Chapitre 40 - Il court, il court le Olivier

Je suis restée allongée de tout mon long, tournant et me retournant dans le lit tandis qu'Olivier est juste là, en léger contrebas, sur le matelas gonflable. Je ne vois pas ce qu'il fait et je ne sais pas même s'il dort.

Je sais seulement qu'il est là.

— Psstt ! Tu dors ? murmure une voix dans le noir.

Non, je cherche une position confortable parce que te savoir dans ma chambre me perturbe plus que je ne l'aurais imaginé.

— Qu'est-ce que tu veux ? lui réponds-je alors en essayant de trouver ma position.

— Tu ne dors pas ?

— Tu crois vraiment que je te parlerais dans mon sommeil ?

— Il y a bien des gens qui dorment les yeux ouverts.

Ouais et c'est totalement flippant.

— Je n'arrive pas à dormir, continue-t-il.

Ah non ! Tu ne me la feras pas, celle-là.

— Et alors ? Pas mon problème. Ferme les yeux et compte les moutons.

— C'est de la merde, cette technique.

Je sais, j'ai déjà essayé et j'essaye encore régulièrement.

— Je peux...

— Non, coupé-je court à son idée.

— Mais tu ne sais même pas ce que j'allais dire.

— Si et c'est non.

— Ah ouais ? Qu'est-ce que j'allais dire alors ?

— Tu veux monter dans mon lit. C'est hors de question, tu dors par terre.

Enfin, sur un matelas gonflable mais quand même. D'ailleurs, ça me fait penser, étant donné qu'Olivier est actuellement chez moi, dans ma chambre, là où Bora est censée avoir passé le plus clair de ses journées...

— T'es pas allergique aux chats, toi ? soulevé-je subitement en pensant alors à ce point de détail.

— Merde.

Je le savais !

— Espèce de menteur !

Je lui balance un de mes coussins à la figure en l'entendant pouffer de rire.

— Désolé, mais j'ai réellement horreur des chats.

— Laisse-moi deviner... Petit tu t'es fait attaquer par un vilain matou et tu as gardé un traumatisme ?

— C'est plus ou moins ça, ouais.

— Oh ! Le grand et viril Olivier a donc peur des chats en réalité. Adieu l'image et le mythe que j'avais construit autour de toi.

— Parce que t'avais construit un truc ?

— Ouais, mais maintenant, je ne te le dirai pas, c'est trop tard. Tout s'est effondré.

Ça t'apprendra à mentir, ce n'est pas bien.

— Dis-moi, Philippine ?

— Quoi encore ?

— Demain, j'irai voir ma grand-mère à l'hôpital et...

— Oui, d'accord.

— Arrête ! Tu ne sais toujours pas ce que j'allais dire.

— Si, tu allais me demander si je voulais venir. Ça tombe bien, je dois voir mon grand-père pour lui dire que je suis rentrée aussi.

— Oh... c'est vrai... j'avais oublié.

— Eh oui.

Moi, je ne peux pas oublier. Je ne peux pas oublier qu'il est tout ce qu'il me reste dans mon semblant de « famille ».

Mine de rien, je réussis à trouver le sommeil entre deux ronflements d'Olivier. C'est étonnant, je ne suis pourtant pas du genre à tolérer ce genre de nuisance.

On a donc pris le petit-déjeuner ensemble avant de se préparer et de prendre la route direction l'hôpital. C'est la première fois que nous y allons ensemble alors qu'on a toujours eu tendance, jusqu'à présent, à s'y retrouver comme par hasard. Le trajet se fait tout en silence. Peut-être parce que nous sommes tous les deux bien trop occupés dans nos petits mondes respectifs pour se soucier de l'autre.

Je me demande comment va Adélaïde, mais je m'inquiète aussi pour mon propre grand-père.

— Je te laisse, je vais par là.

Olivier tourne dans un couloir différent et moi, je m'en vais de mon côté.

— Ah, bah tiens ! Quand on parle du loup ! Elle daigne enfin se montrer, siffle ma cousine en me voyant passer la porte.

Capucine est là. Au chevet, près du lit.

Ça m'étonne. Capucine ne vient jamais à l'hôpital et je suis normalement celle qui s'occupe de tout ça. De lui.

— Viens dehors cinq minutes, Philippine. On va causer, toi et moi.

Je n'aime pas son ton. Elle referme alors la porte de la chambre derrière moi sans que je n'aie le temps d'apercevoir mon papy et me regarde avec son air des plus hautain.

— T'étais où, putain de merde ? m'interroge-t-elle avec son ton le plus désagréable possible.

— En voyage d'affaires. J'ai prévenu. Désolé que tu n'aies pas eu le « mémo ».

— Tu te fous de moi ? Tu ne peux pas partir quand ça te chante. Qui s'occupe de lui quand t'es pas là ? Hein ? Les médecins ont essayé de te joindre plusieurs fois, mais comme j'ai mon numéro en plus sur le dossier, c'est tombé sur ma pomme. Tu fais vraiment chier. C'est trop te demander un petit effort ?

Pardon ? Attends, attends. Je crois rêver là.

— J'ai ouï dire que t'avais un nouveau boulot.

— Ouais et qui paye bien mieux que l'ancien parce que qui se tarte les factures de l'hôpital ? Ce n'est pas ta royale personne, je crois.

— Dis-le, m'ordonne-t-elle sèchement.

— Dire quoi ?

— Tu préférerais qu'il meure pour que tu sois allégée de tout ça.

— T'es vraiment qu'une connasse, Capucine.

Et moi aussi, car plusieurs fois je l'ai secrètement pensé. Oui, je me suis imaginé comment serait ma vie avec tout cet argent en plus. Oui, je me suis imaginé ce que ça serait de ne plus venir aussi régulièrement à l'hôpital et de ne plus avoir à m'occuper de tout ça. Ça dure depuis des années, c'est devenu un poids.

Mais rien que pour avoir eu ce genre de pensées abjectes et immondes, je me déteste. J'ai envie de me mettre des baffes. Comment peut-on souhaiter ce genre de chose ? Grand-père a toujours pris soin de moi. À la mort de mes parents, il m'a éduquée, il a été le « papa » que je n'ai pratiquement jamais eu. Il s'est donné à fond pour moi et même quand la maladie le ronge, je sais qu'il la combat de son mieux pour paraître au mieux de sa forme devant moi.

— Tu sais quoi ? Si t'étais pas ma cousine, je crois que j'aurais pris l'un de ces instruments médicaux et je te l'aurais planté quelque part.

— Oh, ne fais pas ta Sainte-Philippine ! On sait tous que t'es comme nous.

— Comme vous ? Être une immonde personne ? Non merci.

— D'ailleurs, t'as été chez le notaire ? Le testament, tu l'as vu ?

— Mais Capucine !

— Quoi ?

— Rien... Tu me fatigues. Je n'ai pas le cœur à me battre avec toi et d'ailleurs, tu devrais rentrer dans ton palace cinq étoiles avant que l'envie ne me prenne de finir en taule pour ton meurtre.

— C'est ça... La prochaine fois que tu partiras, pense aux autres, un peu.

Sale pouffiasse. Je t'aurais démolie si tu n'étais pas ma cousine et si les regards des passants ainsi que des médecins n'étaient pas braqués sur nous, actuellement.

Toute cette histoire m'épuise grandement. J'en ai marre. Marre de devoir porter ce bouclier constamment. Marre de devoir faire la méchante pour ne pas avoir à faire la gentille.

J'en ai marre.

Alors, me laissant tomber contre le mur de la chambre, là, au milieu du couloir, je sens les larmes me monter aux yeux tandis que j'essaye de les réprimer.

— Ah non, Philippine ! Tu vaux mieux que ça et tu le sais.

Soudain, j'aperçois un mouchoir en tissu bleu clair s'agiter sous mon nez.

— Vous allez en avoir besoin, je pense, me propose une voix pleine de tendresse.

Je relève les yeux et vois, planté là, un bel inconnu brun au sourire charmeur me regarder avec tant de bienveillance et de gentillesse que, sur le moment, je crois rêver.

— Merci. Vous avez tout entendu, c'est ça ?

— C'était difficile de passer à côté. J'en ai connu des pouffes, mais là, c'était du haut niveau.

— Pardon.

— Pourquoi vous vous excusez ? Je me sens désolé pour vous d'avoir une famille pareille. Quoique... la mienne est particulière aussi.

Il me tend cette fois une main que je saisis sans réfléchir pour me relever.

— Vous êtes là pour un proche ? me demande-t-il en continuant sur sa lancée.

— Mon grand-père... Il est juste dans cette chambre et a sans doute tout entendu aussi, et vous ?

— Ma grand-mère, répond-il en souriant plus faiblement. Je reconnais ce sourire triste, Olivier a le même. Enfin... Ce n'est pas vraiment ma grand-mère, mais c'est comme si.

— C'est particulier, comme concept.

— Je vous l'ai dit, ma famille est bizarre.

— Au fait, moi c'est Philippine.

— Et moi...

Et avant même qu'il ne termine sa phrase, au moment où nos mains allaient entrer en contact, j'entends la voix d'Olivier qui résonne à l'autre bout du couloir.

— William !

William ?

— Oups. Je suis démasqué.

William ? Olivier ?

Olivier ? William ?

Ma tête fait des allers-retours entre les deux hommes se tenant devant moi tandis qu'Olivier me regarde étrangement.

— Tout va bien, Philippine ?

— Ouais... et toi ? Mamie Adélaïde va bien ?

— Elle se repose. William, t'es venu, finalement ?

— Je n'allais pas laisser Nana toute seule... Attendez... Vous vous connaissez, tous les deux ?

On se regarde avec un léger sourire avant de dire simultanément :

— Nous sommes voisins !

Et plus si affinités.

— Et vous deux ?

— Ah oui ! Philippine, je te présente mon cousin, ou pas vraiment cousin, William.

— Enchanté ! Du coup, je peux officiellement m'introduire en vous... euh à vous ! À vous ! Lapsus... Déformation professionnelle, sans doute.

« M'introduire en vous », c'est une déformation professionnelle pour lui ? Je ne veux même pas savoir ce qu'il fait dans la vie. Sans doute acteur porno.

— Ne te fais pas de fausses idées. William est éditeur.

— De romans cochons, je l'avoue, plaisante-t-il. Ma femme me rend dingue avec son manuscrit !

— Votre femme est auteure ?

— Et tant mieux ! C'est un peu... Ce qui nous a rapprochés.

— Oh...

— Au fait ! Pendant que je te tiens, Olivier, tu pourras garder Alice sous peu ? Marguerite et moi, on doit s'en aller quelque temps pour un salon. L'histoire de deux ou trois jours.

— Ouais, pas de problème.

J'imagine Olivier en « Super Nanny » et l'idée me fait mourir de rire. Il n'arrive déjà pas à s'occuper de lui et il veut lui confier son enfant ? Il doit avoir confiance.

— Génial ! Bon, je vais voir Nana ! On se rejoint pour un café plus tard.

— Pas de problème.

Une fois William parti, j'ai mille et une questions en tête. C'est le premier membre de la famille d'Olivier que je rencontre. Je suis curieuse... définitivement curieuse.

— Quoi ?

— Il est sexy.

— Mais il a un horrible caractère de cochon. Et en plus, il est pris.

— Oh, tu sais... comme le bon vieux dicton le dit : ce n'est pas parce qu'il y a un gardien qu'on ne peut pas marquer de but.

J'observe son visage s'assombrir progressivement tandis que je savoure mon moment taquin. C'est décidément trop facile avec Olivier.

— Tu me fais marcher, c'est ça ?

— Non, là, je te fais courir. Mon pauvre Olivier !

Tu n'es vraiment pas à ma hauteur.

— Si les petits cochons ne te mangent pas, on ferra bien quelque chose de toi, va !

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