Chapitre30
Resté seul sur le parvis, Huaisang résolut au bout d'un moment de prendre son courage à deux mains, pour voir où en étaient ses amis de leurs « pourparlers » avec son Da-Ge. Il poussa tout doucement la porte du temple et y pénétra sur la pointe des pieds.
À l'intérieur, le duel entre Zewu-Jun et ChiFeng-Zun se poursuivait sans relâche, sans merci. Seul le bruit métallique de Shuoyue s'entrechoquant avec les différentes parties du corps de son ancien frère juré crevait le silence, accompagné de ses hurlements, qui n'avaient rien à envier aux cris gutturaux du cadavre féroce qu'il combattait.
Huaisang avait du mal à analyser ce qu'il voyait. Seul Wei Wuxian semblait prendre activement part au combat, avec bien peu de succès, à vrai dire. Lan Wangji et Jiang Cheng donnaient plus l'impression de veiller, se déplaçant lentement autour des combattants, prêts à intervenir et pourtant si passifs. Le chef de clan Nie fit un pas de plus en avant, et sentit son souffle se bloquer dans sa poitrine en croisant le regard du plus jeune frère de Jade. Wangji avait peur, et cela se lisait sur son visage. Il comprit alors plus clairement pourquoi tous demeuraient statufiés, car quiconque pouvait prétendre effrayer HanGuang-Jun justifiait une telle attitude.
Quand l'affrontement amena Lan Xichen à se déplacer et à lui faire face, Huaisang recula d'instinct, trébuchant maladroitement sur des gravats. Il posa une main sur le mur du temple pour s'y soutenir et chercha du regard autour de lui, le cœur battant la chamade. Qu'arrivait-il donc à Zewu-Jun ? Quel était ce masque de férocité, cet éclat de barbarie au fond des yeux qui le défigurait ? Comment cela se pouvait-il ?
— Que se passe-t-il ? souffla-t-il pour lui-même, au comble de l'inquiétude.
Jiang Cheng réalisa sa présence et fit un large geste dans sa direction, en s'adressant aux autres cultivants.
— Sortez-le de là ! Partez, tous !
Huaisang n'eut d'autre choix que de se laisser porter par le trio de cultivants, qui l'exfiltra avec un peu trop d'enthousiasme à son goût. À priori, ils étaient plus que ravis de pouvoir sauver leur vie au prétexte de protéger celle d'un chef de clan, mais il n'était pas dupe.
— Que se passe-t-il ? répéta-t-il, une fois dehors.
— Zewu-Jun perd l'esprit ! s'écria un cultivant, bientôt coupé par un autre.
— Lorsque LianFang-Zun a quitté les lieux, ChiFeng-Zun a tenté de le suivre. Nous les avons tous trouvés à lutter pour le maintenir dans la pièce principale, et nous leur avons prêté main forte. Mais quand ChiFeng-Zun a fait un pas de plus, en levant la main vers la poignée de la porte, cela a.... Zewu-Jun a hurlé, il s'est jeté sur lui sans même utiliser d'arme ou de talismans et a repoussé tout le monde autour de lui !
— J'ai senti comme... une drôle de pression dans l'air, enchérit un autre, qui n'avait cessé d'opiner nerveusement aux propos de ses compagnons. HanGuang-Jun nous a ordonné de reculer, et seul le Yiling Laozu a continué d'utiliser sa flûte.
Tous le regardaient à présent, les yeux ronds comme des soucoupes, attendant une explication de celui qui en avait demandé une en premier, et qui quelques années plus tôt était réputé pour son ignorance en toute chose. Mais le temps avait filé, emportant avec lui ces anciennes vérités, et chacun savait désormais quel puits de connaissances était en fait le chef de Clan Nie.
— Fureur Sombre... murmura-t-il, provoquant un mouvement de recul chez les cultivants amassés autour de lui, comme si ces mots possédaient un quelconque pouvoir de nuisance.
Ils lancèrent tous un regard inquiet vers le temple.
— Ce... ce n'est qu'une légende, hasarda un homme, sans vraiment réussir à masquer l'interrogation dans ce qu'il avait pourtant voulu affirmer.
Les cultivants se tournèrent alors vers le tombeau, pétrifiés de terreur. Après ce qui leur avait paru une éternité, un fracas soudain leur fit tous tirer leurs armes. Huaisang fut repoussé loin en arrière, sans délicatesse.
Wei Wuxian et son frère surgirent du temple, contraignant HanGuang-Jun à les suivre. Ils se contentèrent de courir droit devant eux.
— Fuyez ! hurla Jiang Cheng à ceux qui se trouvaient là. Maintenant !
Ce fut la débandade. Personne ne savait vraiment où aller ni pourquoi il devait fuir. Mais tous se hâtèrent, certains choisissant la voie des airs, quand un souffle de pouvoir les jeta lourdement au sol. Deux cultivants ne se relevèrent pas, du sang s'écoulant de leurs oreilles et de leur nez, tandis qu'HanGuang-Jun rebroussait chemin, la mine décidée, le poing serré sur Bichen, le teint livide.
— Attends ! l'apostropha Wei Wuxian.
Il se positionna face à lui, reculant sur le chemin menant au tombeau.
— Lan Zhan ! Laisse-moi y aller. S'il te plaît.
Il posa la paume de sa main sur la poitrine de son époux, essayant de le retenir.
— Laisse-moi y aller, insista-t-il.
Jiang Cheng se porta à leurs côtés.
— Mon frère a raison, HanGuang-Jun. Il saura quoi faire et nous appellera, en cas de besoin. Inutile de t'infliger cela. Ton frère ne le souhaiterait pas.
Lan Wangji ralentit le pas et s'arrêta enfin. Après un bref signe de tête, il regarda Wei Wuxian pénétrer de nouveau dans le temple dont il ne restait à présent plus grand-chose en état de supporter ne serait-ce qu'un orage.
Huaisang se tenait à quelques pas, fébrile. Il essuya son front d'un geste tremblant, avant de se rendre compte qu'il saignait, mais n'en fit aucun cas. Lui qui avait coutume de piailler comme une poule à qui l'on aurait volé ses œufs à la vue de la moindre goutte de sang, patientait là, immobile et pétri de sérieux. Il observait Lan Zhan, partagé entre sa colère et l'empathie qu'il éprouvait à voir un autre homme traverser des épreuves semblables aux siennes. Attendre là, impuissant, sans savoir ce qui restait de son frère, ce qu'il y avait encore à sauver. Un corps ? Une âme ? Devrait-il, en plus de pleurer son aîné, subir l'horreur de devoir l'enfermer dans un tombeau scellé ? Devrait-il le tuer ? Regarder Wei Wuxian le contraindre de sa mélodie ?
La Fureur sombre n'était pas chose à prendre à la légère, sa famille en était mortellement consciente. ChiFeng-Zun avait souvent lutté contre elle, car le retour en arrière était rarement possible, même pour un cultivant chevronné. Elle résultait d'une déviation du QI soudaine, brutale et puissante. Or Xichen n'avait jamais eu à apprendre à lutter contre cela, lui dont le calme et la retenue étaient proverbiales.
Enfin, on entendit du mouvement vers le temple, et tout le monde reprit son souffle en voyant Wei Wuxian ressortir, soutenant Xichen qui se laissait traîner plus qu'il ne marchait. Huaisang n'en croyait pas ses yeux et sonda la pénombre du regard, avant de comprendre. Son visage se ferma.
Une fois encore, son propre frère avait payé le prix fort de ces conflits. La déflagration de pouvoir l'avait tout simplement détruit, corps et âme. Il n'y aurait jamais de retour en grâce pour lui. Tout ce qu'il avait été s'était éteint, envolé à jamais. Xichen avait risqué bien plus que sa vie pour cela et il en paierait probablement le prix, mais pour ChiFeng-Zun, aucun espoir n'était plus permis.
Nie Huaisang ne pouvait se résoudre à regretter la survie de Zewu-Jun ou le succès de ses amis d'autrefois. Mais l'amertume lui rongeait le cœur, et il rebroussa chemin sans un mot, suivi par les membres de sa secte.
Wangji s'était précipité sur son frère et aidait son époux à le soutenir, s'assurant qu'il n'avait pas de blessure mortelle immédiate. Le profond soupir de soulagement de Jiang Cheng tira un sourire à Wei Ying. Le chef de clan Yunmeng avait un caractère terrible, mais son attachement aux siens était sincère.
Cependant, une autre urgence les rattrapa vite, et les trois se regardèrent, hésitants. Jiang Cheng souhaitait bien sûr se porter le plus vite possible au secours de son neveu, Lan Wangji répugnait à patienter pour les soins à offrir à son frère... Mais aucun des deux n'osait l'exprimer, craignant d'être accusé d'égoïsme. Aussi, Wei Wuxian trancha-t-il, en regardant son époux.
— Je ne serai plus d'aucune utilité pour ton frère, je pense que ton guqin sera bien plus efficace que ma flûte.
Il se tourna vers les cultivants encore présents.
— Faites votre maximum pour escorter Zewu-Jun à YunShen Buzhi le plus vite possible, qu'il y reçoive les soins appropriés.
Wangji approuva d'un signe de tête muet, et Wei Ying se tourna vers son frère.
— Quant à nous, rentrons vite à JinlinTai.
Personne ne songea à discuter, et les hommes exténués jetèrent leurs dernières forces dans le trajet de retour, chacun ayant dans l'esprit et le cœur un sentiment d'urgence. Dans les prochaines heures, deux chefs de secte, deux membres éminemment importants du monde de la Cultivation, ne devraient leur salut qu'à l'acharnement de leur famille et de leur clan à les garder en vie et près d'eux.
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