Chapitre 42 - A la pêche aux moules, moules, moules

Sur une proposition d'Olivier et parce qu'après ce qui vient de passer on a tous les deux besoin d'un bol d'air frais, nous décidons d'emmener Alice au parc le plus proche de notre immeuble. Bien sûr, le trajet nécessite quelques minutes en voiture et je crois qu'il s'agut le quart d'heure le plus grandiose que je n'aie jamais eu.

— Mais put...

— Ah ! Langage, Olivier, attention !

— Lutinnnn !

— C'est mieux.

Je vois ses petites fesses se trémousser furieusement tandis qu'il tente tant bien que mal d'installer le rehausseur d'Alice dans sa voiture, à l'arrière.

— Faut avoir fait des études d'ingénieur, ce n'est pas possible. Ça m'énerve.

— Bon, laisse-moi faire, tu me stresses à t'énerver comme un gorille, là. Garde un œil sur le monstre.

J'installe le rehausseur, attrape le minimoys traînant à mes pieds et l'installe en deux temps trois mouvements sous le regard ébahi de mon voisin.

— Quoi ? Une femme sait naturellement installer un rehausseur, monter une poussette et toutes ces choses-là. Vous pensez nous piéger, vous les hommes, en nous inventant des choses de plus en plus complexes avec pour prétexte que ça « »facilite" la vie, mais ça ne prend pas ! On sera toujours plus douées que vous.

— Je vois ça... Mais tu sais, venant de la part de la femme qui a démoli un pan de mur à coup de masse entre nos deux appartements, ça ne m'étonne même pas.

— Faut-il aussi que je conduise ou Monsieur s'en sortira-t-il ?

—Ah ! Ah ! Très drôle. Monte donc

À peine le moteur est-il en route qu'Alice se met à hurler dans la voiture en agitant ses petits bras.

— Muzique ! Muzique !

— Attends, ma puce, tonton Oliver a tout ce qu'il faut !

Ah oui ?

— Playlist spécial enfant ! C'est parti !

Et voilà que j'entends alors les premières notes se répandre à travers le véhicule : « Il était un petit navire

Il était un petit navire

Qui n'avait ja-ja-jamais navigué

Qui n'avait ja-ja-jamais navigué

Ohé, ohé...

Il partit pour un long voyage

Il partit pour un long voyage

Sur la mer Mé-Mé-Méditerranée

Sur la mer Mé-Mé-Méditerranée

Ohé, ohé... »

Je m'empresse d'éteindre l'autoradio sous le regard plein d'incompréhension de notre chauffeur.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? me gronde-t-il.

— Mais toi, qu'est-ce que tu fais ? Ça ne va pas bien la tête de faire écouter ce genre de musique à une gamine ?

— Quoi ? Elle est très bien, cette chanson.

— Ça parle de cannibalisme !

— Pff ! Mais n'importe quoi.

— Ah ouais ? Tu veux parier ? Viens, on l'écoute jusqu'au bout.

Volontairement, je réappuie sur le bouton tandis qu'Alice continue à chantonner sans se soucier de rien : « Ohé, ohé Matelot

Matelot navigue sur les flots

Ohé, ohé Matelot

Matelot navigue sur les flots

Au bout de cinq à six semaines

Au bout de cinq à six semaines

Les vivres vin-vin-vinrent à manquer

Les vivres vin-vin-vinrent à manquer

Ohé, ohé...

On tira à la courte paille

On tira à la courte paille

Pour savoir qui-qui-qui serait mangé

Pour savoir qui-qui-qui serait mangé

Ohé, ohé...

Le sort tomba sur le plus jeune

Le sort tomba sur le plus jeune

C'est donc lui qui-qui-qui sera mangé

C'est donc lui qui-qui-qui sera mangé

Ohé, ohé... »

Olivier se précipite à son tour sur le bouton, complètement choqué. Apparemment, il n'a jamais appris la comptine en entier, lui.

— C'est quoi ce délire ? s'étonne-t-il comme si c'était la première fois qu'il découvrait le véritable sens des paroles de cette comptine.

— Tu vois, je te l'avais dit...

— Je change, si tu permets, avant que l'on ne crée un monstre. Je ne pense pas que mon cousin aimerait que je lui rende sa fille en lui ayant appris des cochonneries.

Et à peine a-t-il de nouveau appuyé sur le bouton qu'on entend : « À la pêche aux moules, moules, moules

Je n'veux plus y aller maman

Les gens de la ville, ville, ville

M'ont pris mon panier maman

Les gens de la ville, ville, ville

M'ont pris mon panier maman

Quand une fois ils vous tiennent, tiennent, tiennent

Sont-ils de bons enfants

Quand une fois ils vous tiennent, tiennent, tiennent

Sont-ils de bons enfants

Ils vous font des petites caresses »

Mais il le fait exprès ou quoi ?

— Mais ,Olivier !

— Je te jure, ce n'est pas de ma faute !

— Bon, donne-moi ton téléphone, je vais choisir les musiques parce que là... Après le cannibalisme, ça va trop loin... À la pêche aux moules, mes fesses ! En plus, ça parle de caresse, on sait très bien que ce n'est pas une comptine pour enfant, ça.

— Mon enfance vient d'être changée à jamais.

Toute une éducation à refaire, je vous jure.

— Ah ! J'ai un truc très bien, fais-je à la rescousse de l'habitacle.

— Vas-y.

— Muzike ! Pourquoi y a plus ?

—Attends, ma chérie, ça arrive.

Sous le regard approbateur d'Olivier, je lance la musique avec un air tout à fait satisfait sur mon choix.

« C'est la sorcière de minuit

Qu'a cassé ma pendule

J'ai pas rêvé y a un bruit

Au fond du vestibule

Et me voilà réveillé yéyé

Dans mon petit oreiller yéyé

Ah si j'étais Superman

Superman

Je lui balancerais mon nounours

Dans les jambes et mon oreiller sur la tête

Je la pousserais dans l'escalier ça sera sa fête »

Et cette fois, c'est lui qui appuie sur le bouton stop.

— Philippine !

— Quoi ? Moi j'ai grandi avec Henri Dès et je n'en suis pas sortie traumatisée. Puis au moins, si ta petite cousine voit une sorcière un de ces quatre, elle lui fera sa fête !

Je ris toute seule tandis qu'Olivier débranche son téléphone pour le plus grand malheur de la petite à l'arrière.

— On est presque arrivé au parc !

Effectivement, on a mis tellement de temps à se décider pour une chanson correcte qu'on n'a même pas fait attention au parc qui se trouve devant nous. On se gare, on récupère Alice et une fois dans le parc, cette dernière se précipite sur le premier jeu qu'elle rencontre sur son passage.

Une tornade.

— Tu gardes un œil sur elle, je vais nous chercher à boire ?

— Pas de problème, fais-je en mimant la position d'un soldat venant de recevoir son ordre de mission.

Je m'installe sur un banc à l'ombre d'un arbre et observe Alice de loin, jouant. À son âge, mon passe-temps, c'était remonter le toboggan à l'envers pour embêter tous ceux qui le descendaient. J'avais déjà un sale caractère à ce moment-là de ma vie, comme si j'avais été prédestinée à ne pas changer.

Puis j'ai rencontré ce garçon, près de la maison de mes grands-parents.

Très vite, il est devenu le chevalier et moi la princesse attendant qu'il vienne me chercher. On jouait ensemble. On se faisait disputer ensemble et l'on a grandi ensemble, une bonne partie.

Puis il a disparu. Sans prévenir. Sans un mot ou un au revoir. Je l'ai détesté pour ça, tellement que je l'ai oublié. Je ne me rappelle pas de son nom.

— Mais ne serait-ce pas Philippine ?

En baissant légèrement mes lunettes de soleil, j'aperçois l'une des secrétaires du bureau arrivant droit dans ma direction. Merde, merde, merde. Qu'est-ce que je fais ? Je cours. Je me cache derrière l'arbre ? Sous le banc ?

Qu'est-ce qu'elle fait là ? Et « Philippine ? » ? Depuis quand est-ce qu'elle emploie un ton pareil avec moi ?

— Je ne savais pas que tu étais rentrée de ton île.

Et elle se croit drôle ?

— Et je ne savais pas que nous avions élevé les cochons ensemble pour que vous vous permettiez une telle familiarité avec moi.

— Philippine ! Philippine !

Au même moment Alice m'arrive dans les bras comme un boulet de canon, les mains pleines de sables et de cochonneries.

— Alice ! Mais regarde-toi !

— Oh ? C'est ta fille ?

— C'est la fille d'une connaissance.

— Ton salaire est-il si bas que tu te permets des heures de baby-sitting ? C'est mignon.

— Ce qui est moins mignon...

Par réflexe, je mets les mains sur les oreilles de la petite tête brune traînant à mes pieds.

— C'est ta présence qui me gâche la journée à l'exemple de ta silhouette de grande perche qui me gâche les quelques rayons du soleil qu'il reste. Dégage maintenant.

— Je suis décidément bien heureuse d'aller travailler pour Mademoiselle March.

Ah parce que cette rouquine diabolique a le droit au « mademoiselle », mais pas moi ?

— Elle est si gentille ! Prêter ses vieux jouets cassés aux plus pauvres.

— Fais-tu allusion à Olivier ? Ne t'en fais pas, je m'occupe de lui bien mieux qu'elle ne l'a fait.

— Encore faudrait-il que tu saches ce qu'elle a fait, elle.

Ne l'insulte pas. Ne l'insulte pas, tu as la petite avec toi. Théoriquement, elle n'entend rien, hein ?

— Du vent, mégère !

Voyant Olivier revenir, elle déguerpit en se cachant derrière ses lunettes de mouche.

— Tu discutais avec quelqu'un ?

— Rien d'important. Une de ces folles qui pense que les places sur le blanc sont attribuées parce que ça fait X mois qu'elle pose ses fesses dessus.

Je n'ai pas envie de lui demander. Non. Judith March ne rentrera pas dans la conversation. Je l'ai battue à deux reprises, en parler serait lui donner l'importance qu'elle n'a pas.

— Je te laisse Alice dix minutes, je reviens, fais-je à mon tour en sentant l'urgent besoin d'aller m'aérer l'esprit. Paradoxale quand on sait qu'on est en plein extérieur.

— Tu vas où ?

— Aux toilettes.

— Hm, sexy !

— Ah bah tu as posé la question, je t'ai répondu.

Et là, c'est le drame.

— Olivier... Ze peux te pozer une queztion ?

— Oui, ma chérie, qu'est-ce qu'il y a ?

— Z'est quoi une mégère ?

Son regard se lève vers moi et je me précipite en courant.

— Philippine !

Oups ! 

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