Chapitre 36
[Meng Yao embrassa l'épaule de son amant, qui remarqua qu'une légère brûlure l'endolorissait. Xichen réalisa alors que son partenaire l'avait mordu lors de leurs ébats et rit légèrement.
— J'aime lorsque tu te montres sauvage, murmura-t-il à A-Yao, qui rougit adorablement.
— Un peu de tenue, Premier Jade ! répondit-il.]
L'objection fit sourire Xichen, qui n'en ressentit que plus intensément le désir de se montrer câlin. Chaque fois que ses yeux se posaient sur l'ancien Jin-zongzhu, l'envie de le prendre et le serrer dans ses bras pour le protéger de la malveillance du monde le saisissait à la gorge. A-Yao était si frêle et petit, qu'il réveillait immanquablement ses plus forts instincts protecteurs.
— Wei Wuxian m'a raconté que tu avais été attaqué par une chimère à dix têtes. Cela a dû te faire un mal de gueux !
— Oh... tout s'est passé tellement vite que je n'ai pas eu le temps de le réaliser.
C'était bien d'A-Yao de toujours minimiser les incidents ! Mais Xichen s'était promis de ne plus jamais le laisser taire ses problèmes ni l'abandonner seul face aux aléas de l'existence. Pour cet homme, qui n'avait pas hésité à donner sa vie pour l'écarter d'une mort certaine, il était désormais prêt à tout, y compris à enfreindre les règles, et si besoin, à renier même son clan.
— À partir de maintenant, tu pourras toujours compter sur moi ! Si tu l'exiges, j'abandonnerai ma secte pour te suivre sur les chemins. Tu es la personne qui m'a le plus aimé au monde, celui qui m'a montré le plus d'attachement. Je ne te laisserai pas m'abandonner une seconde fois. Plutôt mourir tout de suite que de devoir vivre une nouvelle vie sans toi !
Traumatisé par son enlèvement et son cauchemar, Meng Yao n'arrivait pas tout à fait à le croire et à considérer que sa vie avait autant de prix aux yeux de Lan Huan. Comme s'il lisait dans ses pensées, Xichen déclara alors gravement :
— Même si nous ne pouvons plus rester et cultiver dans le clan Lan, cela n'a pas d'importance. Je jure que je prendrai soin de toi. En dépit de l'opposition que nous pourrions rencontrer de la part des autres membres de ma secte, ou du reste du monde de la Cultivation, nous ferons face ensemble. Main dans la main.
Le raz de marée de la Fureur sombre avait balayé la réputation de bonté et de pureté, que le Premier Jade possédait aux yeux du peuple, mais il n'en avait cure. Les gens oubliaient trop souvent qu'il était aussi un homme d'épée. Un soldat et un général capable de destruction. Et ce n'était pas parce qu'il n'avait pas permis à cet aspect de sa personnalité de le gouverner que cela ne faisait plus partie de lui.
— Par ma faute, notre Premier Frère juré a été réduit à néant. Aussi, je doute que notre XianDu me laisse rester chef de secte.
— Dans ce cas, protesta Meng Yao, c'était notre faute à tous les deux, et je dois être puni avec toi ! Car rien de tout cela ne serait arrivé, si tu n'avais pas voulu me sauver et sauver Jin Ling.
— Mais, si tu es prêt à te contenter d'un humble conseiller comme époux, je serais heureux que tu acceptes ma demande en mariage.
Submergé par les émotions, Meng Yao peina à reprendre ses esprits. Les déclarations de Lan Huan étaient un baume à son âme, et il ne pouvait nier qu'il appréciait qu'on lui attribue autant de valeur, mais cela le mettait également mal à l'aise. Il n'aimait pas ressentir cette pointe d'orgueil. Il oscillait entre sa volonté de passer inaperçu, et celle d'être considéré comme quelqu'un qui comptait, au moins pour une personne en ce monde.
Cependant, ce que lui proposait Zewu-Jun – le faire passer avant son devoir, son clan, sa famille, sa réputation ? – c'était trop. Trop de responsabilités, trop de bonheur... Mais, au diable la honte et l'orgueil ! Il ne pouvait s'empêcher d'espérer, de vouloir plus, d'une certaine manière.
— Seriez-vous en train de me demander de vous épouser, Zewu-Jun ? éluda-t-il.
Xichen, qui connaissait Meng Yao mieux qu'il ne se connaissait lui-même à présent, se contenta de sourire.
— Je vous demande, mon très cher amour, de bien vouloir accepter ma présence à vos côtés pour le reste de nos vies, dans les conditions qu'il vous plaira.
Pris à son propre jeu, Meng Yao gargouilla presque en rougissant, incapable de cacher son visage derrière ses mains fines, que Lan Huan retenait captives entre les siennes. Il aurait voulu argumenter, s'assurer que Lan Huan était bien conscient de ce que ce choix impliquait, de ce qu'il allait abandonner derrière lui pour le seul plaisir de sa compagnie...
Mais ce serait faire preuve d'une mauvaise foi insultante. Zewu-Jun avait eu bien assez de temps pour réfléchir à tout cela, revenir sur les événements passés et les revivre, les transformer mille fois, envisager toutes les possibilités, tout ce qui aurait pu être, s'il avait agi et parlé autrement tant d'années auparavant.
Meng Yao sourit et se laissa aller contre Lan Huan, réalisant alors qu'il pleurait silencieusement.
— Il n'y a rien d'autre que je souhaite plus ardemment, souffla-t-il. Je t'en supplie, garde-moi près de toi...
Ils s'endormirent enfin, lovés l'un contre l'autre, et ne se réveillèrent qu'à l'aube, le cœur débordant du bonheur de sentir contre eux la chaleur de l'être aimé.
***************
Bien que les quartiers du chef de secte soient retirés des lieux où évoluaient habituellement les disciples Lan, il ne fallut qu'une oreille aux aguets, et la « nouvelle » circula rapidement au sein du clan que le grand Zewu-Jun n'observait pas le silence habituellement recommandé sur cette montagne. Son état de santé était un sujet de préoccupation pour chacun, aussi la présence de son invité était-elle parfaitement connue.
Tous espéraient beaucoup de sa venue, mais certaines joues prirent une teinte rosée des plus charmantes lorsqu'il fut évident que le traitement administré était pour le moins original. Certains sourires canailles des plus hardis d'entre eux, à commencer par Jingyi, contraignirent leurs comparses à garder le nez rivé au sol, et à se réfugier là où leur gêne ne trouverait aucun témoin. Celui-ci parada éhontément, interrogeant avec une innocence feinte les aînés sur la possibilité de consulter le grimoire recelant les mystères de cette médecine, et le cœur de la secte ne retrouva sa tranquillité que lorsqu'on l'expédia aux sources froides.
Lan WangJi ne s'étonnait guère, ni de l'attitude de son frère, ni de celle de ce disciple que Wei Wuxian n'avait en rien aidé à entrer dans le costume Lan. En revanche, il s'en voulait de ne pas avoir plus sérieusement considéré l'avenir. Que devait-il faire, à présent ? Car si beaucoup – des aînés pudibonds aux jeunes innocents – rougissaient face aux événements, lui et quelques-uns des disciples les plus doués du clan n'avaient pas manqué de remarquer le reste. Le Qi de Lan Xichen avait bondi brusquement à l'arrivée de Jin GuangYao, pour fluctuer ensuite dangereusement avant de trouver une stabilité réconfortante, soudaine... et préoccupante.
Le Qi ne pouvait varier ainsi, aussi intensément, en dehors d'un combat. Et même en ces instants, une telle variation n'était pas bon signe et manifestait généralement un grand état d'épuisement moral ou physique chez le cultivant. Retrouver ensuite, et aussi rapidement, un Qi stable, régulier... il n'en avait jamais été témoin. Malgré tout, il ne se voyait pas un instant aborder le sujet avec ceux qui, comme lui, avaient perçu cela. Il s'imaginait mal s'installer calmement autour d'un thé pour étudier les bénéfices apportés par les... activités récréatives... des deux concernés, et envisager la suite. Faudrait-il encourager ce passe-temps ? Wangji soupira en hochant la tête, chassant cette idée perturbante de son esprit.
L'autre possibilité était de s'en ouvrir directement à son frère, mais le simple fait d'y penser lui faisait bourdonner les oreilles.
La présence de Wei Wuxian aurait pu aider, mais il imaginait trop bien de quelle manière ce démon adoré aurait usé de la situation pour se divertir, aux dépens des Lan en général, et de Xichen en particulier ! Wangji soupira profondément une seconde fois, les yeux clos, avant de réaliser qu'il y avait bien quelqu'un avec qui il pourrait s'entretenir de cela. Ce serait gênant, certes, mais sans doute plus encore pour lui. Cependant, il lui restait encore à trouver une idée pour s'isoler avec Jin GuangYao. Il ne pouvait tout de même pas aller le tirer des bras de son aîné ! Il résolut de se coucher et d'espérer que le jour à venir lui apporterait une solution, ou le courage nécessaire pour mettre en œuvre celle qu'il envisageait.
***************
Dès son réveil, Lan WangJi se prépara à rejoindre Jin GuangYao. Il fut immensément soulagé de le trouver à flâner, seul, dans les jardins jouxtant la propriété de son frère. Il l'aborda aussitôt, le saluant d'un bref signe de tête, avant d'entamer la discussion.
— Nous devons parler de ce qui s'est passé hier.
Il se reprit en voyant le cultivant rougir furieusement et chercher une échappatoire des yeux. Wangji sentait lui aussi ses joues s'échauffer.
— Concernant la variation de Qi de mon frère, précisa-t-il rapidement afin d'écourter le malaise.
Comme il s'y était attendu, Jin GuangYao avait lui aussi perçu tout cela, mais il avait bien évidemment eu autre chose à analyser à ce moment-là... Wangji le laissa les mener vers une petite terrasse où il leur servit un thé, ce qui lui permit de s'occuper les mains.
Meng Yao repensa à Lan Huan et lui, unis au plus intime, et au flot de sensations oubliées qui l'avait alors submergé. Il avait eu l'impression que la force vitale de son amant s'était démultipliée ; que plus leurs ébats s'intensifiaient, plus Lan Huan gagnait en puissance.
— HanGuang-Jun, chuchota-t-il, en s'empourprant. Je confirme que ton frère a bel et bien retrouvé toute son énergie spirituelle.
Lan WangJi se retint de pouffer et se planqua derrière sa manche en buvant son thé. Tous deux discutèrent longuement de la situation, les yeux très régulièrement rivés au fond de leur tasse. Meng Yao s'ouvrit à HanGuang-Jun de la demande de Zewu-Jun, et de sa propre décision d'accepter. Il resta plusieurs secondes émerveillé de voir l'impassible Lan WangJi sourire.
Lorsque Lan Xichen les rejoignit, un silence gêné s'installa. Mais le chef de secte était habitué au mutisme de son frère et aux situations embarrassantes, aussi n'en fit-il aucun cas, ce qui dénoua vite la situation. Il accepta, à la demande de son frère, et surtout de son XianDu, de rester à YunShen Buzhi le temps de s'assurer qu'il maîtrisait son Qi ; le temps, surtout, de prouver au monde de la Cultivation qu'il ne représentait pas plus de danger qu'auparavant.
Meng Yao les laissa ensuite discuter des démarches à accomplir afin de remettre à Lan Sizhui la charge de chef de secte, sans qu'aucun d'eux ne sache que de son côté, le jeune homme réfléchissait déjà à la manière de mener au mieux sa vie de cultivant et de compagnon.
Les jours et semaines qui suivirent furent épiques. Wei Wuxian s'en donna à cœur joie, éminemment assisté dans sa tâche par un Jingyi aux anges. Lorsque Jin Ling apparut aux côtés de Lan Sizhui, les deux frères de Jade perçurent aussitôt combien ils avaient eu tort de ne pas prendre en considération l'avancée en âge de leurs jeunes disciples... Ceux-ci étaient désormais assez grands pour prendre leurs propres décisions, pour faire leurs propres choix, et ces choix ne concernaient pas forcément tous la Cultivation.
Jingyi rit aux éclats de constater la situation dans laquelle les amours de l'actuel et du futur chef de secte Lan mettaient la montagne entière en émoi. On suspecta régulièrement Jin GuangYao d'être malade, tant ses rougissements demeuraient d'une intense couleur rose. Mais son neveu Jin Ling fit la démonstration de tout ce que son oncle Jiang lui avait enseigné, et on les laissa finalement en paix, à l'exception des deux incurables enquiquineurs, protégés par l'affection de Wangji et Sizhui.
***************
Cela faisait bientôt un an qu'A-Yao et lui étaient mariés, et Xichen en se promenant dans la bambouseraie du Hanshi se réjouit de la félicité qui était désormais la sienne. L'abandon de sa charge de chef de clan lui avait octroyé une liberté nouvelle, et il n'aurait pu rêver compagnon plus tendre et prévenant que son A-Yao. Cet homme était vraiment l'amour de sa vie, un bijou précieux serti dans le jade le plus pur. Contrairement à Wei Wuxian, qui avait eu du mal à s'adapter à toutes les règles de leur clan, A-Yao s'était très vite habitué à la cloche de cinq heures du matin.
En homme travailleur et dur à la tâche, Meng Yao aimait ces réveils à l'aube aux côtés de son époux, où dès leur petit-déjeuner avalé, ils vaquaient ensemble aux affaires de l'une ou l'autre secte. Car de la même manière que Lan Xichen, en sa qualité d'ancien chef de clan, était devenu le conseiller occulte de son neveu Lan Sizhui, son conjoint, lui, était régulièrement sollicité par le jeune chef de secte Jin, aux fins de consultation.
Pour la première fois de sa vie, Meng Yao, assuré enfin de l'affection sincère de son mari, se sentait serein. Lui qui n'avait toujours voulu qu'amour et reconnaissance, et qu'on n'avait cessé de mépriser et de traiter d'enfant de putain, réalisait enfin son rêve le plus cher : être aimé de l'un des hommes les plus influents et les mieux considérés du monde de la Cultivation. Son besoin de tout contrôler, de peur de tout perdre, avait cédé la place au lâcher-prise. Et confiant en l'avenir, Meng Yao pouvait enfin vivre heureux, aux côtés de son bien-aimé.
— Que dirais-tu d'organiser un banquet pour fêter notre première année de mariage ? lui suggéra soudain ce dernier, au beau milieu de leur promenade matinale.
Meng Yao jeta un œil attendri à son mari avant d'objecter :
— Est-ce bien raisonnable, après les frais que la secte Lan a dû engager pour l'intronisation de son nouveau chef de clan ?
Un grand éclat de rire accueillit cette remarque.
— Raisonnable ? se moqua Wei Wuxian, apparaissant aux côtés de son propre époux. LianFang-Zun, serais-tu devenu un Lan plus vrai que nature ? Moi qui comptais sur toi pour mettre un peu d'animation dans ce clan si austère !
— Ne t'inquiète pas, Patriarche Yiling, rit Meng Yao. Je suis certain que depuis son rapprochement avec le nouveau jeune chef de clan Lan, mon neveu Jin Ling va bientôt remédier à cela.
Comme toujours aussi, dans le petit monde de la Cultivation, les ragots continuèrent d'aller bon train.
— Dire que c'est un ancien Wen qui dirige maintenant la prestigieuse secte Lan, si ce n'est pas une pitié !
Mais peu leur importait finalement ce qui pouvait se dire autour d'eux. Dans ce monde imparfait, il y aurait toujours des gens pour trouver à redire sur leur comportement. L'essentiel n'était-il pas qu'ils aient leur conscience pour eux et se sentent parfaitement heureux ?
Les festivités furent rapidement organisées, et on constata avec plaisir que les hommes prenaient vite de telles habitudes : ils étaient bien plus prompts à s'habituer à la paix et la joie qu'à la guerre. L'union à présent forte des trois grandes sectes Lan, Jin et Jiang, assurait la prospérité des villages alentours. La population se réjouissait d'autant plus, qu'elle vivait, elle aussi, de très belles heures.
Les villageois décidèrent – de leur propre initiative, puisqu'il ne leur était pas permis de tous investir les terres des clans – d'installer dans les rues des tables, des chaises et des étals. Ils se lancèrent le défi de rallier ainsi les villages les uns aux autres. Les marchands de Gusu Lan firent rapidement circuler la nouvelle, et même si la distance séparant les sectes était bien trop grande pour qu'ils parviennent à les rallier entre elles de cette manière, l'information ne tarda pas à parvenir aux oreilles des cultivants.
Les habitants, du fermier au forgeron, se promirent de reproduire l'expérience tous les cinq ans et d'entraîner avec eux le plus de monde possible afin que, de YunShen Buzhi à Lanling Jin, tous puissent se tenir côte à côte en une immense chaîne. La route des cultivants fut bien un peu déserte par endroits, pour cette première tentative, mais beaucoup furent surpris de se retrouver entourés durant leur trajet par des files d'hommes et de femmes applaudissant et levant leurs verres, les enfants jetant des fleurs, de l'herbe et des feuilles sous l'œil rieur des guerriers. Chacun avait le sentiment d'être célébré, de se trouver remercié pour cette époque prospère, et se promettait de veiller à le mériter encore, à l'avenir.
FIN
Nous espérons que vous avez aimé suivre cette histoire autant que nous avons pris plaisir à l'écrire !
Merci de nous avoir suivies en tous cas.
Tan et Zinie
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top