Tu sais... C'est apaisant de discuter avec toi.

Lui : Tu trouves ?

Alyssa : Ouais.

Je ne peux m'empêcher de sourire. C'est l'une des premières fois qu'elle me fait un compliment. D'habitude, elle n'hésite pas à me dénigrer - amicalement, bien sûr -, et à me charrier. Mais elle ne m'a jamais fait de compliment comme elle vient de le faire. Je plis mon bras gauche et le passe sous mon crâne pour surélever légèrement ma tête.

Lui : J'aime te parler, moi aussi.

Alyssa : Alors ça te dérange pas si je te vole quelques minutes de sommeil ?

Lui : Elles sont précieuses, mais pour toi, je vais le faire.

Je lui sors des phrases clichées pour essayer de la faire succomber. Je fais le gars doux, le gentil, celui qui est toujours là pour elle. Mais en réalité, j'ai juste envie qu'elle me laisse me rendormir, parce que je suis vraiment épuisé.

Alyssa : Merci beaucoup, Babe.

Lui : Juste... Je voulais savoir, pourquoi tu m'as appelé ?

Alyssa : Pour rien, laisse. C'est ridicule.

Lui : Qu'est-ce qui est ridicule ?

Alyssa : La raison pour laquelle je t'ai appelé et pas envoyé des messages directement, elle est ridicule.

Lui : Je suis sûr que non.

Alyssa : Si. Je vais passer pour une fille gnangnan, si je te le dis.

Lui : Crois-moi, tu es tout sauf gnangnan, Aly. Ce n'est pas ce que tu vas me dire qui me fera changer la manière dont je te vois.

Alyssa : Mouais.

Lui : S'il te plait ?

Alyssa : Bon OK. Si je t'ai appelé, c'est parce que j'avais envie d'entendre ta voix.

J'ai l'impression qu'une balle perfore ma poitrine et qu'elle ressort dans mon dos, tant le coup est violent. Putain, enfin. Oui « enfin » parce que ça fait un mois. Un mois que nous jouons. Un mois que je lui parle chaque soir. Un mois que j'essaye de l'intéresser à moi. Et un mois qu'elle semble s'en contre-foutre du jeu. Un mois qu'elle semble s'en contre-foutre de moi.

Et si ce soir, elle a envie d'entendre ma voix, c'est parce qu'elle est entré dans le jeu. Je ne sais pas ce qui provoqué ce changement, mais je sais qu'elle est entré dedans. Enfin, putain. Depuis le temps que j'attendais ça !

Elle ne s'intéressait pas à moi, et pourtant, cette nuit, je me suis réveillé à cause d'elle. Cette nuit, elle a dit qu'elle voulait discuter avec moi. Cette nuit, elle a dit qu'elle voulait entendre ma voix. Et cette nuit, elle a succombé à mon jeu.

Lui : Ce n'est pas ridicule, Chérie.

Alyssa : Bien sûr que si, ça l'est ! Je déteste ça, merde. Mais je sais pas... J'aimerais tellement savoir à quoi ressemble ta voix, que je n'ai pu m'empêcher de t'appeler, ce soir. Parce que j'aimerais pouvoir m'imaginer ta voix lorsque je lis tes messages. Et je ne le peux pas...

Alyssa : As-tu déjà entendu ma voix, toi ?

Lui : Oui.

Alyssa : Tu imagines ma voix lorsque tu lis les messages que je t'envoie ?

Lui : Ça m'arrive.

Alyssa : Je veux pouvoir le faire moi aussi. Je veux pouvoir mettre une voix sur mon Inconnu. Déjà que je ne saurais jamais à quoi tu ressembles si je ne découvres pas ton identité, alors j'aimerais au moins connaître le son de ta voix.

Lui : Je ne peux pas te laisser entendre ma voix.

Alyssa : Pourquoi pas ?

Lui : Parce que ça te donnerait trop d'indices sur moi, en une seule fois.

Alyssa : Je m'en fous du jeu, tu sais ? J'ai juste envie d'entendre ta voix.

Lui : Non, Aly. Pas tout de suite en tout cas. Je ne peux pas. Désolé, Chérie.

Alyssa : Des fois, je déteste vraiment ton jeu.

Lui : Je sais que c'est dur pour toi. Tu as l'impression d'avancer les yeux fermés dans cette histoire. Tu as l'impression d'être désavantagée. C'est comme s'il te manquait un sens même, au final. Comme si tu étais aveugle et je comprends que tout ça te déstabilise.

Alyssa : Aveugle et sourde tu veux dire. Parce que si j'étais simplement aveugle, je pourrais entendre ta voix.

Lui : C'est vrai.

Alyssa : Décris-la moi au moins.

Lui : Ma voix ? Tu veux que je te décrives ma voix ?

Alyssa : Oui. Que j'ai une idée approximative d'à quoi elle ressemble, au moins.

Lui : Et bien... Mes proches disent que j'ai la voix grave, légèrement éraillée. Douce, aussi. Enfin, ça dépend d'avec qui je suis. Ma mère dit que j'ai une voix douce avec elle. Et... Je ne sais pas vraiment. Ah oui ! Une fois, au collège, mon professeur de musique avait dit que j'avais une voix profonde. Mais voilà, je ne sais pas si c'est vrai.

Alyssa : D'accord, merci. J'imagine à peu près comment elle est. J'ai encore plus envie de l'entendre maintenant. Est-ce que tu me laisseras écouter ta voix, plus tard ?

Lui : Oui, Aly. Je t'en fais la promesse.

Alyssa : J'ai hâte que tu sois à moi, tu sais ? Je pourrais t'entendre parler à longueur de journée. Alors, profite bien de tes derniers moments de tranquillité, Babe. Tu seras enchainé à moi dans moins de temps que tu le penses...

Le coin de mes yeux se plisse, mes lèvres s'étirent et mes joues se creusent lentement. C'est bon, maintenant. Elle est entrée dans le jeu. Elle y est entrée et c'est elle qui est enchainée maintenant, pas moi.

Et un point de mon côté...

***

Voilà la partie 10 ! J'espère que ça vous a plu !

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