Chapitre 5

Xichen avait beau se gourmander, il ne pouvait empêcher son esprit de s'évader ailleurs pour élaborer les hypothèses les plus extravagantes. C'était plus fort que lui, son imagination surchauffée commençait à donner libre cours aux suppositions les moins crédibles, les plus saugrenues. Mais puisqu'il semblait acquis que l'être qu'ils pourchassaient n'était pas un cadavre féroce, c'était donc qu'il était vivant. Et s'il était vivant, c'est qu'il ne pouvait pas s'agir de Meng Yao. Meng Yao était mort et enterré depuis belle lurette, et le seul regret de Xichen était de n'avoir pas pris la précaution de vérifier que sa dépouille mortelle gisait toujours dans la tombe, aux côtés de celle de Frère Aîné.

Il faut dire que Nie MingJue, comme à son habitude, ne leur avait pas trop laissé le choix. Fidèle à son tempérament colérique et sanguin, il leur avait encore occasionné mille difficultés, avant de les laisser sceller à nouveau le cercueil.

L'homme qu'ils poursuivaient n'était probablement d'un pilleur de tombes plus téméraire que les autres. Et en toute honnêteté, quand bien même il avait honte de l'avouer, Xichen aurait bien abandonné à moins qualifié que lui cette mission devenue inintéressante.

— Zewu-Jun... murmura alors Sizhui, qui était l'une des deux personnes qui formaient avec lui un groupe de trois sur le territoire qui leur avait été confié. Vous avez l'air épuisé, quelque chose ne va pas ?

— C'est vrai, Zewu-Jun, renchérit le troisième homme, un disciple du clan Jin. Si vous voulez, Lan Sizhui et moi pouvons continuer de patrouiller aux abords de la rivière. Je suis sûr de toute façon que mon chef de clan ne va pas tarder à arriver avec du renfort, donc ne vous tracassez pas !

Par tous les esprits célestes, se pourrait-il qu'à tout juste trente ans, il paraisse déjà si vieux et usé ? Pourquoi ces deux-là lui parlaient-ils comme s'il souffrait d'humeurs vicieuses et maladives ? Ah, il était bien loin le temps où, plein de résolution et d'énergie, il partait chasser la nuit en compagnie de Meng Yao, savourant tout autant leurs victoires faciles que la douce et subtile compagnie de son jeune frère assermenté !

Il sourit aux deux jeunes gens.

— Pardonnez mon manque d'entrain. J'avoue mettre assez peu d'enthousiasme à cette recherche, car je suis plutôt tenté de croire que le fuyard était attendu par un complice, et que notre excursion est vaine. Je ne décèle ici aucune présence hostile, aucune trace de YuanQi... Je ne doute pas des compétences et du sérieux des cultivants qui surveillaient le tombeau, mais c'est une option qui demeure plus que probable.

Il balaya la zone du regard, attentif aux bruissements habituels d'une forêt en milieu de journée. Elle grouillait de vie, et cette vie pépiait, piaillait et piétinait tranquillement sans donner le moindre signe d'avoir été dérangée. Xichen sourit cependant et tâcha de faire bonne figure.

— Mais allons, continuons, pour au moins avoir la conscience tranquille et la satisfaction qu'apporte un devoir correctement achevé.

Il désigna la rivière.

— Allez explorer les abords de cette rivière, je vais tenter de trouver d'éventuelles traces magiques. Elle est calme à cet endroit, ce serait un bon lieu pour se reposer. Observez bien les traces au sol, ne négligez jamais les indices non magiques, c'est un piège dans lequel trop de cultivants se laissent prendre.

Il fit de même de son côté, tout en prêtant l'oreille à l'évolution des deux autres cultivants. Tandis qu'il se concentrait sur sa tâche, il perçut au loin des aboiements joyeux.

Oh... quelqu'un nous a repérés.

Il sourit en se tournant vers les fourrés qui s'agitaient à quelques mètres et passa ses doigts sur le pelage qui vint se caler près de lui. Un chien de belle taille levait vers lui un regard confiant et le gratifia d'un jappement clair.

— Bonjour à toi aussi, Xianzi.

Jin Rulan ne tarda pas à les rejoindre à son tour, accompagné de cinq cultivants. Le regard sévère qu'il porta sur le chien se mua bientôt en soulagement.

— Je me demandais pourquoi elle avait filé ainsi, fit le jeune homme avant de s'avancer et de s'incliner profondément.

Xichen lui sourit en retour avec franchise, s'inclinant à son tour comme l'exigeait la condition du nouvel arrivant pour lequel il nourrissait une réelle affection. Jin Rulan avait été le seul, à part lui, à éprouver un chagrin sincère à la disparition de Meng Yao, et depuis quelques années maintenant, ils avaient pris l'habitude de se rejoindre pour honorer sa mémoire. Il avait fallu au jeune homme un peu de temps pour réussir à s'émanciper de son oncle de Lianhua Wu, et assumer l'affection qu'il portait à son oncle disparu. Cela n'avait pas été chose aisée, quand le monde entier de la Cultivation s'évertuait à lui rappeler les nombreux crimes de Jin GuangYao. Mais l'adolescent qu'il était avait tenu bon, et s'il n'entrait plus en conflit ouvert avec son entourage à ce sujet, nul ne se permettait plus de critiquer son défunt oncle en sa présence.

Xichen étudia un instant son visage préoccupé. Nul doute que mille questions se bousculaient dans l'esprit du jeune homme, mais qu'il ne les poserait jamais devant témoins.

— Jin Zongzhu, merci de venir nous prêter main forte, fit Xichen pour ne pas laisser son vis-à-vis dans l'expectative. Nous n'avons rien trouvé de probant. Des nouvelles, de ton côté ?

— Je vous cherchais, Lan Zongzhu. Nie Zongzhu et mon oncle m'ont chargé de vous transmettre une carte et les informations dont nous disposons pour l'instant.

Le soulagement se lisait sur son visage, et Xichen nota que le jeune homme l'observait également, tâchant de deviner tout ce qu'il taisait, comme lui-même le faisait.

— Je voudrais rester pour continuer les recherches ici.

À l'évidence, il préférait effectuer cette « chasse » en sa compagnie, plutôt qu'avec Jiang Cheng.

Jin Rulan fit un signe de tête à l'un des cultivants, qui déplia une carte devant eux. Le jeune chef de clan désigna plusieurs emplacements.

— Ces zones ont été arpentées, aucune trace de passage.

Ils furent soudain interrompus par un appel de Lan Sizhui, et tous deux sentirent le sang déserter leur visage.

— Zewu-Jun ! Nous pensons avoir trouvé quelque chose.

Le jeune Lan se figea quelques secondes à la vue des nouveaux venus et s'inclina avec respect. Il échangea avec Xichen un regard chargé de compassion, conscient que se trouvaient devant lui les deux personnes qui sans doute vivraient le plus mal une rencontre avec un Jin GuangYao transfiguré et empli de sauvagerie.

— Jin Zongzhu... vous auriez pu rester avec Nie Zongzhu... avança-t-il doucement.

— Et pourquoi donc ? répondit Jin Rulan en se raidissant. Tu me crois donc incapable de mener pareille mission ?

Xichen se contenta de sourire à Sizhui, qui ouvrait déjà la bouche pour répliquer, en avançant vers le jeune chef de secte.

— Nul ne doute des capacités d'autrui, trancha-t-il calmement.

Il estimait inutile d'avoir à expliquer que l'idée de voir Jin Rulan souffrir d'une éventuelle découverte macabre rebutait Sizhui, et que celui-ci se faisait bien plus de souci pour son moral que pour ses capacités de cultivant. Cela ne ferait au mieux que le gêner.

— Allons voir ce que vous avez trouvé, ordonna Xichen.

Il prit la direction indiquée par Sizhui, tandis que Jin Rulan ordonnait à ses hommes de rester à distance et de surveiller les alentours. À priori, s'ils venaient à découvrir quelque chose d'important, il préférait que ce soit sans trop de témoins... Ils entrèrent dans une misérable bicoque, et le cultivant Jin s'inclina profondément face à son chef de clan. Tous étudièrent ensuite les haillons abandonnés là.

— Ils étaient cachés sous les couvertures de cette malle, précisa Sizhui. Et l'endroit a été fouillé récemment.

Le cultivant Jin leur tendit les vêtements, ou ce qui en restait, et Xichen s'en empara avec hésitation. Jin Rulan était plus pâle que jamais, et lui-même ne devait pas avoir trop de rose aux joues. Les trois jeunes l'observaient avec intensité.

— S'il nous manquait une preuve que nous avons affaire à un homme bien vivant, intervint le cultivant de la secte Jin, à présent nous l'avons ! Aucun cadavre féroce n'aurait idée de changer sa tenue.

Ce dernier ne semblait pas remarquer le malaise qui venait alourdir l'atmosphère.

Sizhui observait avec inquiétude les deux autres hommes, conscient que quelque chose se passait et qu'ils en étaient bouleversés.

— Jin Ling ? interrogea-t-il doucement.

La main du jeune homme trembla légèrement lorsqu'il la tendit vers les vêtements usés. Comment aurait-il pu oublier cette tenue ? Alors qu'il portait la même, chaque jour de sa vie... Xichen la maintint entre deux doigts de chaque main, lui permettant de se déplier. Le costume était toujours aussi peu agréable à regarder, mais il n'était plus permis de douter de son appartenance.

— Oh...

Xichen peinait à retrouver le fil de ses pensées. Ces vêtements venaient détruire toutes ses suppositions, toutes les petites certitudes qu'il avait consciencieusement construites pour s'empêcher d'espérer, d'y croire.

Il replia le vêtement et le tendit au cultivant qui le glissa dans un pochon, qui disparut rapidement dans sa manche qiankun. Xichen serra Shuoyue dans sa main et retourna à l'extérieur. Ils encerclèrent tous la carte, après l'avoir étalée sur un rocher, et placèrent des marques sur les zones étudiées.

— C'est totalement incohérent, s'agaça l'un des cultivants, avant de se recroqueviller de honte.

La remarque était peut-être prononcée de manière cavalière, mais elle était justifiée cependant.

— Tu as raison. Il n'y a aucune logique dans cette progression, fit Lan Xichen en repassant du doigt le chemin qu'avait pu parcourir le fuyard, si on tenait compte des zones restées vierges et des maigres traces qu'ils avaient récoltées à eux tous.

Il étudia la carte méticuleusement, plongé dans ses pensées, puis inspira profondément avant de fixer les jeunes gens.

— Puisque nous sommes ceux qui avons trouvé les traces les plus récentes et les plus fiables, nous allons nous répartir à nouveau. Des groupes de deux devraient suffire, cela nous permettra de couvrir cinq zones, à nous tous. Je partirai seul, précisa-t-il, en voyant les cultivants échanger des regards et compter frénétiquement. À la moindre trouvaille, donnez l'alerte. N'attaquez pas, contentez-vous de donner l'alerte et de pister le fuyard. Nous aurons des questions à lui poser.

Il attribua des zones, et les cultivants s'éparpillèrent tandis que Jin Rulan restait près de lui, flanqué d'un Sizhui, qui laissait assez clairement entendre que personne d'autre que lui n'accompagnerait son ami. Les autres semblèrent ne pas vouloir lui disputer ce rôle, tant le caractère ombrageux du jeune chef de clan était proverbial.

Après un regard alentour, Jin Rulan parla d'un filet de voix, avec empressement et un stress qu'il ne cherchait plus à dissimuler, à présent qu'ils n'étaient plus que tous les trois.

— Tu penses que c'est lui ? Vraiment lui ?

Xichen sourit face à l'étonnement de Sizhui. Une telle familiarité envers Zewu-Jun ?... Mais lorsqu'il était question de Meng Yao, les barrières semblaient tomber toutes seules. Jamais Jin Rulan ne se départissait de sa courtoisie envers ses aînés, Jiang Cheng y avait veillé, mais chaque fois que, seuls, ils évoquaient le défunt, les cartes semblaient redistribuées. Xichen doutait même que le jeune homme en ait conscience.

— Je ne pensais pas que ce soit possible avant cette découverte, Rulan, avoua-t-il. Cet homme est vivant, et nous savons tous les deux que ton oncle Jin est mort... peut-être est-ce un leurre ? Quelqu'un voudrait nous mettre sur une fausse piste ? Mais j'en ignore alors le but. Et nous ne le découvrirons qu'en trouvant cette personne, quelle qu'elle soit.

Jin Rulan approuva d'un signe de tête maussade.

— Je ferai passer le goût des blagues à ce type, si c'est moi qui lui tombe dessus. Il goûtera aux crocs de Xianzi !

— Ne serait-il pas judicieux d'envoyer un groupe prévenir Nie Zongzhu ? interrogea Sizhui.

— Non ! firent les deux autres avec conviction.

Xichen jugea inutile de mentir à Sizhui. Il aurait pu argumenter que se séparer de deux hommes leur ferait perdre du temps et du terrain, mais il ne pouvait se résoudre à insulter l'intelligence de son jeune disciple. Sizhui était bien trop fin et fréquentait beaucoup trop Wei WuXian, pour se laisser prendre à un mensonge aussi grotesque. Ni lui ni Jin Rulan ne souhaitaient voir accourir sur place Nie Huaisang ou Jiang Cheng. Lan Sizhui approuva d'un signe de tête, manifestant sa compréhension.

— Allons. Nous nous retrouverons à l'auberge avant l'aube.

Ils partirent chacun de leur côté, mais Xichen ne put se retenir de recommander au jeune Lan de veiller sur son compagnon de route. Sizhui échangea avec lui un regard de connivence avant de rejoindre Jin Rulan. La journée était bien avancée, mais aucun d'eux ne pouvait espérer toucher au but avant plusieurs heures encore. Xichen se dirigea d'un pas vif vers l'aval de la rivière, la zone la plus éloignée parmi celles qu'il avait délimitées. Il eut un dernier regard vers Jin Rulan et Sizhui, avant de disparaître sous le couvert des arbres.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top