Chapitre 33
Les jours passèrent sans que Lan Xichen ne semble capable de revenir à la conscience. Lan Wangji ne trouvait du réconfort que dans les nouvelles qu'il recevait régulièrement de JinlinTai. Il savait que Wei Ying œuvrait au mieux pour maintenir les inquiets et quelques curieux à distance de YunShen Buzhi. Il n'était nul besoin d'ajouter à la charge de la secte, avec des visiteurs à entretenir.
La fluctuation constante du Qi de son aîné affectait les cultivants épuisés, et Hanguang-Jun ne consentait à prendre un peu de repos que lorsque le sang s'écoulant de ses doigts perturbait la pureté de la mélodie, la rendant alors inefficace, voire dangereuse. Le repos le fuyait, et il pratiquait la méditation avec intensité pour retrouver son énergie vitale, mais il se sentait peu à peu perdre du terrain face à ce qui rongeait Xichen. Surtout, il comprenait qu'il fallait maintenant lui laisser la possibilité de lutter pour lui-même, et lui rendre sa combativité et sa vie.
— Mon frère, murmura-t-il au septième jour, à un Zewu-Jun inconscient, Jin Ling est sauf. Ton Meng Yao a survécu. Ne nous laisse pas seuls dans ce monde, contraint de souffrir ton absence.
Accablé d'inquiétude et de chagrin, Lan Wangji demanda à ce qu'on laisse le chef de secte seul. Ils avaient tous fait leur maximum, seul Zewu-Jun pouvait à présent décider de revenir auprès d'eux.
Le soir même, Xichen ouvrait les yeux. Pour autant, son état ne laissa pas d'inquiéter ses proches. Wangji avait parfois le sentiment de revoir Wei Ying lors de sa résurrection, dépourvu de force vitale, changé... mais l'instant d'après, Xichen semblait déborder d'une énergie qu'il peinait à canaliser et qui marbrait sa peau de cicatrices éphémères. Il l'accompagnait dans ses exercices de méditation, désarçonné par l'impression d'amateurisme que dégageait son aîné.
Xichen semblait avoir tout à réapprendre, comme si son noyau d'or s'était tant modifié qu'il ne se reconnaissait plus dans ce corps, comme s'il ne répondait plus à cette âme. Il demeurait étrangement mutique. Lui qui avait toujours su choisir les mots, apaiser d'une parole ou d'un sourire, fuyait les regards et les conversations. Il paraissait détaché de tout, insensible à son propre sort, et Wangji devinait les multiples interrogations qui devaient l'assaillir. Il devinait également qu'il n'était pas celui qui pourrait apporter les réponses et le réconfort nécessaires à la guérison.
Sa sagesse lui permettait parfaitement de comprendre quand ses compétences étaient limitées dans un domaine, et vers qui se tourner, le cas échéant. Il résolut donc, après un mois reclus dans les montagnes de son enfance, de rejoindre le seul capable d'aider Zewu-Jun à traverser ces épreuves. Il le supplierait de le suivre, s'il le fallait, dût-il se prosterner devant lui et se mettre toute la Cultivation à dos. Il avait pris tous les risques, des années plus tôt, pour Wei Ying. Rien ni personne, à part lui, ne comptait plus à ses yeux que son frère, et certainement pas son honneur.
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Dès que les choses étaient rentrées dans l'ordre et qu'il recouvra un peu de santé, le jeune chef de clan Jin fit chercher son ancien guérisseur en chef pour le révoquer officiellement et le jeter en prison, puis il en nomma un autre qu'il pourvut de nombreux et brillants conseillers. Entouré des bons soins de tout ce que Jinlintai comptait d'hommes de sciences et de mets délicats, Meng Yao se rétablit rapidement. Son entourage, surpris, qui ne se lassait pas de s'extasier, le faisait parfois rougir de malaise. Il n'osait pas leur dire que tant d'années passées allongé au fond d'une boîte, avec un cadavre, l'avait sans doute pourvu d'une résistance certaine à ce que la vie pouvait offrir de poisseux et nauséabond.
Il passa de nombreuses heures à discuter avec Jin Ling qui, vite remis de la déception ressentie en apprenant son amnésie, était déterminé à créer tant de nouveaux souvenirs, qu'ils combleraient tous ces manques. Il abreuva son oncle des informations et potins les plus divertissants. Le chef de clan YunmengJiang vit son tempérament ombrageux confirmé par mille anecdotes peu valorisantes, mais l'affection que lui portait son neveu transparaissait toujours dans chacune. Les prouesses et l'indomptabilité de Wei Wuxian furent largement illustrées également...
Et entre ces instants de rires, Jin Ling distillait tout ce que Lan Xichen et lui avaient traversé en son absence. Le chagrin, le manque, l'atroce certitude d'être incompris et de devoir cacher ses larmes. L'espoir aussi. Un espoir fou qu'il ne comprenait que maintenant. D'une manière ou d'une autre, il avait toujours eu la certitude qu'il retrouverait son oncle Jin.
Tous deux attendaient et écoutaient avec avidité et inquiétude les nouvelles en provenance de YunShen Buzhi. Lan Xichen n'était pas perdu... mais pas sauvé pour autant. La santé encore fragile de Jin Ling – et le regard tranchant de Sizhui – clouaient le jeune chef de secte dans un périmètre restreint. Meng Yao aurait volontiers entrepris le voyage, mais Wei Wuxian lui avait appris que Lan Zhan avait fermé les portes de YunShen Buzhi et précisé qu'il ne voulait voir personne, et la crainte d'avoir encore à affronter les critiques l'en dissuadèrent. De toute manière, que pourrait-il faire au chevet de Lan Huan ?
Alors, lorsque Lan Wangji annonça son arrivée prochaine, la cité fut sur le pied de guerre. Que venait-il annoncer ? Pourquoi quittait-il ainsi YunShen Buzhi, si Lan Xichen n'était pas avec lui ou au moins éveillé ? Meng Yao refusait d'envisager le pire et s'accrochait comme un naufragé à la promesse de Wei Wuxian ; si Xichen voyageait à cette heure vers d'autres rives, Lan Zhan en serait tellement affecté que lui-même le sentirait, quelle que soit la distance entre eux.
Tous accueillirent HanGuang-Jun debout, la mine tendue et les muscles raidis d'anxiété, mais celui-ci n'eut de regard pour aucun d'entre eux, pas même son époux ou le jeune chef revenu d'une si cruelle malédiction, à l'exception de Meng Yao. Lan Wangji marcha d'un pas déterminé jusqu'à lui, et celui qui fut un jour LianFang-Zun dut faire un effort pour ne pas reculer de quelques pas.
Il aurait voulu prévenir, dire qu'il était inutile de l'accabler de reproches, qu'il le faisait très bien lui-même à l'abri des regards. Oui, il était responsable de l'état de Lan Huan. Ce dernier s'était mis en danger pour le sauver, lui, d'un cadavre féroce qu'il avait lui-même créé. Il était coupable, à tout point de vue. Il voulait bien endurer les coups, une autre malédiction même, mais surtout pas de reproches !
Meng Yao avait compris que, dans son ancienne vie, sa principale force avait été son intelligence avant tout, puis sa capacité à discourir. Même s'il était revenu moins loquace, il gardait une conscience vive de la force des mots. Et ceux de Lan Wangji auraient le pouvoir de le détruire, il en avait la conviction. Aussi dut-il prendre quelques secondes pour intégrer ce que celui-ci ordonna.
— Tu dois venir avec moi à YunShen Buzhi. Je ne peux plus rien pour lui. Il n'y a plus que toi...
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Avec un Lan WangJi qui n'avait pas décroché un mot de tout le trajet, le voyage jusqu'à YunShen Buzhi fut pour Meng Yao un véritable supplice. Il eut beau essayer d'en savoir plus sur l'état de Lan Huan, le second Jade lui répondait invariablement par sa célèbre monosyllabe, quand il n'ignorait pas tout bonnement ses questions. On aurait juré qu'il estimait avoir dit l'essentiel en arrivant à JinlinTai, et que tout désormais reposait entre les mains de Meng Yao.
Je ne peux plus rien pour lui. Il n'y a plus que toi...
Ce fut avec un immense soulagement que Meng Yao reconnut au loin la montagne isolée et les nuages floconneux de YunShen Buzhi. Enfin, ils étaient arrivés ! Une arrivée qui produisit son petit effet dans les quartiers habituellement calmes du chef de secte. Les disciples se bousculaient pour apercevoir le visiteur et se répandre ensuite en chuchotements, ce qui ne manqua pas d'inquiéter Meng Yao et d'agacer Lan WangJi.
— N'avez-vous pas mieux à faire que d'espionner nos invités ?
— Toutes nos excuses, HanGuang-Jun... bredouilla l'un des jeunes, en s'éloignant à reculons. Nous ne faisions que passer pour nous rendre à la Salle des Orchidées.
Lan WangJi savait qu'il n'était nul besoin de s'aventurer jusqu'au pavillon du chef de clan pour se rendre au LanShi, mais il fit semblant de les croire, en profitant au passage pour leur demander :
— Qu'en est-il, d'ailleurs, de notre zongzhu ?
— Euh... je suppose qu'il doit se reposer. Nous avons fait comme vous nous l'aviez recommandé, nous ne l'avons pas dérangé, sauf pour lui apporter ses repas.
Ce luxe de précautions autour du malade tracassa encore plus Meng Yao, qui comprit qu'on n'attendait pas moins de lui qu'un miracle. Lan WangJi poussa un soupir, se préparant mentalement à retrouver son frère à l'âme fatiguée et au corps affaibli. Puis il regarda une dernière fois Jin GuangYao, enfin tourna tout doucement la poignée de la porte...
L'apparition de Meng Yao dans le HanShi tira incontestablement Lan Xichen de sa torpeur sans rêves. Il se frotta les yeux et s'ébroua, comme pour dissiper un brouillard informe et cotonneux.
— Tu... tu es réellement vivant ? balbutiait-il, incrédule.
— Toi aussi ? lui répondit en écho Meng Yao, les yeux grands écarquillés.
Lan WangJi n'appréciait pas spécialement Jin GuangYao, mais à cette seconde, il lui aurait volontiers baisé les pieds ! Au lieu de quoi, il se contenta de sortir et de refermer la porte derrière lui. S'il était avéré que seul l'amour de Jin GuangYao pouvait ramener son aîné à la vie, Lan WangJi était prêt à en tirer les conséquences.
Bien sûr, Zewu-Jun ne pourrait pas rester le dirigeant de leur secte. Dans le monde très policé de la Cultivation, succomber à la Fureur sombre était considéré comme une faute très grave. Cela signifiait que le sujet avait quasiment vendu son âme aux Forces du Mal, en échange de l'amplification de sa puissance de frappe et de la suppression de la douleur. Une fois possédé par la Fureur sombre, le combattant perdait tout empire sur lui-même. D'une extrême violence, il se révélait incapable de se maîtriser, jusqu'à ce que son objectif soit atteint. Aussi était-il impensable de confier à un tel individu la moindre responsabilité, à fortiori l'avenir de l'un des plus grands clans !
Mais peut-être n'était-ce qu'un mal pour un bien ? A-Yuan était grand désormais, et sans doute le temps était-il venu de passer le relais...
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