Chapitre 4
Elliot
Neuf ans plus tôt,
Le métro quitte la station Joffre-Mutualité et s'engage aux côtés des voitures sur le pont Jeanne d'Arc. En ce jour de rentrée, la Seine est haute. Mes écouteurs dans les oreilles, je la regarde s'agiter et éclabousser les quais avant de retrouver le tunnel. Des passagers pressés se bousculent pour entrer et sortir de la rame et, alors que certains ne trouvent rien de mieux à faire que de s'embrouiller dès 7 h 30 du mat', j'augmente le son de mon lecteur MP3.
Parce que je suis en avance, je descends au dernier arrêt et, après quelques minutes de marche, grimpe sur mon skate. Pour me détendre, je fais quelques ollies pour sauter les trottoirs. Les jeunes que je croise sur la route prennent des directions différentes. Certains semblent se rendre au lycée Jeanne d'Arc, tandis que d'autres, comme moi, vont vers Pierre Corneille.
À toute vitesse, je dévale la rue Saint-Marie. Une personne âgée m'insulte, mais je ne ralentis pas pour autant. L'adrénaline de la descente me garde dans le droit chemin. Un chemin que je trace depuis un an.
J'ai bossé comme un fou furieux l'année dernière, obtenu les félicitations à chaque trimestre, récolté une note de A à un entretien pour une option cinéma audiovisuel alors que je ne fous pas un pied au ciné ; tout ça, pour une dérogation. Alors, ce n'est certainement pas devant la ligne d'arrivée que je vais me laisser envahir par le doute. Pourtant, en arrivant dans la rue Maulévrier, ma gorge se noue d'appréhension et je freine.
Mon envie d'intégrer un lycée hors secteur a intrigué nombre de mes professeurs de 3ème. Surtout que je n'avais montré aucun intérêt pour le cinéma auparavant. Cette année, je le sais, je ne vais pas pouvoir berner tout le monde, mais une chose est sûre, personne ne doit savoir pourquoi je me suis autant démené.
Je ramasse mon skateboard et le coince sous mon bras. L'architecture du lycée Pierre Corneille est impressionnante, même depuis l'extérieur. Classé monument historique, il fait partie des plus anciens lycées de France et possède même sa propre chapelle. Qui dit mieux ?
Définitivement gagné par la nervosité, je passe le portail principal et, les yeux baissés, traverse la cour d'honneur en suivant un groupe d'élèves discutant calmement de pandas roux. Je me demande si l'endroit finira aussi par me laisser indifférent ; si, à force de les côtoyer, les pierres chargées d'Histoire perdront de leur superbe.
Je suis en train de chercher mon nom sur les listes quand une fanatique des pandas pousse un cri.
— C'est pas possible ! Comment ils ont pu nous faire ça ? s'indigne-t-elle sur ma gauche. Comment on va faire sans toi ?
Les joues humides de ses larmes de crocodile, elle tombe dans les bras d'un garçon tout aussi dévasté. Une deuxième fille, plus petite et bien plus calme, leur tapote le dos. Chaque être humain affronte les déceptions à sa manière, avec les armes que la vie lui a données, mais, sérieusement, ces trois-là en font des caisses. Il y a bien pire que d'être séparé de ses potes lors de son entrée en seconde.
Seul, je pars en quête de ma salle de classe et tourne pas moins de quinze minutes avant de la trouver. Agacé par cette courte perte de temps, j'accroche mon sac à une chaise et me laisse tomber dessus. Mes nouveaux camarades ne se gênent pas pour me lancer quelques regards intrigués. Beaucoup d'entre eux se connaissent sûrement déjà, après avoir occupé les mêmes bancs d'écoles depuis leur plus jeune âge. Indifférent à leurs murmures, j'appuie mon dos contre le dossier en fourrant mes mains dans les poches de ma veste.
— Salut !
Le garçon des listes s'assoit à côté de moi. Il ne semble pas encore remis de la nouvelle ; son sourire, un peu trop grand, paraît forcé.
— Salut.
Mon ton morne allume une étincelle dans son regard chocolat. Manque de chance, l'impassibilité à l'air de piquer son intérêt.
— Corée.
— Quoi ? lâché-je, déstabilisé par cette entrée en matière.
— Mes parents, ils sont nés en Corée, m'explique-t-il. Pas en Chine, pas au Japon, ni au Viêt Nam ou que sais-je encore. Et chez nous, on mange du kimchi, du japchae et du bibimbap.
Un sourire involontaire fend mes lèvres. Bibimbap. Je n'ai pas la moindre idée de ce que c'est, mais je veux goûter.
— J'ai rien demandé.
Mon voisin de classe hausse les épaules et forme un cercle autour de son visage dénotant de ses origines asiatique.
— Je sais, mais bon, voilà, je suis coréen. Alors, s'il te plaît, ne me demande pas la recette des nems.
Ses yeux fuient les miens. Il doit passer son temps à corriger ses interlocuteurs. Avec ma peau blanche, je n'ai pas ce genre de problème. Les questions n'arrivent qu'après l'évocation de mon nom de famille : Nolan. D'après ma mère, c'est irlandais. Mon père n'a jamais pu confirmer.
— Dommage, j'adore les nems.
Son regard retrouve le mien. Avec sérieux, il étudie mon expression, puis éclate d'un rire franc.
— Maïa va te détester, se réjouit-il. Moi, mes parents m'ont donné deux prénoms. Un occidental et un coréen. Quand j'étais petit, je ne savais même pas comment je m'appelais. C'était Mathias à l'école et Min-ho à la maison. Un vrai bordel.
Je ricane et sors mes mains de mes poches pour poser mes avant-bras sur notre table. Mon petit doigt me dit que j'ai déjà croisé cette Maïa.
— Ça ne devait pas être facile. Tu préfères que je t'appelle comment du coup ?
Ses joues rondes se colorent de roses.
— Tu es la troisième personne de ma vie à s'en inquiéter, m'apprend-il, la main posée sur le cœur. Tu peux m'appeler Mathias. Il n'y a que ma famille qui m'appelle Min‑ho, alors, à moins qu'ils décident de t'adopter, tiens-t'en à Mathias.
Je prends note mentalement et hoche la tête.
— OK Min-ho, tu peux m'appeler Elliot.
— OK, Robert, toi et moi, on va devenir les meilleurs amis du monde.
On se marre comme deux idiots au moment où notre professeure principale fait son entrée. Après avoir remonté ses lunettes ovales sur son nez, elle fait circuler nos carnets de correspondance, puis se présente. À côté de moi, Mathias, n'écoute pas un traître mot de ce qu'elle raconte. Il retire la couverture plastifiée de son carnet et commence à dessiner tout et n'importe quoi sur les cases vides de notre emploi du temps. Il peaufine un personnage manga qui me ressemble étrangement quand madame Poulain nous demande de la suivre pour une visite du lycée. Sa tresse grise se balance telle une cloche tandis qu'elle nous parle du plancher vieux de plusieurs siècles, du bâtiment joyeuse qui a été réquisitionné par les allemands lors de la seconde guerre mondiale et du monument aux morts. Oui, ce lycée possède son propre monument aux morts. Je ne sais pas trop si je trouve ça glauque ou incroyable. Mathias à l'air de pencher pour incroyable. Les yeux brillants, il murmure certains noms inscrits sur la pierre.
— Tu te rends compte, si on avait été ados à cette époque-là, on aurait sûrement été envoyé vers la mort, me dit-il alors qu'on s'éloigne pour retrouver notre classe.
Merci Mathias, je crois que j'ai fait mon choix. C'est glauque.
Comme souvent les jours de rentrée, les profs nous lâchent quelques heures après avoir terminé les présentations d'usages. Il est donc à peine midi lorsque mon nouvel ami coréen et moi quittons l'enceinte de l'établissement.
— Je dois retrouver mes amies devant l'hôtel de ville, tu viens ?
Il n'attend pas ma réponse et descend vers la place. Sans que je sache trop pourquoi, je décide de le suivre. Lorsque je parviens à sa hauteur, il prend un air sérieux.
— Je préfère te prévenir, Maïa est du genre méfiante et Manon a un cœur d'artichaut, elle va probablement tomber amoureuse de toi. Tu es grand et charismatique.
Je ricane et le regarde se mettre sur la pointe des pieds pour trouver ses potes, que je repère finalement avant lui. Debout à côté de la statue de Napoléon, elles mangent des viennoiseries. Je les pointe du doigt. Comme un gamin, Mathias court à leur rencontre en m'abandonnant une nouvelle fois derrière lui. Eh bien, je n'aurais pas aimé faire la guerre à ses côtés.
De loin, je le vois s'exciter en parlant et l'une de ses copines lève ses yeux noisette dans ma direction. Le visage fermé, elle m'observe silencieusement m'approcher d'eux avec mon skate à la main.
— Elliot, s'écrie Mathias, me faisant presser le pas. Je te présente Manon.
— Oh bon sang ! couine la plus petite des deux filles en s'éventant avec son croissant.
— Et Maïa.
La plus grande, celle qui ne m'a pas quitté des yeux depuis que Mathias les a rejointes me tend son sac de viennoiseries. Son regard méfiant me dissuade de refuser, j'attrape donc un pain au chocolat.
— Merci.
Elle sourit, comme si je venais de passer une sorte de test et l'avais réussi haut la main, puis se désintéresse de moi pour écouter Mathias lui parler du monument aux morts. Ce gars a un problème.
Maïa est brune. Ses cheveux, bordéliques, encadrent son visage fin et anguleux. Entre ses yeux un peu trop grands, sa taille de mannequin, ses boucles folles et son étrange élégance, elle me fait penser à un alpaga qu'on aurait oublié de tondre plusieurs années de suite.
Je mords dans mon pain au chocolat et baisse les yeux. Les joues de Manon sont cramoisies. Mon incroyable charisme aurait-il déjà frappé ?
— Tu viens d'où ? me demande-t-elle d'une voix fluette.
— Petit-Quevilly.
Ses yeux, maquillés avec soin, s'arrondissent. Je sais que ma ville, située sur la rive gauche de l'agglomération rouennaise, n'a pas très bonne réputation, mais bon, son expression est un poil vexante. On dirait que je viens de lui avouer le meurtre de son chien.
Ce genre de réaction ne devrait toutefois pas me surprendre. Lors de mon entretien pour l'option audiovisuelle, j'ai eu droit à ce même regard empli de jugement de la part des deux professeurs chargés de m'interroger sur mes motivations.
Maïa, qui a dû sentir le malaise, intervient :
— On habite à Mont-Saint-Aignan.
N'ayant rien à répondre à ça, je hausse les épaules. Un geste apparemment trop désinvolte pour Maïa qui fronce les sourcils et avance sa bouche comme si elle ressentait l'envie de me cracher dessus. Pas le moins du monde impressionné, je l'affronte du regard.
— Je ressens beaucoup trop d'animosité entre vous.
Bien qu'il soit un peu plus petit que nous, Mathias écarte les bras pour les poser sur nos épaules à Maïa et moi.
— On va souffler un coup et aller manger dans le restaurant exceptionnel de mes parents.
Manon attrape la main de sa meilleure amie et me lance un sourire navré. Les deux filles se mettent en route et je marmonne :
— Ils font du bibimbap dans leur resto, tes parents ?
— Oui ! s'exclame-t-il. Pourquoi, tu aimes ça ?
Je suppose que nous n'allons pas tarder à le découvrir. Malgré mes réticences concernant ses copines méprisantes, je laisse Mathias me guider jusqu'au restaurant de sa famille et l'écoute me décrire la cuisine coréenne d'une oreille distraite.
Hello !
Comment ça va chez vous ? Le mois de janvier est clément avec votre moral ? Perso, je trouve ce mois de l'année carrément déprimant lol. Mais, heureusement, j'ai Maïa et Elliot pour me booster !
D'ailleurs, on en apprend un peu plus sur Elliot dans ce chapitre. Ses sarcasmes vous plaisent ? Des remarques sur sa rencontre avec Mathias, puis avec les filles ?
Bref, je ne sais jamais quoi dire xD
On se dit à bientôt !
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