Chapitre 54 - Enterrer la hache de guerre
Il y a des querelles qui ne tariront jamais.
Il y a des haches de guerre que jamais on n'enterra.
Et puis, il y a des familles que l'on ne conciliera pas.
"- Quelqu'un veut du pain ?"
Si grand-père n'avait pas prononcé cette simple phrase, le repas serait devenu tout à fait affreux. Long. Un réel supplice. Par égard pour papa et grand-père, maman et mamie ont décidé de faire une pause le temps du déjeuner, mais on sait tous pertinemment qu'elles reprendront avant le dessert. D'ailleurs, je ne comprends pas comment ni pourquoi elles en sont arrivées là. Papa m'a souvent dit que la tension existait bien avant ma naissance, mais je n'ai jamais eu d'explication claire à ce sujet.
Personne n'essaye d'arranger les choses ? Et Papa, il en pense quoi ? Pourquoi n'aide-t-il pas maman ? Il y a des choses que je ne comprends pas. Grand-père me dit que c'est une histoire d'adulte, que je comprendrais certainement quand je serais plus grande, mais du haut de mes 16 ans, même avec la maturité que j'ai, je ne comprends pas.
Je reste assise à table à regarder deux femmes se déchirer. J'aime ma mère, mais il y a des choses qui me dépassent. Des comportements qui resteront à jamais un mystère pour moi.
"- Philippine, tu..."
À peine mamie avait-elle amorcé cette phrase que tous les regards de la pièce se sont braqués sur elle.
"Marcher sur des œufs" n'est même plus appropriée comme expression au regard de la situation.
"- Tu peux me passer la carafe d'eau ?"
Papa regarde maman comme s'il la voyait déjà lancer la carafe sur mamie, mais ce ne fut pas le cas.
Il n'y eut aucun incident lors de ce déjeuner. Juste cette tension palpable.
"- Franchement, trop c'est trop !"
Je plaque ma fourchette à côté de mon assiette et me redresse subitement ayant ainsi toute l'attention désirée.
"- Vous vous voyez agir ? Vous vous entendez ? J'aime mes parents, mes grands-parents, ma famille, mais là ce n'est plus possible. Vous vous étonnez pourquoi je fais la gueule à chaque réunion, à chaque fête de fin d'année, à chaque anniversaire, c'est parce que je sais très bien que j'aurai à subir ce genre de spectacle inconvénient et dérangeant. Vous êtes censés être les "adultes", ceux qui règlent les conflits, ceux qui encadrent la famille, mais vous n'arrêtez pas de vous battre comme des enfants de bas âge se disputant dans le bac à sable. Parfois, je l'avoue, j'ai honte d'avoir vos gênes. Je sais que maman a grandi sans un cadre familial idéal. Je sais que papa est souvent partagé, disputé à l'intérieur de lui-même, par un dilemme cornélien sur qui aider. Je sais que papy ne dit rien, car il est lassé de cette situation et je sais que mamie n'a jamais eu maman dans son coeur, mais bon sang ! Regardez dans quel état vous mettez la famille ? Vous voulez que je grandisse sans tout ça ? J'ai vraiment tout pour être une jeune femme exemplaire. Je grandis dans l'amour, j'ai une grande famille, des parents géniaux, un tonton un peu bizarre, des grands-parents aimants, vous voulez vraiment m'arracher tout ça ? Franchement, vous devriez remettre en question votre attitude. Tous autant que vous êtes !"
Je me rassois tandis que papa fait tomber ses petits pois sur son pantalon, que mamie renverse toute l'eau de la carafe sur la table, que papy rigole haut et fort.
"- Ahaha ! Elle a décidément pris le courage de sa mère ! C'est admirable ma petite !
- Ce n'est pas "admirable" non. Que ce soit à l'enfant de régler ce genre de situation est déplorable. Je n'ai que 16 ans et regardez un peu ce que vous me faites faire du à votre incompétence certaine à régler vos problèmes. À votre place, j'aurais honte. Honte de me reposer sur une enfant. Honte d'attendre que cette dernière explose sous la pression. Honte de ne pas avoir su convenir d'un terrain d'entente avant sa venue au monde A votre place, j'aurai grandement honte.
- Acacia a raison..."
Papa se lève, pose sa fourchette et prend une grande inspiration.
"- J'ai quelque chose à vous dire. ON a quelque chose à vous dire."
Il attrape la main de maman et étale sa bague devant les yeux surpris voir horrifiés des grands-parents.
"- Philippine et moi allons nous marier.
- Oh mon dieu !"
Mamie en tombe à la renverse de sa chaise.
"- Maman !
- Ce n'est rien...Juste un petit malaise. Olivier, viens m'aider à coucher ta mère sur le canapé. Sacré petit veinard, va !"
Je regarde maman qui ne bouge pas d'un ciel et fronce les sourcils.
"- Tu n'aides pas ?
- Si j'avais su, j'aurais accepté plus tôt !
- Maman !
- Désolée, c'était de mauvais goût, je l'avoue.
- Tu sais, je t'aime et je t'adore, mais il faut que tu grandisses un peu. Ce n'est plus toi l'ado rebelle maintenant.
- Hmmm...Tu as raison. Les temps changent et il y a des choses que je ne peux plus me permettre de faire.
- Par exemple ?
- Me battre avec ta grand-mère.
- Et ?
- Acacia...non...Ne m'enlève pas ça...S'il te plaît.
- Et ????
- Traîner le cadavre putrilant de Judith dans la boue.
- Maman !
- Ok, ok...Me battre avec la mère de Gaston. Même si cette histoire de baiser est loin d'être réglée.
- Ça, j'en fais mon affaire. Tu sais, un jour ou l'autre, il va falloir que tu me laisses quitter le nid. Comment je saurais si je sais voler, si je n'essaye même pas par moi-même ? Je m'écraserais sans doute au début, mais c'est en tombant que l'on apprend à se relever non ?
- Tu es certainement plus sage que je ne l'étais à ton âge. Tu me surprendras toujours."
Les temps changent. Les gens avec.
Les histoires aussi. Toutes les bonnes histoires ont une fin qu'on le veuille ou non. On ne peut pas faire traîner encore et toujours les mêmes choses, au bout d'un moment, il faut savoir avancer.
Aller de l'avant et laisser la place à ceux qui arrivent. Les laisser, à leur tour, vivre ce qu'ils ont à vivre, à expérimenter, à éprouver.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top