Chapitre 27


Bientôt une heure que Wei Wuxian avait reçu le papillon Lan envoyé par son beau-frère pour l'avertir d'un piège, lorsque à l'entrée de Yunping ils étaient tombés sur un groupe de villageois qui les toisèrent avec méfiance.

— Que se passe-t-il, bonnes gens ? Pourquoi avez-vous l'air aussi apeurés ?

L'atmosphère, chargée d'électricité, rendait les habitants hostiles et agressifs, corroborant à leur manière le message de Zewu-Jun.

— Hommes de malheur que vous êtes tous... grommela un vieillard à barbe blanche. La ville est pleine de soldats, et ChiFeng-Zun est furieux car il a été dérangé !

Aussitôt, Nie Huaisang commença à paniquer et à vouloir rebrousser chemin. Wei Wuxian aurait pourtant bien voulu pousser jusqu'au tombeau, au moins pour voir même de loin ce qui s'y tramait, à défaut de pouvoir aider. Au lieu de quoi, il dût déployer des trésors de patience et de diplomatie, pour convaincre Huaisang de rester à Yunping attendre leurs amis. Pour ce faire, il n'hésita pas à lui brandir le spectre de la profanation, arguant que des individus mal intentionnés pourraient profiter du désordre ambiant pour souiller la sépulture de Frère Aîné, voire pire : voler l'amulette du Tigre stygien censé guérir Jin Ling !

Le chef de clan Nie finit à contrecœur par se ranger à ses raisons. Et la peur conférant sans doute aux couards du génie, il eut une idée lumineuse, en attendant l'arrivée des renforts.

— Et si on allait se réfugier dans une tour de guet ?

Wei Wuxian leva un sourcil, puis se rappela la recommandation, que son époux lui avait adressée un peu plus tôt par la pensée.

Je quitte Moling. Le bras de Jin GuangYao a été détruit. Lui seul maintenant peut aider à récupérer l'amulette et il a été enlevé. Fais attention à toi...

Alors il consentit à ralentir le pas, et s'adressant à leur troupe, demanda :

— Vous autres, qu'en pensez-vous ?

— C'est une excellente idée ! fit le capitaine dirigeant les hommes qui les accompagnaient. Non seulement nous pourrons voir arriver de loin tout danger, mais nous aurons également le meilleur point de vue pour évaluer l'avancée de nos alliés.

Ne leur restait qu'à battre la campagne pour retrouver l'une des mille-deux-cent tours d'observation que Jin GuangYao avait fait construire pour protéger son peuple, du temps de sa souveraineté. Ces miradors se trouvant généralement à l'entrée des cités, ils eurent tôt fait, en rebroussant légèrement chemin, de tomber sur l'un d'eux.

Fou de joie, Huaisang mit moins d'une minute à escalader l'échafaudage pour arriver au sommet, suivi de près par Wei Wuxian et quelques cultivants. Une fois tout en haut, le Patriarche Yiling scruta avec satisfaction les environs, et fit à son ami :

— C'est vraiment une riche idée que tu as eue là !

Huaisang dut bien reconnaître que ces tours étaient une ingénieuse invention, qui à l'heure actuelle allait peut-être lui sauver la vie, et trouva ironique de devoir cette protection à l'homme qu'il détestait le plus au monde : à LianFang-Zun. Planqué contre la balustrade, il laissa à Wei Wuxian et aux autres le soin de surveiller les parages, et avoua :

— Je ne te cache pas que je serai plus rassuré lorsque Zewu-Jun sera là !

— Comment suis-je censé le prendre ? rigola Wei Wuxian. Je te rappelle que nous ne sommes pas avec n'importe qui mais avec la formation confidentielle ! Un groupe d'hommes volontaires, choisis parmi les éléments les plus intrépides du monde de la Cultivation.

— Je sais bien, je sais bien !... Mais es-tu sûr que ton papillon est bien parvenu à Jiang Cheng et Wangji ? S'il nous faut revenir au tombeau, il faut absolument que nous soyons le plus nombreux possible !

Wei Wuxian se détourna pour lever les yeux au ciel et tenta de répondre calmement :

— Je n'ai pas eu à le faire, Lan Zhan et moi communiquons par d'autres moyens.

— Ah ?

Wei Wuxian ne prit pas la peine de lui fournir d'éclaircissements, absorbé qu'il était par d'autres préoccupations. Depuis qu'il avait reçu les dernières pensées de son mari, il se demandait s'il ne serait pas temps pour lui de faire appel à Wen Ning, et aussi s'il devait partager avec ses compagnons l'information de l'enlèvement de Jin GuangYao.

Au bout de quelques minutes, le chef de clan Nie se redressa pour discuter avec le capitaine, quand son œil fut attiré au loin par un étrange cortège. Cela ressemblait à une longue procession d'hommes, les uns à cheval, les autres à bord de carrioles de fortune, qui s'acheminaient lentement vers le temple. L'œil aussi aiguisé que celui du soldat, il lui demanda la voix chevrotante :

— Qui va là, qui sont ces gens ?

— Je l'ignore, Nie-zongzhu. Peut-être des marchands, ils me paraissent inoffensifs.

Du haut de la tour de guet, Huaisang, qui avait une excellente vue, crut tout à coup apercevoir une silhouette allongée sur le sol dans une posture fort peu naturelle... Comme seul un cadavre est capable d'en avoir.

— Wei-xiong, regarde ! hurla-t-il, en tirant son ami par la manche. Des morts, ce sont des morts !

Wei Wuxian et le capitaine accoururent aussitôt de son côté, en mettant leur main en visière.

— Les gardiens du temple ont été décimés ! piailla Huaisang, au comble de l'agitation.

Cette foi, ni une ni deux, les hommes dévalèrent l'échafaudage en sens inverse. Ils remontèrent sur leur épée pour filer en direction du tombeau, car même si Huaisang avait le goût de l'exagération, il ne faisait aucun doute qu'un seul cadavre étendu dans l'herbe était le signe que quelque chose de grave était en train de se passer.

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Dès que Lan WangJi comprit que le danger se situait désormais du côté du tombeau, son cœur se mit à battre plus vite, et Bichen à tressauter plus fort que jamais dans son fourreau. Avec Jiang Cheng, Lan Sizhui et toute leur troupe, ils mirent aussitôt le cap sur le temple, espérant que leur aide n'arriverait pas trop tard.

A l'approche de Yunping, les pensées de Wei Ying hurlaient si fort dans sa tête, que Lan WangJi eut peur de ne plus pouvoir entendre autour de lui ses ennemis. Mais un son bien plus puissant que les autres s'imposa alors à son ouïe. Et sans même se concerter, les hommes se dirigèrent tous dans cette direction, se retrouvant bientôt devant les marches du temple, en proie à un chaos indescriptible.

L'horrible vocifération provenait de derrière le portail, que Wei Ying essayait d'atteindre en vain, sans parvenir à l'approcher. Derrière lui, les hommes de la formation confidentielle livraient une bataille acharnée contre d'autres soldats, qui portaient la tenue de la secte Jin ou de la secte Su. Alors que l'un d'eux, profitant de ce que Wei Wuxian lui tourne le dos, se précipitait vers lui l'épée levée, Jiang Cheng fit claquer Zidian dans l'air pour intercepter son arme.

— Merci, vieux frère ! rit Wei Wuxian, en s'épongeant le front. Sans toi, j'aurais bien failli finir embroché. Mais là, il faudrait vraiment qu'on arrive à enfoncer cette porte...

Comme pour lui donner raison, un nouveau rugissement du cadavre féroce résonna dans tout l'édifice, à vous en donner la chair de poule. Avec courage, Lan Sizhui interpella alors le Patriarche Yiling.

— Père, vous ne pourrez pas ouvrir cette porte, elle est protégée par un talisman Lan.

Examinant de plus près la fameuse protection, HanGuang-Jun confirma d'un « Mmh » inaudible. Il se mit face à la porte et leva la main, plein de concentration. Mais il eut beau jeter sortilège sur sortilège, rien n'y faisait, la barrière invisible ne voulait pas lui céder.

L'heure était si grave que le cadet du Premier Jade résolut, à titre exceptionnel, de communiquer avec lui en mode télépathie :

Frère, dépêche-toi ! Ils retiennent Meng Yao en otage auprès du cadavre féroce, et je n'arrive pas à desceller la porte du temple !

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Xichen imprimait à leur procession un rythme extrêmement soutenu, que certains cultivants peinaient à suivre. Mais il n'en avait cure et ne lançait pas même un regard en arrière, tandis que le vent faisait voler ses cheveux et claquer les pans de son hanfu. À sa grande angoisse, il lui sembla ressentir également le poids de ce que d'autres nomment « mauvais pressentiment », mais il avait traversé trop d'épreuves pour ignorer qu'il percevait tout simplement le danger entourant des êtres chers. Quoi qu'il se passe au tombeau, ses amis, sa famille, y prenaient part activement... et dangereusement.

Cependant, il pouvait difficilement accélérer encore son allure, à moins de vouloir parvenir au but dépourvu de la moindre capacité, pour y accomplir rien moins que la mission de sa vie ! Échouer était impossible. Il n'y survivrait pas. Pas une seconde fois.

Tiens bon... Tenez bon, tous !

Xichen eut un léger sursaut en percevant la voix de son frère souffler dans son esprit, comme un écho déstabilisant, mais le message transmis le mit tant au supplice qu'il ne s'attarda guère sur la forme. Ses poings se serrèrent et il chercha comment reprendre son souffle durant plusieurs secondes, les yeux rivés sur leur destination qu'il apercevait au loin, comme si cela avait le pouvoir de les faire arriver plus vite.

Une fois sur place, il vola directement vers son frère et l'entrée, laissant à ceux qui l'accompagnaient plusieurs mètres derrière le soin de le protéger de leur arc, ce qu'ils firent avec efficacité. On pouvait à loisir critiquer les langues acérées de ces hommes et leur propension à se vautrer dans la moindre rumeur, nul ne saurait douter de leurs capacités lorsqu'ils décidaient de combattre ensemble.

D'un saut agile, Xichen toucha le sol et s'empara du pommeau de son épée. Il lui imprima un ample mouvement fluide, en décrivant un arc de cercle devant lui, et sa lame coupa simplement en deux le corps massif d'un de leurs ennemis. Le fourreau, éjecté dans le mouvement et imprégné de la colère de son propriétaire, brisa net le crâne d'un second cultivant à l'opposé.

Certains de leurs alliés clignèrent des yeux, interdits face à cette manœuvre pour le moins brutale à laquelle Zewu-Jun ne les avait pas habitués, mais il ne leur accorda pas un regard et rejoignit la porte.

— Wei Ying ? fit-il simplement à l'intention de son frère.

— Sauf, répondit sobrement Wangji.

Autour d'eux, les combats faisaient rage. Les traîtres étaient nombreux, et surtout déterminés. Ils n'avaient plus rien à perdre, et se battaient plus pour venger leur honneur que dans le but d'atteindre cette amulette. Pour beaucoup, elle n'avait été qu'un prétexte pour se soulever contre les puissants. Ils mettaient dans leurs coups toute la rage et le mépris que les nobles eux-mêmes avaient mis dans leurs paroles et leurs jugements, des années durant. Ils luttaient, à leur manière, contre les mêmes démons qui avaient englouti A-Yao, avec les mêmes mauvais choix.

De fait, l'accès à la porte demeurait libre, sans doute parce qu'aucun de leurs opposants ne se souciait de ce qui pouvait se passer à l'intérieur du mausolée.

— J'aurai besoin des talents de Wei-gongzi ! alerta Xichen. Dès que cette barrière fléchira, il sera notre meilleure protection contre le cadavre féroce.

Son frère juré, qu'il avait tant estimé, ne représentait maintenant pour lui que le danger à abattre. Au diable les anciennes amitiés, il ne laisserait rien se mettre entre A-Yao et lui ! Pas cette fois. Il tendit ses deux mains vers la lourde porte, se concentra pour percevoir la magie qui l'imprégnait, et lui insuffla à son tour son propre pouvoir.

La sueur perlait à son front sous l'effort, mais il resta insensible à tout ce qui se passait autour de lui, tâchant également d'ignorer ce qu'il entendait à l'intérieur. Les hurlements rauques de ChiFeng-Zun lui disaient tout ce qu'il avait besoin de savoir : il n'était pas trop tard. Sans surprise pour Xichen, la barrière invisible céda. Il ne remarqua pas les exclamations impressionnées de quelques cultivants autour de lui, et s'engouffra sabre au clair dans le bâtiment ravagé.

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