Chapitre 2

Maïa

Aujourd'hui,

Deux jours sont passés depuis que j'ai surpris Antoine. Deux jours que je me suis réfugiée chez mes parents. Deux jours entiers et il n'a pas encore essayé de me contacter. Je pensais qu'après avoir lu mon mot, il appellerait pour s'expliquer, s'excuser, me supplier de le reprendre. Je ne pense pas pouvoir lui pardonner, mais je suis sûre que le voir ramper me soulagerait un peu.

Assise sur la méridienne du canapé en cuir de mes parents, je détache mon regard de la télévision pour les observer. Il y a largement assez de place pour nous trois, pourtant ils sont collés l'un à l'autre comme deux adolescents. D'une tendresse affligeante, mon père caresse le bras pâle de ma mère. Même après trente ans de mariage, ils ont l'air toujours aussi amoureux. C'est écœurant.

Lorsque vous passez votre jeunesse avec des parents qui s'aiment autant, je suppose que c'est normal d'avoir des aspirations démesurées. L'amour inconditionnel, c'est ça que je voulais. Une relation épanouie, pleine de confiance. Un partenaire prêt à faire des compromis ou des sacrifices, tout comme j'étais prête à en faire.

Mon père a quitté son île lorsqu'il avait dix-sept ans et il était bien décidé à retourner chez lui après l'obtention de son diplôme de commerce. Sauf qu'il a rencontré ma mère au détour d'un couloir de leur école. Un véritable coup de foudre qui l'a amené à reconsidérer ses choix d'avenir. Très proche de sa famille, ma mère ne se voyait pas quitter la France métropolitaine, alors il est resté. Ni les regrets ni la rancœur ne sont jamais venus entacher leur relation. Et finalement, nos vacances sur l'île de la Réunion font partie de nos meilleurs souvenirs.

— Tu te sens bien, ma chérie ?

C'est la dixième fois que ma mère me pose cette question depuis que je me suis levée. Ça commence à devenir lassant. Et pour être tout à fait honnête, je me sens bien. Je ne suis pas heureuse, c'est évident, mais je me dis que ça devrait être plus difficile. Après trois années de relation, je devrais passer mes journées en boule au fond de mon lit à ruminer sur le sens de la vie. Je n'ai même pas envie de pleurer. Je suis juste en mode : on était ensemble et désormais on ne l'est plus. En vrai, tout ce que je voudrais, c'est une explication et des excuses.

— Encore une fois : tout va bien.

Elle pince ses lèvres fines et, derrière elle, mon père me lance le regard « sois gentille avec ta mère, veux-tu! ». Je le connais bien celui-ci, ça fait vingt-quatre ans qu'il le peaufine. Bizarrement, Célestin, le plus insolent de nous deux, n'y a jamais droit.

En parlant du loup, le voilà qui débarque. Mon frère, de deux ans mon aîné, se pointe dans le salon familial et s'affale à côté de moi sur le canapé. J'ai toujours été un peu jalouse de lui, mais encore plus depuis que la puberté nous a frappés. À mes yeux, Célestin est bien plus séduisant. Il a un style et un charisme que je n'ai pas. Et puis, lui a eu la chance d'hériter des yeux pers de ma mère qui contrastent à merveille avec sa peau légèrement plus foncée que la mienne.

— Je viens de croiser ton mec devant la maison, me dit-il avant de se tourner vers nos parents et de papoter avec eux, comme s'il ne venait pas juste de lâcher une bombe.

Je n'ai plus de mec, mais je suppose qu'il fait référence à Antoine. Les mains moites, je me redresse.

— Eh sis', si tu veux que je me débarrasse de lui, t'as qu'un mot à dire, hein !

Mon frère gonfle ses biceps en dévoilant sa parfaite dentition. Je ne réagis pas à cette vision grotesque et me traîne jusqu'à l'entrée. La main sur la poignée de la porte, je prends une grande inspiration, puis ouvre à mon ex petit ami. Penaud, mains dans les poches de son jean trop bien coupé, Antoine danse d'un pied sur l'autre.

— Salut.

La bouche trop sèche pour répondre, je me contente d'un hochement de tête.

— Je peux la voir ?

Bien sûr, il est là pour elle. Je m'écarte et le laisse entrer.

— Elle est dans ma chambre, marmonné-je avant de le précéder dans les escaliers.

Lorsqu'on arrive en haut, Clochette reconnaît immédiatement son maître et s'agite.

— Eh, ma belle.

Antoine l'attrape sans qu'elle n'émette le moindre grognement et elle se cale sur son avant-bras.

— J'ai apporté son parc et quelques jouets. Ils sont dans la voiture. Je suppose que c'est mieux si elle reste avec toi... Avec le travail, je ne suis pas assez présent.

J'acquiesce en silence. Même si elle le préfère, Clochette ne supporte pas bien la solitude. Elle est mieux avec moi et, surtout, je suis mieux avec elle. Antoine la pose sur mon lit, puis, sous nos regards attendris, elle s'étire avant de s'allonger.

Les mains de mon ex retrouvent ses poches. On est dimanche, pourtant il est aussi apprêté qu'en semaine avec sa chemise blanche et ses cheveux trop bien coiffés.

— Je suis désolé, Maïa.

J'étais persuadée que ses excuses me feraient du bien. Il n'en est rien. Je ne sais pas trop pourquoi, mais sa mine triste me donne envie de le frapper.

— Elle s'appelle Gaëlle. On travaille ensemble et ça dure depuis un mois. On n'avait rien prémédité et je comptais te le dire très bientôt.

Est-ce qu'il se fout de ma gueule ? Et c'est quoi ces explications de robot ? Il aurait dû s'en tenir à « je suis désolé ».

Les dents serrées, je vais ouvrir la fenêtre. Un mois. Les mains crispées sur le rebord, j'inspire profondément. Il me trompe depuis un mois et il comptait « me le dire bientôt ». Le temps que mon cerveau traite ces informations, Antoine se rapproche. Ses doigts aux ongles mieux entretenus que les miens se posent sur mon épaule.

— Regarde-moi, s'il te plaît.

Je m'exécute à contrecœur. Manon a raison, ses yeux sont trop bleus et ses cheveux trop blonds.

Avant, j'adorais qu'on soit de la même taille. En tant que femme, lorsque vous faites un bon mètre soixante-dix-huit, ce n'est pas toujours simple de trouver un copain qui n'est pas plus petit que vous. Avec Antoine, nous pouvons nous regarder dans le blanc des yeux sans avoir à bouger la tête. Aujourd'hui, j'aurais préféré être plus grande que lui pour pouvoir l'observer de haut, poings sur les hanches, rictus dégoûté aux lèvres. À la place, je lui offre mon plus bel air de chien battu.

— Je t'aime toujours, Maïa, mais tu sais que ce n'était plus comme avant depuis... enfin, tu sais.

Bouche bée, je laisse l'enclume me tomber sur la tronche, comme dans les dessins animés.

Même s'il le pense réellement, comment ose-t-il me le dire ? De toutes les excuses qu'il aurait pu trouver, celle-ci est certainement la pire et la plus douloureuse.

Une boule d'angoisse se forme dans ma gorge tandis qu'il reprend :

— Tu penses qu'on pourra s'organiser pour que Clochette vienne à l'appartement certains week-ends ? Et si tu veux, tu peux venir récupérer le reste de tes affaires cette semaine. Je vais mettre des post-it sur les quelques trucs que tu peux emporter, même si... enfin, tu vois.

À deux doigts d'évacuer de la fumée par les oreilles, je serre les poings le long de mon corps. Il me trompe, puis m'autorise à emporter des trucs qu'il a achetés. Quel gentleman !

— Je pense que tu devrais, enfin, tu vois... dégager de chez moi !

Les yeux d'Antoine s'écarquillent. Je ne suis pas du genre à m'énerver et c'est probablement la première fois que je lui parle sur ce ton. Mais, sérieusement, pour qui il se prend ?

— Je comprends.

Il s'approche et dépose un baiser sur ma joue. Abasourdie par son audace, j'oublie de lui mettre mon genou dans les couilles. Lui, qui désire tant avoir des enfants, aurait pleurniché comme un bébé.

— À bientôt, ma belle, dit-il à Clochette en la caressant entre les oreilles. Tu penses que Célestin pourrait m'aider à transporter ses affaires ?

— J'en sais rien, t'as qu'à aller lui demander.

Pourquoi est-ce que j'ai de plus en plus mal à la gorge ? En lui tournant le dos, je croise les bras sur ma poitrine.

— Bon, je vais y aller. Je suis vraiment désolé, ajoute-t-il une dernière fois avant d'enfin quitter ma chambre.

Le regard fixé sur le cerisier du jardin, je hoquette une première fois, puis une deuxième. « ...tu sais que ce n'était plus comme avant depuis... enfin, tu sais. ». Non, je ne sais pas ; je n'ai pas remarqué ; j'ai été stupide. Par contre, ce que je sais maintenant, c'est qu'Antoine est visiblement incapable de vivre dans le peut-être. Il n'était pas prêt à se battre à mes côtés si jamais mon corps décidait d'être contre nous.

Finalement, une larme s'échappe.

— Ma chérie ?

Je me tourne vers ma mère et secoue la tête.

— Ça va pas trop en fait, avoué-je, la voix haut perchée.

Elle se précipite et je fonds en larmes dans ses bras, m'imprégnant au passage de son parfum floral.

Eh bien, je suppose qu'il fallait que notre rupture soit définitive pour qu'elle devienne difficile.

Salutations !

Un deuxième chapitre assez court, mais que j'aime beaucoup. Je pose le décor et présente mes personnages tout doucement. Dans le chapitre 3, nous allons d'ailleurs faire la connaissance d'Elliot, et je croise déjà les doigts pour qu'il titille votre intérêt (lol). 

Je suppose qu'Antoine ne vous a pas fait une très bonne première impression... ? C'est le genre de gars qui est un peu trop... xD
D'ailleurs, qu'avez-vous pensé de leur échange, à lui et Maïa ? Vous arrivez un peu à imaginer la relation qu'ils ont pu entretenir pendant trois ans ?

Et sinon, vous aimez Clochette ? 🐰

À très vite !

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