Chapitre 57 - Ficello
À partir du moment où le moteur se met en route, Timéo, vexé de ne pas avoir pu monter devant, s'est enfermé dans sa bulle, écouteurs dans les oreilles, le regard fixant le paysage qui défile.
Quelque part, je dirais que ça chagrine Olivier. Il lui jette de temps en temps un coup d'œil à travers le rétroviseur, mais ne trouve pas écho dans les yeux de son cadet qui semble perdu dans ses pensées.
— Qu'est-ce que tu ne me dis pas, Olivier Joyeau ?
Il soupire, comme si je venais de le surprendre dans ses pensées. Qu'est-ce que tu crois ? Que je ne te connais pas depuis ces quelques semaines passées ensemble ? Tu es si facile à cerner que c'en est décevant.
— Je m'inquiète pour lui.
— Pourquoi ? Il me semble être un jeune homme en pleine forme !
— Ça ne lui ressemble pas d'être aussi... aigri, amer.
— Tu m'as dit qu'il venait de revenir d'un voyage d'études, ça ne s'est pas bien passé ?
— Hm. Il n'a pas dit un mot sur ça depuis son retour. Ma mère m'a demandé si je pouvais en découvrir un peu plus sur ça et c'est pour cette raison que Timéo reste avec moi quelques jours, mais je ne sais pas. Je n'arrive pas à le cerner, à savoir ce qui cloche.
— Tu as essayé de t'asseoir et de discuter, déjà ?
— Crois-moi, avec lui, « discuter » ce n'est pas chose facile. C'est pire qu'une huître !
— Dis-le.
— Dire quoi Philippine ?
— Tu veux que j'y mette mon grain de sel, n'est-ce pas ?
S, jusqu'à présent il gardait cet air sombre, limite triste, un rayon de soleil apparaît au bout de ses lèvres : un sourire.
— Ça te gênerait ? T'es douée pour ça.
— Non, non, mais tu sais que c'est à tes risques et périls, je veux dire... ton frère et moi, clairement... on est comme chien et chat. On ne s'entend pas.
— Je t'assure que tu te trompes. Tu connais l'adage, non ? Qui aime bien châtie bien.
— Ah ça, pour être châtiée, je le suis. Il ne me loupe pas.
— Je me demande de qui il tient...
Je le vois se frotter son petit bouc de trois jours qu'il n'a pas rasé avec fierté.
— En tout cas, certainement pas de toi.
Et hop ! Prends ça dans les dents.
— C'est méchant.
— Il me tient tête plus que tu ne m'as tenu tête...
— J'ai d'autres moyens de te tenir tête, si tu vois ce que je veux dire.
— Les grèves de sexe ne prennent pas sur moi. Tu es le premier à y perdre, dans cette affaire.
— Que tu crois, très chère !
— Ah ouais ? Tu serais capable de me bouder combien de temps ?
— Tu serais étonnée, tiens.
— C'est ça, ouais. Mon œil !
Finalement, après quelques heures de trajet, nous voilà arrivés au village.
Timéo bondit hors de la voiture en s'étirant tandis que j'attends un moment à l'intérieur de la voiture.
— Ça ne va pas ?
— Si, si. C'est juste que...
— Si c'est trop tôt pour toi, on peut...
— Non ! Je veux dire...
— Je comprends.
Quand on entre dans la maison, le cadet des frères Joyeau s'aventure à visiter la demeure pendant qu'Olivier me suit à la trace.
— Timéo, surtout, tu fais attention en montant les escaliers !
— Oui, oui, t'inquiètes !
Il y a tellement de choses. Tellement d'affaires. À croire que grand-père avait l'option « collectionneur » inscrite dans les gènes.
— Je ne sais même pas par où commencer. C'est fou ! Regarde-moi tout ça.
— Il y a des choses que tu veux garder ?
— Si ça ne tenait qu'à moi, cette maison deviendrait un musée en hommage à l'homme qui a fait de moi ce que je suis.
— Qui t'en empêche ? Cette maison est à toi, à présent. Tu peux en faire ce que tu en veux.
— Je sais, je pense la récupérer et m'y installer.
Olivier m'attrape et me retourne pour m'obliger à lui faire face.
— T'y installer ? Philippine, tu m'expliques ?
J'ai longuement réfléchi à tout ça. Récupérer la maison de mon grand-père, m'y installer et tout recommencer à zéro.
Il y a des moments comme ça dans la vie, où il faut revenir aux bases. Revenir à soi. Après tout ce qu'il s'est passé, j'ai besoin de ça. Besoin de prendre du temps pour moi et de faire le point. Je suis peut-être Philippine, mais je suis aussi un être humain.
— Je ne démissionne pas du travail, ça me fera partir plus tôt, c'est tout.
— Mais tu as pratiquement deux heures de route ! L'appartement est pratiquement à côté. Tu n'as qu'à... venir ici le week-end. Maison de vacances ? Je viendrai dès le vendredi soir, si tu veux.
— Dans ce cas, je veux une semaine de congé la semaine prochaine. Je veux prendre le temps pour... gérer tout ça.
— Parce qu'en plus Mademoiselle fait des demandes ! Tu crois que t'es en position de négocier ?
Il se colle volontairement à moi, réduisant à néant l'espace minuscule qu'il y avait alors entre nous.
— Tu fais moins ta maline là, hein ?
— Et toi ? Penses-tu une seule seconde être en position de force ? le regardé-je avec un sourire en coin.
— Totalement. Je pourrais faire ce que je veux de toi, là.
— Ah ouais ?
— Ouais.
— Oh, Timéo ! m'exclamé-je tout haut pour lui faire peur.
Olivier se retourne brusquement tandis que je m'écarte de lui, hilare.
— Tu es né cent ans trop tard pour être un adversaire à ma taille, Olivier Joyeau !
Partant perdant, Olivier se met alors à la recherche de son frère traînant ici et là dans les différentes pièces.
— Timéo !
— Ouais, j'arrive !
La chevelure châtain fait son apparition depuis l'étage, les mains toujours dans les poches de son pull, un écouteur dans l'oreille gauche.
— On t'a dit de ne pas monter ! Et si tu te blessais ?
— J'ai fait gaffe au trou dans la marche et vous ne m'avez pas « interdit » de monter, vous m'avez dit de faire attention.
Doué sur les mots, le petit, il faut le reconnaître.
— Bon, je vais à l'épicerie en bas de la rue chercher de quoi faire des sandwichs pour ce midi, tu peux aider Philippine ?
— L'aider ou la baby-sitter ?
— C'est plutôt moi qui vais baby-sitter. Allez, viens là, on va voir ce que t'as dans les bras. T'es plus maigre qu'un ficello.
— Je ne ressemble en rien à un truc au fromage !
Je l'attrape par la capuche tandis qu'Oliver me regarde, plein d'espoir. Je sais ce que tu attends de moi, je ne l'ai pas oublié. Je te rassure.
Je ne promets rien, mais je vais voir ce que je peux faire pour toi.
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