Chapitre 63 - Bain moussant

Bernard a l'amabilité de nous ramener, Olivier et moi, directement à la maison suite à l'accident. Même si le trajet est court, je lui demande au moins cinq fois s'il ne veut pas au moins aller à la clinique du coin pour se faire examiner. Cependant, Olivier refuse catégoriquement, disant préférer se reposer plutôt que d'attendre dans un long couloir que quelqu'un veuille bien le prendre en charge.

Je comprends. Je n'aime pas les hôpitaux non plus. Je ne les ai jamais aimés.

Alors, une fois rentré, il se pose dans le canapé du salon pendant que je m'affaire à nous préparer quelques petites choses dans la cuisine. Mais quand je reviens avec le plateau, je trouve Olivier écroulé de tout son long.

Finalement, nous ne jouerons pas au docteur ce soir.

Je pense que le choc de l'accident est retombé et qu'il n'attendait que ça. Pouvoir se poser dans un coin. Néanmoins, par précaution ou parce que j'en ressens le besoin, je reste à côté de lui. À l'installer. À le regarder dormir.

C'est là que je prends conscience de l'importance qu'Olivier a pour moi, dans ma vie. Nos petites disputes et nos grandes chamailleries. Nos échanges de regards interminables qui en disent long. Nos mots doux et nos soirées fortes de passion.

— Je ne sais même pas pourquoi je t'aime, tu n'es même pas beau.

C'est vrai. Olivier n'est pas comme l'un de ces hommes « clichés » aux yeux clairs et au corps d'Apollon que l'on retrouverait en couverture d'un roman d'amour. Il a un petit ventre, des cheveux plus frisés qu'un mouton lors de temps humide, des yeux noisette. Mais pourtant, quelque chose chez lui n'a jamais cessé de m'attirer et je ne saurais dire quoi.

Son sourire.

Ses yeux.

Sans doute un juste mélange de ces deux choses-là.

Je me relève, faisant sauter mon chemisier trempé et mon soutif dans le couloir, à deux pas de la salle de bain.

Alors que je me glisse dans la baignoire presque remplie, j'entends la porte s'ouvrir derrière moi.

— Et dire que l'on ne m'appelle jamais pour les bons plans.

— Je pensais que tu dormais. Comment tu vas ?

— Vachement mieux, soudainement !

Je le vois enlever son polo pour s'asseoir sur le rebord de la baignoire en me passant le gant de toilette.

— Et toi ? Comment tu vas ? J'ai vu que tu avais pas mal avancé toute seule.

— Je me suis occupée... Il me reste tout l'étage à faire, encore.

— Ce n'était pas ma question, Philippine.

— Je vais bien. Je vais mieux.

Soudain son petit sourire lubrique s'allume sur son visage. Je ne connais que trop bien cette expression.

— C'est une baignoire une place. Je t'arrête tout de suite.

— T'es pas grosse, fais-moi de la place.

Ni une, ni deux, il se déshabille complètement et me rejoint en faisant exprès de se mettre derrière moi.

— C'est étroit, dit-il alors que nos corps sont collés l'un à l'autre.

— La faute à qui ?

— Tu ne fais aucun effort, avance un peu.

— Je fais au mieux ! C'était censé être un bain relaxant, pas un parcours aquatique !

C'est alors qu'une bulle m'échappe, chose qu'Olivier remarque parfaitement avant de rire à gorge déployée.

— Je te savais crade, mais de là à péter dans l'eau...

— Oh ça va, hein... Si t'es pas content, tu sors.

Tentant de me trouver une position plus ou moins confortable, j'appuie involontairement sur une des plaies de sa jambe ce qui lui arrache un léger cri de douleur qu'il camoufle aussi sec avec sa main.

— Oups.

— Pas... pas de soucis.

— On ne devrait pas être à deux, aussi !

— Depuis le temps que je rêve de ce bain, Philippine Tagliani, crois-moi, tu ne vas pas bouger ton cul de là.

— Bien.

Du coup, je n'ose même plus bouger maintenant que je suis contre lui.

— Tu vois que l'on est bien.

— En même temps, tu as la position la plus confortable.

— Ou pas, je ne peux pas étendre mes jambes, je suis plus grand que la baignoire.

Ses petits orteils qui ressemblent plus à des saucisses cocktail qu'à des membres s'agitent à la surface tandis que je pouffe dans mon coin.

— J'ai donné à manger à ton chat avant de partir. Et j'ai même nettoyé ses cacas. Quelle horreur !

— Et ? Tu veux une médaille ? Je m'occupe bien de ton frère moi.

— Ouais, enfin, Timéo n'est pas un animal de compagnie faisant des cacas qui puent la mort.

— Ça, c'est parce que tu n'es jamais allé aux toilettes après lui. Tu verras.

— Non... non. Je ne veux pas. Tu sais... cet accident.

— Ah non ! On n'en parle pas.

— Pourquoi ?

— Parce que.

— Je t'ai déjà dit que « parce que » n'était pas un argument valable.

— Je n'ai pas envie de repenser à ça. On passe un bon moment, là, je n'ai pas envie de gâcher ça.

— Hé... je suis entier, ou presque, et en pleine forme. Ça aurait pu être pire !

— Oui, justement ! Ça aurait pu. Tu sais, Olivier, le pire ce n'est pas la mort. C'est ce qu'elle laisse derrière elle. Les morts n'ont jamais à se plaindre. Ils s'en vont, sans prévenir, sans rien dire, et nous... on se retrouve comme des cons. Seuls. J'ai eu énormément de mal à digérer la chose pour mon grand-père donc je ne sais pas si j'aurais été capable pour toi. J'ai eu ma dose de malheurs.

— C'est bien pour ça que je ne peux pas mourir. On ne peut pas te laisser toute seule et, honnêtement ? Je ne me suis pas tartiné tout ce que je me suis tartiné pour rien !

— Comment ça ?

— Le déménagement, l'investissement dans l'immeuble, la course en vélo ?

— Ouais enfin, tu m'as un peu expulsée de chez moi, quand même.

— De chez « nous », j'ai envie de te dire. Depuis combien de temps maintenant nous avons abattu la cloison ? C'est un appartement gigantesque que nous avons. D'ailleurs... on pourrait rendre ça de façon permanente, tu ne crois pas ?

— C'est-à-dire ?

— Vivons ensemble !

— C'est que nous faisons déjà depuis le premier jour, non ?

— Pas de cette façon-là. Je veux dire... Philippine, toi et moi, on sait que ce qu'il y a entre nous, c'est fort. J'en ai marre de faire chambre séparée, moi. Je veux que l'on vive ensemble. On pourrait même vivre ici, si ça te chante. Tu disais vouloir emménager.

— À ce propos... je vais sûrement garder la maison sous le coude, mais ne pas y vivre. Je m'ennuie à la campagne.

— Ça, c'est parce que je ne suis pas là !

Pas faux.

Tout est relativement trop calme et ça me perturbe. Je suis habituée à sa présence.

Non.

Je suis une droguée à sa présence. J'ai comme un besoin de ma dose quotidienne d'Olivier. Même si ce n'est que pour le voir se balader en caleçon le matin alors que son petit engin est au garde-à-vous, ou pour se chamailler. Je m'en fiche.

— Passons un marché, Olivier.

— Quel genre ?

— Je rentre à l'appartement et en échange, tu cours chez le médecin.

— Si ça peut te faire plaisir.

Et c'est ce qu'il fait dès que l'on rentre tous les deux grâce à notre super mini voiture louée pour l'occasion.

À peine arrivés, d'ailleurs, que l'on croise Madame Roland, sac poubelle en main, nous dévisageant de son regard inquisiteur.

— Et moi qui pensais que le propriétaire de cet immeuble avait eu un peu de discernement en vous mettant à la porte, Philippine.

— Ma pauvre Madame Roland, comme d'habitude, vous avez un train de retard. Je ne quitterai pas cet immeuble.

— C'est ce que vous dites !

— Vous voyez ce brave homme à mes côtés ? C'est le propriétaire et vous savez ce qui est formidable ? Je m'envoie en l'air avec. D'ailleurs, peut-être aurai-je le droit à une baisse de mon loyer ? Allez savoir !

— Enchanté. On s'est vu la première fois que j'ai emménagé ici, non ?

Ils se serrent la main sans pour autant que cette vieille bique ne me lâche du regard.

— C'est donc vous.

— Oui. Pourquoi ? Imaginiez-vous quelqu'un d'autre ?

Alors qu'on s'apprête à continuer notre chemin, Olivier s'arrête et se retourne une nouvelle fois vers Madame Roland.

— Inutile de descendre à cette heure-ci, Madame, le facteur ne viendra pas. Je sais que vous avez la sale manie de regarder le courrier des locataires.

— Quoi ? Mais non ! Je...

— Je manque peut-être de sérieux, mais je suis des plus attentionné quand il est question de la sécurité et du respect de la vie privée de mes locataires. Il serait dommage que vous ayez à quitter notre petit club, vous ne trouvez pas ? Ah oui, et les poubelles ? Il y a des caissons faits pour. Arrêtez aussi de les jeter à côté sous prétexte que quelqu'un va ramasser votre sac pour vous. Respectez au moins le système de tri ! Ça ne prend que deux minutes. Sur ce, je vous souhaite une agréable journée, Madame.

On s'engouffre dans l'ascenseur sans que je ne le quitte du regard, curieuse.

— Quoi ?

— Tu espionnes Madame Roland ?

— Non. Pas spécialement. Je veille au grain, c'est tout.

— Tu veilles au grain ?

— Bon, ok. Je veille sur toi. Le concierge est un bon ami de ma grand-mère, c'est comme ça que j'ai pu racheter quelques appartements pour un prix raisonnable. Il m'a dit que cette vieille peau a fait de toi sa cible depuis longtemps.

— Depuis la mort de son hamster, en fait.

— Tout à fait, entre nous, Philippine...

— Quoi ?

— Le hamster... tu l'as écrasé volontairement ou pas ?

Un large sourire se dresse sur mon visage, me trahissant tandis que je hausse des épaules faisant mine de rien.

— Monstre.

— Je n'ai jamais dit que j'étais gentille. 

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