Chapitre 39 - Être ou ne pas être Mr Cailloux

J'ai toujours trouvé ça idiot et incroyablement niais, les touristes qui font leurs courses de « souvenirs » dans les petites boutiques de l'aéroport. Un petit porte-clés, une petite bricole, un quelque chose qui rappellera le pays.

Pourtant, me voilà toute fière de moi avec mon porte-clés dans la main en me disant que j'allais au moins ramener ça à Olivier. J'essaye de l'appeler une dernière fois avant d'embarquer. J'essaye de prendre de ses nouvelles et de me dire que mamie Adélaïde n'a rien. J'essaye de me rassurer.

En fait, je veux me rassurer en entendant le timbre de sa voix et pour la première fois sur mes nombreux essais, il a décroché.

— Allô ?

— Olivier, c'est Philippine !

N'est-ce pas évident ? Je suis conne. J'aurais pu entamer la conversation autrement, mais non. Sur le moment, j'ai paniqué.

— Ah... ouais... ça va ?

— Oui, oui, je rentre bientôt ! Dis-moi, comment va ta grand-mère ?

— Oh... euh... rien de grave. Elle est encore en observation, mais ça va.

Comment peux-tu oser me mentir même en étant au téléphone ? Si tu crois que je ne reconnais pas les tremblements dans ta voix.

J'ai envie de le harceler de questions, de lui en poser pleins, pour savoir s'il tient le coup, s'il a besoin de quoi que ce soit. J'ai envie présentement de prendre Olivier dans mes bras. Parce que même séparés par des milliers de kilomètres, je le sais triste.

— Tu m'as dit que tu partais bientôt...

— Ah oui ! Je suis à l'aéroport, je devrais arriver ce soir je pense.

— Tu veux que je vienne te chercher ?

Oh.

Oui ?

— Non, non ne t'inquiète pas, prends soin de toi, je reviendrai avec un taxi.

— D'accord. Comme tu veux. Je dois te laisser, j'ai encore des choses à faire ici et...

— Pas de problème ! On se voit bientôt, de toute façon.

À peine ai-je fini ma phrase que la ligne se coupe et que la tonalité de fin d'appel siffle dans mon oreille.

Il m'a raccroché au nez.

Je me sens comme une gamine excitée à l'idée de rentrer, d'aller le voir et de lui dire « Regarde ! J'ai signé le contrat », mais je sais qu'actuellement, ce bout de papier ne représente rien pour lui. Il a d'autres préoccupations et je le comprends.

Oh oui, je ne peux que comprendre.

Pour combler mon sentiment de solitude, à peine suis-je installée dans l'avion que je mets mon casque sur les oreilles et que je me laisse border par la musique. Leona Lewis chante dans ma tête.

« I see you ».

Je n'ai jamais vraiment été une grande fan de musique, mais j'aime particulièrement les bandes sonores de certains films et celle d'Avatar me plaît depuis longtemps.

Je suis donc revenue chez moi avec la crève, des valises sous les yeux, faute de les avoir en main et d'avoir pu dormir dans l'avion avec les bébés qui braillaient, ainsi qu'une migraine digne d'un orchestre symphonique répétant dans mon crâne.

Là, tout ce que je veux, c'est mon lit.

Demain, il va falloir que j'aille récupérer Bora à la pension, aussi.

— Bonjour, maison ! crié-je au milieu de mon salon.

— Bonjour, Philippine.

Je sursaute en me pensant folle. Jeanne d'Arc, le retour ?

Je me retourne et surprends Olivier, se tenant à hauteur du mur séparant nos deux appartements.

— T'as une sale gueule., lui fis-je remarquer.

— Tu t'es vue, peut-être ?

Malgré tout, on échange un sourire amusé, décomplexant cette atmosphère bien trop tendue.

— Le voyage du retour s'est bien passé ou tu as encore traumatisé une enfant ?

— C'est moi la traumatisée, ici, ok ? Et ça a été. Je suis contente d'être là.

— Moi aussi je suis content que tu sois là.

Sur le moment, je l'ai regardé, assez surprise.

— Je veux dire, se rattrape-t-il rapidement, c'est cool que tu sois là. Tu fais un tapage de dingue à chaque fois alors je ne me suis pas habitué au silence.

— Tout de suite. Je suis une personne très délicate, tu sais. Et silencieuse, aussi !

— Dit celle qui fait un bruit de trompette en se mouchant.

— Tu t'es clairement pas entendu péter, alors.

Un rire éclate avant qu'il ne se détache du mur pour pénétrer mon salon. Je vois qu'il force. Qu'il prend sur lui. Sans doute essaye-t-il de faire la conversation pour que j'oublie et que je ne vienne pas à lui poser des questions sur l'état de santé de sa grand-mère. Pourtant, j'en meurs d'envie. Je veux savoir.

—Je t'ai ramené un cadeau. Tiens.

Je lui tends le petit porte-clés tandis qu'il le regarde, perplexe.

Ne me dis pas « merci », surtout.

— Et moi qui pensais que tu allais me ramener un autre genre de cadeau, soupire-t-il avec sa mine triste tout en ayant écrit le mot « déception » sur son front.

— Tu voulais quelque chose en particulier ?

Je sais de quoi tu parles, mais je vais jouer les idiotes parce que c'est drôle.

— Tu ne devais pas me ramener quelque chose, Philippine ?

— À ce propos... Je ne sais pas si tu es au courant, mais... c'est vrai que Judith est une femme terrible ! Je veux dire... Elle a la classe, le charme et l'élégance. Elle est pro jusqu'au bout des ongles.

— Ne me dis pas que...

Ah ! Ça y est ! Il a mordu à l'hameçon.

— C'est juste que... enfin, je veux dire... continué-je avec mon meilleur jeu d'actrice.

Parfois, je mériterais vraiment que l'on me distribue un Oscar.

— Philippine...

— Tu sais, on ne peut pas tout avoir dans la vie.

Si, jusqu'à présent, Olivier souriait faiblement et faisait de son mieux, il ne faut qu'une fraction de seconde à son visage pour s'assombrir.

— Honnêtement, tu as si peu confiance en moi que ça me frustre vraiment beaucoup ! Tiens, ton autre « cadeau », si je puis dire.

Je lui tends le contrat et il ne se donne même pas la peine de le lire ou de l'examiner. Il pose le bout de papier sur le canapé et me prend dans ses bras en me serrant tout contre lui.

— Je le savais ! Je le savais ! T'es vraiment la meilleure !

Je n'ai pas eu le temps de dire ou de rajouter quoi que ce soit que ses lèvres s'emparent des miennes dans une danse enflammée.

Puis, se rendant compte de son geste, il se retire brusquement, la pointe des oreilles rougie.

— Désolé.

— Pourquoi ?

— Pour... ça.

— Le baiser ? On a couché deux fois ensemble, tu ne t'es pas excusé, à ce que je sache. Pourquoi là c'est différent ?

— Je n'en sais rien...

—Ne t'excuse pas, sauf si tu le regrettes. Dans ce cas...

— Non !

Son « non » est sorti comme un cri de désespoir. Une alerte.

— Je ne le regrette pas, mais ce n'est peut-être pas le moment pour moi de m'engager dans cette voie-là.

— Quelle voie ? Dis-le.

— Une relation amoureuse.

— Ça tombe bien, je n'en veux pas non plus. On peut juste être amis et se faire plaisir de temps en temps. C'était cool jusqu'à présent, non ?

— C'est vrai, tu as raison. Mais tu n'en demanderas pas plus ? m'interroge-t-il inquiet que soudainement je demande au monde tendresse et douceur.

— Je peine à m'occuper d'un chat, tu crois vraiment que j'ai le temps pour un « copain » ?

Ma remarque le fait sourire, mais comme un enfant. Pas le sourire auquel je suis habituée maintenant.

— Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit de drôle ? demandé-je en le voyant me scruter du regard.

— Rien, mais la possibilité que je sois ton « copain » m'a fait rire. C'est tout con.

— T'aurais préféré que je t'appelle comment ? Plan cul ? Amuse-bouche ? Oh non ! Je sais !

— Quoi ? Qu'est-ce que t'as trouvé comme idée débile ? J'ai peur quand tu as ce genre de sourire machiavélique sur ton visage.

— Monsieur Caillou. Tu seras Olivier quand on sera en public, mais « Monsieur Caillou » quand il sera question de « plus ».

— Sérieusement ? Encore ce surnom stupide ?

— Si t'es pas content, tu n'as qu'à en trouver un mieux.

— Non, mais si on en est au stade des surnoms, je veux t'en donner un aussi. Hors de question que ça marche à sens unique, ce truc-là.

— Ok. Mais je te préviens, on m'a tout fait dans ma vie !

En même temps, quand on s'appelle « Philippine » et qu'on se retrouve face à une bande de gamins de cour de récré à l'imagination débordante, ça donne des trucs pas mal.

— Je présume que tout ce qui se rapporte de près ou de loin à l'île est interdit ?

— Prohibé, même.

— Ok... hm... voyons voir.

À peine a-t-il pris le temps de sortir son air penseur que son visage s'éclaircit d'un large sourire.

Il a trouvé.

— Cruella.

Cruella ?

— Cruella comme Cruella d'Enfer des 101 dalmatiens ?

—Tout à fait.

— Je n'ai rien de Cruella d'Enfer !

— Si, son caractère !

Alors non. Je suis désolée, je suis bien mieux que cette bonne femme. Je suis originale, moi.

— C'est quand même bizarre comme choix. Mais je te préviens, ça reste entre nous. Si tu m'appelles comme ça en public, crois-moi... Tu prendras la plus grosse fessée de ta vie.

— Ouh ! J'aime quand tu me parles de fessée !

— Pas dans ce sens-là, triple buse !

— Et moi qui pensais être un homme satisfait ce soir.

— Dans tes rêves. Je viens de faire je ne sais combien d'heures de vol alors je pense que je vais aller me prendre un bain et me coucher.

Le voyant faire un pas en avant, les yeux pétillants, je l'arrête dans sa démarche.

— Seule.

— Tu n'es pas drôle. On n'est pas tout le temps obligé de faire l'amour non plus.

— Pourtant, ça tourne souvent comme ça.

J'attrape alors ma valise, le plantant dans mon salon, et c'est là que j'entends :

— Je n'ai pas envie d'être tout seul ce soir...

— Pas mon problème, achète-toi une poupée gonflable.

— Je peux dormir avec toi ? me demande-t-il alors avec sa voix de petit garçon.

— J'ai un matelas de camping, si tu veux.

— Tu ne me prêtes même pas la moitié de ton lit ?

— Non. Même pas. Tu vois, mon lit, c'est mon territoire, c'est mon sanctuaire, c'est... ce que je préfère de loin.

— Et moi qui pensais être devenu le numéro un. Me voilà à lutter contre un meuble.

Que veux-tu ? On ne peut pas tout avoir dans la vie.

— Bon, tu viens le gonfler ? Ça ne va pas se faire tout seul.

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