Philosophiquement mathématique
Ma couleur. Oui, c'est ça, commençons avec ma couleur. Brun. Je suis brun. Mais pas un brun foncé, non, un brun pâle. S'il fallait comparer ma teinte, je la comparerais au sable. Oui, c'est ça, au sable. Je suis brun comme le sable chaud qui vous brûle les pieds. Mais pas comme le sable blanc qui accompagne la mer turquoise, non, je suis brun comme le sable beige sur le bord du lac. Beige. C'est ça, beige. Je suis brun qui tire sur le beige. Je suis brun-beige. Puis ça change. Une goutte, deux gouttes, et c'est l'averse. Une goutte, deux gouttes, et je deviens brun. Mais pas un brun qui tire sur le beige, non, un vrai brun. Plus foncé. Je deviens brun comme le sable juste avant l'eau. Celui qui vous rafraîchit les pieds après vous les être brûlés. Celui qui maintient une certaine température confortable avant que votre peau touche l'eau glacée. Celui qui vous donne un dernier sentiment de stabilité avant de basculer dans le lac. Celui parfait pour les châteaux de sable. Oui, c'est ça, je suis brun comme les châteaux de sable. Puis ça change. Le soleil frappe et l'eau s'évapore. Je redeviens brun-beige. Mais pas un brun-beige parfait, non, j'ai des imperfections. Plusieurs lignes par-ci, par-là. Des trous de temps à autres. Des formes étranges de couleur foncée. Et faites attention si vous me touchez, je ne suis pas lisse, non, je suis plutôt rugueux. Enfin, vous l'aurez compris, je suis fait de bois.
Ma forme. Oui, c'est ça, continuons avec ma forme. Quatre rectangles. Je suis formé de quatre rectangles. Deux sont perpendiculaires au sol et les deux autres sont parallèles à lui. Oui, je sais, je vous sors les mots mathématiques. Il faut dire que je n'avais pas trop envie de me la jouer philosophique. Car voyez-vous, je n'ai rien d'un philosophe. Quoique je n'ai rien non plus d'un mathématicien si ce n'est que je suis fait de quatre rectangles. J'ignore qui je suis, j'ignore même si je suis quelqu'un. Je crois que non parce qu'il ne faudrait pas oublier que je suis fait de bois. Mais si, comme le veulent certaines croyances, tout sur cette Terre a une âme, la mienne serait-elle plus celle d'un philosophe ou bien celle d'un mathématicien? Je ne connais pas la réponse à cette question. Alors, tant que je suis planté ici, je continue de la chercher.
Ici. Vous ne savez même pas ce qu'est ici. Je vais tenter de vous le décrire. Oui, j'ai bien dit tenter, car je ne pense pas avoir un réel talent pour décrire les choses. Car, voyez-vous, les choses, je ne sais même pas ce qu'elles sont. Néanmoins, je peux bien vous dire ce que je vois, par contre je ne peux pas vous dire c'est quoi. Ce que je vois c'est une immense toile bleue sur laquelle s'entremêlent des teintes de rose vif et d'orange creux. Il paraît que ça s'appelle le ciel et que parfois ils nous donnent des ailes. Certains sont venus se confier et m'ont dit qu'il leur donnait l'impression d'être emprisonné. Ce ciel, il ne m'a jamais donné d'ailes. Mais je ne peux pas chialer, car je ne me suis jamais senti emprisonné. À l'horizon, il y a des maisons. Plein de belles demeures à l'apparence sans malheurs. Mais je vous jure que ce n'est qu'une rumeur. Il y a bien des choses que je ne sais pas. Sauf que sur vous, j'en sais beaucoup, croyez-moi. Puis, juste en face de ces maisons, il y a la rue. Et, après la rue, se trouve ce parc dont je connais les moindres détails tellement j'en ai contemplé la vue.
Un banc. Oui, vous l'aurez compris, je suis un banc. Je suis un banc de parc fait de quatre rectangles en bois. Je ne sais pas qui je suis. En fait, je ne crois pas être quelqu'un. Mais s'il advenait que j'aie âme, je ne peux m'empêcher de me demander si elle serait celle d'un mathématicien ou bien celle d'un philosophe.
Le mathématicien. Oui, c'est ça, commençons avec le mathématicien. Chad. Chad a l'âme d'un mathématicien et cela ne fait pas de doutes. Je connais le jeune parce qu'il vient souvent me voir lors des après-midis ensoleillés. Chad arrive toujours accompagné d'un carnet et vient toujours s'assoir sur moi, bien droit. Le jeune homme ouvre son carnet contenant des plans, des mesures et des calculs, puis il se met à remplir de nouvelles pages. Il y inscrit des chiffres, des lettres et y trace des traits, des formes. De temps à autres, il contemple le ciel. En fait, non, il ne le contemple pas, il le calcul. Oui, c'est ça, il le calcul. Le regard du garçon est calculateur. Le jeune aux yeux bleu nuit croit que le ciel l'emprisonne. À vrai dire, Chad ne croit pas, non, Chad sait. Oui, c'est ça, il sait. Il sait ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il ressent. Et ce ciel, ce ciel l'emprisonne. Le garçon ne se contente pas de voir, il doit calculer. Chad voudrait calculer le soleil, la lune, les planètes et les étoiles. Pour lui, il n'existe pas de soleil des nuits et de lune des jours. Pour lui, il n'existe que la distance entre la lune et le soleil et la réflexion du soleil sur la lune. Et ça, il voudrait les calculer. Chad voudrait aller plus loin que le ciel. Le garçon à la posture impeccable et au regard calculateur a l'âme d'un mathématicien. Et ça, il le sait.
Le philosophe. Oui, c'est ça, continuons avec le philosophe. Mikel. Mikel a l'âme d'un philosophe et je ne crois pas me tromper. Le garçon me rend visite à tous les soirs afin de philosopher sur la vie. Il se demande s'il est ou s'il n'est pas. Moi je crois qu'il est. Oui, il est, car il a réfléchi, analysé, pensé pour réussir à être. Et maintenant, il est. Le jeune aux cheveux rouge feu préfère admirer le ciel le soir lorsqu'il fait noir et qu'on distingue les étoiles. Il tombe rapidement dans un monde qui lui appartient. En fait, il ne lui appartient pas, non, il l'a tout simplement personnalisé. Oui, c'est ça, Mikel a personnalisé ce monde dans lequel vous vivez. Il change ce monde en y ajoutant un soleil aux nuits et une lune aux jours. Car oui, Mikel croit au soleil des nuits et à la lune des jours. À vrai dire, il n'y croit pas, non, il le sait. Le garçon aime philosopher sur la vie et c'est au travers de ses réflexions qu'il a fini par comprendre. Il comprenait des choses et, à force d'y penser, maintenant, il les sait. Le jeune ne connait pas la distance entre la lune et le soleil et il ne sait pas non plus ce qu'est la réflexion du soleil sur la lune. Sauf qu'il sait ce qu'est un soleil des nuits et une lune des jours. Oui, ça, il le sait, car, lorsqu'il ferme les yeux, il se sent transporté. Le ciel, à Mikel, il lui donne des ailes. Quand il regarde le ciel, Mikel a des ailes qui le transportent assez loin dans cet univers pour lui permettre de voir le soleil même de nuit et la lune même de jour. Mikel a réfléchi, analysé, pensé, et, maintenant, son âme est celle d'un philosophe.
Un banc. Je ne suis qu'un banc à l'âme possiblement inexistante. Mais s'il advenait qu'elle soit bien là, au fond de moi, je crois savoir si elle serait celle d'un mathématicien ou bien celle d'un philosophe. J'ai calculé et réfléchi pour me rendre compte qu'elle est un peu des deux. Oui, moi, le banc, j'ai en moi un peu de Chad et un peu de Mikel. Moi, le banc, si j'avais une âme, elle serait philosophiquement mathématique. Car je suis un mélange. Un mélange de Chad, de Mikel et de vous. Je suis un banc qui se définit par vous. Vous qui venez me voir pour me confier vos craintes, vos peurs, vos succès, vos histoires, avez fini par faire de moi, banc de parc formé de quatre rectangles en bois, un objet à l'âme qui vous reflète.
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